La spiritualité transcendantale de l’icône

L’icône n’est pas un objet religieux comme les autres. C’est le support d’un langage théologique qui a une double fonction, catéchétique et liturgique. Du point de vue catéchétique, elle relate l’essentiel des sources bibliques et évangéliques de la foi chrétienne ainsi que l’histoire et les grandes traditions de la vie de l’Eglise. Les inscriptions qui figurent sur les icônes en disent le sujet et garantissent cette fonction. Elle n’est pas en premier lieu une décoration, mais une instruction. Ce qui est peint est aussi écrit...


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Allégorie de la Trinité.
A. Roubliev. 1420. Galerie Tretiakov. Moscou. Dessin Jacques Varoqui

Comment cela fonctionne-t-il ?

Du point de vue liturgique, elle accompagne le croyant dans la démarche qui le fait entrer dans l’univers du sacré pour rencontrer Dieu. Aussi lui indique-t-elle sa place dans l’Eglise et dans le monde comme une icône vivante de Dieu. Elle invite à la prière et fait de la prière une célébration où le croyant exerce son sacerdoce baptismal. Religieux et laïcs ont le même comportement devant les icônes. Avec les icônes, ils rendent gloire à Dieu. L’icône est un exemple de sublimation religieuse.

C’est un chemin qu’il faut savoir parcourir dans un ordre hiérarchique traditionnel. Il faut pour cela se rendre dans une église et regarder autour de soi. Il n’y a pas de représentations iconographiques à hauteur d’homme dans une église car l’homme, créé à l’image de Dieu, appartient déjà par le baptême à la sainteté de Dieu. Le croyant est lui-même une icône.

Au-dessus de l’homme vivant et croyant, il y a les saints, laïcs ou religieux, docteurs, défenseurs de la foi ou protecteurs de l’Eglise, dont on conserve la mémoire et les faits de vie. Plus haut se trouvent les grandes figures de l’Ancien Testament, les patriarches, les prophètes, les rois et les sages. C’est parfois tout un résumé de l’Ancien Testament qui est représenté.
Puis vient le grand cycle iconographique de la vie de Marie et de l’enfance du Christ, d’après Luc et le protévangile de Jacques. C’est le mystère de l’Incarnation. Ensuite on représente la vie de Jésus, de l’Annonciation à l’Ascension, jusqu’au jugement dernier, auquel participent les apôtres. C’est le mystère de la Rédemption.
A un degré encore supérieur sont représentées les icônes qui touchent à la personne du Créateur, du Christ, de l’Esprit Saint et de Marie comme « Mère de Dieu ». Ces icônes dogmatiques occupent les coupoles et les voûtes en cul-de-four des absides, et signifient la plénitude de la sainteté en Dieu, de l’accomplissement des derniers jours.

Ainsi de bas en haut, et de l’actuel à l’éternel, tout est induit dans une seule et même dynamique vivante et sainte, celle du salut de Dieu. Les théologiens orthodoxes parlent volontiers de la fonction sacramentale des icônes, qui ramènent tout, par leur pédagogie spirituelle, vers Dieu.

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Crucifixion
Vers 1500. Galerie Tretiakov. Moscou. Dessin Jacques Varoqui

La discipline de l’art sacré de l’icône

Tous les artistes se plient à des disciplines diverses, académiques ou modernes. L’iconographie orthodoxe a la sienne. Il va de soi qu’une personne qui n’a pas les dispositions artistiques requises à la création d’une icône ne doit pas s’y risquer. Une icône doit toujours être belle, même si elle n’est pas de facture géniale. Si Dieu n’est pas beau, il ne mérite pas que l’on s’intéresse à lui. C’est pour cette raison que l’art de l’icône est aussi compris comme une théologie de la beauté.

L’iconographe connaît parfaitement le sens théologique de ce qu’il peint. Il y a trois choses qu’il faut toujours savoir à propos d’une icône à peindre : le sens banal de la représentation, du sujet et de son décor ; le sens moral de ce qui est représenté ou opposé en matière de bien ou de mal ; le sens mystique des thèmes à représenter. Tout cela demande une initiation particulière que l’on acquiert auprès d’un maître réputé ou dans un institut ecclésiastique.

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St Georges, patron de la Russie
Ecole de Novgorod. 1170. Kremlin. Moscou. Dessin Jacques Varoqui

Enfin, pour se mettre au travail avec sérénité, l’iconographe ne peut prétendre se laisser guider par la grâce divine, force de l’Esprit Saint, si son esprit est tourmenté ou décalé par rapport avec ce qu’il doit accomplir (et non pas seulement représenter), c’est à dire, créer une icône. Car on ne fait pas une icône, on ne la peint pas, on la crée. Il faut parvenir à sublimer les choses de la terre que l’on utilise, pour qu’elles deviennent transparentes au mystère divin. Il faut donc se mettre en règle avec Dieu, aller à confesse, prendre quelques jours de réflexion et de méditation, faire retraite, avant de se mettre au travail...Tout cela peut prendre plusieurs années de formation. C’est une véritable vocation religieuse...

La préparation de l’icône

Le temps de la retraite spirituelle de l’iconographe sert aussi à rassembler les matériaux nécessaires à la création de l’icône. La matière fait aussi retraite et se purifie pour répondre à son destin religieux. On apprête les bois pour les icônes de chevalet ou les murs pour les icônes à fresque, travail de menuisier ou de maçon qui n’ignore pas le sens du bois de la croix, ni celui de la pierre angulaire de l’Eglise.

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Dormition de la Vierge
XIIe s. Galerie Tretiakov. Moscou. Dessin Jacques Varoqui

L’Esprit Saint et les icônes

On se demande souvent ce qui fait fonctionner une icône... C’est une formidable confiance dans l’Esprit Saint. Elle imprègne la vie des croyants qui sont habités par le feu de Dieu sans en être détruits ni consumés. C’est l’expérience de Jacob dans sa lutte avec l’ange, de Moïse au buisson ardent, d’Elie qui rencontre Dieu dans la montagne. C’est Marie qui reçoit l’Esprit Saint et devient la Mère du Sauveur... C’est l’expérience de ceux qui rencontrent Dieu en entrant dans une église ou qui l’accueillent chez eux dans le Hergottseck [1], devant lequel ils présentent leurs prières et leurs dévotions. C’est l’expérience quotidienne du Salut de Dieu.

[1] Le coin du Bon Dieu, dans les maisons des régions du Nord-Est de la France.

Publié le 21 juillet 2004 par Jacques Varoqui