Le premier sens mentionné est parfois subdivisé en un sens principal, celui de lacte dêtre qui résulte des principes de la chose, et en un second sens, celui de lessence selon laquelle la chose existe. Mais notons au passage que la composition est basée sur lêtre de la chose, qui est lacte de lessence. La puissance proprement dite est une capacité réelle de produire ou de recevoir un acte. La puissance a en effet une relation essentielle à lacte, cest à dire, lachèvement dun degré particulier de lêtre. Mais on ne peut pas réellement définir la puissance. Il sagit dun état du réel. Dans ce sens on la qualifie de « subjective ». Il faut donc voir en elle une réalité, tandis que la possibilité « objective » (la possibilité de réalisation dun cercle non existant) reste de nature purement idéale. changer, il doit exister, mais il doit aussi être dans un état de puissance par rapport à ce quil devient par ce changement. Dans le processus du changement, la puissance précède lacte dans le sujet qui est conduit de la puissance à lacte. Pourtant, en dernière analyse, lacte précède la puissance, car ce qui est en acte doit être la source et la cause de lêtre et du contenu essentiel des choses[10]. sans remède la substance créée. Une matière pure puissance, sans existence propre est absolument requise pour sauvegarder lunité de la substance. La matière et la forme sont les éléments de lessence, lune déterminable, lautre déterminante, dont lexistence est lacte commun. La matière et la forme sont deux, leurs essences sont irréductibles. Elles ne feront vraiment un que si un même élément, absolument singulier, rigoureusement unique, est présent en elles, les pénètre également lune et lautre. Lessence et lexistence sont les deux aspects de lêtre. Puisque la première ne nous fournit pas la raison de lunité, il nous faut regarder du côté de la seconde. La matière et la forme constituent un seul être parce que, dépourvues lune et lautre dexistence propre, elles communient en une existence unique qui les réalise à la fois, à laquelle chacune participe à sa façon, et dont, réciproquement, elles déterminent les modes de réalisation : la matière Maintenant que nous avons bien vu la composition dacte et de puissance, ainsi que celle de matière et de forme, et surtout le rapport entre matière et forme et essence et existence, il nous faut aborder, justement, la question de lessence et de lexistence. I.3.e. Lessence et lexistence. En rentrant dans létude de lessence et de lexistence, nous pénétrons plus à fond dans lontologie. Mais avant de parler de la relation qui existe entre lessence et lexistence, il nous faut dabord les aborder de façon séparée. I.3.e.1. Lessence. En guise dintroduction à létude de lessence, saint Thomas propose la considération suivante : « Il faut que le mot essence signifie quelque chose qui est commun à tous les contenus naturels par lesquels les différents étants sont placés dans les divers genres et espèces »[16] De même saint Thomas enseigne que létant et lessence sont ce que lintellect connaît en premier[17]. Cela veut dire que nous devons aller du concept de létant à celui de chose ou dessence, et que lessence suit bien létant en tant que celui-ci est divisé en prédicaments. Ceci signifie à son tour que « chose » ou « essence » peuvent désigner des contenus, non seulement substantiels mais aussi accidentels. Mais il est vrai que dans son sens le plus propre, lessence se dit de la substance. Les choses matérielles sont composées de matière et de forme. Celles-ci appartiennent toutes les deux à lessence et à la définition, puisque ce nest pas seulement la forme mais aussi la matière qui constitue la nature des choses matérielles[18]. La définition dune chose concerne lessence générale[19], car elle fait abstraction de sa réalisation individuelle[20]. Cest pourquoi dans létude de lessence la matière concrète individuelle nest pas considérée. Ce qui est propre à Paul en tant quil est cet humain là, nest pas compris dans lessence quoique, dans létant individuel, lessence soit toujours déterminée individuellement. Tant le genre que lespèce expriment lessence, mais ils le font dune manière différente. Le genre[21] signifie de façon indéterminée ce qui est contenu dans lespèce, alors que lespèce détermine le genre[22]. Parce quil est déterminé ultérieurement le genre a les caractéristiques de la matière (sans être lui-même matière)[23]. Les essences spécifiques sont déjà contenues dans leur genre respectif, quoique de façon indéterminée. Le genre et lespèce dénotent lessence existante, en tant quils expriment tous les deux ce qui est contenu dans lindividu[24]. Bien que notre concept de lessence soit un concept universel, son universalité nappartient pas à la chose existant individuellement. Nous ne disons pas que Paul est une espèce, mais quil est homme[25]. Il sensuit que dans les choses matérielles, lessence existe comme réalisée individuellement, même si nous la connaissons comme quelque chose duniversel. Cest pour cette raison que nous ne disons pas que lindividu est sa propre essence[26]. Ainsi ce qui est propre à lessence spécifique en tant que telle, à savoir son universalité, nappartient au contenu de ce que les choses sont quau niveau de la pensée[27]. Dans les choses non composées il ny a pas de matière et par conséquent pas dindividuation. En elles lessence coïncide avec les formes simples quelles sont en tant que substances[28]. Mais même dans ces substances lessence nest pas lexistence[29]. Saint Thomas envisage lessence par rapport à lêtre de la même manière quil envisage la puissance par rapport à lacte. Avant sa réalisation dans un étant, lessence na aucune réalisation qui lui soit propre. Il nous faut donc pour comprendre lactuation de lessence étudier lexistence, qui se comporte comme son acte. « Ce que jappelle être est de toutes les choses la plus parfaite. »[30]. Le noyau et le centre de tous les étants, cest leur être, leur existence, cest-à-dire leur réalité ou leur actualité ou leur ratio essendi. Mais lêtre donne aussi de la stabilité et du repos[31]. Lêtre est la réalité dun étant, lactus entis, la réalisation de lessence[32]. Ainsi lêtre est à la forme comme quelque chose qui la suit per se, mais non pas comme leffet qui découle de la puissance active dun agent. Lêtre est consécutif per se à la forme des créatures[33]. Cela veut dire que la forme est la cause de lêtre dans lordre de la causalité formelle[34]. La forme fait que la substance devient réelle, parce quelle même devient réelle grâce à laction divine[35]. Lêtre est le facteur le plus déterminant parce quil porte une chose à sa réalité et lui donne donc toute sa perfection[36]. Néanmoins la forme « exerce » lexistence qui est son acte le plus élevé. Au plus intime de lui-même, lêtre consiste à être ceci ou cela, cependant au niveau universel, il dépasse le simple fait dêtre ceci ou cela, dêtre un homme, cest ce qui rend réel. De lui-même lêtre na aucune extension comme en ont les corps qui sont portés à lexistence par lui. Il est indivisible[37]. Lêtre reste en lui-même dans létat dun moment actuel et permanent[38]. La temporalité nest par conséquent pas essentielle à lêtre, pour ces raisons lêtre est davantage quune simple actualité accidentelle. Il nous reste maintenant à voir le point important qui est la distinction entre lêtre et lessence. I.3.e.3. La distinction entre lêtre et lessence Pour la distinction entre lêtre et lessence, on peut distinguer trois groupes de preuves : 1) Un premier argument est fondé sur la manière selon laquelle nous concevons lessence de quelque chose. Pour connaître une chose comme une plante ou un animal, nous devons connaître les caractères de son essence. Mais rapidement nous constatons que lexistence nest pas comprise dans celle-ci. Il sensuit que lexistence nest pas dans lessence comme lun de ses attributs mais quelle est surajoutée à celle-ci[39]. Cet argument se fonde sur le fait que notre concept de lessence dun étant matériel est emprunté à cet étant particulier et que, par conséquent, le contenu de ce concept (res concepta) existe en réalité. Cela est du à la nature spécifique de la connaissance humaine : lintellect humain est en puissance à la connaissance. Il est fécondé et déterminé par lintelligibilité des choses, cest à dire par leur contenu formel. Bien que des choses comme leau, le bois, les animauxfassent connaître avant tout leurs propriétés accidentelles, elles manifestent aussi leurs essences respectives dans cette communication, même si, le plus souvent, elles le font par un concept confus ou générique. Il en ressort dès lors que lêtre dune chose nest pas contenu dans son essence, dont la connaissance nous est donnée par la chose elle-même. Apparemment il faut situer lêtre en dehors de lessence. 2) Une seconde preuve sélabore à partir de la contingence des êtres. Saint Thomas appelle contingentes les causes matérielles, qui ne produisent pas leurs effets de façon nécessaire. Est contingent aussi le choix libre de la volonté. Pour saint Thomas le mot contingent désigne ensuite les choses corruptibles qui ont la possibilité de ne pas être[40]. Enfin il emploie ce terme pour indiquer lexistence des choses crées, considérées dans leur dépendance de Dieu qui les a créées librement[41]. A partir de ceci on peut formuler largument suivant : ce qui est corruptible ou contingent ne tire pas son existence de soi-même. En effet sinon, il ny aurait aucune explication au fait que les étants puissent perdre leur existence, ou quils nexistent pas de façon nécessaire. Si quelque chose ne tire pas son être de lui-même cela veut dire que cet être lui est ajouté. Ainsi dans les choses contingentes, lêtre et lessence (essence prise au sens de lessence individualisée) sont vraiment distincts. Ceci sera plus facilement compris si on considère que ce qui est son être par lui-même ne le perd jamais mais le possède au contraire comme appartenant à son essence. Il est ainsi manifeste que les choses corruptibles ne tirent pas leur être delles-mêmes[42]. Lêtre commun étudié en ontologie est donc composé de deux principes réellement distincts lun de lautre. Une distinction purement logique entre des éléments qui en réalité coïncident ne suffirait pas pour expliquer la multiplicité et la contingence des choses. La véritable unité nest possible que si les deux parties sont reliées lune à lautre comme le sont lacte et la puissance[48]. Ce sont deux composants (entia quo) qui ne sont pas eux-mêmes létant, mais par lesquels létant quils constituent existe. Lessence seule nest pas un étant, puisquelle nexiste pas en tant que telle. De même lacte dêtre nest-il pas ce qui existe. On parle donc de lessence et de lêtre comme de deux composants de létant, unis comme une puissance et son acte. Ainsi ils peuvent constituer un étant unique. De la même manière que la matière est déterminée par la forme, lessence est portée à la réalité par lêtre. La grande différence est, cependant, que la matière ne détermine pas la forme substantielle (sauf en tant quelle la limite à un sujet individuel), alors que lessence détermine la nature de lacte dêtre (au moins dans ce sens que le sujet est ajusté à elle). Lacte dêtre est reçu, limité et déterminé par lessence. Lêtre qui nest pas ordonné à, ni reçu dans une essence na aucune limitation et possède la plénitude de lêtre. Les créatures par contre sont une détermination et une limitation de lêtre, à cause de leurs essences par laquelle chacune diffère des autres. Lessence et son acte dêtre sont reliés lun à lautre comme le sont la puissance et lacte. Mais nous devons éviter de considérer ces deux composants comme des principes indépendants lun de lautre. En réalité on ne peut séparer lêtre de lessence, car ils sont toujours ensemble : lêtre réalise une essence particulière, tandis que cette essence possède et affirme catégoriquement que lêtre est lactus essentiae et que lessence est créée simultanément avec son acte dêtre[49]. Mais ce qui existe cest létant, son être et son essence ne le sont que dans le cadre de ce tout, bien que lêtre soit le composant qui fait exister celui-ci. On le voit, la composition de lêtre et de lessence est dun ordre tout à fait différent dune composition de parties quantitatives. Lêtre ne reçoit pas son degré de perfection de lessence. lêtre est attribué aux choses en tant que celles-ci appartiennent à lun ou lautre des prédicaments[50]. La doctrine de la distinction réelle est intimement liée à celle de la participation de toutes choses à l'être divin[51]. Saint Thomas souligne que « tout ce quil y a, dans une chose, dextrinsèque à son essence, est le produit dune cause »[52] et que toutes les autre choses en dehors de Dieu ne sont pas leur propre être mais participent à lêtre[53]. Le fait dêtre créé implique nécessairement cette composition dêtre et dessence qui constitue, en fait, la nature profonde des étants. Les étants que nous percevons sont des substances qui possèdent certaines propriétés. Quelques-unes de ces propriétés ne sont pas essentielles car elles peuvent changer, alors que le sujet auquel elles appartiennent demeure le même. Il sagit alors de déterminations qui ne sont pas la chose elle-même, mais qui lui sont attribuées, ce sont les accidents. Les accidents renvoient toujours à la substance à laquelle ils appartiennent. Dans leur définition la substance est mentionnée comme le sujet auquel ils sont inhérents[54]. Les choses qui nous entourent existent en et par elles-mêmes. En dautres termes, elles sont des substances. A parler strictement seules les substances existent. Les accidents sont des déterminations à lintérieur de cette réalité[55]. La substance est la chose qui existe, possède une perfection fondamentale et constitue un tout qui est complet. Les accidents laissent intact ce tout, car ils en sont des déterminations complémentaires, ils ne En conclusion, on peut voir que la composition de la substance et des accidents est une conséquence de la distinction dessence et dexistence : lExistence même (Ipsum esse) est unique, comme tout acte pur, et elle existe par soi. Tous les êtres qui ne sont pas leur existence existent donc par lexistence même (propriété dêtre ab alio). Parmi eux enfin, il faut quils sen trouvent qui existent en soi tout en existant par Dieu : ce sont les substances (propriété dêtre en soi). Saint Thomas est ainsi amené à conclure que la distinction de la substance et de laccident est elle-même fondée sur la distinction de lessence et de lexistence. Pour entrer dans le prédicament substance et pour avoir des accidents, il faut réellement être composé dune essence et dune existence réellement distinctes.[58] Ainsi on ne peut comprendre la composition réelle de la substance et des accidents sans se rapporter aux autres compositions réelles. On sait que lexistence et lessence fonctionnent sur le modèle dacte et de puissance, lessence se comportant comme une puissance à légard de lacte qui se comporte comme un acte. Et, de plus, il faut également considérer la composition de substance et daccident sous laspect du composé de matière et de forme, surtout si on considère la matière et la forme sous laspect considéré dans le De principiis[59]. Il semble alors quon ne puisse véritablement saisir la composition de substance et daccidents que si lon imagine une double composition de matière et de forme et dessence et dexistence, ainsi cette composition devient plus claire. Cest par le rapport avec lessence et lexistence que lon pourra comprendre la composition de substance et daccidents[60]. Mais cest par la composition à partir des compositions que lon en saisira vraiment létendue. materialis pars animalis, quia sic anima erit praeter id quod significatum est nomine corporis et erit superveniens ipsi corpori, ita quod ex ipsis duobus, scilicet anima et corpore, sicut ex partibus constituetur animal. Potest etiam hoc nomen corpus hoc modo accipi, ut significet rem quandam, quae habet talem formam, ex qua tres dimensiones possunt in ea designari, quaecumque forma sit illa, sive ex ea possit provenire aliqua ulterior perfectio sive non. Et hoc modo corpus erit genus animalis, quia in animali nihil est accipere quod non implicite in corpore continetur » De Ente et Essentia. Ch.III [16] Cf. De Ente et Essentia. ch.I : « Oportet quod essentia significet aliquid commune omnibus naturis, per quas diversas entia in diversis generibus et speciebus collocantur, » [17] Idem, « Non enim res est intelligibilis, nisi per definitionem et essentiam suam. » [18] Cf. De Ente et Essentia. ch.II : « Definitio autem substantiarum naturalium non tantum formam continet sed etiam materiam. » [19] Il faut noter dès à présent que lon distingue différents « types » dessences. Lessence concrète, la natura absolute et luniversel. Mais ce point qui est lun des plus complexe (surtout pour la natura absoluta) sera abordé en métaphysique. [20] Cf. S. Th. Ia, Q.3, a.3 : « Quia essentia vel natura comprehendit in se illa tantum quae cadunt in definitione speciei » [23] Idem. : « Omne enim genus habet differentias quae sunt extra essentiam generis » [24] Cf. De Ente et Essentia. ch.III : « Sic igitur patet quod essentiam hominis significat hoc nomen homo et hoc nomen humanitas. » [25] Cest justement ce qui fait la différence entre lessence et luniversel. Les universaux sont des êtres de raisons, alors que lessence a une réalité en dehors de lintellect. [26] Cf. De Ente et Essentia. ch.IV : « Non enim potest dici quod homo sit quidditas sua » [27] Cf. De Ente et Essentia. ch.III : « Ratio speciei accidat humanae naturae secundum illud esse quod habet in intellectu. » [29] Cf. S. Th. Ia, Q.3, a.5 : « Et sic oportet quod quaecumque sunt in genere, differant in eis esse et quod quid est, idest essentia. » [39] Cf. S. Th. Q.3, a.4 : « Primo quidem, quia quidquid est in aliquo quod est praeter essentiam eius, oportet esse causatum. » [46] Cf. S. Th. Ia, Q.3, a.5 : « quod ens non potest esse genus alicuius : omne enim genus habet differentias quae sunt extra essentiam generis ; nulla autemdifferentia posset inveniri, quae est extra ens. » [47] Il semble cependant quaucune démonstration de lécole thomiste ne soit réellement convaincante, ni quaucune naboutisse réellement. On peut en revanche se reporter à celle du P. Guérard des Lauriers o.p.. Pour le Père Guérard il faut partir de lexistence de Dieu. Dieu est lIpsum esse en qui essence et existence ne sont pas réellement distinctes. Or lIpsum esse est unique et il ne peut être quunique. Par conséquent compte tenu de lunicité de Dieu, dans tous les étants créés lessence est distincte de lesse. Or en philosophie thomiste nous lavons vu il y a deux types de distinctions : distinction de raison (post concep. Intell.) et distinction réelle (ante concep. Intell.). Or cette distinction ne peut de façon évidente être une distinction de raison. Il sensuit que cest bien une distinction réelle nen déplaise aux suaréziens. [48] Cf. S. Th. Ia, Q.3, a.4 : « Oportetquod ipsum esse comparetur ad essentiam, quae est aliud ab ipso, sicut actus ad potentiam » [52] Cf. S. Th. Ia, Q.3, a.4 : « Quidquid est in aliquo quod est praeter essentiam eius oportet esse causatum. » et in Ia, Q.3, a.7 : « quia omne compositum causam habet » [60] Cf. La 5^ème thèse thomiste : « Est praeterea, in omni creatura, realis compositio subjecti subsistentis cum formius secundario additis, sive accidentibus : ea vero, nisi esse in essentia distincta recepitur, intelligi non potest »