Identifiez vous Contenu dde l'article Aller au contenu Mon compte | Mon panier d'achats | Ma bibliographie"Contacts | Aide"IdentifiantMot de passe't de passe oubliRechercher'cherche avanc Raisons politiques Presses de Sc. Po. I.S.B.N.2724629051225 pagesp. 65 7doi: en cours Veille sur la revueVeille sur l'auteur Acqur ce num S'abonner a revue Vous consultez Dossier : Être de parole et situations langagières no 2 2001/2 Discipline > Revue > Sommaire > Article "charger cet article en PDF 2001 Raisons politiques Dossier"re de parole et situations langagis Traduire les sciences humaines Rainer Rochlitz Rainer Rochlitz est directeur de recherches au CNRS (CRAL). Il a publi'art au banc d'essai. Esthque et critique (Paris, Gallimard, 1998), Prntation, tion et traduction de Walter Benjamin, OEuvres, 3" (Paris, Gallimard, 2000) et "ire et pardon. Signification politique des actes symboliques"tique, 646, mars"01. Rme l'article La traduction d'un ouvrage de sciences humaines et sociales est un exercice qui se heurte es difficulta fois d'ordre linguistique, intellectuel, culturel et nomique. Ces difficultsont multipli lorsque la langue cible n'est pas la langue maternelle du traducteur. En revanche, cette situation est particuliment rlatrice des enjeux intellectuels et culturels de la traduction d'ouvrages de sciences humaines et sociales. Elle met en dence les traditions divergentes et les barris mentales entre les cultures, le degristoriquement variable d'ouverture de l'une 'autre, mais aussi les progrgraux des connaissances. Translation in social sciences is a practice which meets linguistic as well as intellectual, cultural and economic difficulties. These difficulties grow in number when the target language is not the mother tongue of the translator. On the other hand, this situation of prose translation in a foreign language gives particular evidence to what is at stake intellectually and culturally in translating social sciences. It reveals divergent traditions and mental barriers between different cultures, the degree of their openness of mind, which varies in history, and the general progress of knowledge. Plan de l'article Du cversion Du cth L'opportunite la traduction Considtions nomiques Diffnces culturelles Choix et strates du traducteur La traduction d'un ouvrage de sciences humaines est une entreprise qui soul des probls divers"il s'agit des compnces voir et des contraintes especter aussi bien du cversion que du cth"du contexte intellectuel et nomique, des rapports entre les deux cultures concern et des choix et strates du traducteur ou de l'teur. Des contraintes subies par le traducteur aux niveaux technique, culturel et nomique, on passera ainsi au ractif qu'il peut, dans certains cas, jouer dans la vie intellectuelle. "u cversion ""Certaines conditions emplir par le traducteur d'un ouvrage de sciences humaines sont triviales. Il s'agit d'abord d'un certain nombre de connaissances demment requises. Le traducteur doit connae aussi bien que possible deux langues, de fa tre capable de saisir les nuances du texte original et de les restituer dans la langue cible. Mais, bien entendu, la pratique de la traduction est aussi un exercice qui permet d'rgir la connaissance des deux langues. Des deux langues, il est souhaitable que le traducteur connaisse la langue cible sur le bout des doigts, c'est-ire qu'il poss, autant que faire se peut, les automatismes et un sens spontanes nuances propres ette langue. Qu'il ait besoin d'approfondir, dans chaque cas, certains probls de la langue source est moins grave que le fait de ne pas saisir le poids des mots qu'il manie lui-m. Il est par ailleurs souhaitable que, lorsqu'il entreprend de traduire, il se trouve dans un milieu oon parle la langue cible. Par exemple, e coupe la ressource des locuteurs de la m langue, susceptibles d'e interrogen cas de doute ou m e coupes bibliothes spalis dans la langue cible, sont des handicaps [1]. Lorsque l'auteur raduire cite des ivains de diffntes langues, il faut avoir a disposition les traductions de rrence en langue cible de ces ivains pour pouvoir les citer. Connae des langues est une chose, savoir ire en est une autre. Souvent, cette derni capaciteut aider ompenser certaines faiblesses linguistiques. En revanche, rien n'est plus dstreux qu'un traducteur incapable d'ire. Il sera gralement tente calquer ses phrases sur celles de l'original et de produire un texte inintelligible ou illisible. Son texte "ntira la traduction"en re grale, ne sera pas publi Le traducteur doit encore disposer d'un minimum de connaissances du domaine scientifique en question"d'un minimum, car, fremment, le livre en question est prsnt traduit en raison de son apport de perspectives nouvelles et le traducteur est l'un des premiers uvrir et xposer ces id encore peu familis, souvent li n vocabulaire nouveau pour lequel il lui faut chercher des ivalents. Le traducteur doit aussi disposer d'une culture grale assez ndue, sans quoi, en sciences humaines notamment, il laissera apper de nombreuses allusions, citations, paraphrases ou pointes ironiques, tout le "cond degr des textes. la diffnce de ce qui se passe dans le cas de la traduction poque, la traduction en sciences humaines est destinispenser de la lecture de l'original [2]. Il s'agit donc de permettre aux lecteurs de faire l'nomie de l'apprentissage complet d'une langue ang. Le caract fiable de la traduction est de ce fait primordial. Il suppose l'absence d'erreurs a fois de comprnsion et d'expression. La traduction est ainsi un exercice hermutique compliquar le dublement des difficult En riton est oblig'admettre que la traduction comporte une certaine "perdition d'information"souvent, le choix rgn'un "indre mal" Mais, parmi ces choix, il y en a tout de m qui sont meilleurs que d'autres et qui permettent d'espr que l'on fera passer l'essentiel d'un livre dans une autre langue. "u cth ""Ces probls de compnces gagnent en acuitorsque - mais c'est un cas exceptionnel - la langue cible n'est pas la langue maternelle du traducteur. Pour e un traducteur art enti, il lui faut alors avoir acquis une pratique trndue et trlongue de sa seconde langue, au point d'en faire un exercice largement automatisui n'est plus assimilable a pratique du th. On peut dire, cependant, que la situation du th est rlatrice de probls plus graux que rencontre toute traduction. Premi difficultu traducteur d'origine ang"si sa connaissance de la langue d'origine est parfaite - et donc sa comprnsion du texte grandement facilit-, sa connaissance de la langue cible est intablement imparfaite. Il aura donc tendance raduire trop littlement, buser des nogismes ou, dans la mesure onombreuses nuances de la langue utilislui appent, omber dans les pis du faux-sens et des expressions grammaticalement fausses ou douteuses. Passe stade de l'inconscience - qui s'accompagne du sentiment que tout peut se traduire - le traducteur d'origine ang finit par avoir le sentiment dgrle qu'il est en fraude dans une langue qui n'est pas la sienne. À tout moment, il peut commettre des erreurs dont il n'a aucun moyen de se rendre compte. Il s'agit moins de contresens, par rapport auxquels il dispose plut'un avantage - d'une comprnsion aisdu texte original -, que de faux-sens et de non-sens [4]. Il en commet intablement et on le lui fait remarquer. Parfois, tout est efaire. Un sentiment de honte et d'incompnce radicale s'empare de lui"il se demande ce qu'il est venu faire dans cette gal. Quels que soient son dr et son plaisir de traduire, la langue choisie ne lui rend gu cet amour et lui tourne le dos. Seule consolation, les traductions des autochtones pent fremment par un autre travers"le dut de comprnsion ou le contresens. Le traducteur anger s'accroche alors e constat pour ne pas se sentir totalement inutile. Dans un premier temps, la traduction en collaboration sera la seule voie praticable. L'un apporte sa comprnsion (presque) parfaite de la langue source et de l'original, l'autre sa connaissance (presque) parfaite de la langue cible. S'engage alors un combat acharnntre les deux points de vue, combat qui, bientfait surgir des probls autres que linguistiques. Mais ceux-ci sont d suffisamment ardus. C'est en principe l'autochtone qui a le dernier mot, l'anger pleurant ce qui lui apparacomme les nuances perdues de l'original. Souvent, ce uoi l'on aboutit est moins un compromis que la duverte de solutions impres. Les ressources des langues sont insoupn et ne peuvent e sous-estim. Une traduction nt indniment perfectible, le dialogue entre locuteurs des deux langues est en fait la situation ide qui permet d'ter a fois les contresens dus ne comprnsion erronou approximative de la langue source et les faux-sens et erreurs grammaticales dus ne connaissance insuffisante de la langue cible. Malheureusement, cette mode de traduction prend beaucoup de temps et se rle peu rntrice pour ceux qui la pratiquent. Du point de vue thique, les probls les plus discute niveau du dt sont sans doute ceux du choix entre l'assimilation aux habitudes linguistiques de la langue cible et la violence aire subir es habitudes au nom des exigences de la langue source (Benjamin [5]), et de "indrmination de la traduction"ne [6]), autrement dit de la possibilit de traduire en derni instance [7]. Le traducteur en sciences humaines est moins concernar le premier de ces probls que le traducteur d'oeuvres littires. Le traducteur traduisant dans sa langue maternelle a, en re grale, tendance ouloir faire passer le sens du texte original, non sa forme linguistique particuli. En revanche, le traducteur traduisant dans une langue cible qui n'est pas sa langue maternelle a tout d'abord tendance eproduire la forme linguistique de l'original, rester excessivement fid. Mais c'est lne distinction qui a rmment brouillsous l'influence des thies romantiques de la traduction (notamment Benjamin). Certains thiciens ont fait de la traduction en gral, y compris en philosophie et en sciences humaines, un exercice d'ouverture 'altte la langue source. Pour eux, la fidt la syntaxe de l'original est dlors une exigence et une nssitCette thie applique a traduction en sciences humaines des principes dloppropos de la traduction poque [8]. Ces principes partent de l'idselon laquelle la traduction du contenu ne restitue pas "essentiel"'original, autrement dit les connotations inhntes a forme (poque). Or tel n'est pas, en re grale, le probl de la traduction en sciences humaines. Il faut partir du principe que la prose scientifique - Hegel, Heidegger et quelques autres except- est du m type que le langage courant et ne rec pas de sens cachans sa forme. Ce qui importe, par consent, c'est la lisibilitt l'intelligibilit Il ne s'agit pas non plus, pour le traducteur, de "construire"original en mettant en avant les connotations mphoriques des concepts du texte original"ce serait lonfondre traduction et commentaire critique et ger le traducteur en analyste des virtualitmphoriques du texte source. Il s'agit pour l'essentiel, dans la traduction de textes thiques, de donner toute leur force aux arguments dloppdans la langue source, c'est-ire de restituer, autant que possible, la raison et les raisons de l'auteur dans une autre langue. Ce type de traduction part du principe que les id dlopp dans une langue sont intelligibles dans une autre, c'est-ire que, de la m fa que nous sommes capables d'rgir nos possibilitlexicales et syntaxiques dans notre propre langue, nous pouvons les dlopper au-dele celle-ci en apprenant anier une autre langue et en nous familiarisant avec sa pratique et sa forme de vie sous-jacente. La traduction est a fois un exercice hermutique et une pratique de la langue cible. Cela dit, savoir traduire, c'est aussi savoir luer dans deux "rmes de vie"traducteur d'origine ang sera sans doute toujours dillant devant des textes littires, qu'il ne peut pas, a mani de Beckett, rrire au gres moyens d'expression dont il dispose. Il lui faut se soumettre aux exigences de l'original qui requiert, pour e traduit, la possession de toutes les ressources de la langue cible"or les siennes sont plus rites. Mais il peut espr apprendre, jusqu'n certain point, le langage savant, au vocabulaire et a syntaxe plus limit dans lequel s'expriment les auteurs d'ouvrages de sciences humaines et de philosophie. Se pose alors un autre probl"celui des deux cultures. Avec le sens raduire, c'est tout un univers de pensang, c'est une autre culture qui frappe a porte de la langue et de la culture cibles. Lncore, le traducteur anger est souvent en fraude. Ce qu'il fait valoir, on le verra, c'est, au moins en partie, un univers intellectuel anger aux lecteurs auxquels il s'adresse. Ce probl ne se pose pas si le traducteur se contente d'exter une commande"il apparadans toute son acuit'il participe au choix de ce qu'il s'agit de traduire. Car, gr a traduction, certaines id, auxquelles rste habituellement la culture cible, passeront les frontis et entreront dans le dt d'id d'une autre culture. Cette rstance peut e justifi comme dans le cas d'ouvrages qui dndent des idogies meurtris"dans d'autre cas, elle est injustifiet correspond es modes de pensqui ne se justifient que par l'habitude et le prg "'opportunite la traduction ""La compnce du choix, celle de juger de l'opportunite traduire le texte en question et qui s'exerce en amont, n'est pas forcnt demandau traducteur. Pourquoi traduit-on un livre"Dans le domaine des sciences humaines, il ne s'agit pas essentiellement de coups de coeur, mais de la conviction de "importance"'ouvrage pour la discipline ou le domaine de recherches en question. Dans de nombreux cas, un chercheur spaliste - lui-m directeur d'une collection ou conseiller d'un tel directeur - dde de faire traduire tel ouvrage, qui est soit d rtans son pays d'origine ou internationalement reconnu, soit duvert comme une source d'id ou d'informations nouvelles ou originales dans un autre contexte culturel. On charge alors un traducteur plus ou moins expmentu travail de traduction et l'on se contente, par exemple, de prcer l'ouvrage 'intention du public invit le lire dans sa nouvelle langue. Le traducteur ainsi chargu travail l'effectue souvent dans l'exercice de son mer. Il existe, en effet, des traducteurs professionnels qui, ongueur d'ann font passer des ouvrages de sciences humaines d'une langue 'autre, d'un contexte intellectuel et culturel n autre. Mais il arrive aussi fremment que le traducteur soit un chercheur art enti, reconnu comme tel ou non. Quoi qu'il en soit, ce mer est un artisanat trsingulier qui, en contrepartie d'une rntion relativement modeste, demande au traducteur un grand duement. C'est, la plupart du temps, un travail exercans les conditions d'une certaine libert€ choix des horaires et du lieu d'exercice, solitude, plaisir de l'iture et de la recherche des informations en bibliothe -, mais c'est aussi un travail contraignant"par la nssite respecter, autant que possible, les dis du commanditaire, de riser un certain pensum quotidien ou hebdomadaire, de perdre parfois beaucoup de temps pour rudre un probl d'dition ou pour trouver un terme. Souvent aussi, le traducteur est un chercheur qui, pour financer l'achment de ses des ou de son doctorat, s'engage dans l'engrenage des contrats successifs, qui ne lui laissent plus gu le temps de travailler pour lui. Car, quand il ne s'efforce pas de respecter le di d'un teur, il passe son temps hercher de nouveaux contrats, oumettre des projets es teurs, ttendre que ceux-ci aient acquis les droits de traduction, aire des drches pour obtenir sa rntion. Du fait de la difficulte vivre de ce mer, beaucoup de traductions sont l'oeuvre d'auteurs qui ne font pas de ce travail un mer, mais qui vivent d'un autre emploi. Ainsi, ce sont gralement des professeurs de philosophie qui traduisent ou retraduisent les textes des grands philosophes. "onsidtions nomiques ""Trrapidement, le traducteur duvre que, si un ouvrage le passionne, rien ne garantit encore que cette passion sera partagpar un public suffisamment important pour justifier que l'on engage les frais de traduction. Au besoin, l'teur lui rappelle cette vtlntaire"pi du puzzle de la vie intellectuelle, la traduction pose aussi des probls nomiques. La plupart du temps, une traduction est plus coe pour l'teur qu'un ouvrage original. En contrepartie, il existe un ensemble de subventions permettant de compenser ces cot, souvent, on entreprend de traduire des ouvrages " fond"t la connaissance est indispensable aux spalistes et aux diants du domaine concernlesquels sont, par consent, censl'acqur pour e informsur l't des recherches ou pour possr un ouvrage de rrence. Plusieurs spficitcaractsent la France et rd"apravoir pris du retard dans ce domaine, a fois pour la qualitt la quantites traductions, la France est devenue, durant les dernis dnnies du 20e sie, l'un des principaux pays traducteurs de philosophie et de sciences humaines, pouvant rivaliser avec des pays comparables"en France, les auteurs de rtation internationale sont souvent traduits par des auteurs qui jouent eux-ms un rde premier plan dans le domaine de recherche concernce qui est moins souvent le cas dans d'autres pays"c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles le traducteur jouit, en France, d'une visibilitt d'une reconnaissance qui existent dans peu d'autres pays. Par exemple, en Allemagne, les noms des traducteurs de sciences humaines ne sont jamais citdans les notes et les bibliographies [9], alors que c'est l'usage en France et souvent une nssitdans la mesure osieurs traductions existent d'un m auteur (Kant, Hegel, Freud, etc.). Assurnt, le mateur jouit, en France, d'une considtion plus grande qu'ailleurs, oon cherche le contact direct avec l'auteur, au diment de son prntateur, qu'on ignore la plupart du temps comme s'il n'existait pas. Peut-e m l'importance et la visibilitu traducteur sont-elles parfois excessives en France, au point de relativiser l'autorite l'auteur, surtout lorsque la traduction s'accompagne de notes critiques, de prces, de commentaires ou de postfaces. Il n'est pas rare de voir un traducteur assortir un texte traduit d'une introduction monumentale qui fait de ce texte une illustration ou un repoussoir de ses propres ths"enfin, par le biais des traductions, l'tion joue, en France, un rimportant de correctif de l'Universitdans la mesure oest elle, plus d'une fois, qui fait connae des auteurs et des ouvrages nigou mispar les universitaires du domaine concernLes universitaires ont, en effet, fremment tendance riviler les auteurs plus ou moins classiques, par lesquels ils ont marquau cours de leur propre formation, et onsidr les auteurs plus rnts comme de simples rcteurs de notes en bas de page aux textes de Platon ou de Kant. L'innovation intellectuelle passe souvent par les traductions. "iffnces culturelles ""Traduire un texte anger en frans, c'est aussi devoir rndre ertaines exigences du lecteur frans qui restent gralement au-dessous du seuil de conscience. La langue allemande, par exemple, nt plus synthque que la langue franse, la traduction little d'un auteur allemand produit, en re grale, un magma inintelligible de raccourcis et de sous-entendus. Traduire en frans, c'est, dans ce cas, analyser l'original, faire un effort d'explicitation et d'interprtion. Il n'est pas rare qu'une phrase traduite soit deux fois plus longue que celle de l'original. Souvent aussi, l'enchament des phrases appelle par ailleurs l'introduction de formules rhriques qui soulignent le lien entre diffnts membres de phrases. De toute dence, la traduction de philosophes ou de thiciens allemands occupe, en France, une place art qui est liaux diffnces sensibles entre les deux traditions de penset au rque la pensallemande joue dans l'imaginaire frans. Jusque dans le moindre dil terminologique, le traducteur d'un essai allemand en frans avance sur un terrain doublement minsur lequel il daira forcnt ne partie de ses lecteurs. C'est que le public frans est partagntre deux types de lecteurs vigilants, dont les uns se sentent tributaires de la pensallemande, tandis que les autres sont el point mants on rd qu'ils se ment aussi de la pensla plus vigilante venue d'outre-Rhin. Les diffnces entre les deux traditions de penssont d'autant plus dentes qu'il existe de nombreuses parent Chacune des deux cultures semble, ertains moments, faire de l'autre son id, assorti de certaines rrves, mais sans jamais vouloir coider avec le prnt de l'autre. Aux yeux des conservateurs allemands, prminants de la fin du 19e sie jusqu'en 1945, la pensfranse des Lumis reprnte la subversion occidentale, rationaliste, individualiste et positiviste, le contraire d'un ordre substantiel et hirchisAprla seconde guerre mondiale, l'Allemagne s'est progressivement ralliette "bversion occidentale"est alors qu'aux yeux de la pensfranse d'aprguerre, la culture allemande, de Hegel arx, de Nietzsche eidegger et Carl Schmitt, de Schlegel et Novalis enjamin, a reprntne profondeur mphysique inquinte pour certains, infiniment sisante pour d'autres. Elle est devenue un puissant argumentaire en faveur du refus de la prose moderne. Cette fascination franse pour le passllemand a m fini par reltimer certains de ces auteurs en Allemagne. Inversement, les penseurs frans ne se sont gu intssaux auteurs allemands proches de la "bversion occidentale"ils pratiquaient eux-ms. Kant est sans doute l'une des rares exceptions, mais le plus souvent dans la mesure oit interpr dans un sens positiviste et conservateur. Lorsqu'on s'est durne l'influence allemande, artir des ann 1980, c'est plut'influence anglo-saxonne (aquelle seront annexFrege, Carnap ou Wittgenstein) qui a pris le relais. De ce point de vue, la pensallemande it alors globalement identifi'inspiration romantique, passte et antidcratique. Par le biais des traductions, c'est donc aussi le dt intellectuel qui est alimentntre les deux cultures. Plusieurs strates sont possibles dans ce contexte, notamment celle de confirmer les attentes ou d'en prendre le contre-pied"celle de combler un public fid ou d'iller la curiositles teurs ayant gralement tendance e pas prendre trop de risques. Le probl du traducteur, probl intellectuel, est diffnt"il s'agit pour lui de faire passer des id ites dans et pour un contexte prs, dans un autre contexte, gralement ignorar l'auteur traduit. Il lui faut donc, par ses choix terminologiques comme par ses ntuelles annotations, tenter d'ter les malentendus qui le guettent aux endroits les plus inattendus, mais il ne peut pas tout prir. Les connotations politiques, notamment, ne sont pas les ms dans les diffntes cultures. Lorsqu'un auteur amcain ou allemand se rame du "blisme"tique, le lecteur frans moyen y dle une prise de position venant de la "oite"'iquier politique, dont il se me bien souvent, tandis qu'Amcains et Allemands se situent par l "uche"cde l'ouverture d'esprit, du refus du dogmatisme et de l'autoritarisme. De m, "tion"France, renvoie gralement aux principes rblicains, tandis qu'en Allemagne le terme est plus fremment associ un nationalisme pervers. D'une fa grale, la prise de conscience des Allemands, effectupar paliers de 1945 968 et gralisdepuis, a rendu ds, en Allemagne, un certain nombre d'id fortes de la tradition allemande, de Heidegger arl Schmitt, qui ont longtemps conservt conservent encore, en France, un prestige intact, les Frans n'ayant pas eu rocr n examen aussi scrupuleux de la tradition ou considnt que les Allemands allaient trop loin dans leur examen de conscience. Ce dlage est l'une des principales sources de malentendus entre les deux cultures. Gr a connaissance de plusieurs cultures, l'auteur d'un essai peut, jusqu'n certain point, anticiper les probls du traducteur. Le traducteur est cependant, en re grale, celui qui les rencontre en premier lieu et qui se rend compte du fait que l'auteur, prisonnier jusqu'n certain point de son propre univers culturel, s'exprime en fonction de sa familiaritrivilavec la culture aquelle il appartient. Il en est ainsi pour les termes et, bien entendu, pour les probls qu'ils quent ou suscitent. C'est ainsi qu'une pensfortement ancrdans sa culture d'origine peut ne susciter qu'un intt mocre dans une autre ou, parfois, e mieux re au-dele ses frontis que dans son propre pays. Le traducteur ne peut altr la pens mais l'aider rouver sa rnance, dans la mesure or les termes employ il rapproche cette pensde celle d'auteurs de la culture cible. Il s'en fait l'interpr auprd'un autre public, celui, en fait, qu'il connaen vertu de sa familiaritvec la langue dans laquelle il traduit, avec le public qui la parle et avec la culture qu'il partage. "hoix et strates du traducteur ""Cette familiaritst demment ce qui risque de manquer au traducteur qui traduit dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle, dans une culture dont les habitudes tacites risquent souvent de lui apper. La pratique de la traduction et le contact avec d'autres traducteurs qui attirent son attention sur ses lacunes sont tout au plus, pour lui, des ments d'initiation 'autre culture. Mais cette initiation risque toujours de venir trop tard pour lui confr le statut de mateur de l'auteur auprdu public autochtone. Pour toutes ces raisons, le traducteur venu d'une autre langue maternelle ne pourra e que l'exception. Il est prrable et plus normal que la demande de traduction vienne de l'teur de la langue cible. Une traduction doit correspondre n besoin, n intt. Elle peut e sugge, mais non impos Souvent, des teurs angers proposent aux teurs frans des livres qui ont connu le succdans leur pays"ils oublient que de tels succne sont pas toujours transposables. Destin des lecteurs diffnts, il est frent qu'un livre de sciences humaines ou de philosophie n'ait, dans sa traduction, ni la m forme ni le m contenu que l'original. Certains livres sont trop gros et, en vttrop redondants pour e traduits dans leur intalitUn auteur apprans son pays peut se permettre une telle redondance"le public de la traduction ne lui pardonne ni les rtitions ni le prix d'un livre inutilement volumineux [10]. Certains recueils d'articles sont composde textes trop hroclites pour intsser les lecteurs d'un autre pays, alors m que certains textes bien choisis peuvent les intsser de pr[11]. En revanche, il est parfois judicieux de composer un recueil anthologique pour donner 'autre culture une idd'un ensemble de recherches, d'un courant ou d'un contexte de discussion [12]. Aucun de ces ouvrages ne sera compose la m fa que dans sa version originale. Trfremment, le titre d'un ouvrage original n'est pas directement transposable dans la traduction. Le traducteur a souvent trop tendance onserver le titre original. C'est fremment l'teur qui pressent le risque d'une mnte due au choix d'un mauvais titre, inintelligible, trop compliquphonquement rrbatif, etc., par fidtxcessive 'original. Le probl des titres rme in nuce la difficulte la traduction. À travers un titre, un livre instaure une complicitvec son public d'origine. La plupart du temps, un titre trop littlement traduit tombe lat [13], bien qu'il soit souhaitable de transposer un bon titre synthque qui rme l'idcentrale d'un livre. Nul ne contestera que, comme un livre original, une traduction est faite pour intsser le public auquel elle est destin Seulement, elle confronte souvent le lecteur n mode de pensqui lui est plus ou moins anger, qui heurte des habitudes de pens des "ntalit'fondnt ancr, des prg Dans le cas d'une oeuvre littire, ce caract anger ou cette angeteut avoir un charme exotique. Dans le cas d'une oeuvre de rexion, elle risque de provoquer une g ou des rtions d'hostilitmais elle peut aussi ouvrir des perspectives, ondition que le besoin s'en fasse d sentir, sans quoi le public fera la sourde oreille au point de vue anger. Il se peut cependant aussi que l'ouvrage d'un auteur anger, mais qui dispose d d'une solide rtation dans le contexte culturel dans lequel il est traduit, bficie de cette notori et que ses arguments soient accept Il se peut encore que le traducteur, bficiant lui-m d'une certaine autoritn tant qu'auteur, puisse faire connae un inconnu anger. Dans de tels cas, le caract classique de l'auteur traduit ou le statut d'auteur reconnu au traducteur lui permettent de faire passer des id encore mal admises, parfois plus efficacement que ne le pourrait une oeuvre originale." "OTES "[1] J'ai pu en faire l'expence en traduisant plusieurs ouvrages en allemand, alors que je me trouvais aris. J'ai alors oblige me faire envoyer certaines traductions allemandes d'auteurs fremment cit qui ne se trouvent pas en France. [2] Voir Jean-Renadmiral, Traduire"ths pour la traduction, Paris, Payot, 1979, p.". [3] Ibid., p.". [4] Ibid., p.". [5] Walter Benjamin, "a te du traducteur"s OEuvres, trad. M." Gandillac et R."ochlitz, Paris, Gallimard, 2000, t." [6] Willard Van Orman Quine, Le mot et la chose, trad. J."opp et P."ochet, Paris, Flammarion, 1977, p."-126. [7] Pour ces deux probls, je renvoie on essai sur "e traduisible et l'intraduisible"u dans le t."de L'Encyclope philosophique universelle, par J.-F."att Le discours philosophique, Paris, PUF, 1998. [8] W."enjamin, "a te du traducteur" [9] En revanche, dans le domaine littire, les noms des traducteurs allemands de Proust, de Joyce ou de Beckett sont connus au m titre que des noms d'ivains. [10] Directeur, il y a quelques ann, de la collection "hies"ai dander artin Seel d'abrr son livre L'art de diviser. Le concept de rationalitsthque, ce qu'il fit sans trop de difficult(Armand Colin, 1993). [11] C'est dans cet esprit que j'ai propos Habermas de ne traduire, de Die postnationale Konstellation, que les textes directement liau titre de l'ouvrage, ce qu'il accepta. Les essais furent traduits sous le titre Aprl'at-nation. Une nouvelle constellation politique (Fayard, 2000). [12] Thies esthques aprAdorno (Arles, Actes Sud, 1990) serait un exemple ou Dt sur la justice politique de Rawls et de Habermas, (Le Cerf, 1997)"ce dt a rlement eu lieu, mais n'existe en volume qu'en France, les textes originaux nt publien revue. [13] Die Einbeziehung des Anderen de Habermas aurait dappeler L'inclusion de l'autre. Ce titre suscita le scepticisme de l'teur. Le public frans it trop peu familiarisvec ce terme sociologique. L'intation pouvait servir d'ivalent 'inclusion"restait raduire l'autre. Ce fut finalement L'intation rblicaine qui fut choisi, pour proposer un autre concept de rblique (Fayard, 1998). La "publique"ouvait ici avoir qu'un sens kantien et cosmopolite. "" Cairn.info 2009 Vie priv| Conditions d'utilisation | Conditions grales de vente Cairn.info | iteurs | Bibliothes | Aide a navigation | Plan du site | Raccourcis Retour en haut de page Ici s'achve le contenu de la page, la suite ne concerne que les attributs d'affichage [1] J'ai pu en faire l'expence en traduisant plusieurs ouvra...[suite] [2] Voir Jean-Renadmiral, Traduire"ths pour la tradu...[suite] [3] Ibid., p.". [4] Ibid., p.". [5] Walter Benjamin, "a te du traducteur"s OEuvres, t...[suite] [6] Willard Van Orman Quine, Le mot et la chose, trad. J."opp ...[suite] [7] Pour ces deux probls, je renvoie on essai sur "e tr...[suite] [8] W."enjamin, "a te du traducteur" [9] En revanche, dans le domaine littire, les noms des tradu...[suite] [10] Directeur, il y a quelques ann, de la collection "h...[suite] [11] C'est dans cet esprit que j'ai propos Habermas de ne tra...[suite] [12] Thies esthques aprAdorno (Arles, Actes Sud, 1990)...[suite] [13] Die Einbeziehung des Anderen de Habermas aurait dappel...[suite]