Nous rappelons ici la typologie traditionnelle des sources du droit telle qu'on l'enseigne dans toutes les bonnes maisons. Nous proposons ensuite d'amender quelque peu celle-ci.  


I. Les sources classiques du droit : énumération

Pour bien baliser les éléments créateurs de droit, l'usage est pris de présenter les divers éléments qui peuvent agir et interagir sur l'évolution du droit sous forme d'une typologie dont nous passons rapidement les éléments en revue, avant de reprendre en détail et d'enrichir cette typologie.
- Classiquement, on place en premier lieu la législation qui constitue l'ensemble des règles de droit écrit.
- La coutume garde encore une place, certes minime, dans notre édifice juridique. On lui reconnaît des effets de droit dans des domaines généralement très circonscrits.
- Vient ensuite la jurisprudence, soit l'ensemble des décisions de justice.
- Enfin l'édifice se complète par une source indirecte qu'on nomme la doctrine et qui constitue l'ensemble des opinions des auteurs de droit, généralement spécialisés dans un domaine dans lesquels ils font autorité.

II. Les sources du droit : typologie enrichie

1. Le bloc constitutionnel et le droit communautaire originaire

Pris dans un sens large, le mot législation englobe tout le bloc de droit écrit ayant force obligatoire, donc toute la hiérarchie des normes, étudiée dans une autre article. Mais lorsqu'on lit les auteurs, sous cette rubrique n'apparaît que la législation (ou réglementation) au sens que nous rappelons ci-dessous, à l'exclusion de toute mention des règles constitutionnelles, ou encore des traités fondateurs et constructeurs de l'Union européenne, dit droit originaire ou primaire. Il ne faut pourtant pas oublier la constitution française et les sources européennes.

2. La législation

On entend par législation l'ensemble des textes de droit écrit ayant force obligatoire et s'appliquant à tous les sujets de droit sans exception. Sous ce terme, on regroupera donc toute une série de règles appelées aussi normes (au sens juridique) qui sont classées selon une hiérarchie étudiée à part.
Sur un plan terminologique, il convient d'insister sur le fait que législation est alors plus vaste de loi. Bien que les termes ne soient pas tous rigoureusement utilisés par les juristes, en général, lorsqu'on parle de législation, on vise les lois, décrets, arrêtés, voire les règles coutumières. Il faudrait y ajouter les actes réglementaires des collectivités territoriales et des établissements publics. Un synonyme possible est le terme de réglementation, qu'il ne faut pas confondre avec le règlement, qui vise une catégorie bien particulière de textes normatifs en droit français (cf. plus loin), ou un type de texte spécifique en droit communautaire.

3. Le droit communautaire dérivé

Pour être complet, il ne faut pas oublier à ce niveau l'influence directe du droit communautaire dit dérivé : le droit d'application de la vie des communautés européennes : directives, règlements et décisions, étudiés ultérieurement. Ce droit exerce une influence déterminante sur les droits nationaux : la majorité du travail législatif se déplace peu à peu des parlements nationaux vers les instances de décision de l'Union européenne. Il s'agit des directives - qui nécessitent une transposition dans les droits nationaux - et des règlements communautaires qui eux s'insèrent directement dans les ordres juridiques nationaux des États membres.

4. La coutume

La coutume est l'usage prolongé d'une même règle de droit non écrite. Pour nous faire comprendre ce qu'était la coutume, un de nos professeurs de droit prenait l'exemple des pelouses du campus sur lesquelles se dessinaient peu à peu des chemins façonnés par l'habitude qu'avaient prise les étudiants d'emprunter un même itinéraire, plus court que les chemins soigneusement dallés qui quadrillaient ledit campus... On ne saurait mieux définir la coutume qu'avec cette image simple. Lorsqu'une règle a connu un long usage, le juge peut être amené à la constater et à la reconnaître pour valable et s'imposant à tous. Très fréquemment, la coutume est circonscrite localement à une région (usages locaux). Il arrive que le législateur renvoie ainsi, pour des questions de détails, expressément aux usages locaux. C'est le cas par exemple de la durée de certains baux.

5. La jurisprudence

La jurisprudence est constituée par l'ensemble des décisions de justice - terme générique qui regroupe d'une part les jugements des tribunaux et d'autres part les arrêts des cours. C'est l'ensemble qui représente La jurisprudence (cf. nos articles sur cette question).
Le rôle de la jurisprudence est de préciser le droit écrit là où il ne l'est pas, de l'adapter aux circonstances de fait, ou même de remplacer des règles de droit inexistantes. Les deux premiers aspects du rôle de la jurisprudence n'appellent pas de commentaires. En revanche le rôle créateur du droit lorsque des règles font défaut est assez original pour qu'on y insiste. Ce rôle est dicté par un des tout premiers articles du code civil, datant de 1803, incriminant le déni de justice. L'article 4 dispose que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». On trouvera ainsi des règles de droit qui sont de véritables créations jurisprudentielles, autonomes et non transcrites dans le droit écrit (législation). Il en est ainsi du droit de la concurrence déloyale, construction jurisprudentielle développée à partir de l'art. 1382 du code civil. On pourrait citer en matière administrative la théorie des principes généraux du droit, règles non écrites en droit français mais consacrées par des décennies de jurisprudence du Conseil d'État (principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, principe des droits de la défense...).
Les instances juridictionnelles de l'Union européenne ont leur place dans cette rubrique. Certains grands arrêts de la Cour de justice des communautés européennes consacrent ou même fondent des règles de fonctionnement des institutions juridiques européennes, avec incidence directe sur la vie juridique nationale.

6. La doctrine administrative (les circulaires)

Placé à notre sens à un niveau d'influence plus fort que la simple doctrine privée évoquée ci-dessous, ce qu'il est convenu d'appeler la doctrine administrative constitue une source, certes indirecte du droit, mais une source non négligeable. Source indirecte, la circulaire ne l'est que relativement aux citoyens. Car ce sont des textes qui s'imposent à l'Administration.

Les circulaires, sources hiérarchiques de droit pour les administrations

Une circulaire est en fait un mode d'emploi de l'administration concernant l'application de la réglementation. Ce type de texte s'impose à l'administration qui est tenue d'appliquer les textes officiels dans le sens préconisé par la circulaire (en vertu du principe d'autorité hiérarchique du signataire de la circulaire). Vu sous cet angle et pour cette catégorie de personnes de droit public (les administrations et services assimilés et leurs personnels), les circulaires sont donc une source directe du droit.

Les circulaires, documents non opposables aux administrés

En revanche, il est de jurisprudence constante (c'est-à-dire que les juges administratif en ont toujours décidé ainsi) que les circulaires ne sauraient s'imposer au citoyen. En d'autres termes, l'administration ne peut invoquer la force d'une circulaire pour imposer au citoyen son mode de fonctionnement et son application d'un texte législatif. En revanche, tout administré peut contester l'application faite par une administration d'une loi, même si cette application est conforme à une circulaire.
Un corollaire dérive du précédent principe : les circulaires sont une source obligatoire pour l'administration. Tout citoyen peut donc exiger de l'administration l'application d'une circulaire. En d'autres termes, l'administré a le pouvoir de contraindre l'Administration à faire son travail dans le respect de tous les textes qui la lie.

7. Les réponses ministérielles

Le Parlement (composé en France de deux chambres : Assemblée Nationale et Sénat) dispose de deux procédures pour interpeller le Gouvernement sur des questions diverses. Il s'agit d'abord de la procédure des questions orales, d'ordre plus politique que technique. Aujourd'hui, en période de session parlementaire, deux après-midi par semaine sont consacrés à ces questions orales.
Il s'agit ensuite de la procédure de questions écrites, moins médiatisée. Elle revêt un intérêt parfois essentiel pour connaître la position d'un ministère sur un point de droit. Tout député ou sénateur peut poser par écrit une question à un ministre.
Dans un cas (question orale) comme dans l'autre (questions écrite), ces questions peuvent porter sur l'interprétation à donner à un texte, obscur ou non, ou chercher à obtenir une précision concernant l'application d'un texte par l'administration ou encore interroger le ministre sur ce qu'il compte faire face à telle anomalie ou telle injustice créée par telle disposition. Le ministre fournit la réponse que lui prépare son administration. D'où l'importance de ces réponses. Au travers du ministre, nécessairement amovible, c'est l'Administration, dans sa légendaire stabilité en France, qui répond. C'est pourquoi ces réponses écrites prennent le caractère de doctrine administrative, parfois avec autant de poids factuel qu'une circulaire.
La loi du 17 juillet 1978 réglant les questions d'accès aux documents administratifs inclut dans les textes qu'elle vise, les « réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives » (art. 1er al.2).

Les revues juridiques en font abondamment usage sur des points de détail du droit. Les domaines du droit les plus consommateurs de ce genre de texte sont bien sûr les domaines à la fois les plus byzantins et dans lesquels le rôle de l'administration est prépondérant : en droit fiscal et en droit social, mais aussi en matière de collectivités locales.

Art 1er al.2 Loi d'accès aux documents administratifs :
« Sont considérés comme documents administratifs au sens du présent titre tous dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, avis, à l'exception des avis du Conseil d'État et des tribunaux administratifs, précisions et décisions revêtant la forme d'écrits, d'enregistrements sonores ou visuels, de traitements automatisés d'informations non nominatives. »

8. La doctrine

On entend par doctrine l'ensemble des écrits des personnes qui font autorité en matière juridique, plus particulièrement dans un domaine du droit. Il peut s'agir de professeurs de droit qui se sont spécialisés sur une question particulière. Mais il peut aussi s'agir de tout autre auteur, dès l'instant qu'il est expert dans le domaine. Ainsi des praticiens du droit peuvent-ils être aussi auteurs de doctrine. La doctrine est considérée comme une source du droit puisqu'elle inspire les autres sources positives du droit. La doctrine influence ainsi autant le législateur que les magistrats chargés d'infléchir la jurisprudence. Les interactions sont ainsi multiples entre les diverses sources.

9. Interactions entre les sources du droit

Vision classique

On peut déjà envisager certains schémas classiques d'interaction. Ainsi les auteurs de doctrine peuvent-ils être amenés à critiquer un courant jurisprudentiel jusqu'à ce que celui-ci connaisse un revirement dans le sens préconisé par la doctrine. Une jurisprudence constante sur un point de droit peut influencer le législateur et l'amener à modifier la réglementation en vigueur dans un sens conforme au courant jurisprudentiel. C'est d'ailleurs assez souvent ainsi qu'évolue le droit, la modification de la loi intervenant en bout de terrain, une fois que tout le monde est convaincu de la nécessité de fixer les règles dans le sens indiqué.

Vision dynamique

Mais toutes les interactions peuvent être imaginées. Ce qu'il paraît intéressant de signaler, c'est que bien souvent le personnel juridique est à cheval sur plusieurs sources. Ou plus précisément certains juristes qui sont acteurs de la doctrine, participent également à la jurisprudence ou contribuent à l'élaboration de la loi. M . Jean Foyer, professeur des universités et à ce titre auteur de doctrine, a ainsi longtemps été député et même président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Rien n'interdit à un magistrat d'être aussi une sommité dans un domaine pointu du droit et en conséquence de publier abondamment sur le sujet en question et faire autorité.

|cc| Didier Frochot - novembre 2005