Freins sur la piste du 3e aéroport Opposition des Verts, pression à Roissy, lobbyings divers. Lionel Jospin peine à arbitrer. Par TONINO SERAFINI Libération le vendredi 29 septembre 2000 _________________________________________________________________ Faudra-t-il, oui ou non, construire un troisième aéroport dans le Bassin parisien? De semaine en semaine, le gouvernement reporte sa décision sur cette question fortement controversée. Lionel Jospin va devoir arbitrer entre une ministre de l'Environnement plus que réservée et un ministre des Transports culturellement sous l'influence d'une «technostructure» (Direction générale de l'aviation civile et Aéroport de Paris en tête) notoirement favorable à un nouvelle construction. La décision avait d'abord été promise pour «la fin de l'été», en marge de la catastrophe du Concorde. Puis le ministre des Transports a reculé l'annonce «à fin septembre». Finalement ce dossier ne devrait pas être tranché avant la mi-octobre lors d'un comité interministériel à Matignon. Et encore, il est possible que rien ne sorte finalement de cette réunion. Au cabinet de Dominique Voynet, on tente en effet de privilégier le statu quo: «Face à la forte pression du ministère de l'Equipement et des Transport et des élus du Val-d'Oise (où se trouve Roissy, ndlr), notre stratégie c'est de demander un report de trois à cinq ans pour prendre une décision qui s'inscrive dans une perspective européenne des transports.» Mais à l'établissement public Aéroport de Paris (ADP, chargé de la gestion des aéroports franciliens), on estime que le temps presse car Roissy risque d'être saturé dans les trois ans qui viennent, compte tenu de l'explosion du trafic aérien. Une étude, menée à l'initiative de la Commission européenne, montre qu'entre «1988 et 1997, le trafic des aéroports communautaires [...] est passé de 470 à 750 millions de passagers», soit une croissance moyenne de 5,3 % par an. Réunion au sommet. Le dossier est brûlant et le Premier ministre devra faire preuve de doigté pour ne pas créer un nouveau trouble au sein de sa majorité plurielle, après l'affaire des routiers, qui avait déjà donné lieu à une passe d'armes entre Dominique Voynet et Jean-Claude Gayssot, sur les réductions de taxes consenties sur le gazole. Pour les militants verts, l'affaire est un casus belli. «Si la décision de construire un nouvel aéroport est positive, je demanderai une réunion au sommet des Verts pour savoir quelle attitude adopter», menace Marie-Hélène Aubert, députée écologiste d'Eure-et-Loir, élue en 1997 à l'Assemblée nationale, dans le secteur de Beauvilliers, l'un des sites envisagés pour accueillir le troisième aéroport. Le refus des Verts tient tout autant à des questions environnementales qu'à des considérations d'aménagement du territoire. Il ne faut pas renforcer «l'hyperconcentration économique et urbaine» de la région Ile-de-France, plaide Yves Cochet, vice-président (Vert) de l'Assemblée nationale. Conséquences funestes. Les écologistes ne sont d'ailleurs pas les seuls à s'opposer. Des parlementaires d'autres formations ne cachent pas leur hostilité. Le troisième aéroport est une «grave erreur, aux conséquences funestes pour les finances publiques et l'aménagement du territoire», déclare Dominique Bussereau, député DL de Charente-Maritime. Il plaide en faveur du développement de plates-formes spécialisées - le charter (Beauvais) ou le fret (Vatry, Châteauroux) -, certains vols internationaux étant répartis sur les grands aéroports régionaux (Lyon, Lille, Nantes) «pour ne pas contraindre tous les vols français au transit obligatoire par l'Ile-de-France». De fait, l'augmentation incessante du trafic aérien sur Roissy (12,6 % en 1999) et son engorgement à certains horaires sont en partie la conséquence du «hub». Développé par plusieurs compagnies, ce mode de gestion du trafic consiste à faire converger sur Paris, dans des plages horaires très courtes, une multitude de vols moyen-courriers pour remplir les avions effectuant des liaisons transatlantiques. Cette rationalisation a permis aux compagnies, notamment Air France, de se redresser financièrement et de proposer des billets moins chers. Poussé à l'extrême, le «hub» finit par poser de nombreux problèmes: retards fréquents dus à la saturation des pistes et détérioration du service rendu aux voyageurs. Il arrive ainsi que des personnes en provenance de province et transitant par Paris pour un vol international ratent leur correspondance en raison de l'encombrement de Roissy-Charles-de-Gaulle. Brider le trafic. Avec 45,6 millions de passagers, Roissy s'est hissé l'an dernier au rang de huitième mondial. L'ouverture d'une quatrième piste début 2001 devrait lui donner de nouvelles marges de manoeuvres en terme de trafic. Mais ce développement provoque l'exaspération des riverains et des élus des villes limitrophes, qui font pression pour que le gouvernement se décide à créer un autre aéroport. Pour calmer leur mécontentement, Jean-Claude Gayssot a promis de «brider» le trafic à 55 millions de passagers alors qu'il pourrait atteindre jusqu'à 80 millions si une cinquième piste était construite. Au rythme actuel de progression, le seuil des 55 millions devrait être atteint dans trois ans. Et après? La construction d'un nouvel aéroport est «inéluctable», répond Yves Cousquer, le président d'ADP. Une analyse que ne partagent pas les Verts: pour eux, il est nécessaire de remettre un peu d'ordre dans la jungle du transport aérien, et pousser les compagnies à mieux utiliser les infrastructures de province, notamment l'aéroport lyonnais de Saint-Exupéry ou le futur aéroport Notre-Dame-de-Landes, entre Rennes et Nantes. Les écologistes parient aussi sur un report de l'avion vers le TGV d'une partie du trafic voyageurs sur les distances inférieures à 1 000 kilomètres.