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vendredi 28 septembre 2007, mis à jour à 17:07

Criminologie

Affaire Giraud: fausse piste génétique

propos recueillis par Alice Pouyat

Les deux traces d'ADN inconnu relevées sur une pièce à conviction de l'enquête sur le double meurtre de Géraldine Giraud et Katia Lherbier se sont révélées être celles d'un policier. Richard Marlet, pendant dix ans à la tête de la police technique et scientifique de Paris, réagit à cette "pollution accidentelle des scellés" et revient sur l'usage, délicat, des empreintes génétiques.

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Comment expliquez-vous le "cafouillage" dans  l'affaire Giraud-Lherbier?
La génétique est extrêmement délicate. Nos équipes sont formées pour ne pas contaminer les traces collectées mais, de la scène du crime au laboratoire, les risques de pollution sont multiples. Dans un premier temps, les techniciens font les prélèvements, puis un officier de la police judiciaire effectue le placement sous scellés, puis ce sachet parvient au laboratoire. Un rien peut fausser les pistes. Il suffit que l’un des policiers ait enlevé son masque à un moment, d’un peu de bave ou d’un résidu sur un instrument mal stérilisé…

Cette affaire porte un coup au mythe de l’infaillibilité des traces génétiques…
Il y a un aspect sociologique dans la valeur accordée aux preuves. On a coutume de dire qu’une preuve n’a d’importance que quand elle est reconnue par le plus grand nombre. Et aujourd’hui, la génétique est considérée comme moderne donc scientifique. Il ne faudrait pas tomber dans une nouvelle sorte de positivisme. La police technique et scientifique a recours à une multitude de disciplines qui ne peuvent pas être renvoyées au placard par la génétique.

Outre sa fragilité, l’empreinte génétique ne fait pas tout. Elle permet de savoir qu’une personne déterminée s’est trouvée à un endroit précis. Mais il manque toujours une troisième donnée: le temps. On peut retrouvez vos empreintes sur le lieu d’un crime, mais vous pouvez y être passé avant ou après. Il faut donc trouver un juste équilibre entre la religion des aveux, que nous pratiquions auparavant, et celle des indices matériels, qui domine dans les pays anglo-saxons.

 

Les Experts, mode d'emploi

  

         
 

    

 

Richard Marlet vient de publier Les Experts, mode d’emploi, à l’usage de ses étudiants en criminologie et de tous ceux qu’intriguent portraits robots, autopsies ou empreintes génétiques. Illustré de nombreuses anecdotes -de l’affaire Guy Georges au Tsunami- ce livre, écrit par un passionné de romans policiers, corrige au passage quelques clichés véhiculés par les séries télévisées.

Les fictions télévisées et notamment Les Experts, qui connaissent un fort succès, sont-elles fidèles à votre quotidien?
La première fois que j’ai regardé Les Experts, j’ai été agréablement surpris et frappé par sa vraisemblance. Les techniques d’investigation sur la scène du crime, les méthodes physico-chimiques qui permettent de révéler des traces digitales par exemple sont assez proches de celles que nous utilisons. Principale défaut: ces Experts ne se protègent pas assez ! Pour faire de la biologie, ils ne portent ni masque ni charlotte, au risque de polluer leurs preuves. Cela répond certainement aux besoins de la fiction: montrer le visage des acteurs. Leurs enquêtes sont également plus rapides que dans la réalité. Enfin, ces experts scientifiques mènent seuls l’ensemble de l’enquête quand, dans la réalité, les fonctions sont plus spécialisées.

Inversement, la fiction a pu influer sur votre métier…
Oui, cela fonctionne aussi dans l’autre sens. Grand amateur de romans policiers, j’ai par exemple découvert dans les livres de Patricia Cornwell les "polilight", ces gammes de lumières qui permettent de mettre au jour des restes de matière biologique, un instrument très efficace. Mais ces interactions sont plus anciennes: on s’est beaucoup intéressé aux preuves matérielles et aux indices grâce à Conan Doyle et Sherlock Holmes...

Justement, comment se situe la France par rapport aux pays anglo-saxons?
La Grande-Bretagne possède le plus grand fichier génétique au monde. La France a tardé à élargir sa base -initialement réservée aux seuls auteurs de crimes sexuels- à tous les auteurs et suspects de crimes et délits d'atteinte aux personnes et aux biens. Dans l’affaire Guy Georges par exemple, si nos fichiers avaient étés plus complets, nous aurions pu sauver deux femmes. Il ne faut pas remettre en cause le recours aux empreintes génétiques à cause d'un raté. Elles peuvent se révéler très utiles.

Ce fichage étendu pose toutefois des questions de libertés publiques...
Il ne s'agit pas de ficher tout le monde à la naissance mais, idéalement, les deux millions de personnes qui, comme on l’estime en France, ont affaire à la police. Je ne crois pas que ces fichiers posent de problème, car à chaque trace digitale correspond un code chiffré et pas un nom. Les gens qui utilisent cette base travaillent donc en aveugle. Il faut passer par un autre stade pour retrouver l’identité des suspects.

Pour éviter les fausses pistes, comme dans l'affaire Giraud-Lherbier, pourquoi justement ne pas répertorier les empreintes de policiers?
La loi interdit d’enregistrer les empreintes des personnes qui ne sont pas mise en cause dans une affaire. On ne peut donc pas ficher tous les fonctionnaires de police. Par contre, on peut, comme je l’avais fait pour les membres de l’identité judiciaire de Paris, réaliser des prélèvements d’empreintes génétiques et buccales, qui ne sont pas informatisés, pour les comparer avec les traces relevées dans nos enquêtes. Je ne sais pas comment à travaillé la police judiciaire de Versailles, mais il est évident que nous devons aujourd’hui prendre les mêmes précautions avec les empreintes génétiques qu'avec les empreintes digitales, et notamment relever celles des familles des victimes et des policiers pour effectuer un premier tri. Même si cela coûte cher.

Comment éviter la contamination des empreintes relevées ?
Il faut mettre en place un contrôle de qualité tout au long de la chaîne du traitement de l’indice, de la scène du crime jusqu'au tribunal. Prendre plus de précautions comme le font les Anglo-Saxons. Comme je le dis à la fin de mon livre, "j’ai fait un rêve": que se créent des mégalopoles de police scientifique où tout le monde travaille ensemble (institut médico-légal, identité judiciaire…). Il faut souvent attendre que les trains arrivent en retard pour que l’on prenne conscience des défaillances du système. En Grande-Bretagne, un laboratoire avait mis en évidence des résidus de poudre sur les vêtements d'un terroriste de l'IRA. Mais cet homme avait été embarqué dans une voiture de police, elle-même possiblement contaminée par ces résidus... ce qui a annulé la preuve. Aujourd'hui, ce type de transport s'effectue dans des voitures de location.

 

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