Toisième chapitre : Un détective engagé dans la ville. Pendant toute notre lecture des Nouveaux Mystères de Paris, nous allons appréhender le monde à travers le regard de Burma. Malet justifie ainsi le choix de la narration à la première personne : " Je suis un autodidacte et je sais quil est très difficile décrire à la troisième personne quand on na pas étudié le discours. En écrivant à la première personne, je peux me permettre certaines incorrections qui passeront comme un effet de lart " [1](1). Certes la narration à la première personne savère plus aisée, mais elle est source denjeux. En effet Burma ne peut donner un avis objectif de ce quil perçoit de la ville et de sa population ; au contraire, chaque regard est teint dun avis personnel quil donne à partager au lecteur. Cest pour cette raison que limage de Paris chez Malet va prendre une dimension particulière, parce quelle nest perçue que par un seul personnage, lui-même haut en couleurs. Il est donc important dessayer de cerner lapproche que Burma a de la ville, ainsi que les mots et le vocabulaire quil emprunte pour nous rendre compte de cette approche. I) La parole est au détective. Dans Les Nouveaux Mystères de Paris, Burma, narrateur principal, parfois relayé par sa secrétaire, nous raconte lintrigue, mais surtout il nous donne à voir : ses yeux sont les nôtres. En tant que lecteur, nous sommes otages de ce regard et si Burma préfère le diriger vers un café plutôt que vers un monument, il nous faut le suivre. Tout au plus nous suggère-t-il une alternative: " mon regard avait le choix entre la Tour Eiffel () au delà de la terrasse de Chaillot, le monument élevé à la gloire de l'Armée Française, contre le mur du cimetière Passy " (Pas de bavards à la Muette, p. 225). Ce nest jamais un panorama qui nous est donné à voir, jamais une vision densemble, mais plutôt un aperçu pointilliste, à léchelle du regard humain, ne pouvant embrasser quune partie dun paysage. Le regard de Burma est précis et aiguisé. Lorsque avec lui nous recherchons sa voiture dans Mas-tu vu en cadavre ? il nous guide ainsi: " Je mengageais dans un passage obscur à lentrée duquel stationnaient deux autos. Aucune nétait la mienne. Un peu plus loin, avant de déboucher dans le Faubourg Saint-Martin dont on apercevait les lumières, le passage sélargissait et formait une placette. Il y faisait à peu près aussi clair quà lintérieur dun four, mais mes yeux de propriétaire distinguèrent une carrosserie qui métait familière " (p. 996). Cest son véhicule que cherche Burma ici, son regard ne ségare donc pas, il se dirige vers tout ce qui est susceptible de ressembler à une Dugat 12, mais pas ailleurs. De même, lorsquil file Yves Bénech, Burma ne voulant pas le perdre de vue, ne se laisse pas aller à la contemplation du cadre environnant, et, quand bien même voudrions nous, juste un instant, regarder la fameuse maison de Balzac rue Berton, Burma ny jetant pas un regard, le lecteur non plus ( Pas de bavards à la Muette). Nous cherchons, par conséquent, en même temps que le détective, sans avoir plus de pistes ou déléments que ceux quil possède, et la description quil fait des lieux sintègre au cours du récit. Il en va ainsi de tout Les Nouveaux Mystères de Paris, où chaque lieu que Burma fréquente est réduit à la vision quil veut bien nous en donner. Paris telle que nous la présente Burma est une ville accessible. Nous arpentons la capitale à léchelle humaine, cest-à-dire que, comme un piéton, nous ne percevons des quartiers que ce que notre regard peut embrasser: une rue, une place, un café, mais en aucun cas tout un boulevard ou tout un arrondissement. Ceût été le cas, si nous avions eu affaire à un narrateur omniscient, nous dévoilant quau moment où nous nous trouvons boulevard Delessert, par exemple, un crime est en train dêtre commis boulevard Haussmann. Pour bien marquer limportance du choix de la narration à la première personne, établissons une rapide comparaison avec un extrait de La Première enquête de Maigret, de Georges Simenon [2](2), où toute la narration est effectuée par un narrateur extérieur : " Cest à huit heures du soir seulement, alors que les becs de gaz dessinaient, en les ourlant dun perlé lumineux, la perspective des avenues autour de lArc de Triomphe, que Maigret, qui ne gardait plus beaucoup despoir, prit contact avec la réalité quil cherchait. () Il navait fait, pendant des heures, quarpenter un secteur étroit, entre lEtoile, la place des Ternes et la porte Maillot ". Le narrateur, parce quextérieur à lintrigue, peut donner à voir au lecteur lensemble " des avenues autour de lArc de Triomphe " ou tout un quartier " entre lEtoile, la place des Ternes et la porte Maillot ", ce qui est impensable dans Les Nouveaux Mystères de Paris, Burma nayant jusque ici que deux yeux. Cest toujours dans un " secteur étroit", pour reprendre les termes employés par G. Simenon que Burma rôde, et chaque paysage quil nous donne à voir ne peut être inscrit que dans le périmètre que son regard embrasse. Si Malet avait opté pour un narrateur omniscient, tout Paris eût été alors à la portée dun seul regard, mais il ny aurait plus eu ni réalisme, ni plaisir. Car, avec Nestor, nous découvrons Paris consciencieusement, au rythme du piéton qui se promène, lançant des regards curieux à droite et à gauche. Nous nous égarons avec lui dans les ruelles et les rues où il nous conduit, et nous trouvons en lui un guide passionnant. Nestor Burma, parce que nous partageons son regard, se doit en effet dappréhender la ville dune manière qui nous intéresse, car si ce nétait pas le cas, lassés, nous labandonnerions au détour dune rue. Cest là aussi un des paris de Léo Malet que de réussir, uniquement grâce à un personnage et à la vision de la ville quil lui attribue, à promener tant de lecteurs dans les divers arrondissements parisiens. Il fallait pour ce faire que limage de Paris soit bien exotique et dépaysante, de manière à prouver quil sagit réellement dune découverte de la ville. Lexotisme est absent dans le sens où Paris est un univers connu de tous, mais présent dans la manière de laborder qui séloigne, elle, du quotidien. Le regard du détective le révèle, cest en regardant Paris que Nestor se dévoile. Parcourir Paris en compagnie de Burma savère être une véritable aventure, mais ce qui est encore plus passionnant, cest que, bien entendu, à force de partager la vision dun personnage, on finit par le cerner et le connaître. Le regard de Burma se posant sur la ville se pose dans le même temps sur lui-même, car cest sa personnalité et sa sensibilité qui déterminent ce quil retient ou perçoit dun lieu. Dans le même temps, la description dun paysage est elle aussi tributaire de létat desprit du détective qui le regarde. Cest à force de le fréquenter que nous pouvons prétendre cerner quelque peu la personnalité originale du détective, ce ne serait pas le cas si nous avions affaire à un narrateur omniscient qui nous confierait tout sur chacun. Là encore la découverte dun personnage se fait à léchelle humaine ; nous ne devinons de Burma encore une fois que ce quil veut bien nous en dire, et cest souvent dans sa manière dappréhender la ville quil se révèle. II) " Je me suis installé détective, un peu comme je me serais installé poète " (La Nuit de Saint-Germain des Prés, p. 769) Bien que le Groupe Surréaliste ait dénoncé lincompatibilité de lactivité romanesque avec la leur, il semblerait que dans le tableau que Malet brosse de Paris se trouvent quelques touches inspirées du mouvement dAndré Breton. Malet, en effet, ne se contente pas dattribuer à son détective les seules qualités de guide parisien, il le dote également dun regard de poète, déambulant dans une ville emplie de charme. A) Linfluence surréaliste. La beauté selon Burma, voici une grande question à laquelle nulle définition ne pourra sans doute correspondre avec exactitude. Cependant, on peut déjà affirmer que la beauté de Paris, selon Nestor, ne réside pas dans ces grands monuments autour desquels la foule se presse, pensant contempler lessence même de la capitale. Se promenant dans le Marais, il ironise: " Cest souvent que, dans ce coin de Paris, des touristes admiratifs se plantent devant les vieux palais historiques " (Fièvre au Marais, p. 635). Dans Le Soleil naît derrière le Louvre, il affirme quun lieu nacquiert pas sa beauté du fait quil est connu ou fréquenté et il argumente, prenant lexemple de la place Vendôme, " la place la plus triste de Paris, mais aussi une des plus célèbres, celle où sérige la colonne Vendôme " (p. 447). Pourtant, nous avons vu dans le deuxième chapitre, que, même si Malet laisse de côté ces quartiers trop connus, ceux où il nous entraîne apparaissent dépourvus de toute poésie. La poésie ne réside pas dans les lieux mêmes, mais bien dans la manière de les appréhender. Malet parlant de Breton, dit : " Quand on pense à Nadja de Breton (), on se dit quil arrive à Breton des choses extraordinaires. Non, Breton capte seulement ce que les gens nenregistrent pas, parce quils ne font pas attention " [3](3). Cest dans ce regard que Burma porte sur un univers en apparence quotidien et banal, que naît ce quon pourrait appeler la "poésie urbaine". Se promenant dans la capitale, le détective prête attention à tout ce que les gens ne regardent plus. Ainsi traversant la foule dans Le Soleil naît derrière le Louvre note-t-il avec précision les divers éléments qui la composent, jusquaux voitures : " Je fendis la foule très dense, jusquà la rue Coquillière. Travailleurs nocturnes, épaves sociales aux occupations mal définies et boutiquiers mêlés, avec très peu de noceurs dans le tas. Rue du Bouloi, cétait déjà moins animé. Les voitures des détaillants de banlieue qui venaient sapprovisionner aux Halles, stationnaient, serrées les unes contre les autres, de chaque côté de la rue. Des bagnoles de toutes marques, de tous modèles et de tous âges. Lune delle, veuve de sa portière, navait rien à redouter des voleurs " (Idem, p. 434). Et plus tard : " Le soleil navait pas tenu exactement les promesses de laube. Mais de temps en temps, il glissait un rayon paresseux qui suffisait à tout égayer, encore quil fût bien pâle. Les quais offraient leur habituel spectacle. De paisibles citoyens fouillaient dans les boîtes à bouquins. Les marchands de graine, dinstruments aratoires et doiseaux encombraient le trottoir de leurs éventaires colorés et bruyants " (Idem, p. 494). Nestor prend le temps de marcher, de savourer pleinement lendroit, en jetant un regard curieux sur tout ce qui lentoure, comme si chaque lieu était perpétuellement à découvrir, à sapproprier. Le regard du détective est soucieux de limportance des détails. Dans un premier temps, il regarde les gens, leurs activités et déambulations, et ce sont souvent les détails quil remarque dabord, comme dans ce restaurant chinois où il dîne en compagnie dHélène dans Boulevardossements: " Tout en savourant le poulet aux amandes, les germes de soja sauce spéciale et autres mets originaux, jobserve autour de moi. Il y aura toujours des marrants, dans les restaus chinois. Je parle de ces cornichons de blancs qui, sous prétexte de couleur locale, sobstinent à vouloir utiliser les baguettes, alors quils ne sont pas fichus de les manuvrer congrûment. Ils éparpillent des grains de riz de droite et de gauche, mais ne semblent pas sen apercevoir. Je nen dirais pas autant de leurs voisins immédiats. Et avec ça, ils boivent du vin rouge ! Comme couleur locale, cest fadé. (). A part les cornichons que je viens de dire, il y a là quelques touristes, des étudiants de type asiate, et une paire de gars, type Pigalle, avec nageoires presque apparentes " (p. 448-49). Ce quil constate en premier lieu, cest que certaines personnes ne savent pas manger avec des baguettes, puis il regarde la salle dans son ensemble : il part dun détail pour aller vers le reste, alors que la plupart des gens aurait dabord regardé lassemblée, puis aurait peut-être, ensuite, aperçu " les cornichons blancs ", sans leur donner la moindre importance. Cette démarche, Burma lentreprend absolument dans toutes ses pérégrinations : donner de limportance au détail, à linfiniment petit, parce que cest lui qui rend lensemble magique et poétique. Les détails, cest surtout ce que les gens ne perçoivent plus parce quils nen prennent plus le temps, alors quil suffirait parfois de lever un peu les yeux pour apercevoir un paysage somptueux et pourtant si quotidien, comme le lever du soleil : " Je passai au salon. Je tirai les rideaux, ouvris les fenêtres et maventurai sur le balcon. Lair était glacial. Un brouillard jaunâtre stagnait sur Paris. Mais il serait bientôt dissipé. Le soleil naissait derrière le Louvre " (Le Soleil naît derrière le Louvre, p. 492). Le soleil a tellement pris lhabitude de se lever chaque matin que personne ne le voit plus, sauf Nestor, attentif à son éclat et à sa valeur. Le détective lève le nez pour contempler, après le lever, le coucher du soleil: " Tous deux accoudés à la barre dappui de la fenêtre, nous offrons notre visage au nocturne vent printanier de Paris qui glisse sur les toits. Au-delà dune forêt de cheminées, en direction de la gare Saint-Lazare, le ciel change alternativement de teinte: il rougeoie, verdoie, etc. selon que sallument ou séteignent telles et telles enseignes lumineuses de la place du Havre " (Boulevard Ossements, p. 519). Burma prend bien soin, chaque fois quil nous donne à partager la vue dun paysage, de le situer dans ses moindres particularités, comme lors de sa promenade dans le XIV° arrondissement : " Entre les talus en pente raide, herbeux et plantés darbres touffus élevant leurs branches vers le ciel, la double rangée de rails luisants courait sur son lit de cailloux. A quelque cent mètres de part et dautre de la passerelle, elle disparaissait sous un tunnel. Çà et là, dans le fossé, on apercevait, abandonnés à leur triste destin, un cageot à légumes démantibulé ou une boîte de carton. Il y avait aussi une chaussure, solitaire et désolée, plus très neuve, et accroché à un fourré de ronces, quelque chose comme un pantalon. Il y a des gens comme ça à Paris, qui ignorent lexistence des poubelles " (Les Rats de Montsouris, p. 880-81). Voici donc ce que Burma voit du paysage : une boîte, une chaussure, un pantalon ; le reste, il ne nous le montre pas, cest sans importance. Ce qui compte, ce sont ces objets, parce que, même sils semblent banals à première vue, leur présence en ces lieux ne lest pas, et en parler, cest souligner que cest par la présence de ces objets que le lieu revêt un caractère hors du commun, poétique. Doisneau disait: " Ce qui est bien, cest de révéler aux gens qui traversent le paysage de tous les jours, quil peut apparaître surréaliste, quil est porteur démotions, et même parfois, porteur de beauté " [4](4), et cest ce que fait Malet dans Les Nouveaux Mystères de Paris, en gratifiant Burma dun regard daigle, sachant mettre en valeur ce que les gens ne voient plus, et qui est pourtant à la base dune poésie qui pourrait être quotidienne. Rapprocher la démarche de Léo Malet de celle de Doisneau savère être en effet judicieux car il sagit bien de la même manière dappréhender la ville. Le regard de Burma est analogue à celui du photographe, flânant dans les rues en quête dinédit, dinsolite, mais surtout en quête de linstant. Linstant fugitif où la photo devra être prise, assez rapidement pour quil sagisse dun morceau détaché du réel, pris sur le vif, sans fioritures, dans le mouvement, comme arraché. Cest exactement de cette manière que Burma rend compte de la capitale : il découpe un morceau de réel, souvent insolite, et le transmet non par la photo, mais par le mot. Le photographe, comme lécrivain, mettant en valeur et en mouvement un élément du quotidien, le rendent dans le même temps insolite et poétique. Mais ce nest pas seulement dans le regard poétique que Burma a des lieux, que le détective se rapproche de lappréhension surréaliste de la ville, mais aussi dans la manière quil a de larpenter. Les itinéraires dans la capitale quont tracés André Breton dans Poisson soluble (1924) [5](5) ou dans Nadja (1928) [6](6), Aragon dans Le Paysan de Paris (1926) [7](7), ou encore Philippe Soupault dans Les dernières nuits de Paris (1928) [8](8), se rapprochent plus de la déambulation que de la promenade. " Ce nest pas moi qui méditerai sur ce quil advient de " la forme dune ville ", même de la vraie ville distraite et abstraite de celle que jhabite par la force dun élément qui serait à ma pensée ce que lair passe pour être à la vie. Sans aucun regret je la vois devenir autre et même fuir. Elle glisse, elle brûle, elle sombre dans le frisson dherbes folles de ses barricades, dans le rêve des rideaux de ses chambres où un homme et une femme continueront indifféremment de saimer. Je laisse à létat débauche ce paysage mental " écrit Breton à la fin de Nadja. Les termes de " paysage mental " sont essentiels, car on pourrait les appliquer à la vision que rend Burma de la ville : Paris se découvre dans un état proche du somnambulisme, dans le laisser aller au gré des pavés. Cest ce que fait Burma, solitaire, il se laisse happer par la capitale, toujours attentif à tout ce qui se déroule autour: " Dun pas lent, jatteignis la rue Vercingétorix et commençai à déambuler sur le trottoir, entre le passage de Gergovie et la rue dAlésia, sans craindre de trop attirer lattention. La rue Vercingétorix était aussi morte que lAuvergnat dont elle porte le nom. Le silence était total. A certaines heures, cétait un quartier comme ça. Propice à la méditation. Ou au coup du père François. Les candélabres électriques semblaient éclairer lallée dun cimetière. Rue dAlésia, il passa bien deux trois bagnoles, pas précisément à allure réduite, et en arrachant, assez brutalement même, le goudron liquéfié de la chaussée, mais on ne pouvait ranger ce feulement bref dans la catégorie des bruits. Il mourait à peine né, comme certaines amours. A un moment, le désert paru sanimer. Un bonhomme aux jambes en cerceau sengagea dans la rue, puis rebroussa chemin. Il devait sêtre gouré de destination. Avec des guibolles pareilles, je le voyais plutôt habitant Maisons LafitteOu peut-être lui avais-je fait peur. Ce sont des choses qui arrivent " (Les Rats de Montsouris, p. 852). Seul dans une rue, Burma la contemple, médite, et une pensée en entraînant une autre, il finit par rapprocher le bruit dune voiture de lamour. Ce rapprochement naît de la rêverie, mais aussi dun élément banal et quotidien: le bruit dune voiture, qui savère être source dinspiration poétique. Cest parce quil sarrête sur chaque chose, sur chaque détail, et quil laisse vagabonder son imagination en tout lieu, que Burma rend de la ville une image poétique proche de la poésie surréaliste. Les itinéraires du détective semblent se rapprocher dun parcours initiatique. Aragon, dans Le Paysan de Paris, précise : " Jaime à me laisser traverser par les vents et la pluie : le hasard, voilà toute mon expérience. Que le monde mest donné, ce nest pas mon sentiment ". Paris nest pas donné à Burma, il sy intègre en déambulant dans ses rues, et la vision quil nous en donne nest que " le paysage mental " quil forge de la ville. " Paysage mental " dans le sens où limage quil perçoit du lieu naît de la poésie quil lui confère, et même sil nous le donne à voir, nous ne pouvons partager pleinement cette vision, car face à ce lieu, nous y verrions tout à fait autre chose. Par exemple, le tableau enthousiaste que peint Burma de la place de la Contrescarpe nous séduit certes, mais sil nous était donné réellement à voir, peut-être ny trouverions-nous aucun attrait: " Chère place de la Contrescarpe, provinciale et touchante, avec sa vespasienne, son kiosque de la RATP, son terre-plein planté darbres, sa ceinture de vieilles maisons sétayant lune lautre, ses bistrots. La populeuse rue Mouffetard, qui y débouche, était aussi calme que la place. Ce nest pas souvent que le silence enveloppe la Mouffe. Mais à cette heure-ci, les commerçants faisaient encore la sieste ou se penchaient sur leurs livres de comptes " (Micmac moche au Boulmich, p. 715). Mais, ce qui importe dans la démarche de Malet / Burma, ce nest pas tellement que nous adhérions à la vision quils nous présentent de la ville, mais que la promenade quils nous proposent constitue une sorte de parcours initiatique pour nous apprendre à regarder et à contempler cette source de poésie quest le quotidien. Apprendre à regarder est la condition sine qua non pour percevoir la beauté dune ville. Quant au hasard évoqué par Aragon, il tient une place notable dans luvre de Malet, car il favorise souvent les rencontres que fait Burma lors de ses déambulations dans un arrondissement, rencontres de personnes ou dindices généralement liés à lenquête. Cest le cas lorsquil se rend aux locaux du journal Le Crépuscule rejoindre Marc Covet, et quil croise plusieurs fois, par hasard, celui quEsther Lévyberg la chargé de surveiller: " Rue Réaumur, je mattardai à regarder les photos exposées dans les vitrines du Parisien libéré () lorsque jentendis dans mon dos, succédant à un brusque coup de frein, un type hurler un de ces mots qui lauraient fait recaler au concours. Je me retournai. Cétait un piéton standard, rouge de colère, qui expliquait à un automobiliste ce quil pensait de sa façon de conduire. Lautomobiliste était au volant dune Plymouth et avait plus ou moins failli envoyer le piéton se faire véhiculer par Borniol. Lautomobiliste paraissait nerveux, mais ne répondait pas aux invectives du piéton. M. René Lévyberg, dun naturel peu prolixe, avait épuisé son stock de répliques avec moi. () Un peu avant darriver à limmeuble que Léon Bailly fit construire (), je revis la bagnole de mon millionnaire, rangée le long du petit square. Jentrai dans le hall de la S.N.P.E. et je vis Lévyberg sortir des bureaux réservés à la réception des petites annonces. Nous nous suivions ou quelque chose comme ça " (Des Kilomètres de Linceuls, p. 547). Contrairement à ses collègues, le hasard est pour Burma lingrédient essentiel de la réussite dune enquête ; il séloigne ainsi de lesprit rigoureux et mathématique de Sherlock Holmes par exemple. Cest en rôdant et en déambulant que la solution lui vient à lesprit. Ainsi se promenant avec Jeanne sur le port de Javel, il remarque " une bagnole bicolore, quil (lui semble) avoir déjà vu quelque part. Et brusquement () ça (lui revient). (Il) la (revoit), replacée dans le décor où (il) l(avait) remarquée la première fois. Cétait derrière elle qu(il sétait) glissé, lautre soir, avant de (s)acheminer vers la tanière de Demessy. () (Il tenait) peut-être une piste " (Les Eaux troubles de Javel, p. 410). B) Quand Burma raconte la ville Lesprit de Burma, quelque peu volage, ne se fixe pas sur un paysage, il ségare comme nous lavons vu vers des détails, ou tout simplement vers dautres horizons. Paris est donc rendu par "touches", comme sil nous fallait reconstituer un puzzle avec les quelques pièces que le détective consent à nous fournir. Lorsquil découvre un lieu, le détective établit diverses constatations qui léloignent souvent de la description quil pourrait nous faire de lendroit. Ainsi se promenant dans le Marais, il aperçoit des hôtels particuliers : " Devant moi, à langle de la rue des Francs Bourgeois et Vieille du Temple, se dressait un élancé alibi de pierre construit depuis des siècles. La Tour Barbette, sauf erreur, dernier vestige dun hôtel ayant appartenu à Isabeau de BavièreJavais lu récemment un article là-dessus, je ne savais plus dans quel canard " (Fièvre au Marais, p. 636). Il nous relate lhistoire de lédifice, enchaîne sur diverses anecdotes, mais le lecteur se promenant dans Paris ne pourra pas reconnaître cette Tour Barbette, car le détective ne lui en a fourni aucune description architecturale. Lorsquelle existe, la description est réduite, courte, et sommaire. Burma se rendant chez le docteur Dalaruc, nous renseigne de la manière suivante: " Le soleil inondait la place Denfert-Rochereau, au centre de laquelle le lion de Belfort, sur son socle, dressait son imposante masse verdâtre. La maison où jallais, faisait le coin du boulevard Arago et dominait le paysage de larchitecture solidement bourgeoise de ses cinq étages construits aux environs de 1900. Le rez-de-chaussée limmeuble abritait une pharmacie " (Les Rats de Montsouris, p. 895). Nous savons donc précisément où la demeure du médecin se situe, mais absolument pas à quoi elle ressemble. La description de Léo Malet est souvent réduite au minimum ; considérons par exemple ce que Burma nous dit de la rue du Dobropol : " Des voitures stationnent des deux côtés de la chaussée. A part deux ou trois tinettes qui ne paient pas de mine, ce sont, pour la plupart, des autos chics, faites surtout pour rouler lété, décapotables. Petites, juste deux places. Madame et Monsieur " (LEnvahissant cadavre de la plaine Monceau, p. 914). On remarque que les deux dernières phrases nont même pas de verbe. De même, lorsquil nous renseigne sur litinéraire quil emprunte dans Brouillard au pont de Tolbiac, cest sans fioritures : " Je men fus impasse du Gaz (). Je remontai sur le pont National par le large escalier de pierre qui va du quai dIvry au boulevard Masséna. Je traversai devant les bâtiments de la Compagnie de lAir comprimé et descendis le boulevard jusquà la station du chemin de fer de ceinture. (). Par lescalier qui passe sous la gare de ceinture, jatteignis la rue du Loiret. Et je me retrouvai au carrefour Cantagrel-Watt-Chevaleret " (p. 322). Inutile de sattarder sur ce qui nintéresse pas Burma, ce quil voit, il nous le livre, mais dès lors que son regard séloigne, la phrase et la description nont plus lieu dêtre. Cest bien pour cette raison que les descriptions les plus construites et complètes sont encore une fois celles des détails que distingue Burma dans la ville, comme par exemple dans le XVII° arrondissement, où cest le toit de lhôtel particulier du couple Désiris qui va retenir son attention: " De son toit dardoise, fortement déclive et terminé par des flèches dont une ornée dune girouette aussi ridicule quinutile, surgissent deux mansardes à il-de-buf, à lencadrement tarabiscoté " (LEnvahissant cadavre de la plaine Monceau, p. 882). Comme le précise très justement Gérard Durozoi, [9](9) " les lieux où évolue Burma font lobjet non dune description systématique, mais bien dune évocation sélective ". Encore une fois, cest le souci dauthenticité qui prend le dessus : Malet ne peut, après nous avoir présenté un détective au regard pointilliste et à la vision sélective, lui prêter de longues tirades décrivant des lieux quil nest même pas censé apercevoir. Au contraire, Burma va retranscrire de la réalité exactement ce quil en perçoit, ni plus, ni moins. Le désir de la parole authentique est poussé à tel point que le texte semble ne pas avoir été retravaillé, on a la sensation dentendre réellement quelquun nous raconter les événements tels quils surgissent devant ses yeux, au fur et à mesure. Ainsi avons-nous limpression dêtre avec Burma devant le Palais de Cristal, tellement nous partageons avec lui une vision traduite instantanément par le mot: " Le nom de la vedette du programme, couvrant toute la largeur de la bâtisse, sallumait et séteignait alternativement, giflant la nuit : Gil Andréa, Gil Andréa. Dabord le prénom flamboyait, puis ça restait noir quelques secondes, après quoi le nom apparaissait en rouge vif. Tout seffaçait dun coup et linstant daprès, respiration reprise, la mécanique électrique épelait le nom de lidole à lattention des midinettes sachant à peine lire. Un G vert, un I jaune, un L bleu, etc. Un assemblage de couleurs à vous faire sauter les dents, dun mauvais goût certain mais efficace. Prenez-en plein la vue. Enfoncez-vous bien ça dans le cur " (Mas-tu-vu en cadavre ? p. 951-52). Nous voyons dabord le G, puis le I, enfin le L, en même temps que le détective ; il sagit dune description que J.M Adam appelle la " description procédurale ", quil définit ainsi : il sagit de " la description dun objet en cours de fabrication " [10](10). Sil ne sagit pas là de fabrication à proprement parler, Burma rend par contre bien compte dune vision qui se modifie exactement au moment où il en parle. Lemploi de phrases courtes, voire nominales, renforce laspect simultané de la description. Cest par cette perception de la vitesse, de linstantanéité, que lon peut remarquer que, justement, le texte a été retravaillé afin de donner au lecteur cette impression de partager avec le détective la même vision, au même instant. La ponctuation hachée rend, elle aussi, compte dun rythme voulu par Léo Malet, qui permet dinsuffler mouvement et vie à la description dun édifice rigide. Chaque regard du détective est ainsi remis immédiatement au lecteur et fait de lui un double de Burma, capable dappréhender la ville exactement au même moment. Lemploi dun certain vocabulaire, dans la description comme dans toute la narration, favorise aussi ce rapprochement du lecteur et de Burma. Burma se doit en effet dêtre un personnage accessible, ouvert, capable de promener un même lecteur dans les vingt arrondissements parisiens. Les descriptions que font Burma, on la vu, sont fort courtes, mais elles sont en plus dotées dun vocabulaire typiquement parisien : la gouaille. La gouaille, cest le langage de la rue, un mélange de plusieurs argots, cest-à-dire le langage même de ce que Burma nous donne à voir. La narration à la première personne permet en effet lintrusion de vocabulaire et de commentaires très personnels, comme par exemple lorsquil parle de la police: " Ils sont comme ça les flics. Même les moins tocards. Dans limpossibilité denvisager quon puisse agir par pur désintéressement. Après tout, ils ont des excuses. De par leurs fonctions, ils ne voient que le mauvais côté des choses, la face dégueulasse et sordide de la vie. A longueur de journée et de nuit, ils nont quà connaître, en fait de sentiments délicats, que violence et brutalité. Ils vont dun crime à un autre crime, de la femme débitée en rondelles au type à la cervelle à lextérieur, en passant à linverti perforé. Ils pataugent dans la sanie des rues étroites, hument le remugle nauséabond des corridors des hôtels borgnes. Et quand, par hasard, ils ont affaire dans une chambre de palace, cest quun macchabée nécessite leur présence, et une chambre de palace même dans beaucoup de sang, mais agrémentée dun macchabée tout chaud, ça ne diffère pas des masses dun bouge infect " (Micmac moche au Boulmich, p. 676). Les termes quil emploie sont crus (" macchabée "), relèvent souvent de largot comme lorsquil parle de la " Tour Pointue " pour désigner la Conciergerie (ces termes reviennent régulièrement dans Les Nouveaux Mystères de Paris), ou font appel à des images peu délicates telle que celle de " la femme débitée en rondelles " ou de " la cervelle à lextérieur ". Roger Rabiniaux rappelle rapidement les mots dargot les plus employés par Burma [11](11) : " polop (interjection signifiant rien), branque (client dune prostituée), chichi (faire des manières), pilon (désigne soit le pied, le mendiant ou le parasite), (), brignolet (le pain), nippé ( un vêtement ou ladjectif habillé), etc. ". Lemploi dun vocabulaire désinvolte a plusieurs fonctions. Il permet dabord au détective de faire de lhumour noir et de tourner en dérision la situation, comme lorsquil dit à Bélita, parlant du cadavre quils transportent: " - On la paumé, ricanai-je amèrement. Il ne se plaisait pas en notre société ou il naimait pas lauto-stop. Maintenant, il faudra aller rue des Morillons, dans le XV°, au Bureau des Epaves, et dans un an et un jour ", et pour justifier cette perte il ajoute plus tard : " Cest ce corniaud qui roulait à gaucheCest quand il ma obligé à exécuter ma figure de stock-car, que le macchabée nous a faussé compagnie " (Brouillard au pont de Tolbiac, p. 300). Chaque situation, chaque description devient savoureuse lorsque Burma lui prête cette once de cynisme, semblant toujours à cent lieues de la gravité du moment. Malet a dailleurs obtenu en 1958 le Grand Prix Xavier Forneret de lhumour noir pour Les Nouveaux Mystères de Paris. Mais largot permet aussi à lauteur de renforcer laspect réaliste quil désire donner à luvre et, bien entendu, au détective. Il préfigure, dans une moindre mesure, le personnage de San Antonio, que Frédéric Dard a doté également dun vocabulaire populaire, le rendant ainsi on ne peut plus virulent et authentique. Malet emprunte à la ville quil peint le vocabulaire qui court ses rues et fait de Burma un personnage moderne et ouvert sur lextérieur, en le dotant de ce même langage. Le détective semble être en parfaite adéquation avec la ville et la population quil fréquente. Dautre part, cest le contraste entre le langage argotique et le langage parfois soutenu que Burma emploie, qui étonne. Ce contraste souligne la double appartenance de Burma : proche de la rue et du pavé, il nen nest pas moins un individu cultivé, sensible, ayant du vocabulaire et étant capable de sen servir. Ainsi il emploie des mots tels que le " remugle " (Micmac moche au BoulMich, p.676), tels que le verbe " inoculer " (idem, p. 758), ou crée de jolies images comme celle du cycliste qui passe " dans un bruit soyeux de pneus " (idem, p. 760). A linverse, il emploie largot ou un langage populaire, voire vulgaire : " tocards ", " putain ", " folichon ", etc. Le lecteur se trouve donc face à une ambiguïté: il sait son guide capable de prouesses verbales et constate pourtant que sa verve est le plus souvent délurée. Il sagit là encore dun procédé littéraire. Doter Burma du langage de la rue, cest le définir comme un personnage typiquement parisien, en relation intime avec le pavé et la population, et souligner surtout son expérience de la rue. En effet, largot est une langue à part et Burma semble assez bien la connaître pour ne pas lavoir apprise en un jour, bien au contraire. Lutilisation de largot, permet à Malet de peindre son détective comme contestataire de lordre. Employer un vocabulaire qui, même sil est devenu urbain, a été longtemps celui de la pègre ou des mendiants, cest faire du détective un personnage qui sinsurge contre une société trop ordonnée. Cest aussi mettre en exergue le vocabulaire de la rue qui peut savérer aussi virulent, juste et coloré que celui employé par lélite intellectuelle que Burma connaît. Le ton de la narration est toujours juste, lexpression de Burma devient un art verbal, et le mélange judicieux de deux types de langage en étroite opposition crée lépaisseur et le caractère du détective. On remarque enfin quil ne sagit pas de nimporte quel argot, mais bien de largot parisien. Malet suit là les traces de son prédécesseur Eugène Sue, qui avait presque, par une utilisation très fréquente de largot, fait des Mystères de Paris un dictionnaire dargot. Paris devient alors une ville étrangère à qui nest pas parisien car elle possède une langue qui lui est propre ; on pourrait même dire que Paris devient un pays à part entière sur le territoire français. Une autre originalité de Burma dans sa narration, cest quil parvient à suggérer le paysage qui lentoure, simplement par des jeux de mots et des calembours. Le détective noublie presque jamais de nous rappeler les noms des rues que nous traversons, et en souligne parfois le non-sens, comme dans Brouillard au pont de Tolbiac : " Le 13^e arrondissement fourmille de rues aux noms charmants et pittoresques, en général mensongers. Rue des Cinq Diamants, il ny a pas de diamants ; rue du Château des Rentiers, il y a surtout lasile Nicolas Flamel ; rue des Terres au Curé, je nai pas vu de prêtre ; et rue Croulebarbe, ne siège pas lAcadémie Française " (p. 294-95). En tournant en dérision les noms de rues, Burma parvient à rendre du paysage, non pas ce qui le compose, mais plutôt ce qui ne le compose pas. Ce passage sur les noms de rues du XIIIe arrondissement, triste, désolé et pauvre, rappelle quelque peu le texte de Prévert : " Les rues les plus pauvres ont les plus jolis noms. Les pauvres les ont trouvés, ces noms, pour embellir les choses. " [12](12). III) Des passages descriptifs suggestifs et poétiques. De tous ces talents, à savoir prendre le temps de regarder, transformer instantanément la vision en verbe, savoir manier le mot avec légèreté, naissent des passages descriptifs hauts en couleurs et en poésie, tel celui de la peinture de la Foire du Trône, dans Casse-pipe à la Nation : " Lutteurs, tirs, berlingots, loteries. Faites vos jeux, la roue part, cest le 15. Le 15 emporte les cinq kilos de sucre. Voyance, lignes de la main. Horoscope de lamour. Balançoires. Le nain à deux têtes et lhomme à toutes mains. Lenfant colosse. Vingt ans, deux cent kilos, deux mètre de tour de taille. Emma et ses serpents. Eve et ses filles. Pour adultes seulement. Musée Dupuytren. Curiosités médicales. Quelque part, on écrase les pieds de Gilbert Bécaud, car il barrit plus fort quà laccoutumée. On lutte, on lutte, on lutte. (). Cris danimaux, hurlements, mirlitons, rires, pleurs. Barbe à papa. Chiques lyonnaises. Baptême de cochons : claquements secs des carabines, des pistolets. Essayez votre adresse. Tentez votre chance " (p. 547). On a limpression dy être : submergé par la foule, les odeurs, les bruits, les attractions. Burma, par des phrases courtes, des mots justes, rend bien compte de ce regard présent ici sur tous les fronts, rapportant chaque détail tel quil le voit ou lentend. Plusieurs critiques se sont dailleurs intéressés à ces passages décrivant la Foire, tel Maurice-Bernard Endrèbe qui en parle ainsi dans la revue Arts : " la Foire du trône, comme si vous y étiez. Lorsquon composera une anthologie de la littérature inspirée par les fêtes foraines, il y a ici des pages qui devront y figurer en bonne place ". Francis Lacassin va même jusquà qualifier ces chapitres de " véritables poèmes en prose () à ranger à côté de ceux consacrés par Pierre Mac Orlan aux Fêtes foraines " [13](13). On peut facilement rejoindre lopinion de Francis Lacassin car cet extrait de Casse-Pipe à la Nation représente lamalgame de tous les procédés littéraires analysés précédemment. Lemploi de phrases courtes et nominales donne rythme et mouvement à la description et rend parfaitement compte de lagitation qui règne dans la Foire. La technique dinstantanéité dans la description lui donne un aspect réaliste : " Faites vos jeux, la roue part, cest le 15 ". Comme devant le Palais de Cristal, nous partageons en même temps que le détective non seulement la vision de la foire, mais aussi les bruits qui la peuplent (" cris danimaux, hurlements mirlitons "), voire les odeurs de la "barbe à papa " ou des " chiques lyonnaises ". Burma regarde de tout côté, et nous rend ainsi compte de lagitation qui y règne, mais aussi de la diversité de la Foire : les attractions, la voyance, la cuisine, la musique, les animaux, etc. Il ne nous livre pas une impression densemble qui pourrait se rapprocher dun brouhaha général, dune sensation détouffement, il nous donne à voir, une à une, les composantes de la foule et les met, par ce procédé, en valeur. Encore une fois, cest cette mise en relief du détail détaché de lensemble qui fait de ce passage un texte poétique. Enfin, le détective ne nous prive pas de sa verve habituelle, et ne manque pas, une fois de plus, dhumour: " Quelque part, on écrase les pieds de Gilbert Bécaud, car il barrit plus fort quà laccoutumée ". Si ce sont ces passages concernant la Foire du Trône qui ont le plus marqué les critiques, cest parce quil sagit sans doute des plus longs passages descriptifs des Nouveaux Mystères de Paris. Mais cest aussi parce que Burma ayant prouvé quil était capable de saisir la vie, linsolite, dans des quartiers tristes et dépeuplés, témoigne que face à lagitation de la foire il peut faire de la description un véritable poème. Selon Nestor Burma, la ville est une énigme à appréhender comme une enquête policière : y déambuler à la recherche de linconnu, être toujours aux aguets, le regard à laffût, et se laisser guider par le hasard Cest dans ces conditions quon peut percevoir la beauté et la poésie de la ville, présente à chaque coin de rue. Malet a su dans Les Nouveaux Mystères de Paris, investir son détective dune mission que Breton lui avait confiée en 1942 : " Mais foutre, regarde donc la rue, elle est assez curieuse, assez équivoque, assez bien gardée et pourtant elle va être à toi, elle est magnifique " [14](14). Dès lors, Paris nest plus la ville que le lecteur pense connaître, ce nest plus cette ville quil fréquente tous les jours, cest un jardin coloré et vivant, et Burma dit de la capitale : " Moi, il ny a que Paris qui minspire ", soulignant ainsi la source dinspiration que le décor quotidien peut susciter, mais aussi le tempérament dartiste que le détective peut revêtir (BoulevardOssements, p. 532). La peinture de la ville est dautant plus attractive quelle est rendue par un flux verbal, non seulement instantané, mais surtout authentique ; un langage que Pierre Boileau qualifie de " riche et percutant, coloré, savoureux, tour à tour féroce et tendre ". Lemploi de largot donne mouvement et couleur à toute la narration des Nouveaux Mystères de Paris, les images et la justesse des mots que Burma emploie, renforcées par lhumour noir de Malet, font souvent sourire, voire rire. Cette manière de voir et de rendre le monde se rapproche de celle des Surréalistes, et Malet a si bien su lappliquer à Paris que Roland Stragliati le désigne comme " cet autre Paysan de Paris " [15](15), et, en effet, comme le conclue Noé Gaillard : " La présence du surréalisme dans les romans de Malet, par lutilisation des techniques décriture et dappréhension du réel, mêmes déformées par les besoins du genre, est réelle et importante ". [16][Sommaire] [17][Chapitre suivant] References 1. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 2. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 3. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 4. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 5. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 6. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 7. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 8. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 9. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 10. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 11. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 12. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 13. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 14. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 15. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Notes03.htm 16. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Sommaire.htm 17. http://www.scd.univ-paris3.fr/Textes/NDhoukar/Chap04.htm