Accueil du site > Revue > Livres & études > Le pouvoir des images Le pouvoir des images -- Livre fondateur des Études visuelles, Iconologie de W.T.J. Mitchell propose une nouvelle science de l’image, entendue comme une étude générale des représentations. L’auteur y rend compte de la création, du fonctionnement et du pouvoir des images, au moment où leur présence s’impose chaque jour davantage. -- * Le pouvoir des images (PDF - 195.1 ko) par François Brunet -- Largement représenté chez les éditeurs et dans les premiers cycles universitaires nord-américains ou britanniques, le champ des visual studies doit être compris comme une propédeutique du visuel, entendu dans un sens plus ou moins large mais explicitement conçu à l’encontre des hiérarchies de médias, modes, registres, goûts, genres ou écoles qui caractérisent ou caractérisaient l’histoire de l’art « traditionnelle ». À ce titre il est lié à la grande entreprise de déconstruction des « canons » qui a pris naissance aux États-Unis depuis la période Reagan-Bush et en liaison avec les stratégies d’affirmation de minorités de tous ordres. Ce champ peut aussi être appréhendé, à la manière des cultural studies avec lequel il a partie liée, comme une critique politique de la culture — critique nourrie de « French Theory » mais aussi de l’Ecole de Francfort et de philosophie analytique. La « culture visuelle » est ici définie non seulement comme un patrimoine d’images ou une bibliothèque de signes visuels mais aussi comme un champ d’interactions sociales autour des images, champ constamment traversé par des rapports de pouvoir liés à des conflits d’identités et de mémoires. Apprendre à « lire » la culture visuelle, et acquérir la « compétence visuelle » (visual literacy) dont parle Mitchell, c’est donc apprendre à décoder toute image et toute pratique des images comme un dispositif de pouvoir et/ou de contre-pouvoir. L’analyse d’image en tant que telle peut d’ailleurs se voir réduite à la portion congrue dans les manuels de visual culture, où l’on trouvera en revanche toute une littérature post-structuraliste aujourd’hui un peu oubliée en France. Tel portrait photographique d’indigène au XIXe siècle n’aura, pour ce point de vue, aucune signification esthétique, stylistique, voire documentaire ; seront interrogés d’une part le protocole de production de cette image dominatrice, d’autre part les voies par lesquelles un regard, un pour soi, voire une mémoire du sujet pourraient être ressaisis par delà cette image. Véritable didactique anti-autoritaire et « dé-disciplinaire », selon un autre terme mis en avant par Mitchell dans Picture Theory, les visual studies mettent donc d’emblée en cause les notions d’autonomie conceptuelle ou de consistance formelle d’un champ d’objet auxquelles sont souvent habitués en France l’historien de l’art, le sémiologue ou même le médiologue. C’est d’ailleurs pourquoi, aux États-Unis même, certains historiens de l’art y dénoncent un pêle-mêle d’everything studies. -- littérature à l’Université de Chicago et rédacteur en chef inamovible de la prestigieuse revue Critical Inquiry, Mitchell est venu à l’image par le texte et la poésie (William Blake). En dépit de la référence du titre à Erwin Panofsky, Iconologie n’a pas grand-chose à voir avec un programme d’élucidation du sens des images, allant de l’iconique à l’iconographique et de l’iconographique à l’iconologique conçu comme horizon culturel total de la signification de telle image. Comme l’indique clairement le sous-titre « Image, Texte, Idéologie », ce livre est en fait une exploration au pied de la lettre du mot iconologie, c’est-à-dire « discours sur l’image » ou « image-discours », où il faudrait presque lire une simple juxtaposition — ou un antagonisme constitutif. La « thèse » centrale de ce livre est que la pensée de l’image ne peut pas se séparer d’une pensée antagoniste du texte ou du discours , du moins dans une tradition philosophique occidentale remontant au moins à Léonard de Vinci et dont les grands moments, explorés ici à rebours et sur le mode généalogique, vont de Nelson Goodman et Ernst Gombrich à Lessing et Burke, sans oublier Marx et son analyse de l’idéologie, décrite par Mitchell comme une sorte de méta-concept de l’image. Pour Mitchell, il ne saurait y avoir ni sémiologie ni ontologie transcendantale de l’image, puisque celle-ci est entièrement déterminée par un face-à-face théorique avec le discours, et que le concept d’image (ou de peinture) puise son existence philosophique dans l’histoire philosophique de son antagonisme au concept de langage, de discours ou de poésie. Antagonisme d’essence politique, au sens où dans le couple image / langage se réfléchissent toutes les dualités classiques dans la pensée du pouvoir (fort / faible, masculin / féminin, moderne / primitif, etc.), comme le montre de manière singulièrement brillante et frappante l’analyse parallèle des textes de Burke sur le sublime et la Révolution française, où les mêmes figures duelles servent alternativement sur les modes esthétique ou politique dans le but de prouver la supériorité de l’Angleterre (éloquente, efficace et modérée) sur la France (picturale, spéculative et excessive). Si, comme l’écrit Mitchell « Burke et Lessing traitent [l’image] comme le signe d’un ‘autre’ racial, social et sexuel, un objet de peur et de dédain » (p. 235), c’est assez dire que l’iconologie est constitutionnellement liée aux grands partages politiques et sociaux de la modernité.