[logobrick.jpg] [section.jpg] Accueil Actualité Archives du marxisme Débats Documents de PO et de la LICR Femmes Halte à la guerre ! Histoire du mouvement ouvrier La restauration du capitalisme Mondialisation Moyen Orient Presse et activités Théorie marxiste [green.jpg] pix_transparent pix_transparent pix_transparent pix_transparent 11 novembre 2001 pix_transparent L'histoire du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale 1980-1991 "Chaque parti était plus ou moins victime de la fausse orientation de départ, pourchassait des fantômes, négligeait les processus réels, transformait les mots d'ordre révolutionnaires en phrases ronflantes, se compromettait aux yeux des masses et perdait pied." Trotsky, juillet 1928 (Œuvres I, p. 315) De toutes les tendances qui se proclament être la Quatrième Internationale, c'est probablement le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI), dont la section française est la LCR, qui a le plus le droit de le faire. A la différence d'autres tendances, qui s'appuient essentiellement sur une direction nationale, le SUQI a une direction internationale qui a maintenu une certaine continuité de personnel avec les jeunes militants, groupés autour de Michel Pablo, qui ont reconstruit l'Internationale dans l'après-guerre. Mais c'est sur point que s'arrête la validité de cette proclamation de continuité avec la Quatrième Internationale de Trotsky. Ce qui est important dans la question de la continuité révolutionnaire ce n'est pas une version marxiste de la succession apostolique. La méthode politique du SUQI n'est pas celle de Trotsky; elle puise plutôt ses origines dans la dégénérescence centriste qui s'est produite entre le deuxième et le troisième congrès mondial de la Quatrième Internationale, c'est-à-dire entre 1948 et 1951. Pendant plus que quarante ans le SUQI et ses prédécesseurs ont effectué une série de tournants aussi brusques qu'opportunistes en réponse aux changements produits par la lutte de classe internationale. Ils ont révisé et re-révisé leur version centriste du "trotskysme", jusqu'à ce qu'elle perde tout rapport avec les idées et l'œuvre du fondateur du mouvement. Depuis le début des années 80 le visage du SUQI a changé dramatiquement. L'une de ses sections les plus importantes, le Socialist Workers Party des Etats-Unis - SWP(E-U) - a connu des vagues d'exclusions répétées, suivies d'une dégénérescence vers une forme de néo-stalinisme et a finalement quitté le SUQI. Des sections en Grande-Bretagne et en France, qui étaient parmi les plus fortes, ont connu une chute spectaculaire des effectifs ou des scissions d'une complexité inouïe et avec un contenu politique inexistant. Des éléments fondamentaux du marxisme révolutionnaire - concernant notamment la nature de l'Etat, la révolution permanente et la révolution politique - ont été ouvertement mis au rancart. On peut alors se poser la question : comment se fait-il que le SUQI ait pu se maintenir depuis si longtemps, malgré cette méthode centriste? Pourquoi n'a-t-il pas été obligé par les événements majeurs de la lutte de classe internationale de se positionner, une fois pour toutes, dans le camp du stalinisme contre-révolutionnaire, ou dans celui de la social-démocratie ou encore dans ceux d'autres courants bourgeois présents dans le mouvement ouvrier? La réponse se trouve dans la marginalisation relative du SUQI par rapport à ces luttes historiques. Ne jouant pas un rôle directeur, le SUQI et ses prédécesseurs ont pu éviter les conséquences directes de leurs trahisons politiques, qu'elles aient eu lieu en Bolivie (1952), au Sri Lanka (1964), au Portugal (1974), au Nicaragua ou en Iran (1979). La direction du SUQI n'ignore pas de ces erreurs profondes. Elle les assume quelquefois - à sa façon, bien entendu. Le procès suit les règles suivantes. Au bout du compte, les conséquences désastreuses de la série de renonciations opportunistes face aux forces bourgeoises, petite-bourgeoises ou réformistes deviennent évidentes pour tout le monde au sein du SUQI, ce qui conduit à la perte de sections entières et la dispersion de générations de cadres. Le SUQI fait alors son "auto-critique"- bien limitée! - et retombe dans le même travers une fois encore, toujours à la recherche d'une nouvelle "alternative". Malgré des vacillations incessantes et la dégénérescence continue du SUQI, il existe bien une méthode spécifique et centriste - un centrisme ossifié - derrière tous ces divers tournants. Entre 1948 et 1951 la Quatrième Internationale a dégénéré en cette forme de centrisme du fait de l'expansion mondiale du stalinisme et des renversements bureaucratiques du capitalisme en Europe de l'Est, en Chine et en Yougoslavie. Ces événements historiques ont apparemment réfuté la caractérisation du stalinisme par Trotsky comme une force contre-révolutionnaire, et sont aussi allés à l'encontre des perspectives du fondateur de l'Internationale. En fait la confusion ne se trouvait pas dans les analyses de Trotsky, mais plutôt dans l'interprétation des événements de l'après guerre donnée par la direction Pablo, Mandel, Frank et Cannon. Selon l'ensemble de la direction de la Quatrième Internationale, si Staline, Tito ou Mao pouvaient faire "la révolution", la QI et son programme n'étaient plus nécessaires, au moins durant une "première étape"de la révolution mondiale. Ces événements expliquaient aussi facilement le fait que l'Internationale n'était pas devenue "la force décisive sur la planète", comme l'avait pronostiqué Trotsky au début de la deuxième guerre mondiale. Au troisième Congrès Mondial l'Internationale s'est donc dotée d'une méthode centriste. Elle s'est "réarmée", consciemment, avec la méthode de l'adaptation politique systématique aux courants vivant à l'intérieur ou gravitant autour du stalinisme, du nationalisme petit-bourgeois et de la social-démocratie. Les fruits de cet abandon du "vieux trotskysme"- déjà qualifié de "sectaire"- ont porté rapidement leurs fruits. Dès 1953, l'Internationale connaissait des scissions, des réunifications et encore de nouvelles scissions, tandis que des luttes fractionnelles explosaient à propos de la force réformiste, bourgeoise ou petite-bourgeoise vers laquelle il convenait de se diriger. Durant les décennies suivantes cette méthode a mené directement aux fausses perspectives, aux tactiques erronées et aux tournants désastreux. Les années 80 n'ont pas fait figure d'exception; une erreur centriste était suivie par une autre du même type. Du Nicaragua à l'URSS, en passant par la Pologne, la méthode du SUQI a conduit inlassablement à un effondrement politique et organisationnel. Des militants du SUQI répondent souvent que, malgré toutes les erreurs de leur organisation, elle n'a jamais connu son "4 août", date fatidique pour la Deuxième Internationale quand ses partis de masse ont soutenu "leur"bourgeoisies lors de l'éclatement de la 1ère guerre mondiale. En effet, la Quatrième Internationale n'est pas la IIème, et encore moins la IIIème. A la différence de ces deux dernières, la Quatrième Internationale, de sa fondation en 1938 jusqu'aux miettes d'aujourd'hui, n'a jamais été autre chose qu'une Internationale de propagande. La Deuxième et la Troisième Internationale ont été, toutes deux, des Internationales de masse. C'est pour cela que Trotsky a attendu de rompre avec l'Internationale Communiste jusqu'en août 1933. Depuis presque dix ans, l'Internationale avait commis des erreurs centristes. Des erreurs qui, à la différence de celles du SUQI, ont coûté la vie à des milliers de militants. De la révolution allemande, ratée en 1923, en passant par le soulèvement d'Estonie en 1924, la grève générale en Grande-Bretagne de 1926 et, tragiquement, le massacre des communistes chinois en 1927, la politique centriste de l'Internationale n'avait mené qu'à la défaite. Et pourtant, Trotsky refusait de rompre. Cette politique n'était nullement un attachement sentimental à l'Internationale fondée par Lénine et lui-même, ni une sous-estimation de la gravité politique de ses erreurs. C'était une estimation des forces à l'intérieur de l'Internationale, notamment celles de la base ouvrière, composée des centaines de milliers de militants à l'échelle mondiale. Malgré les trahisons centristes de l'Internationale, Trotsky s'attendait à que la base réponde et rejet la politique stalinienne. Quand il n'avait aucune réponse de la base ouvrière à la trahison allemande de 1933, Trotsky avança le mot d'ordre de la Quatrième Internationale. Quelles sont donc les leçons pour aujourd'hui? Plus une organisation est petite, plus la question de sa politique est importante pour déterminer sa nature. A la différence de l'Internationale Communiste centriste de 1924-1933, le SUQI n'a pas des centaines de milliers d'adhérents. Ses erreurs politiques sont d'autant plus importantes, plus parlantes, plus décisives pour révéler sa véritable nature. Les années 80 se sont terminées par un événement historique de taille - l'agonie du stalinisme. Cette dernières mine l'existence même des Etats qui ont été une boussole politique lors la dégénérescence politique de la QI. La désintégration du stalinisme sous toutes ses formes - y compris au Vietnam et à Cuba - et la chute du nationalisme petit-bourgeois - y compris au Nicaragua - privent le SUQI de toute direction "alternative", "empirique"ou "inconsciente"à laquelle il pourrait s'adapter. Cette politique, de moins en moins praticable aujourd'hui, se trouve dès l'origine du SUQI. A la base de l'accord qui a aboutit à la "réunification"de 1963 entre le "Secrétariat International"et une partie du "Comité International", dont le SWP-EU, il y avait la position commune que la direction castriste était composée de "trotskystes `inconscients'".(1) Dans les années à venir, des événements se produiront qui mèneront le SUQI au bord du gouffre, jusqu'au moment où sa "méthode", déjà vieille de quarante ans, ne pourra plus mener nulle part et que toute identification maintenu avec "le trotskysme"sera perçue comme un poids inutile. Les événements de la dernière décennie ont révélé que l'Histoire est en train d'interpeller l'"Internationale". Les réponses centristes apportées par le SUQI montrent bien les limites de sa prétention à détenir l'héritage politique de Trotsky. L'ombre nicaraguayenne La rapide décomposition du SU s'est produite à la suite de la révolution Sandiniste au Nicaragua en 1979. Après une hésitation "sectaire"initiale, le SUQI a capitulé comme d'habitude au nationalisme petit-bourgeois. Il a abandonné tout programme pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière, pour l'établissement d'un gouvernement ouvrier et paysan, et, bien entendu pour la création d'un parti révolutionnaire pour diriger cette lutte. A leur place, le SUQI a prôné le soutien du gouvernement de front populaire, dominé par les sandinistes. Sans doute, il aurait été trop gênant de s'opposer publiquement à la condamnation par Trotsky de tout soutien au front populaire. Le SUQI a donc effectué une révision encore plus flagrante du marxisme, et s'est lancé dans une lutte fractionnelle féroce sur la nature du Nicaragua, afin de démontrer qu'il était (et est toujours) un Etat ouvrier sain, ou, jusqu'à la victoire électorale de Violetta Chamorro, un gouvernement ouvrier et paysan révolutionnaire. Les conséquences théoriques de ces positions furent à l'origine d'une série de luttes fractionnelles qui continuent jusqu'aujourd'hui, et qui ont mené directement au départ du SWP(E-U). Le grand problème pour les deux fractions était que, malgré toutes ses formes, le "gouvernement ouvrier"sandiniste était un défenseur acharné du capitalisme nicaraguayen. Les faits étant assez clairs, ceux-ci n'ont pu les nier. Ainsi Livio Maitan, l'un des dirigeants les plus expérimentés du SUQI, écrivait en 1985 : "Cinq ans après la victoire du 19 juillet la bourgeoisie en tant que classe sociale maintient une considérable influence et détient non des secteurs marginaux ou, en tout cas, minoritaires, mais des secteurs vitaux pour l'économie du pays dans son ensemble". (2) Et pourtant, Maitan en concluait qu'il s'agissait d'un Etat ouvrier, position que le SUQI a maintenu jusqu'au dans les années 90 ! (3) Les résultats de cette défense de l'économie capitaliste par le FSLN n'ont pas été longs à porter leurs fruits. Les travailleurs l'ont bien compris à travers leurs expériences. Selon le SUQI, les salaires réels des travailleurs nicaraguayens ont été réduits de 99% au cours des années 80! (4) Mais pour le SUQI, cette attaque sauvage n'était qu'"une tactique"qui était "indubitablement nécessaire"! (5) Ce soutien honteux à une politique anti-ouvrière est la conséquence directe de la caractérisation par le SUQI du Nicaragua comme un Etat ouvrier depuis 1979, malgré l'existence continue des rapports de propriété capitalistes. Ayant fait la bringue sandiniste pendant douze ans, le SUQI a dû, suite à la débâcle "inattendue"du candidat Daniel Ortega lors de l'élection présidentielle de 1990, devenir soudainement plus critique vis à vis de ses anciennes idoles. Il n'y a pas deux ans, le SUQI chantait les louanges des sandinistes pour avoir dépassé Lénine et Trotsky en matière de démocratie. (6) Aujourd'hui, nos chers "trotskystes"ont trouvé le courage de critiquer le FSLN pour "les erreurs graves commises au cours des années pendant lesquelles il a exercé le pouvoir",(7) comme l'oppression des minorités, le contrôle bureaucratique des organisations de masse, le programme d'austérité inspiré par le FMI et l'adoption de la démocratie bourgeoise. C'est à dire précisément les critiques que dans le passé le SUQI rejetait comme "sectaires". Mais même aujourd'hui le SUQI trouve des excuses pathétiques aux dirigeants du FSLN. Le 13ème Congrès Mondial de février 1991 vient de les absoudre de tout blâme. Les touristes révolutionnaires du SUQI se demandent si des conseils ouvriers et une milice ouvrière n'auraient pas été mieux, mais, il ne faut pas oublier, n'est-ce pas, que "le problème est d'arriver à une démocratie directe... lorsque l'euphorie révolutionnaire existe encore."(8) En fin de compte, pour le SUQI, tout cela ne compte que pour des prunes. Le refus du FSLN de rompre avec le capitalisme, et sa volonté de faire payer la crise aux masses étaient dûs au fait que la politique économique du FSLN "a été déterminée, essentiellement, par les contraintes de la situation internationale."(9) Le rejet par le SUQI de la ligne de Trotsky sur la Chine des années 20, (10) et ainsi son refus effectif du programme de la révolution permanente, ont mené tout droit à la conclusion du 13ème Congrès, bien sandiniste : "La stratégie sandiniste de conquête du pouvoir était la seule voie possible dans un pays comme le Nicaragua". (11) La dernière stupidité, c'est que pour le SUQI, malgré le caractère bourgeois du programme sandiniste, l'existence ininterrompue du capitalisme, l'absence de toute démocratie ouvrière, et même l'arrivée au pouvoir du gouvernement Chamorro, le Nicaragua reste un Etat ouvrier. Pourquoi? Parce que les sandinistes contrôlent toujours l'armée, et que donc "le pouvoir révolutionnaire n'a pas été démantelé". (12) La généralisation à partir de l'expérience nicaraguayenne Peu de temps après que le FSLN a pris le pouvoir, le SUQI tenait son 11ème Congrès mondial. Si proche de l'événement, le SUQI a trouvé difficile de tirer les leçons principielles pour la construction du parti; il s'est limité à son traditionnel soutien inconditionnel et sans critique. Mais pendant les années qui ont suivies, la direction du SUQI a eu le temps de réfléchir sur les résultats et les conséquences de la révolution sandiniste pour sa propre stratégie et tactique. Depuis belle lurette, les perspectives politiques du SUQI sont marquées par un optimisme béat vis à vis de l'avance inévitable de la révolution internationale. Pour le SUQI, le "processus de la révolution mondiale"semble agir comme une force naturelle, qui, sur le fond, n'a pas besoin de l'intervention consciente des révolutionnaires. En 1969, en 1974 et encore en 1979, les Congrès mondiaux du SUQI, qui se tenaient au milieu d'événements révolutionnaires ou très militants, ont avancé des perspectives pourtant assez farfelues. Le 11ème Congrès (1979), par exemple, a proclamé qu'"encore une fois, la révolution frappe à la porte des pays impérialistes". (13) Moins de trois ans plus tard, à la réunion du Comité Exécutif International (CEI) de mai 1982, Daniel Bensaïd proposait de remplacer ce genre de délire par une bonne dose de réalisme: "Nous devons laisser de côté toute mégalomanie messianique, regarder la réalité - y compris la nôtre - dans le yeux, et nous mettre au travail, patiemment."(14) Mais l'hystérie des perspectives du 11ème Congrès n'a en fait été remplacée que par celle du 10ème Congrès (1974) d'une perpétuelle "recomposition du mouvement ouvrier mondial"(15) liée à la nième version de la conception SUQIste de "la révolution mondiale"comme processus inévitable. Bensaïd expliquait la nouvelle orthodoxie au sein de la direction du SUQI. En fait, la perspective n'impliquait qu'une légère nuance par rapport à celle du 11ème Congrès: "Tout simplement, nous nous trouvons aujourd'hui au seuil d'une nouvelle vague de radicalisation à l'échelle internationale qui sera incomparablement plus profonde et plus prolétarienne que celle de la fin des années 60". (16) La révolution, semblait-il, n'était plus en train de "frapper à la porte", mais pouvait être aperçue en bas, en train de composer le code d'entrée. Pour effectuer ce tournant il a fallu la lourde dose habituelle d'impressionnisme et d'exagération : "Aujourd'hui plus que jamais, nous pouvons voir quotidiennement la vérification de l'unité dialectique de la révolution mondiale. Il n'y a pas un seul événement majeur de la lutte de classe internationale qui ne provoque une réaction en chaîne jusqu'aux antipodes."(17) La base objective de ces perspectives apocalyptiques était la révolution sandiniste. Le SUQI, ayant ré-caractérisé le Nicaragua comme un Etat ouvrier, avait aussi commencé à réfléchir sur les conséquences de la victoire du FSLN, et de la guérilla au Salvador. Etant donné le retrait de la classe ouvrière européenne sous les coups de marteau de l'offensive capitaliste et des trahisons des dirigeants réformistes, tout était prêt pour un nouveau tournant dans les perspectives du SUQI. C'est ce qui s'est produit au 12ème Congrès Mondial, en 1985. A première vue, le Congrès semblait avoir appris quelques leçons fondamentales des erreurs de méthode commises par le SUQI dans le passé : "chaque grande étape de son existence a été dominée par une perspective de percée globale à court ou moyen terme". (18) Comme un alcoolique qui dit que, cette fois-ci, il a définitivement arrêté de boire, le Congrès affirmait : "la fonction et l'avenir de la IVème Internationale ne repose sur aucune solution miracle à court terme (...) La perspective réelle est celle d'un processus beaucoup plus long et plus complexe de reconstitution d'une avant-garde à l'échelle internationale."(19) Mais l'explication de cette modestie soudaine avait d'autres raisons. Le Congrès ne marquait pas un tournant vers la construction des sections en tant que groupes de propagande - ce qui est leur véritable nature - comme noyaux des partis révolutionnaires futurs. Non : le SUQI était à la recherche d'une nouvelle direction de rechange. Comme d'habitude, la direction du SUQI voyait les sections, voire l'Internationale elle-même, comme un obstacle à la "recomposition"d'une nouvelle avant-garde : "Aujourd'hui-même, le développement international de la lutte de classes, les avancées de la révolution, l'instauration de nouveaux Etats ouvriers, nourrissent un mouvement général de recomposition du mouvement ouvrier et de son avant-garde. Dans ce contexte, des courants peuvent apparaître qui oscillent non plus entre le réformisme et la révolution, mais entre l'internationalisme révolutionnaire et la bureaucratie soviétique; ou de façon bien plus complexe encore, entre la révolution, le réformisme, la bureaucratie soviétique et la bureaucratie chinoise." (20) Cette analyse était composée de deux éléments. D'abord, il y avait l'optimisme objectiviste habituel qui est incapable de tirer un bilan des défaites comme des victoires : "Nous ne sommes qu'au début de transformations profondes et durables dans le mouvement ouvrier." (21) Puis, il y avait la focalisation évidente sur le fait qu'"il existe certainement aujourd'hui dans plusieurs pays des Sandinistes de demain", (22) qui, avec d'autres tendances qui étaient en train de "se recomposer", composaient des cibles privilégiées du SUQI. Désormais, la tâche principale des sections était de retrouver ces éléments et de les encourager vers leur destin inévitable. Pour appuyer ce tournant, le Congrès faisait appel à Trotsky. D'après le SUQI le "Bloc de Quatre"proposé par Trotsky en 1933 impliquait qu'il ""n'envisageait pas à l'époque une Internationale réduite aux marxistes révolutionnaires, mais une Internationale plus large dont ils seraient une composante décisive." (23) Les thèses sur la Construction du Parti, adoptées par le Congrès, ont proclamé leur fidélité à la politique de Trotsky, disant qu'"un rapprochement avec d'autres forces peut prendre des formes variées allant de l'unité d'action systématique, à l'établissement des comités de liaison stables, ou à des unifications. Dans le cas des fusions avec des organisations révolutionnaires ou des courants centristes de masse qui évoluent vers la gauche, l'affiliation à l'Internationale de l'organisation unifiée ne constitue pas un préalable de principe." (24) Mais la méthode du SUQI en cherchant à s'orienter vers ces tendances n'était pas celle de Trotsky lors du développement des véritables mouvements centristes évoluant vers la gauche entre 1933 et 1936. Bien entendu, il fallait utiliser une gamme de tactiques : des actions unies, des blocs politiques qui avaient comme but la fusion, et, dans le cas des partis de masse, l'entrisme. Mais la flexibilité organisationnelle de Trotsky était liée à la nécessité d'une critique claire des dirigeants centristes et une lutte incessante pour le programme. L'objectif était, avant tout, la construction d'une nouvelle Internationale communiste révolutionnaire, la Quatrième Internationale. Ce but n'était pas caché un seul moment. A la différence du SUQI, c'était clairement "un préalable de principe"chez Trotsky. La position du Congrès annonçait l'opposé de la pratique de Trotsky. Un signal clair était donné aux sections du SUQI. La direction disait, grosso modo : "Si vous pouvez fusionner avec un autre groupe, allez-y. La prochaine Internationale qu'on construira sera un bloc avec les sandinistes et leurs consorts, donc on peut oublier ce gadget que serait la Quatrième Internationale pendant toute une période historique." Les sections effectuent le nouveau tournant La première section à suivre l'avis du 12ème congrès et à se dissoudre fut le GIM de la RFA. Au début de 1985 il a fusionné avec le KPD, ex-maoïste, pour créer le VSP, qui était, lui, réformiste. Le programme de fusion ne laissait pas seulement ouverte la question de l'Internationale, mais aussi celle de la nature de l'URSS et des autres Etats ouvriers dégénérés, la nature des Verts et du SPD, la tactique des révolutionnaires dans les syndicats, la question du "socialisme dans un seul pays"et la nature de la révolution socialiste! Cette fusion aurait décroché le record mondial des accords sans principe! De plus, elle n'était même pas utile pour créer la base d'un travail commun en RFA. Mais ceci, bien entendu, était loin d'être le problème qui préoccupait le plus le SUQI. Ils voulaient d'abord s'orienter vers "la recomposition du mouvement ouvrer mondial". Malheureusement, le GIM ne fusionnait pas avec une nouvelle direction en train de se recomposer, mais avec les restes du maoïsme des années 70 qui étaient en train de se décomposer. Une tactique similaire a été opérée au Pérou. Mais alors que le GIM était depuis longtemps une organisation très affaiblie, la section péruvienne, le PRT, avait été assez forte. En 1978 Hugo Blanco, dirigeant de la section et mondialement connu pour son travail auprès des paysans, avait gagné plus de 9% des voix lors de l'élection présidentielle. Malgré cette base assez forte, en 1985 le PRT s'est dissout "formellement"au sein du PUM, organisation réformiste de gauche. Assez rapidement, il est apparu qu'il n'y avait rien de "formel"là-dedans. La section péruvienne n'existait plus. L'entrée au sein du PUM poussait les anciens dirigeants du PRT vers des positions de plus en plus opportunistes. Par exemple, lors des élections présidentielles au Pérou, en 1990, le PUM - y compris son infime composante SUQI - appelait à voter pour le candidat réactionnaire et néo-libéral, Fujimori. L'excuse donnée était que les masses avaient l'illusion que le réactionnaire Fujimori était "mieux"que le réactionnaire Mario Vargas Llosa. Le SUQI n'a jamais critiqué ses militants pour cette position. Le Congrès Mondial de 1991 n'en a pas parlé, et s'est contenté de se féliciter pour le travail au Pérou. (25) Même devant la férocité des attaques menées par Fujimori contre la classe ouvrière, les militants du SUQI au Pérou n'ont rien trouvé de mieux à dire que cet appel à voter Fujimori a été cause de "confusion"! (26) Hugo Blanco, élu Sénateur avec seulement 0,2% des voix, cette-fois ci, est sans regrets. Ceci malgré le fait que, comme il l'admet lui-même, "Fujimori suit le même programme que Vargas Llosa." (27) Sans gène, il dit de cette trahison "Je crois toujours que ce n'était pas une erreur", (28) pour la raison bizarre que parce les masses se sentent trahies par Fujimori elles luttent avec plus d'acharnement que dans le cas où le romancier réactionnaire avait été élu! Peu importe le devoir des révolutionnaires de dire ce qui est, de lancer des avertissements aux masses afin que l'avant garde puisse se dire : ce parti nous a averti, il ne partageait pas nos illusions stupides, il savait comment se donner une ligne de classe. L'opportunisme vis à vis des figures bourgeoises a été un élément habituel de la politique du SUQI et de ses ancêtres, de Péron en Argentine, en passant par Ben Bella en Algérie, Ortega au Nicaragua et bien d'autres. Plus récemment, le joyau de la couronne latino-américaine du SUQI, le PRT mexicain, a suivit cette voie sans issue. L'obscur objet de désir du PRT est Cuauhtemoc Cardenas, un bourgeois radical qui a rompu avec le PRI dirigeant. Son programme représentait un retour au populisme nationaliste le plus pur. Sans ouvertement soutenir Cardenas, le PRT commençait à imiter sa politique. Avant que Cardenas ne crée son nouveau parti, Rosalia Pereo-Aguilar, une des porte-paroles du PRT et député, a proclamé au Parlement : "Pour faire progresser ce pays, il faut prendre une autre voie, nationale, populaire, démocratique, qui permette de satisfaire les besoins des travailleurs et de défendre la souveraineté du pays face aux agressions étrangères." (29) Un autre dirigeant du PRT a décrit la politique de l'organisation comme celui de : "faire des fronts politiques avec d'autres courants d'extrême-gauche pour faire pression sur le courant nationaliste bourgeois." (30) Pendant les élection présidentielles de juillet 1989 - marquées comme d'habitude par une fraude massive au profit du parti au pouvoir - Cardenas a été battu par le candidat du PRI. Une minorité du PRT, dirigée par le dirigeant du PRT Adolfo Gilly, avait préalablement rompu avec le parti, qui a présenté son propre candidat, pour soutenir Cardenas. Le PRT - dont la politique n'était pas très différente de celle du PRD de Cardenas - s'en est très mal sorti : il n'a recueilli que 0,4% des voix selon les chiffres officiels, 1,5% selon ses propres chiffres, perdant ainsi ses députés. Pour le PRT, il n'était pas question de mettre en avant la construction de la résistance ouvrière et paysanne face à la politique des nationalistes bourgeois. Il fallait plutôt "faire pression"sur les dirigeants de la bourgeoisie. Depuis l'élection présidentielle, la politique du PRT a été affinée - ou plutôt réduite - au simple projet de collaboration de classe avec le bourgeois Cardenas et son PRD, à travers la construction d'une "alliance privilégiée"avec ce dernier. (31) Ayant perdu bon nombre de militants à Cardenas, le PRT a voulu du rab! Au 13ème Congrès Mondial, cette ligne a été codifiée sous la forme des thèses sur l'Amérique latine. Le SUQI considérait que "la gauche révolutionnaire a négligé la lutte pour la démocratie et pour la défense de la nation opprimée". (32) La leçon qu'il faut retenir, selon le SUQI, c'est l'importance du "peuple"- une catégorie sociologique basée sur les critères de richesse, sans contenu de classe explicite - et la stratégie de "la formation des fronts politiques"qui sont "un instrument fondamental dans la lutte pour la conquête de l'hégémonie dans des alliances possibles dans la société. Leur fonction n'est pas conjoncturelle, mais à long terme." (33) Les bases politiques des telles organisations, les objectifs qui justifieraient une telle longévité, n'ont pas été expliqués. Furent-elles des front unis pour l'action, ou des blocs pour la propagande commune? Sont-elles des pseudo-partis ou une combinaison amorphe de toutes ces possibilités? La seule chose dont on peut être sûr, c'est qu'elles seraient un prétexte pour ne pas construire des partis révolutionnaires sur de véritables bases programmatiques. Entre le 12ème et le 13ème Congres, le ruisseau de fusions et d'accords sans principes est devenu un torrent. Autour du monde, des sections du SUQI se sont jetées dans le processus de dissolution au sein de n'importe quelle organisation nationaliste, réformiste ou centriste droitière qui les accepterait. o En Colombie, la section a disparu sans laisser de trace au sein du front réformiste vague, A Luchar. o En Italie, la LCR est entrée au sein de Democrazia Prolétaria (DP), trois ans après avoir refusé de le faire sur des bases programmatiques. DP elle-même vient de décider sa dissolution au MRC, mouvement crée par des staliniens de l'ex-PCI. o En Grande-Bretagne la section s'est scindée en deux, sur la question de savoir quelle force au sein du Parti travailliste était la mieux adaptée à les recevoir. La "Socialist Action"de John Ross a fusionné avec un groupe de militants réformistes autour du député Livingstone, tandis que les militants de "Socialist Outlook"sont devenus des colleurs d'affiche pour Tony Benn, autre député travailliste. Ni l'une ni l'autre section ne se réclament ouvertement du SUQI. Pendant les années 80, toutes deux ont refusé toute critique profonde des dirigeants syndicaux "de gauche"qui formaient une autre cible de la "recomposition"fictive. o Au pays basque, la section du SUQI, la LKI, a fusionné avec le MKE, ex-mao et nationaliste, sur la base d'une position complètement opportuniste sur la question nationale. (34) Cette "tactique"désespérée vient d'être répétée dans toute l'Espagne : la LCR espagnole n'existe plus. o Au milieu de 1991, des membres corses de la LCR française ont fusionné avec un groupe nationaliste corse. o En Bolivie le POR-Gonzales a quasiment disparu à la suite de sa participation en 1985 sur liste DRU de Lechin aux élections syndicales de la COB, la centrale bolivienne. Ensuite, Lechin - un bureaucrate réformiste et nationaliste - a soutenu la coalition réactionnaire du MNR. o En Suisse le PSO a participé à une liste "Vert Socialiste Alternative"lors des élections cantonales de novembre 1990. L'un des dirigeants du PSO, Hanspeter Uster, a été élu et est devenu Ministre de la Justice et de la Police du Canton de Zug, à côté de Zurich! Les manœuvres opportunistes n'ont pas toujours marché, mais les échecs sont aussi parlants que les "réussites". o En France la LCR a fait de son mieux pour fusionner avec les Rénovateurs, autour de la candidature Juquin aux élections présidentielles de 1988. Malgré des dizaines d'articles qui ont chanté les louanges de Juquin et le fait que la LCR ait été la force motrice de sa campagne présidentielle, Juquin refusait les ouvertures de la Ligue, après avoir recruté quelques militants grâce à une scission mineure... o En Belgique le POS proposait la fusion au PTB, organisation maoïste qui proclamait que le trotskysme était contre-révolutionnaire! Mais les maos avaient plus de principes que les trotskards, et ont refusé la proposition. Dans d'autres régions du monde, là où le SUQI n'avait pas encore de sections et où il décidait qu'il existait déjà des "sandinistes"réels ou potentiels, il n'a fait aucun effort pour construire des noyaux révolutionnaires ouvertement déclarés. o En Afrique du Sud le SUQI ne pouvait pas se décider d'où "le courant évoluant vers la gauche"allait surgir. D'abord il a visé l'AZAPO et le National Forum, mais en février 1986 le CEI a décidé que le Forum avait perdu le combat pour l'hégémonie du mouvement de masse. La résolution a parlé - une seule fois! - du besoin d'un parti révolutionnaire en Afrique du Sud, mais ce n'était qu'un rideau de fumée : la véritable orientation consistait à faire pression sur la direction de masse. La conclusion inévitable était tirée moins d'un an plus tard, quand le CEI a déclaré que "les organisations de la Quatrième Internationale devront partout chercher particulièrement à développer des liens avec l'ANC." (35) o Aux Philippines, le SUQI s'est opposé à toute tentative de construire une section, et a conseillé aux révolutionnaires de suivre la direction bourgeoise de Cory Aquino. Il a prôné un soutien passif à Aquino aux élections présidentielles, dans le souci d' "éviter à tout prix de rompre l'unité de combat contre Marcos." (36) o Au Sri Lanka cette ligne électorale "anti-impérialiste"et de collaboration de classe a aussi été appliquée. Le NSSP, ayant rompu avec l'organisation internationale de la Tendance Militant britannique, a été accepté en tant que section sympathisante du SUQI au 13ème Congrès Mondial, malgré sa collaboration avec la réactionnaire Mme Bandaranaike, ex-Premier Ministre de l'île. Selon Salah Jaber, qui a présenté un rapport sur le NSSP au Congrès, "Le NSSP a donc accepté publiquement de soutenir Mme Bandaranaike comme le candidat commun de l'opposition pour les élections, mais en avançant une plate-forme électorale distincte soutenue par un candidat de leur parti (le NSSP) pour lequel, en tout état de cause, ils n'appeleraient pas à voter." (37) Jaber continuait, non sans gêne, "Dans les conditions spécifiques de l'île, les larges masses pourraient peut-être ne pas considérer cela comme une question `tactique'". (38) C'est lui qui le dit. La position du NSSP - qui n'a toujours pas été critiquée par le SUQI - était un trahison des luttes paysannes et ouvrières au Sri Lanka, sans parler de la lutte nationale des Tamouls. Tous ceux qui se sont soulevés contre Bandaranaike quand elle a été au pouvoir ont connu une répression sanglante. La "tactique"consistant à présenter un faux candidat n'était rien d'autre qu'un leurre pour détourner l'attention de leurs positions réformistes. La révolution politique en Pologne Les années 80 ont commencé et ont fini par des événements majeurs dans les Etats staliniens. La crise révolutionnaire qui a secoué en 1980-81 la Pologne n'était qu'une répétition générale des événements tumultueux de 1989-1991. La crise aiguë de l'économie planifiée bureaucratique a conduit à des luttes ouvrières de masse contre la dictature stalinienne. Pour la première fois, un mouvement syndical indépendant, Solidarnosc, était reconnu par la loi et par le gouvernement. Des conseils ouvriers embryonnaires surgissaient des décombres du système stalinien. (39) La question de la direction fut posée de façon particulièrement aiguë. Les dirigeants de Solidarnosc autour de Walesa ont adopté un programme qui envisageait une voie "ré-formiste"pour la restauration du capitalisme. Mais la masse de la classe ouvrière était loin d'être unie derrière ce programme, et le potentiel d'une lutte des travailleurs pour la révolution politique persistait jusqu'au jour de décembre 1981 où les chars de Jaruzelski ont écrasé le mouvement. Comme on pouvait s'y attendre, le SUQI, face au développement de Solidarnosc, a rapidement caché la bannière de la révolution politique. Il ne voyait pas l'intérêt de lutter pour la construction d'un parti révolutionnaire trotskyste pour diriger la révolution anti-bureaucratique. A sa place, une nouvelle "direction empirique"sortie de la "recomposition du mouvement ouvrier"et exprimant le destin de "la révolution mondiale"était trouvée : la direction autour de Walesa. Toute critique de Walesa et de son programme était fortement limitée. Au lieu de s'orienter vers les conseils ouvriers embryonnaires, de mener un combat pour qu'ils deviennent des instruments de la lutte pour la prise du pouvoir, les dirigeants du SUQI ont suivi la direction de Solidarnosc, qui, elle, appuyait la création d'une deuxième chambre du Sejm (le parlement polonais). Pour montrer son caractère "trotskyste"le SUQI a "gauchisé"cette ligne en appuyant "la centralisation et le développement des conseils ouvriers d'autogestion et pour la constitution de leur représentation nationale sous la forme de la Seconde Chambre de producteurs." (40) La première chambre serait élue avec des techniques bourgeois "classiques". Cette "combinaison"de la démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise était en fait empruntée aux centristes de droite du début des années 20, mais le SUQI l'a présenté comme une "transition"vers la démocratie des conseils ouvriers. En fait, comme le montre l'expérience de l'Allemagne d'après la révolution de 1918-19, ou celle des conseils ouvriers polonais de 1956, les conseils ouvriers qui se permettraient d'être ainsi rendus impuissants, vont disparaître bien rapidement. La démocratie indirecte et atomisée du parlement bourgeois pèse lourdement : elle conduit à la passivité de la classe ouvrière et elle maximise le poids mort de la paysannerie et de "la classe moyenne". Elle permet à l'exécutif et à la bureaucratie d'Etat d'agir systématiquement contre les intérêts des producteurs. Bref, c'est loin d'être un organe "neutre". Même en l'absence de la bourgeoisie et des rapports de propriété capitalistes, le Parlement est un instrument bourgeois, dirigé contre la dictature prolétarienne. Les staliniens ont utilisé des parlements fantoches pour remplacer des conseils ouvriers et pour déguiser - même si ce fut sans grand succès - la dictature du parti et de la bureaucratie sur les travailleurs. A son tour, le triomphe d'une véritable démocratie parlementaire sur la dictature bureaucratique ne serait qu'une manière de tromper les travailleurs et de déguiser la triomphe des forces dont le but est la restauration rapide du capitalisme. Apporter son soutien au parlementarisme bourgeois est une terrible caricature du programme de la révolution politique. Les conseils ouvriers - dont la Pologne avait l'expérience directe - aurait du être au centre de l'agitation et de la propagande révolutionnaires. Nous n'avons pas peur de dire que, loin d'avancer une "combinaison"de la démocratie bourgeoise et la démocratie prolétarienne, les révolutionnaires auraient dû appuyer la dernière en opposition à la première. Celle-ci n'était pas d'abord ou seulement une tâche propagandiste : dans les rapides de la révolution, il aurait fallu se centrer sur la tâche qui consistait à gagner les comités inter-usines à un programme d'action pour la conquête du pouvoir, et à utiliser le pouvoir pour résoudre la crise économique polonaise à travers la mise en œuvre d'un plan démocratiquement établi. Après le coup d'Etat de Jaruzelski, une série de débats a éclaté au sein des camps, en exil, et dans la clandestinité, lorsque la gauche polonaise cherchait à tirer les leçons de l'échec de Solidarnosc. Des militants du SUQI ont tenté de rassembler le noyau d'une nouvelle organisation en Pologne. Mais dès le début ils ont cherché une nouvelle direction de remplacement qu'ils pourraient suivre. Cette-fois ci, cette équipe de remplacement était le WSN (Liberté-Justice-Indépendance), organisation ouvertement contre-révolutionnaire, dirigée par Jacek Kuron. Cette organisation, crée après la dissolution du KSS-KOR en octobre 1981, était ouvertement en faveur de la démocratie parlementaire et la restauration du marché comme partie intégrante de la "révolution"polonaise à venir. Le SUQI a refusé de caractériser le WSN comme étant en faveur de la restauration du capitalisme, et s'est adapté à Kuron déclarant que "du système de la démocratie parlementaire ne découle d'aucune façon le caractère de la propriété des moyens de production". (41) Quelle sophisme! Le capitalisme ne "découle"pas des institutions parlementaires, mais ils sont un sacré instrument pour le créer! Kuron, même s'il était certainement reconnaissant de l'alibi de gauche que le SUQI lui a fourni, avait d'autres chats à fouetter, plus importants; de plus en plus il a laissé tomber la rhétorique "socialiste".` Paralysie et adaptation face à Gorbatchev Au début, il semble que la politique avancée par Gorbatchev - la perestroïka et la glasnost - a pris le SUQI de court. Un premier document programmatique n'était adopté qu'au CEI de 1987, deux ans après que Gorbatchev avait pris le pouvoir. Et parce qu'il se demandait si le Bonaparte soviétique ne pourrait pas devenir un agent "inconscient"du programme de Trotsky, le SUQI évitait soigneusement toute question de la révolution politique ou de la construction d'une section soviétique pour la diriger. A leur place, le CEI avançait un programme de ce que l'expert ès URSS, Catharine Samary, appelait "une glasnost profonde". Ce programme liait une série de revendications démocratiques de base (abolition de la censure, liberté pour les prisonniers politiques, droit de grève etc.), à l'appel maximaliste et abstrait du "contrôle ouvrier généralisé sur toutes les activités économiques."Comme d'habitude, ce qui manquait était la petite question des conseils ouvriers, ce que Trotsky, le pauvre, croyait être au centre de son Programme de Transition. Comme lors des crises antérieures des années 50, 60 et 70, le SUQI cherchait d'abord à faire pression sur l'aile réformiste de la bureaucratie. Pour le SUQI, la "révolution politique"(quand il osait prononcer le mot) n'était qu'une description de l'implication des masses dans le processus de réforme. Ce n'est nullement la prise du pouvoir par les travailleurs. Quand il parle des "formes d'auto-organisation", le SUQI les conçoit comme des véhicules pour propulser la bureaucratie vers une réforme plus radicale, et non pas comme des organes embryonnaires de la révolution politique. Quatre ans plus tard, Gorbatchev est totalement discrédité. Il marche main dans la main avec les forces dominantes qui cherchent à faire passer l'URSS - en miettes - à travers la porte de la restauration capitaliste. Sentant ce problème, le Congrès mondial du SUQI acceptait la "perspective"de la création de sections en URSS. Mais il voyait ce projet comme étant intimement lié aux développements prévisibles au sein du PCUS : "Le PCUS demeure une organisation composite qui devra éclater et disparaître en tant qu'instrument de la bureaucratie pour que puisse réellement se construire un parti des travailleurs." (42) Bien entendu, ce n'est pas la chute rapide et totale du PCUS du mois d'août 1991 que le SUQI prévoyait ici, mais plutôt la lutte fractionnelle pour le scissionner, notamment autour de la Plate-forme Marxiste de Bouzgaline, son dernier chouchou. La crise du stalinisme en Europe de l'Est Lors des événements de 1990 en Europe de l'Est, le SUQI n'était pas seulement incapable d'avancer un programme d'action pour la révolution politique : il a carrément loué l'arrivée au pouvoir des forces de la contre-révolution sociale! Quand le gouvernement Mazowiecki a été formé en Pologne en août 1989, Zbigniew Kowalewski, qui passait pour un "gauchiste"à l'époque, considérait ce développement comme "un nouveau pas en avant sur le chemin menant vers la révolution anti-bureaucratique", (43) et chantant un refrain devenu typique du SUQI pendant les deux ans qui ont suivis, il a appelé à "la formation d'un gouvernement de Solidarité sans bureaucrates, des élections libres immédiatement et la convocation d'une assemblée constituante." (44) Pas un mot sur les changements profonds qui avaient eu lieu entre la fondation de Solidarnosc, syndicat indépendant de masse, en 1980 et la création de Solidarnosc, parti néo-libéral qui a effectivement remporté l'élection de 1989. Pire, Kowalewski niait que de tels changements aient eu lieu. Le SUQI ne s'est pas préoccupé des conséquences d'un tel gouvernement pour les masses polonaises, ni des problèmes découlant d'un programme se limitant à l'appel à une assemblée constituante. Entre-temps, l'Histoire a joué un mauvais tour au SUQI : elle a fait en sorte que son programme se soit réalisé! On peut voir les résultats aujourd'hui : les derniers vestiges de la planification sont démolis et le capitalisme s'apprêt à régner sur la Pologne pour la première fois depuis plus de quarante ans. Trois mois après, suivant la chute du Mur, Ernest Mandel, dirigeant du SUQI, rejetait toute idée d'un combat pour la création des conseils ouvriers en RDA ou même pour la révolution politique prolétarienne : "L'objectif d'élections libres pour une institution de type parlementaire est tout a fait correct. Il mérite l'appui de tout socialiste révolutionnaire non obnubilé par le dogmatisme sectaire." (45) Il est évident que des illusions très fortes dans la démocratie bourgeoise existent parmi les masses des Etats ouvriers dégénérés. Après des décennies d'une dictature stalinienne brutale et étouffante, ce n'est pas surprenant. Mais la question-clé est de savoir comment briser ces illusions. Pour le SUQI, obnubilé par l'opportunisme, la seule solution est de les renforcer! En fait, il était bel et bien possible de s'opposer à ces illusions, et, en utilisant la méthode transitoire, d'ouvrir la voie à la révolution politique. C'est dans ce sens que notre tendance internationale, la LICR, a œuvré, quand nous avons écrit en novembre 1989 : "En réalité, les élections parlementaires offrent des ressources illimitées aux bureaucrates du SED et aux nouveaux partis bourgeois et sociaux-démocrates pour tromper les masses... La classe ouvrière peut et doit commencer le processus `d'élections libres' par elle-même, en élisant ses comités d'usine, ses conseils ouvriers de ville. Dans de telles élections, il faut garantir la liberté de créer des partis politiques et la liberté d'expression des programmes afin de permettre aux travailleurs de décider quels partis sont les leurs. Cependant, si la bureaucratie est obligée d'organiser des élections parlementaires, nous appelons les travailleurs à organiser des assemblées de masse afin de choisir leurs candidats et d'entendre les candidats de tous les partis. Les travailleurs doivent exiger des élections annuelles et la révocabilité des députés par les électeurs. Il faut également exiger que tous les candidats promettent de défendre la propriété étatisée et planifiée. C'est ainsi qu'il sera possible de démasquer comme fraude le parlementarisme, de minimiser les dangers de ce système et de lutter pour un système basé sur les conseils." (46) L'intervention du SUQI en Tchécoslovaquie montre un autre exemple frappant de son opportunisme lors des mouvements anti-bureaucratiques de 1989-90. Après l'invasion soviétique de 1968, Petr Uhl, militant du SUQI, a connu la persécution et la prison staliniennes. Il a été mondialement connu pour son refus de se plier devant le pouvoir bureaucratique, ce qui lui a donné aussi un grand prestige au sein de l'opposition clandestine tchécoslovaque. Mais malgré son courage personnel, Uhl s'est montré incapable de trouver la voie de la révolution politique. En automne 1989 il était l'un des fondateurs de l'Alternative de gauche, qui a rapidement disparu au sein du Forum civique, organisation bourgeoise. L'Alternative de Gauche avait déclaré que "Nous considérons que le développement du marché, c'est-à-dire la réhabilitation des rapports financiers et marchands, est une nécessité économique." (47) La forme politique qui devrait correspondre a ces relations de production était également claire : "Nous estimons que la démocratie représentative doit former la base du futur système démocratique; qu'elle doit être de type parlementaire." (48) Depuis longtemps il est apparu que le "trotskysme"de P. Uhl n'était pas très fort. Au début des années 80 il avait publié un livre dans lequel il s'était distancié de la politique des bolcheviks (49) et s'était opposé à l'organisation d'un parti léniniste - y compris dans la clandestinité, (50) prônant à sa place "un regroupement idéologique, un courant intellectuel qui représente et défend au mieux les intérêts des travailleurs." (51) Il n'est donc guère étonnant que Uhl - toujours dirigeant du SUQI! - soit devenu par la suite le porte parole du gouvernement restaurationniste de Havel, en tant que directeur de l'agence de presse officielle CTK. En même temps qu'en 1989 et 1990 le SUQI a insisté sur l'innocuité des formes parlementaires bourgeoises au sein des Etats ouvriers dégénérés, il a aussi systématiquement sous-estimé la menace de la restauration capitaliste. Ernest Mandel, jouant encore une fois le rôle de Karl Kautsky, éternel optimiste, a dit en avril 1989, sans le moindre doute: "la bourgeoisie européenne ne voit pas d'un bon oeil cette déstabilisation. Elle n'a pas l'espoir de récupérer l'Europe de l'Est au capitalisme."(52) En octobre 1989, les dirigeants de la LCR française ont à leur tour insisté qu'il fallait "écarter l'idée que l'enjeu immédiat des évolutions actuelles dans ces pays serait la restauration du capitalisme."(53) Et Mandel a récidivé : "La question dans les luttes politiques actuelles n'est pas celle de la restauration du capitalisme." (54) Le refus de la part du SUQI de reconnaître ce danger évident découlait de toute son histoire caractérisée par une adaptation inlassable. D'abord, il y avait l'idée que les Etats ouvriers dégénérés représentaient d'une façon ou d'une autre un mode de production transitoire et supérieur qui ne pouvait pas être renversé par un mode inférieur - le capitalisme. Même si ce thème n'a pas été entendu très souvent depuis les années 60, il a joué clairement un rôle en renforçant l'optimisme passif habituel de Mandel. Deuxièmement, il y avait la foi du SUQI dans le pluralisme et la neutralité de la démocratie. Troisièmement, il y avait le soutien sans critique aux dirigeants dissidents, dont la politique restaurationniste était perçue comme une excentricité personnelle. La restauration du capitalisme en RDA a dû brusquement réveiller ces centristes somnambules! Les perspectives pour l'Europe de l'Est - et pour le SUQI Le fait que la crise du stalinisme qui s'est produite n'a pas immédiatement donné lieu à une alternative socialiste réelle est un dilemme majeur pour les révolutionnaires. Sommes-nous devant l'ouverture d'une nouvelle période? S'agit-il d'un pas en arrière temporaire, ou une défaite majeure sur la voie de la révolution socialiste? Devant d'autres tournants de la lutte de classe internationale, le SUQI a proclamé la victoire imminente de la révolution socialiste. Puis il a annoncé l'ouverture d'une période réactionnaire majeure. L'analyse fondamentale du 13ème Congrès mondial était que "L'époque où le mouvement ouvrier international se déterminait en fonction de la victoire et de la dégénérescence de la révolution russe, s'achève." (55) En expliquant cette position et en détaillant comment "rendre au projet socialiste attrait et crédibilité", (56) le SUQI montre jusqu'à quel point il a fait sienne l'argumentation bourgeoise selon laquelle le bolchevisme menait tout droit au stalinisme, et il s'est accommodé des préjugés anarchistes et sociaux-démocrates des intellectuels des pays de l'Est. Il a laissé tomber toute référence favorable au projet léniniste, disant qu'il "n'est plus suffisant"comme "référence stratégique centrale". (57) Le Congrès a déclaré qu'une situation qualitativement nouvelle a vu le jour, une situation par laquelle les programmes révolutionnaires de Marx, Lénine et de Trotsky n'ont pas de réponse : "La volonté de décider en toute connaissance de cause de son destin devient l'élément marquant, commun aux mouvements populaires ... Des sociétés de plus en plus complexes ne peuvent être gérées par un système de centralisation économique ... L'autogestion généralisée s'affirme comme l'alternative socialiste au stalinisme ... comme mode de régulation globale et décentralisée". (58) Malgré l'affirmation du SUQI que les motivations des masses ont changé, c'est celles-là qui ont été à la base de la politique révolutionnaire depuis 150 ans! Bien sûr les masses veulent décider de leur destin - aux niveaux politique et économique. C'est la force motrice du Manifeste Communiste du Marx et Engels. C'est la leçon de la révolution bolchevique. Elle figure à chaque ligne des écrits de Trotsky. En montrant ainsi son ignorance de cette vérité profonde, le SUQI révèle à quel point il a bu l'eau empoisonnée du réformisme. Les conseils ouvriers et paysans de 1917 et les tentatives de planification nationale et centralisée ultérieures sont la véritable "alternative socialiste au stalinisme."L'alternative présenté par le SUQI n'est qu'un catalogue de préjugés petit-bourgeois de "liberté"et de production individuelles. C'est une recette pour la dislocation totale de l'économie de l'Etat ouvrier. Le SUQI explique ce retrait vers un socialisme pseudo-scientifique, qui rappelle les coopératives de Proudhon : "l'impasse des politiques réformistes dans les pays capitalistes et la faillite du système bureaucratique aboutissent à une mise en doute de tout projet socialiste Cette perte de crédibilité n'empêche pas les explosions sociales, les luttes de résistance, les grandes mobilisations économiques, mais elle freine la cristallisation de cette énergie sociale autour d'un nouveau projet révolutionnaire de transformation sociale et pèse sur la formation de la conscience de classe." (59) Ou, de façon plus poétique : "La mémoire et l'espoir sont à reconstruire." (60) Certes, la faillite du stalinisme et le fait que celui-ci n'est pas encore remplacé par une alternative socialiste révolutionnaire a démoralisé des secteurs de la classe ouvrière internationale, notamment dans les pays capitalistes où les partis staliniens ont une forte tradition. Mais cette situation n'est pas entièrement négative, loin de là. Dès le début, ce sont les trotskystes qui ont montré que la bureaucratie stalinienne n'était ni l'héritier légitime du bolchevisme, ni une nouvelle classe sociale, et que, malgré sa terrible dictature, son régime se fissurerait, ébranlant les fondations de l'ordre mondial. Le déclin de ce que Trotsky appelait "la syphilis du mouvement ouvrier"offre une ouverture fantastique aux marxistes révolutionnaires. Les nouvelles libertés démocratiques en Europe de l'Est nous offrent des possibilités dont on ne pouvait encore que rêver il y a deux ans. La chute de la dictature policière stalinienne nous offre une liberté d'intervention qui devrait être une source d'enthousiasme - et non de pessimisme - pour les révolutionnaires. Les compagnons de route des staliniens, qui ont fermé les yeux sur les horreurs bureaucratiques des Etats ouvriers dégénérés, sont les plus choqués par la situation actuelle. C'est aussi le cas du SUQI, dont l'adaptation systématique au stalinisme sous sa version "gauche"remonte à la dégénérescence de la Quatrième Internationale entre 1948-51 et l'affaire yougoslave. Les centristes démoralisés du SUQI sont comme des fêtards qui ont la gueule de bois; ils paient le prix de leurs excès de la veille. Et comme tous les pénitents, ils se tiennent la tête et crient : "Plus jamais ça!" Evidemment la situation était loin d'être rose dans le jardin de l'Europe de l'Est. Le triomphe idéologique temporaire de l'Occident signifiait que des batailles politiques très dures étaient devant nous, à l'intérieur et à l'extérieur de ce qui à l'époque restait des Etats ouvriers dégénérés. Mais pour gagner de tels combats, il fallait d'abord bien tenir nos armes révolutionnaires principales : la révolution politique basée sur la démocratie ouvrière révolutionnaire, la planification centrale démocratique, et le rôle central du parti révolutionnaire. Mais le SUQI était en train de balancer "le vieux bolchevisme"par la fenêtre. Le "combat"auquel il se préparait était voué à l'échec. Le SUQI jetait les jalons de ses propres défaites futures. Le SWP(E-U) : de la gangrène à l'auto-amputation La dégénérescence que le SUQI a connu au cours des années 80 a eu deux sortes de conséquences. La rapidité et la profondeur de la faillite ont provoqué des remous oppositionnels; en même temps les éléments les plus droitiers en ont conclu qu'il n'y avait plus de raison de rester au sein de la "Quatrième Internationale"et ils en sont partis. Le meilleur exemple de cette dernière tendance nous est fourni par le SWP(E-U). Au cours des années 70, le SUQI a été marqué par une longue lutte fractionnelle entre la Tendance Majoritaire Internationale (Mandel et Cie) et la Fraction Léniniste-Trotskyste, dirigé d'abord par le SWP(E-U). Ce genre de combat incessant est très courant dans la vie de l'Internationale. Mais au début des années 80, un changement qualitatif a eu lieu dans les rapports entre la direction européenne et le SWP. La nouvelle direction nord-américaine autour de Barnes, Waters et Jenness, qui a remplacé l'ancienne équipe de Hansen et Novack au milieu des années 70, était profondément marquée par la révolution sandiniste. Elle a adopté la perspective de la création d'une organisation internationale commune avec les "directions révolutionnaires"cubaine et nicaraguayenne. Cette perspective a poussé le SWP à effectuer une série d'adaptations politiques de plus en plus profondes au stalinisme, qui l'ont mené d'abord à la rupture avec les restes idéologiques du trotskysme, et puis finalement à quitter le SUQI en 1990. En août 1980 l'université d'été du SWP était centrée sur la nécessité de s'orienter vers le PC cubain, le FSLN et le New Jewel Movement de la Grenade. Comme l'a dit Jack Barnes en mars 1982 : "Un nouveau chapitre glorieux de la révolution socialiste s'est ouvert ... Ceci, bien entendu, nous aidait pas mal. Comment l'extension de la révolution socialiste sous des directions révolutionnaires pourrait-elle faire autrement?" (61) Pendant la décennie qui a suivi, le SWP chantait les louanges de Castro, du FSLN et de Maurice Bishop. Lénine, Trotsky et les bolcheviks n'étaient pas du même niveau, selon le SWP! La presse du SWP était bourrée des radotages sans fin de ces vantards, livrés aux foules bien encadrées sur les places centrales de Managua et de la Havane. Pour le SWP les positions "trotskystes"- voire le nom lui-même - sont devenues un "obstacle"sur la voie de rapports rapprochés avec Castro ou Borge. En 1983 Barnes avançait la position suivante : "Aujourd'hui la révolution permanente ne nous aide pas, pas plus qu'elle n'aide les autres révolutionnaires à diriger la classe ouvrière et ses alliés vers la prise de pouvoir ... c'est un obstacle pour renouer notre continuité politique avec Marx, Engels, Lénine et les quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste." (62) Barnes décrivait cette position stalinienne comme étant "la sortie de plus de vingt-cinq ans d'une vie semi-sectaire". (63) Entre 1982 et 1985 la direction européenne du SUQI et le SWP ont échangé une série d'articles polémiques sur la question de la révolution permanente, la nature de la révolution bolchevique et le rapport entre les programmes de Lénine et de Trotsky. Dès le début, le SWP a tenté de montrer que la révolution d'octobre 1917 a produit "un gouvernement ouvrier et paysan"qui a gouverné sous des rapports de production capitalistes. (64) Cette nouvelle version de la théorie de la révolution "par étapes"a été rapidement testée dans la lutte de classes, dans le cadre de la révolution sud-africaine. Le SWP(E-U) s'est aligné sur la perspective d'une étape "démocratique"avancée par l'ANC stalinienne, et il s'est opposé à toute question de révolution socialiste. Même en 1981 le SWP avait suivi Castro en refusant de participer aux manifestations contre l'écrasement de Solidarnosc par Jaruzelski. (65) Cette évolution vers la droite était accompagnée par une série de purges de l'organisation. Entre 1982 et 1984 les militants du SWP qui refusaient d'avaler le rejet de cinquante ans de l'histoire de l'organisation ont été exclus. En même temps le SWP s'est retiré des instances dirigeantes du SUQI, décrivant l'organisation internationale comme "une secte ultra-gauche"dirigée par "une fraction secrète". (66) Il a refusé d'envoyer les comptes rendus de ses instances au SUQI (67) et, avec un culot incroyable, a déclaré que "L'idée d'une Internationale constituée de partis qui sont prêt à accepter des ordres des 'instances supérieures' est complètement étrangère à tout ce que la Quatrième Internationale a toujours défendu." (68) Cette position est mensongère en ce qui concerne les Internationales de Trotsky ou de Lénine, mais est vraie pour le SWP d'après la deuxième guerre mondiale. En fait, c'était même la raison avancée lors de la scission dirigée par Cannon en 1953, et c'était la condition préalable fixée pour la réunification en 1963 qui a donné naissance au SUQI. En répondant à ces attaques anti-léninistes, la direction du SUQI n'a pas insisté sur la nécessité et l'utilité du centralisme démocratique au niveau international. A la place, elle s'est appuyée sur la nature fédérale du SUQI et a insisté, de façon pathétique, sur le fait qu'il n'était pas question que la direction essaie de "donner une ligne". (69) Quand le SWP a répondu en excluant une grande partie des militants de la majorité européenne, le congrès du SUQI s'est limité à des appels impuissants pour leur réadmission, et à la reconnaissance de trois sections et demi du SUQI aux Etats-Unis! (70) Même sur la question de la révolution permanente, le SUQI ne pouvait pas repousser efficacement les attaques du SWP. Mandel répétait l'analyse de Trotsky de la révolution d'Octobre, mais sa compréhension de la révolution permanente est celle de la partie la plus faible du Trotsky d'avant 1917. L'erreur centriste de Trotsky sur la nature et le rôle central du parti révolutionnaire n'était pas seulement une question organisationnelle : elle touchait toute sa vision initiale de la théorie, une vision spontanéiste et objectiviste. Comme Trotsky l'a écrit dans Bilan et Perspectives (1906) : "Sous quelque drapeau politique que le prolétariat ait accédé au pouvoir, il sera obligé de prendre le chemin d'une politique socialiste ... La barrière entre le programme minimum et le programme maximum tombe dès que le prolétariat accède au pouvoir." (71) Pour Trotsky, il fallait que les masses corrigent leur propre parti, tout comme Luxembourg croyait que le SPD pourrait être réformé. Tous deux considérait Lénine comme un sectaire, et dédaignait le combat qu'il menait au sein du parti comme un exemple de l'état arriéré du mouvement russe. Se baser sur les positions du Trotsky de 1906, plutôt que sur l'analyse et le programme mûrs de "La Révolution Permanente"(1928) est, à sa façon, aussi malhonnête que l'utilisation du Lénine d'avant 1917 par le SWP. Mandel et Cie ont systématiquement utilisé les formulations faibles du "Bilan et perspectives"pour "expliquer"comment Tito, Mao, Castro et bien d'autres ont été obligés de "suivre la voie de la politique socialiste"et de devenir des "trotskystes inconscients"par la logique implacable de la révolution permanente. La rupture politique entre le SWP et la majorité du SUQI s'est faite au milieu des années 90, mais elle n'a pas été consommée organisationnellement qu'en juin 1990. Cette situation est très différente de celle du SWP australien, dont la dégénérescence néo-stalinienne a été plus rapide et la rupture avec le SUQI, en 1985, encore plus explosive. (72) La raison de cette dégénérescence lente des rapports entre le SWP(E-U), au lieu d'une rupture brusque, se trouve dans l'équilibre des forces au sein de la direction de l'organisation nord-américaine. Des sections importantes de la direction, dont Malik Miah et Barry Sheppard, acceptaient les révisions théoriques de Barnes et Cie, mais insistait pour que le lien avec "l'Internationale"demeure. Il a fallu attendre le départ de ces éléments pour que la scission finale puisse avoir lieu. La faillite politique et organisationnelle du SWP, et son adoption d'une politique et d'une pratique staliniennes montrent que, malgré la longévité relative du centrisme ossifié du SUQI, "la Quatrième Internationale"n'a pas le secret de la vie éternelle. Tôt ou tard, sans un programme révolutionnaire, sans un régime intérieur sain basé sur le centralisme démocratique international, le SUQI s'effondrera, devenant soit une forme ouvertement anti-trotskyste du centrisme droitier, soit une variante du réformisme de gauche. Les nouvelles oppositions peuvent-elles sauver le SUQI? L'impasse du SUQI, ajoutée aux crises profondes au sein des sections-clés, a conduit à l'émergence de nouveaux regroupements oppositionnels qui se sont opposés à la ligne majoritaire au 13ème Congrès. Les trois oppositions internationales - la Tendance pour la Construction de la Quatrième Internationale (TCQI), dirigée par Matti en France, la Tendance de Gauche dirigée par Franco Grisolia en Italie et Socialist Action aux Etats-Unis - ont toutes limité leur combat à la construction de tendances. Aucune n'a osé se déclarer comme une fraction, ce qui aurait impliqué non pas un combat contre telle ou telle position, mais carrément une opposition à toute la méthode politique de la direction internationale, et une tentative pour la remplacer. Elles ont encore moins déclaré qu'elles considéraient la direction comme "centriste". La plus grande tendance oppositionnelle, la TCQI, insistait qu'elle ne pensait même pas que la direction fût "opportuniste", (73) et s'est dissoute en tant que tendance internationale à la réunion du CEI qui a directement suivi le Congrès. En réalité, de telles "oppositions"ne sont rien d'autre que des outils pour acquérir des positions au profit de dirigeants de cliques. Le combat fractionnel, que Trotsky a considéré comme un mal nécessaire, même sur des questions de principe, a été converti par ces messieurs en mode fondamental de la vie politique. Les trois oppositions étaient toutes unies par une critique de la majorité vis à vis de la construction des sections. La majorité du SUQI a toujours été paralysée par le doute à l'égard de sa propre raison d'être historique; elle est encore moins sûre de l'importance de l'existence des sections. Face à une force "révolutionnaire"ou "empirique", le SUQI a habituellement démoli "l'obstacle"qu'une section pouvait présenter à la fusion avec "le mouvement de masse". Cette politique remonte à l'adaptation centriste au stalinisme effectuée par la Quatrième Internationale en 1947, et a été maintes fois répétée, en Algérie, à Cuba, au Vietnam, au Nicaragua etc. En 1979 l'opposition internationale autour de Nahuel Moreno a fait de la question de "la construction d'une section en chaque pays"une position fondamentale de sa plate-forme politique. Depuis, ce refrain a été repris par toutes les oppositions, et récemment à l'égard de l'URSS. Suivant les réformes de Gorbatchev et la libéralisation du débat politique en URSS, la majorité du SUQI - notamment la cellule est-européenne dirigée par Sandor et Verla - s'est opposée aux tentatives de construire un section du SUQI en URSS, et s'est montrée peu enthousiaste face à la question de la révolution politique. Cette position a été basée sur l'idée qu'il fallait savoir comment fusionner avec des tendances oppositionnelles au sein du PCUS. La dernière cible de cette politique était la Plate-forme Marxiste de Bouzgaline. Aujourd'hui, avec le PCUS détruit, dégonflé comme un ballon percé, cette politique de "construction"est en ruines. Cette tare s'est révélée être la cible préféré des trois tendances oppositionnelles. Dès 1989 elles ont toutes répondu à l'adaptation évidente de la direction en avançant l'appel à la construction d'une section du SUQI dans chaque pays. Mais si on en reste au niveau organisationnel, une telle position "critique"est en réalité impuissante. La majorité peut toujours répondre (comme elle l'a fait, d'ailleurs) en disant qu'elle y travaille par des compromis tactiques (entrisme etc) comme ceux utilisés par Trotsky. Il faut au contraire montrer clairement quelles sont les positions politiques qui ont été abandonnées par cette ligne de "construction". Sans un tel préalable, toutes les histoires d'"une section en chaque pays"se révèle n'être qu'un fétichisme organisationnel. Parce que toutes les tendances oppositionnelles sont, sur le fond, d'accord avec la méthode du SUQI, une fois les chaises musicales du Congrès mondial ramassées, tout peut rentrer dans l'ordre, comme auparavant. Ce n'est pas très politique, et ce n'est pas très sérieux. Et que faire quand la direction cède à la pression et appelle à la construction d'une section? Au 13ème Congrès, la direction a effectué un tel virage (sans doute pour avoir la paix), et le document sur l'URSS explique (sans beaucoup d'enthousiasme, c'est vrai) que le SUQI est en faveur de la construction de sections en URSS. Les oppositions ont du se féliciter. Mais la question n'est pas là. Sur quelle politique ces sections seraient-elles construites? Sur ce point on attendrait en vain une réponse de la majorité ou des oppositions. La tentative effectuée par la TCQI pour répondre à cette question était carrément embarrassante : pour la tendance de Matti la question-clé du programme n'était rien d'autre qu'un soutien "pour la révolution dans tous les trois secteurs de la révolution mondiale" (74) (c-à-d les pays impérialistes et impérialisés, et les Etats ouvrier dégénérés). Cette position est identique à celle de Mandel, Sandor, Verla etc. Mais parmi les trois oppositions, c'est la TCQI qui a rencontré le plus de succès au Congrès (jusqu'au 11% des voix). Depuis vingt-cinq ans, Matti a dirigé une opposition au sein de la LCR française, la section européenne la plus importante par sa taille, son histoire et la proximité du siège international. La politique de Matti - et celle de ses co-penseurs britanniques au sein de la TCQI - était connue à l'époque sous le nom du "trotskysme orthodoxe", c'est à dire qu'elle trouve son inspiration dans la stalinophobie de la tradition du Comité International, notamment sa variante lambertiste. Comme ses parents politiques au sein du PCI lambertiste, la TCQI se caractérise par une combinaison de critiques apparemment radicales du SUQI et d'adaptations opportunistes grossières à la social-démocratie, voire à des tendances bourgeoises radicale et nationaliste. Fidèles à leurs ancêtres lambertistes, les militants de la TCQI ont pris position en faveur de l'unification de l'Allemagne, sans s'inquiéter de ses conséquences sur les rapports de propriété post-capitalistes établies dans l'ex-DDR. Matti a même nié qu'il y ait quoique ce soit de progressiste dans les rapports de propriété post-capitalistes : "ces systèmes ... ne constituaient pas un progrès et n'étaient nullement, et d'aucune manière, un `dépassement' du capitalisme." (75) Pis encore, il a fermé les yeux devant ce que représentait la réunification, se baignant dans une délire digne d'un Bismarck populiste : selon Matti, l'unification "c'est bien pour l'humanité entière et en premier lieu pour les travailleurs", (76) parce que "un grand Etat allemand, c'est surtout une grande et puissante classe ouvrière". (77) Ce point de vue mécaniste, sans compréhension des dynamiques de classe qui étaient à l'œuvre, était lié avec un catastrophisme délirant qui aurait mieux trouvé sa place dans les pages de Tribune Internationale ou de La Vérité. Suivant une ligne lambertiste classique, la TCQI considère que "libérés du carcan de terreur stalinien", les travailleurs de l'Est et de l'Ouest "tendront à unifier au plus haut niveau leurs acquis sociaux, à en conquérir d'autres, à élargir le champ des libertés démocratiques et de la démocratie politique. Cette réalité en marche mine déjà, à l'évidence tous les plans de la bourgeoisie européenne." (78) Certes, la classe ouvrière allemande unie va devoir lutter contre l'offensive capitaliste et arracher de nouveaux acquis. Mais le premier pas pour les révolutionnaires est de dire "ce qui est": la classe ouvrière est-allemande a subi une défaite historique importante, à cause de son incapacité à saisir le moment et à forger une nouvelle direction politique entre novembre 1989 et avril 1990. La destruction des rapports de propriété bureaucratiquement planifiés et des quelques réformes que les staliniens avaient été obligés d'accorder, représente une défaite pour les travailleurs, de l'Est et de l'Ouest. L'hégémonie idéologique actuelle du capitalisme dans des secteurs importants de la classe ouvrière évoluera, mais on doit reconnaître d'où l'on part : la situation immédiate est peu favorable pour les révolutionnaires. Cette approche est beaucoup plus sérieuse que de se consoler avec des phantasmes de luttes à venir, qui sont toujours les plus faciles à gagner. La stalinophobie de la TCQI aveugle ses militants devant les différences qui existaient au sein de la bureaucratie stalinienne, qu'elle conçoit comme un bloc indifférencié. Pour Matti et Cie, comme pour les lambertistes, la bureaucratie n'est rien d'autre que l'agent de l'impérialisme au sein du mouvement ouvrier mondial. Elle est ainsi entièrement en faveur de la restauration du capitalisme, sans aucune ambiguïté : "Pour nous il y avait polarisation de classe entre deux camps, l'impérialisme et la bureaucratie d'une part, la classe ouvrière d'autre part." (79) Le manque de sérieux de cette position est encore illustré par leur indifférence totale à l'égard de la menace de la contre-révolution capitaliste. Même en mars 1991, Matti continuait à nous assurer que "ce n'est pas demain que se fera en Europe de l'Est et en URSS la restauration capitaliste". (80) Tout le monde verra bientôt qu'il a tort, et c'est malheureusement la Pologne et la Hongrie qui en apporteront la preuve. Dans un autre hommage au lambertisme, la TCQI dit que la ligne stratégique fondamentale pour le prolétariat mondial est constituée des revendications démocratiques. "La démocratie radicale, poussée jusqu'au bout, est révolutionnaire"dit Matti. (81) C'est cette méthode qui a conduit la TCQI a soulever exclusivement la revendication d'une assemblée constituante en Allemagne, à la place du combat pour la création des conseils ouvriers. (82) Dès le début, la TCQI acceptait l'idée d'une phase "démocratique"dans la réunification et qu'il y aurait inéluctablement une période pendant laquelle l'assemblée constituante serait la revendication centrale. Ceci n'est pas un "accident", c'est la conséquence directe de la méthode centriste droitière de la TCQI, qui cherche à suivre la voie "démocratique"plutôt que de lutter pour la démocratie ouvrière et le pouvoir des travailleurs. Une autre opposition - qui partageait plusieurs positions de la TCQI - était fournie par Socialist Action des Etats-Unis. Elle s'est opposée à la ligne majoritaire qui considère que le Nicaragua est un Etat ouvrier. Mais parce qu'elle n'a pas rompu avec la méthode fondamentale du SUQI, elle reconnait que le FSLN constitue "un parti de révolutionnaires en pratique". (83) Il suffirait donc de les pousser un peu dans le bon sens. Elle a une position vague sur la révolution politique à Cuba, disant seulement qu'elle défend "une forme soviétique de gouvernement pour Cuba", (84) sans préciser pour autant comment les masses pourraient se doter de ce gouvernement - mais peut-être croit-elle que la direction cubaine pourrait se transformer? Malgré sa rhétorique oppositionnelle ("sans un changement de direction dans l'Internationale, la IVème Internationale ira à l'échec"(85)), Socialist Action ne présente pas une rupture qualitative avec la méthode centriste du SUQI. Loin d'être une solution, elle fait partie intégrante du problème. Etant donné l'identité d'un grand nombre de positions entre Socialist Action et la TCQI, il est difficile de comprendre pourquoi celles-ci n'ont pas formé une opposition unie, comme cela était prévu en 1989. Pour quelques raisons fractionnelles, les négociations sont tombées à l'eau et au début de 1991 Socialist Action a été sérieusement affaiblie par une scission vers les lambertistes qui fit partir plusieurs dirigeants responsables de documents critiques sur le SUQI, tous touchés par la tare lambertiste. En même temps, une série d'ex-dirigeants du SWP (p. ex. Miah, Sheppard et Lund) ont adhéré à Socialist Action, proclamant leur accord politique avec les positions néo-staliniennes du SWP. Il semble donc possible que Socialist Action laisse tomber son masque de "gauche"et fasse sa rentrée au sein de la majorité internationale. C'est l'appui que ces positions critiques ont pu recevoir dans les sections qui, en dernier ressort, fera la décision. En ce qui concerne les délégués au Congrès Mondial, les documents de Socialist Action on fait un bide total - aucun autre délégué n'a voté pour eux. La "Tendance de Gauche"(TG) venait d'une autre tradition politique, mais elle faisait également partie de la même méthode centriste du SUQI. Elle disait avec raison que "la politique de l'Internationale pendant les dernières décennies n'a été qu'une série d'erreurs d'analyse, de stratégie et de tactique", (86) mais elle ne tirait pas les conclusions politiques et méthodologiques, pourtant évidentes : la direction du SUQI était irrémédiablement centriste et le SUQI dans sa totalité ne pourrait être transformé en organisation révolutionnaire. Le document de la TG qui était présenté au Congrès (où il a reçu une voix) était beaucoup plus court que celui qui a circulé lors de la discussion internationale avant le Congrès. Les différences sont intéressantes : par exemple, une critique de la direction concernant le Nicaragua a été remplacée par une référence vague à la révolution permanente. Peu importe que ceci a été fait pour éviter la colère de la direction ou pour passer une alliance opportuniste, le résultat est le même : malgré ses prétentions, la TG a montré qu'elle était une opposition loyale au sein du SUQI. Ni l'une ni l'autre version du document ne contenait un seul mot sur Gorbatchev ou sur la crise en URSS. Il n'y avait pas la moindre critique concrète des positions du SUQI sur la révolution politique. Comme d'habitude au SUQI, des remarques générales sont avancées comme explications codées des différences politiques précises. C'est une mauvaise méthode. Des formules diplomatiques et le refus de parler clairement sont des caractéristiques du centrisme, et non du trotskysme. A propos de "l'oppression spéciale", l'un des fétiches de la TG, elle se trouve en accord total avec la méthode du SUQI : elle prône des mouvements "autonomes"et inter-classistes et une "alliance stratégique"entre tous les opprimés et la classe ouvrière. Finalement toute la stratégie de la TG est illustrée par la réaffirmation que le SUQI représente un type spécial du "centrisme d'origine trotskyste"qui, selon la TG, est qualitativement supérieur au centrisme d'origine stalinienne, social-démocrate, nationaliste ou syndicaliste. Dans une prise de position remarquable qui doit plus à la métaphysique qu'au marxisme, la TG nous assure qu'"aujourd'hui la IVème Internationale vit, mais elle vit par le truchement de ses différentes fractions organisation-nellement séparées." (87) En fait, malgré les erreurs décrites par la TG, au bout du compte, ces braves révolutionnaires considèrent que Mandel, Lambert et les autres dirigaient des organisations qui, ensemble, formaient "la Quatrième Internationale", myriade qui n'a besoin que d'un peu de "régénération politique". Peut-être que cette confusion centriste conforte les militants de la LG, mais elle n'apporte strictement rien pour clarifier les questions programmatiques qui sont au cœur de la réfondation d'une Internationale communiste révolutionnaire. Elle n'éclaire pas non plus la faillite centriste de toute les organisations qui se réclament du drapeau de la Quatrième Internationale. Cette politique est une recette pour la confusion centriste, une promesse de fidélité à une tradition centriste pourrie, vieille déjà de 40 ans. Le futur presse Le manque de confiance qui secouait le SUQI au début des années 90 s'exprimait clairement par son effondrement organisationnel. Au 13ème Congrès Mondial les sections européennes ont enregistré une baisse d'adhérents de l'ordre de 25%. (88) Au nom du nouveau tournant, une demi-douzaine de sections ont disparu au cours des cinq dernières années. D'autres encore ont connu des scissions. La section suisse n'a même pas assisté au Congrès! La démoralisation était largement répandue au sein de la direction et de la base. Pendant les années 80 les instances directrices du SUQI ont adopté une méthode "douce". Le CEI - qui devait se réunir tous les six mois - ne s'est pas réuni pendant presque deux ans (1982-1984); par la suite le rythme annuel n'a guère été tenu. Le secrétariat, qui devrait se réunir tous les mois, n'a vu ses réunions se dérouler que quatre fois par an. La qualité des documents produits par ces instances est de plus en plus pauvre ; ils étaient souvent basés sur des rapports verbaux, avec un contenu programmatique encore moins dense que d'habitude. Le Congrès s'est félicité du caractère fédéral du SUQI : "Chaque organisation nationale a son orientation politique, ses relations unitaires, sa responsabilité et sa capacité de décision." (89) Il n'est pas étonnant que la direction internationale se réunisse irrégulièrement et intervienne si peu! Quelle différence cela ferait-il? Chaque section dispose d'une totale souveraineté de caractère national. Le SUQI a préparé sa propre désintégration en suivant des lignes nationales. La disparition de tant de sections au sein des organisations réformiste, nationaliste ou centriste droitière n'était que la première phase d'un effondrement organisationnel que ni la direction, ni les militants ne semblaient vouloir stopper. Sans doute, l'existence continue des maigres liens politiques et organisationnels empêcherait la disparition complète du SUQI, mais, de toute évidence, "la Quatrième Internationale"approchait du moment critique. Il n'y avait aucun signe comme quoi une opposition critique et révolutionnaire se leverait pour empêcher cette dégénérescence. Même si la direction trouvait les moyens d'effectuer un nouveau tournant centriste et de "sauver ainsi les meubles", la reprise ne serait que temporaire. Seule une rupture totale avec la méthode centriste du SUQI et de ses prédécesseurs permettrait aux militants de base de trouver un programme et une organisation capable d'avancer sur la voie de la révolution politique à l'Est et sur la voie de la révolution sociale à l'Ouest. Malgré sa prétention d'être la Quatrième Internationale fondée par Trotsky, le SUQI était criblé de doutes et d'incertitudes quant à son rôle historique. Il avait raison de l'être. En 1938, Trotsky finissait son "Programme de Transition", document de fondation de la Quatrième Internationale, avec un appel retentissant : "Ouvriers et ouvrières de tous les pays : rangez-vous sous le drapeau de la IVème Internationale. C'est le drapeau de votre victoire prochaine!". Un demi-siècle plus tard, le SUQI n'était au mieux capable que de faire une proclamation pathétique : "Nous sommes convaincus que notre programme et nos analyses méritent d'être connus." (90) La différence est parlante. Il y a peu de signe de vie au sein du SUQI. Néanmoins, malgré son malaise, celui-ci reste une tendance importante à l'échelle internationale. Il continuera de colporter sa version dégénérée du trotskysme en Russie et en Europe de l'Est. Sa politique va embrouiller et détourner la formation des générations futures. Dans quelque pays ses sections resteront pendant des années un obstacle majeur sur la voie de la construction du parti révolutionnaire. Le combat pour gagner la classe ouvrière mondiale au programme révolutionnaire n'est pas seulement une question de clarté politique; c'est aussi une question de critique politique et le combat des différents programmes. Les militants du SUQI qui rejettent la version dégénérée et affaiblie du "trotskysme"défendue par leur organisation doivent apprendre la leçon de l'Histoire au lieu de la répéter. Le SUQI ne peut pas se débarrasser de sa méthode centriste ossifiée. Le temps est venu de rompre avec cette méthode et avec cette organisation. Ecrit en 1991 NOTES 1 Quatrième Internationale 19, 1963, pp. 30-31 2 Quatrième Internationale 16, mars 1985, p. 53 3 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 116 4 Quatrième Internationale 37-38, août 1990, p. 112 5 Inprecor 291, 6.7.89, p. 5 6 Ibidem, p. 6 7 Inprecor 329, 26.4.91, p. 14 8 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 112 9 Ibidem, p. 114 10 Quatrième Internationale 15, novembre 1984, p. 84 11 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 115 12 Ibidem, p. 116 13 "1979 World Congress of the Fourth International", supplément à Intercontinental Press, janvier 1980, p. 39. Notre traduction 14 International Internal Discussion Bulletin XVIII 6, septembre 1982, p. 33. Notre traduction 15 Pour notre critique, voir Pouvoir Ouvrier 14, printemps 1989, p 32 16 International Internal Discussion Bulletin XVIII 6, septembre 1982, p. 26. Notre traduction 17 Ibidem, p. 30. Notre traduction 18 Quatrième Internationale 17.18, septembre 1985, p. 40. 19 Ibidem, p. 41 20 Ibidem, p. 36 21 Ibidem, p. 38 22 Ibidem, p. 36 23 Ibidem, p. 41 24 Ibidem, p. 38. 25 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 107 26 Inprecor 333, 21.6.91, p. 18 27 International Viewpoint 208, 10.6.91, p. 7. Notre traduction 28 Ibidem 29 Inprecor 238, 16.3.87, p. 18 30 Inprecor 279, 9.1.89, p. 23 31 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 118 32 Ibidem, p. 105 33 Ibidem, p. 107 34 Quatrième Internationale 34, août 1989, pp 65-90 35 Inprecor 247, 13.7.87, p. 22 36 Quatrième Internationale 26-27, décembre 1987, p. 123 37 Cité dans La Vérité 608, mai 1991, p. 78 38 Ibidem 39 Voir Pouvoir Ouvrier 3, 1983, "Révolution et contre-révolution en Pologne" 40 Quatrième Internationale 17-18, septembre 1985, p. 55 41 Quatrième Internationale 13, janvier 1984, p. 44 42 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 68 43 Rouge 31.8.89, p. 3 44 Ibidem 45 "Quand le stalinisme s'écroule", supplément Inprecor, 7.12.89, p. 5 46 Pouvoir Ouvrier 17, janvier 1990, pp 8-9 47 Inprecor 11.12.89, p. 7 48 Ibidem 49 P. Uhl, Le socialisme emprisonné (Stock, 1980), p. 83 50 Ibidem, p. 37 51 Ibidem, p. 35 52 Inprecor 283, 6.3.89, p. 3 53 Critique Communiste 89, octobre 1989, p. 8 54 International Viewpoint 30.10.89, notre traduction 55 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 20 56 Ibidem 57 Ibidem 58 Ibidem, pp 20-21 59 Ibidem, p. 22 60 Ibidem, p. 24 61 SWP Internal Information Bulletin, septembre 1982, p. 3. Notre traduction. 62 Nouvelle Internationale 1, automne 1985, p. 109 63 SWP Internal Information Bulletin, septembre 1982, p. 2. Notre traduction. 64 International Socialist Review, juin 1982. Notre traduction. 65 International Internal Discussion Bulletin XVIII, avril 1982, p. 25 66 SWP Information Bulletin 6, octobre 1984, p. 23 67 Ibidem, p. 38 68 Ibidem, p. 23 69 Quatrième Internationale 17-18, septembre 1985, p. 48 70 Le SWP, Socialist Action, la Fourth International Tendency et le "FI Caucus" au sein de "Solidarity". 71 L. Trotsky, 1905 (Paris, 1969), p. 452. 72 Quatrième Internationale 19, décembre 1985, pp 41-106. Voir Pouvoir Ouvrier 8, décembre 1985, pour notre analyse 73 International Discussion Bulletin 2, mai 1990, p. 3 74 Bulletin de Débat International 7, novembre 1990, p. 11 75 Le Marxisme Aujourd'hui 5, mars 1991, p. 11 76 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 170 77 Critique Communiste 92, octobre 1990, p. 18 78 Critique Communiste, décembre 1990, p. 63 79 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 172. 80 Le Marxisme Aujourd'hui 5, mars 1991, p. 12 81 Ibidem 82 International Internal Discussion Bulletin 3, juillet 1990. 83 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 194 84 Ibidem, p. 198 85 Ibidem, p. 200 86 Bulletin de Débat International 7, novembre 1990, p. 26 87 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 187 88 Sozialistische Zeitung, 28.2.91 89 Quatrième Internationale 40-41, avril 1991, p. 14 90 Ibidem, p. 17 Retour pix_transparent logo_licr pix_transparent ecrivez--nous pix_transparent Anarchisme La vie et l'oeuvre d'Ernest Mandel L'histoire du SUQI L'histoire de la LIT LO et les présidentielles de 1995 La LCR et la Palestine