Dans L'essence du christianisme, Ludwig Feuerbach jette les bases d'une critique philosophique de la religion chrétienne qui vise pour l'essentiel à mettre en lumière le mode de constitution spécifique de l’illusion religieuse. Celle-ci relève d'un processus complexe d'objectivation aliénante selon lequel l'homme n'accède paradoxalement à la conscience de soi qu'à partir de la fiction projective d'un Autre que soi, Dieu, posé comme sa garantie ontologique et pratique. L'analyse de ce processus « renversant » et de la dialectique du sujet et de l’objet qui le sous-tend revient à mettre en évidence le fondement anthropologique de la conscience religieuse ; mais elle débouche également sur le thème problématique d’une religion de l’Homme où s’alimentent les figures modernes de l’ « humanisme athée » (H. de Lubac). The article aims to examine the sort of philosophical critic of religion that Feuerbach notably offers in L’essence du christianisme. This critic is about the production of religious illusion wich depends on a paradoxal objectivation and alienation process : man’s selfconsciousness is accompanied by the projection of a fictitious Other (God), considered as its ontological and practical guarantee. By analyzing this reversal process and its subject-object dialectics, Feuerbach points out the anthropological foundations of religious consciousness, but he also develops the problematic theme of a mankind’s religion, wich is at the origin of modern “atheistic humanism” (H. de Lubac). 2 Cette citation peut être lue comme l’énoncé a parte subjecti d’une sorte de « loi des trois états », au sens où Comte en formulait l’exigence à l’ouverture du Cours de philosophie positive (strictement contemporain de L’essence du christianisme6) : le premier état, l’état théologique de la pensée de Feuerbach, représenterait ainsi le stade infantile de son développement intellectuel ; le deuxième état, rationaliste, ou encore « hégélien », serait celui où il se serait laissé éblouir par la puissance de synthèse de la spéculation hégélienne jusqu’à ce que ce rationalisme intégral lui apparaisse n’être en définitive qu’une théologie déguisée, qui s’ignore elle-même. C'est alors qu'il devient clair pour lui que « si l’on n’abandonne pas la philosophie de Hegel, on n’abandonne pas la théologie »7. Cette conviction lui permet d’accéder enfin à l’état anthropologique de sa réflexion où, une fois « renversée » volet de l’Encyclopédie) qui marque et montre le progrès de la conscience de soi de l’humanité. C’est pourtant Feuerbach qui devait donner à cette problématique d’époque à la fois son prolongement et sa torsion les plus originaux. Pour s’en convaincre, il faut donc maintenant se demander quelle est précisément la signification de la critique de la religion, et tout particulièrement de la religion chrétienne, qui est entreprise dans L’essence du christianisme. Cette mise à jour des présupposés de sa démarche devrait notamment nous permettre de pointer l’un de ses axes déterminants, qui concerne la constitution de l’illusion religieuse, ou le moment de l’objectivation aliénante. Il restera alors à montrer comment l’analyse du fondement anthropologique de la religion (de la conscience religieuse) débouche chez Feuerbach sur le thème et le programme – problématiques – d’une religion de l’Homme. 5 L’objectif principal poursuivi par Feuerbach dans L’essence du christianisme est de rendre compte du mécanisme d’élaboration de l’objet religieux, c’est-à-dire d’expliciter comment « Dieu » en vient à être posé comme un être transcendant, radicalement autre que l’homme. Par là, Feuerbach entend dévoiler le fond anthropologique de la conscience religieuse, c’est-à-dire de la religion elle-même. Cette entreprise de « dévoilement » donne immédiatement la mesure de la nature herméneutique du projet feuerbachien d’une critique de la religion : il ne s’agit pas en effet de montrer (seulement) que la religion se trompe, mais bien plutôt qu’elle se méconnaît elle-même, c’est-à-dire qu’elle méconnaît sa part de vérité – anthropologique. Ramener la religion à son fondement anthropologique, c’est ramener la figure d’un Dieu transcendant, absolument extérieur à l’ordre humain, à la figure d’un Dieu de et pour l’homme, la conscience religieuse de l’homme mais au contraire la manifestation ce qu’il y a de vrai en elle, c’est-à-dire de ce qu’il y a de divin en l’homme lui-même – et qu’il serait par conséquent illusoire d’aller chercher en dehors ou au-delà de l’homme, dans l’ordre extérieur d’une transcendance divine. Il s’agit donc véritablement d’une entreprise critique, au sens kantien de ce terme : car Feuerbach s’attache en définitive à définir les limites à l’intérieur desquelles la conscience religieuse reçoit une certaine légitimité et peut avoir un sens positif. Ces limites, ce sont celles de l’humanité. L’homme se trompe (il entre en contradiction avec lui-même, et voile sa propre essence) lorsqu’il investit ses pensées et ses sentiments, sa raison et son cœur, dans un être transcendant, absolu, qui dépasse sa propre mesure ; il convient donc de ramener la religion dans les limites de la simple humanité, en analysant les motivations qui incitent l’homme à franchir ses limites et, ainsi, à se méconnaître lui-même, en s’aliénant sa propre essence. 7 Dans ces conditions, on comprend pourquoi Feuerbach a pu un moment envisager de donner comme titre à L’essence du christianisme : Connais-toi toi-même, ou la vérité de la religion et l’illusion de la théologie. La structure même de cet énoncé, basé sur la reprise du topos socratique du « Gnauti seauton », définit clairement les enjeux de la démarche de Feuerbach et éclaire la structure bipartite de son ouvrage. Une première partie, intitulée « L’essence authentique [das wahre Wesen], c’est-à-dire anthropologique de la religion », s’attache en effet à dégager la vérité inhérente au phénomène religieux, en tant qu’il est un phénomène dérivé intégralement de la conscience humaine. Ce premier moment de l’analyse conduit notamment Feuerbach à identifier les conditions d’une vie authentiquement religieuse : ce n’est que par la connaissance de ce qu’il est vraiment (non pas seulement individu mais représentant de l’espèce humaine ou du genre humain dans son ensemble) que l’homme peut parvenir à l’élucidation la plus authentique de ce qui est divin en lui. La vérité de la religion ne se trouve donc pas dans la religion elle-même, en Dieu, mais dans le rapport religieux, c’est-à-dire imaginaire, que l’homme entretient avec sa propre réalité. Or, cette vérité anthropologique de la religion ne peut se dévoiler qu’à partir d’un travail réflexif, à la fois critique et généalogique, portant sur les ressorts théologiques de l’illusion religieuse, qui occupe alors la seconde partie de L’essence du christianisme, consacrée précisément à analyser, sous le titre « L’essence inauthentique [das unwahre Wesen], c’est-à-dire théologique, de la religion », les formes que prend, dans la perspective d’une métaphysique de la religion, l’autonomisation théorique de l’être de Dieu par rapport à l’être de l’homme, alors même que celui-là procède intégralement de celui-ci. Ce passage du vrai au non-vrai, d’une religion fondée sur la réalité de l’homme à une religion fondée sur la raison spéculative, est d’ailleurs explicitement thématisé par Feuerbach d’un point de vue « historique », au début de la deuxième partie de L’essence du christianisme : « Lorsque la religion avance en années et avec les années progresse en entendement, lorsqu’à l’intérieur de la religion s’éveille la réflexion sur la religion, lorsque commence le crépuscule de la conscience de l’unité de l’essence divine avec celle de l’homme, bref, lorsque la religion devient théologie, alors la séparation originairement innocente et involontaire de Dieu et de l’homme devient une distinction intentionnelle, érudite, qui n’a d’autre but que l’évacuation hors de la conscience de cette unité qui s’y est déjà introduite. »15. 8 Le progrès historique de la religion, qui culmine dans la conversion spéculative du contenu religieux en sens théologique, représente donc en réalité, du point de vue de l’analyse feuerbachienne, une régression. Plus la conscience religieuse, immédiate, spontanée, devient médiate, discursive, rationalisante, plus se creuse l’écart entre l’homme et Dieu, plus la conscience de soi de l’homme s’opacifie et se voile. L’essence du christianisme se propose donc de retracer ce « progrès » paradoxal de la religion, en insistant sur ce qui l’éloigne de son essence authentique, soit de sa propre origine16. On comprend ainsi l’ordre d’exposition choisi par Feuerbach : la deuxième partie de son ouvrage montre comment les principes anthropologiques élaborés dans la première partie se trouvent non seulement occultés mais mis en contradiction dès que l’on quitte le niveau de la conscience ordinaire et que la raison s’empare de la représentation 9 Sur le plan méthodologique, cette analyse critique implique que l’on sorte de la sphère d’appartenance du religieux pour en exprimer la vérité et en délimiter ainsi l’espace de légitimité. C’est ce que l’on pourrait appeler le paradoxe épistémologique de la religion, à partir duquel se trouve justifiée pleinement la nature herméneutique de l’entreprise de Feuerbach18. Ce paradoxe s’énonce très simplement sous la forme suivante : comme structure illusoire du rapport de l’homme à soi, la religion se méconnaît nécessairement elle-même. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour mieux le comprendre, il est possible de partir de tel énoncé feuerbachien : « La conscience de Dieu est la conscience de soi de l’homme »19, où se condense en quelque sorte la visée théorique de L’essence du christianisme. Cet énoncé ne peut être validé au niveau de la conscience religieuse elle-même, qui n’est conscience de Dieu que comme d’un autre que l’homme (c’est ce que Feuerbach désigne dans la citation précédente comme la « séparation originairement innocente et involontaire de Dieu et de l’homme »). Pour l’homme ordinaire, en effet, l’identité entre conscience (de Dieu) et conscience de soi n’est pas donnée directement ; elle reste nécessairement implicite, c’est-à-dire qu’elle reste à expliciter dans une pensée critique, non religieuse, de ce qu’est la religion dans son essence (et non plus dans sa seule existence factuelle, historique). La religion repose donc en principe sur l’occultation et la déformation de la conscience de soi de l’homme, qui n’est pas d’abord posée pour elle-même, mais effacée ou masquée par une conscience d’autre chose que soi (Dieu) qui la déborde infiniment et où l’homme ne peut pas spontanément se reconnaître lui-même. Par conséquent, si « la religion est la première conscience de soi de l’homme »20, cela signifie que l’homme ne prend conscience de lui-même qu’en faisant un détour par Dieu, soit en se mettant à distance de lui-même et en se dissimulant ainsi à lui-même ce qu’il est réellement. C’est ce paradoxe qui fonde la démarche « historico-philosophique »21 de Feuerbach : il faut partir à la découverte de l’essence de l’homme, telle que celle-ci est à la fois méconnue et présente dans la religion. On retrouve ici l’exigence du « Connais-toi toi-même », qui invite chaque homme à un travail sur soi qui est un travail de réappropriation réflexive de sa propre humanité (subjective et objective, individuelle et générique), provisoirement aliénée en Dieu. Ce paradoxe épistémologique, selon lequel l’occultation, par la religion, de sa propre essence (anthropologique), est sa condition de possibilité la plus irréductible (ou encore selon lequel la conscience religieuse est structurellement irréfléchie), emporte dans l’esprit de Feuerbach deux conséquences majeures. 10 La première concerne le statut d’une vraie critique de la religion. Feuerbach établit en effet que l’« évolution historique des religions » ne suffit pas à produire par elle-même une prise de conscience progressive de l’essence authentique, anthropologique, de toute religion. Au contraire, il semble que l’essence de la religion soit de se prémunir contre l’illusion fondamentale qui garantit la croyance religieuse. La critique de telle ou telle religion ne correspond pas à la critique de la religion en tant que telle, dans la mesure où elle se fait toujours du point de vue d’une religion déterminée. Si donc la connaissance que l’homme a de lui-même paraît quand même marquer des progrès significatifs lorsque par exemple le christianisme critique le paganisme et, qu’au sein même du christianisme, le protestantisme critique le catholicisme, ces progrès sont tout à fait relatifs, dès lors qu’ils se bornent reconduire dans son opacité le contenu propre de toute religion (Dieu), au moment même où celui-ci paraît avoir été identifié (comme humain). C’est pourquoi, pour prendre conscience véritablement de cette connaissance de l’homme déposée au cours des siècles dans les différentes religions qui se sont succédées, il convient de passer à un autre niveau d’explicitation de la religion, qui ne concerne plus tant la forme déterminée de telle ou telle religion, mais son contenu substantiel. A la critique religieuse de la religion, qui accompagne l’histoire même des religions, il convient donc de substituer une critique philosophique de la religion, seule susceptible de « pénétre[r] l’essence cachée à elle-même de la religion »22, c’est-à-dire de dégager ou même de démonter la structure objective de l’illusion qu’elle produit par essence. 11 A partir de là, il est possible également comprendre l’intérêt particulier que Feuerbach porte à la religion chrétienne, au christianisme. En un sens, cette forme moderne de la religion est sans doute celle qui exprime le mieux le paradoxe exposé plus haut. L’homme y est en effet tout prêt d’accéder à sa propre vérité, à sa propre conscience de soi, puisqu’à travers la figure du Christ, incarnation de Dieu sous une figure humaine, s’établit de manière définitive « la relation de l’homme à lui-même ». Et pourtant, cette vérité demeure encore méconnue : car tant que l’on demeure dans la sphère religieuse, la relation immanente de l’homme à lui-même est posée comme une relation transcendante de l’homme à Dieu, « relation de l’homme à lui-même, ou plus exactement à son essence, mais à son essence comme à un autre être »23. Telle est sans doute l’ambiguïté de la Réforme aux yeux de Feuerbach. Celui-ci insiste en effet régulièrement sur l’importance de la Réforme dans le développement même de la religion chrétienne. C’est le cas notamment dans cette note de L’essence du christianisme, portant sur le « Mystère de l’incarnation », et dans laquelle Feuerbach joue d’une certaine manière Luther contre Augustin : « Le mode religieux ou pratique de l’humanisation [de Dieu] fut le Protestantisme. Seul le Dieu qui est homme, le Dieu humain, c’est-à-dire le Christ, est le Dieu du Protestantisme. Le Protestantisme ne se préoccupe plus, comme le Catholicisme, de ce qu’est Dieu en lui-même, mais seulement de ce qu’il est pour l’homme ; […] il n’est plus théologie – il est essentiellement Christologie, c’est-à-dire anthropologie religieuse. »25. 13 Il y a donc incontestablement un progrès dans l’histoire des religions, et à l’intérieur même du christianisme. Mais le Protestantisme lui-même ne peut s’exclure de la forme religieuse de la vérité anthropologique, qui maintient en dernière instance la relation d’extériorité réciproque entre Dieu et l’homme : la référence à un « au-delà » est maintenue, elle n’est pas encore ramenée à « l’ici-bas de la philosophie »26, c’est-à-dire à la dimension d’une véritable anthropologie non-religieuse, sans Dieu, a-thée en ce sens très précis. L’« essence du protestantisme », qui s’identifie à l’essence du christianisme, c’est donc l’humanisme feuerbachien. C’est dans une philosophie de l’homme sans Dieu que la religion, toute religion en fait, trouve sa vérité et son sens ultimes. 14 Une fois précisé le cadre théorique et méthodologique de la démarche de Feuerbach, il reste alors à comprendre comment se constitue précisément de l’intérieur l’illusion religieuse : selon quel mécanisme se produit cette méconnaissance de l’essence de l’homme par l’homme lui-même ? Comment l’homme en vient-il à s’aliéner en un autre que lui, alors même qu’il cherche spontanément à prendre conscience de lui-même ? 15 Pour Feuerbach, la religion repose essentiellement sur la distinction entre l’homme en tant qu’individu et l’homme en tant qu’être générique (l’essence humaine en général), et, plus précisément, sur la séparation imaginaire entre ce que l’homme est individuellement et sa propre essence qu’il met à distance de lui-même en l’hypostasiant sous la forme de Dieu. Tout ce que l’homme attribue à Dieu, toutes les déterminations de l’être divin, il convient donc de les lui attribuer à lui-même, en inversant ainsi le processus religieux pour le ramener à son origine anthropologique. A ce compte, élucider l’essence de la religion, c’est rendre compte de l’institution imaginaire de Dieu. Du coup, la relation première de l’homme à Dieu doit être ramenée à une relation de l’homme à lui-même, et plus précisément à une relation de l’individu humain à son essence. Feuerbach établit en effet dans le chapitre 1 de l’introduction à L’essence du christianisme, que l’homme se saisit comme fini à travers l’actualisation limitée (individuelle) de ses pouvoirs infinis que sont « la raison, la volonté et le cœur »27 : il transfère donc en Dieu sa propre infinité, coïncidant avec celle de l’homme générique, faute de pouvoir la réaliser pleinement en lui-même28. Dieu devient alors le support commode de l’infinité de la faculté de penser et du sentiment : il est le fantasme de cette infinité et l’image renversée de la finitude qui est le lot de chaque être humain. De sorte que la source de l’illusion religieuse se trouve dans le besoin d’inconditionné qui habite l’homme et qui lie réellement l’homme à lui-même, même s’il lie imaginairement l’homme à Dieu29. Du point de vue d’une critique de la religion, faire apparaître le ressort illusoire de cette projection en Dieu des qualités infinies du genre humain, cela revient donc à restituer à l’homme toutes ces qualités qu’il attribue spontanément à Dieu : plus Dieu est conforme au désir de la conscience religieuse, plus il exprime l’essence authentique de l’homme – même si c’est toujours sous une forme religieuse, donc imaginaire et inconsciente d’elle-même. Une fois identifiée l’origine de la religion (l’écart entre le fini et l’infini humain, la scission entre l’homme dans la nature et la nature de l’homme), il faut en démonter le mécanisme, pour faire apparaître comment cette illusion produit une auto-aliénation de la conscience religieuse à partir de son redoublement spéculaire. 16 Feuerbach a souvent décrit le processus suivant lequel l’homme en vient à s’aliéner lui-même dans la figure d’un Dieu illusoire. Cette description permet de comprendre en quoi consiste « le mystère de la religion »30, c’est-à-dire comment, dans la religion, les qualités réelles et essentielles de l’homme se trouvent déniées ou relativisées en passant au crédit de Dieu – tout en paraissant ainsi exaltées et portées à l’absolu. Nous nous attacherons ici à deux formulations complémentaires de ce processus de production subjective de Dieu – qui renvoient à la manière dont Dieu est produit par une subjectivité humaine littéralement sublimée et, corrélativement, à la production d’un Dieu-Sujet (il s’agit en réalité des deux extrêmités d’un même processus). 20 On retrouve ces différents caractères constitutifs de l’illusion religieuse dans la formulation qu’en donne une dizaine d’années plus tard l’introduction de L’essence du christianisme. Cette seconde formulation est plus ramassée et moins imagée, plus rébarbative en un sens que la précédente. Elle a pourtant l’avantage de mettre l’accent sur un élément décisif – l’aliénation qui accompagne la genèse anthropologique de Dieu : « L’homme – tel est le mystère de la religion – objective son essence, puis à nouveau fait de lui-même l’objet de cet être objectivé, métamorphosé en un sujet, une personne. »34. 21 La thèse de la « projection » se trouve ici clairement articulée en deux moments distincts. Le premier moment consiste dans l’objectivation par l’homme de sa propre essence. Cette objectivation, comme nous l’a rappelé l’image (poétique ?) de la sudation35, s’opère spontanément (involontairement et nécessairement) et correspond seulement au mouvement par lequel la conscience se pose elle-même dans le monde (pour dire les choses en termes sartriens, toute conscience est conscience de quelque chose, par où elle est conscience (de) soi). C’est seulement à partir d’un second moment qu’une structure d’aliénation se met en place : par le biais de ce redoublement de l’objectivation, l’être qui s’objective en objectivant sa propre essence devient prisonnier de cette forme objective, spéculaire, de lui-même. C’est qu’entre les deux moments, se produit une « mystérieuse » métamorphose de l’homme-objet en Dieu-sujet (aussi « mystérieuse » que l’apparition de Dieu dans les vapeurs du Soi). Comme l’écrira encore Feuerbach dans les Principes de la philosophie de l’avenir, « Dieu cesse d’être objet de l’homme pour devenir sujet […] de l’homme »36. L’homme n’accède ainsi à sa propre essence qu’à travers cet être fictif, dans lequel il a projeté toutes ses déterminations mais qui, au final, s’oppose à lui comme un autre être. L’aliénation tient tout entière dans ce processus d’autonomisation et d’altération de l’objectivité humaine, redoublée et retournée en subjectivité divine : tout se passe comme si l’homme ne pouvait se poser qu’en s’opposant à la fois le même et l’autre que lui-même. Sa propre objectivité se sépare de lui pour devenir un principe extérieur, transcendant, sous la dépendance – ontologique et pratique – duquel il se place lui-même. 24 Cette opposition entre deux modalités de l’objectivation religieuse recoupe la distinction entre le point de vue irréfléchi qui caractérise d’abord la religion et le point de vue de la « réflexion sur la religion » qui est l’œuvre des philosophes (et tout particulièrement de Hegel)39. D’un côté, l’homme a affaire à un Dieu concret, dont l’essence s’impose à lui comme une certitude immédiate, comme une évidence, dans la mesure où, sans qu’il en ait clairement conscience, cette figure divine n’est que le reflet – ou l’expression – de ses propres qualités sensibles (l’existence, l’amour, la sagesse, la volonté, la bonté). De l’autre, les philosophes et les théologiens construisent un Dieu abstrait qui répond seulement aux exigences de l’entendement ou de la raison et qui se donne sous l’aspect d’un pur être sans qualités ou d’une Substance indéterminée, sorte de chose en soi inconnaissable. Le paradoxe est alors « Il est ici aussi essentiel de remarquer – et ce phénomène est extrêmement remarquable, puisqu’il caractérise l’essence intime de la religion – que plus Dieu est humain dans son essence, plus grande est apparemment la différence entre lui et l’homme […] et l’humain, en tant que tel objet de la conscience de l’homme, est d’autant plus rabaissé. »42. 27 Il semble donc que le divin ne peut être reconnu dans ce qu’il a de positif et d’essentiel (c’est-à-dire d’humain) qu’en étant posé comme le « négatif » (au sens photographique du terme) de l’homme. Ce rapport d’inversion et de compensation signifie clairement que « pour enrichir Dieu, l’homme doit s’appauvrir ; [et que] pour que Dieu soit tout, l’homme doit n’être rien »43 . Il y a donc ici un double mouvement (toujours irréfléchi pour la conscience religieuse ordinaire) qui aboutit à poser Dieu à partir de l’homme (c’est le mouvement de la projection-aliénation de l’homme en Dieu) et, complémentairement, à nier l’homme à partir de Dieu. Tout se passe comme si l’homme avait à se renier lui-même pour que Dieu puisse être affirmé dans sa supériorité ontologique. L’homme se soumet en effet de lui-même à ce sujet illusoire qu’il a en réalité créé et placé hors de lui-même. Créateur, thaumaturge sans le savoir de cette super-créature qu’est Dieu, il s’y assujettit à son tour comme une créature à son Créateur. Ce renversement de perspective et cet échange des rôles tient à ce que la projection en Dieu des déterminations essentielles de l’homme n’aurait aucun sens ni aucun intérêt si Dieu devait n’être qu’un redoublement de l’essence humaine. Pour que Dieu conserve une véritable supériorité sur l’homme, il faut donc qu’il soit plus et autre qu’humain, il faut que l’homme se prive lui-même de ce qu’il accorde à Dieu. C’est l’abnégation de l’homme qui devient la source et le principe de la grandeur de Dieu. 28 Encore faut-il préciser une nouvelle fois que l’homme religieux n’a pas conscience lui-même de perdre réellement ce dont il se prive puisqu’il en jouit encore plus intensément à travers Dieu. La logique religieuse est donc bien une logique de « sublimation », fondée sur la compensation : l’homme se met en position de recevoir en retour de Dieu ce qu’il lui a d’abord donné et qui s’est trouvé, ainsi transposé, exhaussé et magnifié. La figure de Dieu ne fait pas qu’absorber l’essence de l’homme ; comme un miroir, elle la réfléchit et renvoie ainsi à l’homme, même si c’est à son insu, sa propre image, d’autant plus admirable qu’il s’y reconnaît lui-même : 29 La logique du sacrifice, qui est une logique du don, peut s’illustrer à travers le cas singulier du vœu de chasteté qui accompagne l’existence monacale : ce point est développé par Feuerbach au chapitre 16 de la première partie de L’essence du christianisme, intitulée « La signification chrétienne du célibat volontaire et du monachisme »45. Le vœu de chasteté y est décrit comme un sacrifice de la sensibilité réelle au profit d’une figure idéalisée du divin (la « Vierge céleste » pour les moines et « Dieu » lui-même pour les nonnes). De la femme ou de l’homme réels à la Vierge Marie ou à Dieu, du plaisir sensuel à une jouissance désexualisée une transposition s’opère ici, qui vient marquer à la fois l’écart absolu qui sépare l’homme de Dieu et la proximité absolue qu’ils peuvent entretenir dans la relation sacrificielle : selon un schéma qui anticipe l’analyse par Freud de ce qu’il appellera l’« idéal du moi », ce qui est refusé sur le plan de la réalité est reconduit de manière idéale, sur le plan imaginaire. C’est ainsi paradoxalement la négation par l’homme de sa propre réalité qui garantit la réalité absolue de Dieu. La première est purement et simplement échangée au profit de la seconde : et cet échange produit une valeur ajoutée. La logique du sacrifice, qui est présentée ici comme celle du don de sa propre personne sensible, est ainsi ambivalente : d’un côté, l’homme se rabaisse et s’humilie devant Dieu, c’est une négation de l’homme qui doit en quelque sorte retrancher de sa personne sa propre sensibilité, car « l’amour sexuel est dans le christianisme un principe profane, exclu du ciel »46.. Mais d’un autre côté, consentir à un tel sacrifice de sa sensibilité contribue à élever l’homme au-dessus de lui-même, en le portant vers sa propre essence idéalisée : 30 En définitive, le chrétien ne sacrifie à Dieu que ce qui, à ses propres yeux, a une valeur exceptionnelle et le représente ou exprime le plus adéquatement son essence. Feuerbach insiste encore sur cette idée dans les Thèses provisoires : « Le nom de Dieu n’est que le nom de ce que l’homme tient pour la puissance suprême, l’essence suprême, le sentiment suprême et la pensée suprême. »48. 31 Mais en donnant à Dieu un nom qui revient à l’homme ou en sacrifiant sa propre sensibilité sur l’autel de l’Agapè divine, l’homme ne s’en prive qu’en apparence ; en réalité, cette privation a pour revers positif la sacralisation de ce qui est le plus précieux à l’homme, puisque « quoi qu’il nomme ou exprime, l’homme n’exprime jamais que sa propre essence »49. Dans le sacrifice s’opère ainsi un véritable tour de passe-passe : le sensible ou le contenu anthropologique de tout langage ne sont pas purement et simplement niés ; ils sont au contraire secrètement réhabilités, ou encore récupérés, mais sous une autre forme, à la fois imaginaire et supérieure. Tout ce qui a de la valeur pour l’homme passe en Dieu, où cette valeur est élevée à la puissance. Par un subtil renversement de perspective, propre à l’illusionnisme caractéristique de l’opération religieuse, Dieu devient la garantie suprême des valeurs humaines. Feuerbach résume en un raccourci saisissant ce paradoxe lorsqu’il écrit que « l’homme affirme en Dieu ce qu’il nie en lui-même »50. Dieu n’est ainsi qu’une médiation idéalisée entre l’homme et lui-même ; et la religion n’est que la transposition, dans l’imaginaire, du rapport réel et impossible à la fois que l’homme entretient avec sa propre essence. 32 Dans ces conditions, le principe général de transposition et d’inversion des valeurs prépare et appelle son propre « retournement » critique, c’est-à-dire l’avènement d’une divine humanité. Après que l’homme a affirmé en Dieu ce qu’il nie en lui-même (c’est-à-dire sa propre essence), il lui reste à nier en Dieu ce qu’il peut affirmer en lui-même (c’est-à-dire sa part d’excellence divine) : si l’élan de l’individu vers une transcendance objectivée et apparemment indépendante vide l’immanence subjective de son contenu (de sa substance), la tâche essentielle de la philosophie, tout au moins de la « philosophie de l’avenir », consiste alors à récupérer, en un geste d’immanentisation, ce qui a d’abord été attribué à cette transcendance fallacieusement réifiée et subjectivée. Il faut donc rabattre le Dieu personnel sur le Je désubstantialisé. Dans cette manière de ramener le supérieur à l’inférieur d’où il 33 De ce point de vue, l’analyse du sacrifice occupe une place centrale au sein de l’argumentation de Feuerbach : à elle seule, elle permet de caractériser l’essence de la religion, avec toute son ambivalence. Car, en un sens, le sacrifice marque le comble de l’aliénation en soulignant la dépendance de l’homme à Dieu ; mais en un autre sens, cette aliénation a un ressort éminemment positif, encore irréfléchi sur le plan de la pratique religieuse, mais mis en valeur par l’analyse critique de Feuerbach : c’est toujours en effet sa propre essence que l’homme aliène en Dieu et celle-ci s’en trouve paradoxalement et médiatement préservée et même affirmée. En Dieu, l’homme porte à l’absolu ses propres déterminations. On est ici en pleine dénégation : en se refusant à soi-même, l’homme peut en réalité pleinement jouir de lui-même – en Dieu. Il y a donc deux logiques superposées et même confondues à l’œuvre dans le sacrifice, et qui lui confèrent sa portée anthropologique. Il y a d’une part sa logique manifeste, selon laquelle l’homme se dégrade lui-même pour affirmer la supériorité de Dieu ; et d’autre part, sa logique secrète, latente, selon laquelle l’homme prend, mais de manière encore (ou seulement) négative, la mesure de son essence en l’objectivant dans une figure hypostasiée de lui-même dans laquelle il se reconnaît (car sinon le sacrifice n’aurait aucun sens) tout en se méconnaissant (car sinon l’homme ne chercherait pas à s’humilier devant Dieu). « De même que l’activité artérielle conduit aux extrémités le sang que l’activité veineuse ramène, de même que la vie consiste en une systole et une diastole continuelles, de même dans la religion : dans la systole religieuse, l’homme expulse de lui-même sa propre essence, il se chasse, se rejette lui-même ; dans la diastole religieuse, il reprend dans son cœur l’essence expulsée. »51. 36 Il faut donc distinguer le moment de la « systole religieuse » et le moment de la « diastole religieuse », tout comme il faut distinguer la période de contraction du cœur et des artères et la période de décontraction, de dilatation des ventricules cardiaques. Le premier moment correspond à l’institution imaginaire de Dieu comme source rétroactive d’auto-aliénation pour l’homme : l’essence de l’homme lui devient en effet étrangère en même temps que Dieu se révèle plus intime à lui que lui-même. Pourtant, cette inversion projective ou encore cette identification altérante trouve sa propre limite dans la logique inverse qui, loin de la contredire, la ramène plutôt à ses propres conditions de possibilité. En effet, dans la « diastole religieuse » l’homme se réapproprie son « essence expulsée », c’est-à-dire qu’il se découvre enfin au principe et au fondement de son essence. L’altérité imaginaire (de Dieu) est ainsi reconduite à « La théologie commence par scinder et aliéner l’homme pour réidentifier ensuite avec lui son essence aliénée. »52. 41 Ce « renversement du renversement »56 (théologico-philosophique) du rapport de l’homme à sa propre essence ouvre ainsi la voie à une « philosophie nouvelle », à la « philosophie de l’avenir », établie sur les ruines de la précédente, et qui se propose comme programme rien moins que la défense et l’illustration d’une religion de l’Homme57. Celle-ci est l’autre nom de l’humanisme de Feuerbach. De quoi s’agit-il exactement ? 43 L’homme-Dieu, c’est Dieu qui se fait homme dans le Christ. Mais cette humanisation de Dieu ne correspond en réalité qu’à une vérité tronquée, inversée : car ici, Dieu est sujet et l’homme son attribut (son prédicat). On reste donc prisonnier de l’illusion religieuse : l’être transcendant dans lequel l’homme s’est objectivé devient une sorte de Sujet absolu, alors que l’homme, sujet initial de cette opération, devient simple attribut de ce sujet. L’herméneutique feuerbachienne reprend donc et accomplit l’émancipation de l’homme à l’égard du divin dans l’ordre du réel et non plus dans celui de l’imaginaire. En faisant valoir l’essence anthropologique de la religion, Feuerbach met en valeur l’essence divine de l’homme. C’est ce qui est expliqué dans la suite du même paragraphe : 44 Ce texte est en quelque sorte l’acte de naissance de l’humanisme feuerbachien. Dans le Christianisme, l’homme n’est affirmé qu’à partir du divin, alors que, dans l’humanisme, c’est le divin qui doit être affirmé à partir de l’homme. Ce dernier est ainsi rétabli dans sa position de sujet, et Dieu est reconduit à sa véritable valeur : celle du « nom » que l’homme donne à sa propre essence pour en exprimer le caractère exemplaire. L’humanisme de Feuerbach radicalise donc le christianisme et en ce sens accomplit son essence. Mais en même temps, il en sape le fondement ou le principe constitutif : car le principe du divin n’est pas transcendant à l’homme, il lui est plutôt immanent, c’est-à-dire qu’il exprime la transcendance propre de l’homme, liée à l’infinité de son essence générique. A la religion de Dieu peut ainsi succéder une religion de l’Homme, à entendre comme cette réconciliation de l’humanité avec elle-même, 45 « Homo homini deus est » : l’homme est un dieu pour l’homme61. C’est dans cette formule que s’est concentrée l’essence de humanisme feuerbachien, développé sur le mode d’un « retour du refoulé » chrétien. Le Dieu que le christianisme maintient hors de l’homme, dans un au-delà illusoire, il faut que chaque homme apprenne à le découvrir ici-bas, en lui-même comme dans tous les autres hommes. Dieu n’est donc que l’autre nom de l’homme, ou plutôt le nom de cet autre de tout homme, l’Humanité, qui lie les êtres humains entre eux et, en même temps, les sépare d’eux-mêmes en les rapportant à un infini (un genre d’être) avec lequel ils ne peuvent jamais vraiment coïncider. Le projet feuerbachien de retrouver en l’homme, dans l’immanence des rapports à soi et aux autres, le contenu de la transcendance divine coïncide alors avec le projet de la « civilisation humaine », dont Feuerbach affirme qu’elle « n’a pas d’autre objet 9 Le « renversement spéculatif » et son nécessaire renversement anthropologique (valant alors comme un « renversement du renversement ») sont longuement analysés par Jean-Pierre Osier dans la « Présentation » de la traduction de L’essence du christianisme qu’il a réalisée avec Jean-Pierre Grossein (Paris, François Maspero, 1968 ; Gallimard, « Tel », 1992 – plus loin cité EC). Voir notamment p.45sq. 28 Althusser analyse ce transfert à partir de ce qu’il appelle la « théorie de l’horizon absolu, ou théorie de l’objet comme essence du sujet » : « L’homme est la seule espèce au monde qui ait pour objet sa propre essence parce qu’il a pour objet sa propre espèce. Cette essence lui est donnée par excellence dans la religion, où les trois attributs essentiels de l’homme sont réalisés sous forme d’objet aliéné : la raison, la volonté, le cœur. Cet objet privilégié est le miroir de l’essence humaine, l’essence de l’espèce humaine existant sous la forme de l’objet » (« Sur Feuerbach », op. cit., p.206). 41 Pour cette analyse de la logique du sacrifice et du don, nous renvoyons à notre commentaire intégral du chapitre 2 de l’introduction à L’essence du christianisme (Paris, Ellipses, « Philo-Textes », 2001). 45 Le thème de la chasteté fait également l’objet d’une analyse dans le chapitre 2 de l’introduction à L’essence du christianisme (p.144). 46 Ibid., p.310. Sur ce point, voir Jean Salem, Une lecture frivole des écritures. L'essence du christianisme de Ludwif Feuerbach, La Versanne, Encre Marine, 2003, p.78-87. 60 Althusser note le caractère problématique de cette humanisation progressive du divin au sein d’une pensée qui, soucieuse de rendre l’homme à son essence et à sa nature sensible, exclut l’historicité comme moteur de l’émancipation humaine (« Sur Feuerbach », op. cit., pp.180-181). Sur ce point, Feuerbach se situe bien en-deçà de Hegel, en proie à un naturalisme anthropologique que Marx dénoncera pour rappeler la valeur historique de la praxis humaine (Thèses sur Feuerbach, Thèse III, in G. Labica, op. cit., p.20). 63 Althusser le souligne clairement : « La philosophie nouvelle fondée par Feuerbach ne sort pas de la religion : elle sort des formes aliénées de la philosophie, donc des formes aliénées de la théologie, pour revenir à l’essence de la religion, et pour “dévoiler” l’essence authentique de la religion dans son aliénation propre elle-même » (« Sur Feuerbach », op. cit., p.186). On ne saurait mieux dire que, selon Feuerbach, la vérité philosophique de la religion ne se trouve pas au-delà d’elle (comme chez Hegel), mais en elle-même, dans sa conscience de soi, désoblitérée par le travail herméneutique de Feuerbach : « La philosophie délivre la religion non pas d’un manque, mais d’un masque, de ses œillères, de ses voiles » (p.187). Voir aussi sur ce point l’analyse de Jean-Pierre Osier, « Présentation », in EC, p.70-71