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Edito: Recherche biomédicale : l’éthique sur la brèche
par Anonymous le Tuesday 07 January @ 10:35:41

La recherche biomédicale semble soumettre la société à un nombre croissant de choix difficiles. L’éthique est appelée à la rescousse. Mais le rôle de cette discipline reste flou. Doit-elle définir ce qu’est l’humain ? Préciser ce qui relève du permis ou de l’interdit ? Interroger les mythes de la société, se poser en gardienne voire en créatrice de valeurs ? Alexandre Mauron, professeur de bioéthique à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, membre de la Commission nationale d’éthique en médecine humaine, ébranle quelques idées reçues au sujet de sa discipline. Face à l’avalanche de questions dites «nouvelles», l’éthique peut jouer un rôle de mémoire des arguments. Si la société doit fixer des limites aux moyens que les chercheurs utilisent pour progresser, elle ne saurait dicter leurs buts sans menacer leur créativité. Enfin, il faut se méfier des questions éthiques à la mode : elles ne sont pas forcément les plus urgentes. Interview. La plupart des questions que la science pose à la société font appel à la notion de limites. Instaurer des limites, est-ce le grand rôle de l’éthique ? Je suis d’accord que l’éthique a affaire avec les limites. Mais je refuse d’instituer l’éthicien comme une sorte de père la vertu qui mesure la longueur des minijupes de la science. L’éthique n’est pas uniquement une entreprise qui restreint la liberté des chercheurs. Elle peut aussi rappeler que certaines limites issues du consensus social et politique sont parfois mal fondées. Comment réagissez-vous à l’impression, largement partagée, que l’éthique n’a que le pouvoir de retarder l’introduction de nouvelles techniques dans la vie quotidienne, que toutes les limites qu’elle pose sont transgressées ? Le meilleur exemple est la fécondation in vitro : lorsqu’ils mettaient au point cette technique, Edwards et Steptoe étaient au ban de la communauté scientifique. Mais après leur victoire – la première naissance d’un enfant conçu in vitro – l’acceptation sociale et éthique a suivi. Il y a un présupposé non dit dans cette lecture de l’histoire de la fécondation in vitro, qui voudrait que la procédure posait réellement des problèmes éthiques dans la décennie 70, mais que ces problèmes seraient désormais passés sous silence. On refuse d’envisager que les problèmes éthiques perçus alors étaient peut-être des pseudo-problèmes. A mon avis, il n’y a pas vraiment d’accoutumance à des pratiques qui seraient intrinsèquement perverses et qui s’imposeraient petit à petit selon une logique sociale inéluctable et avec le secours rhétorique des éthiciens. Cette lecture relève de l’idéologie. Il y a plutôt une réaction initiale de rejet, rationalisée alors au moyen d’arguments qui s’avèrent ensuite discutables. Car de deux choses l’une : soit Edwards et Steptoe avaient éthiquement tort à l’époque et ils ont encore tort aujourd’hui, soit ils avaient déjà raison il y a 25 ans et la vraie différence d’avec le présent, c’est qu’aujourd’hui, le bien-fondé éthique de la fécondation in vitro est plus largement reconnu. N’y a-t-il pas une troisième possibilité : que ce qu’on appelle «tort» ou «raison» évolue à travers le temps ? Cette interprétation relativiste ne me convainc pas. Je pense que les arguments qui étaient avancés contre la fécondation in vitro étaient faibles. Mais l’effet de choc médiatique et social associé à certaines technologies biomédicales empêche, dans un premiers temps, de prendre la bonne mesure des arguments éthiques. Car il arrive que de telles nouveautés soient initialement «mises en scène» comme des transgressions effrayantes de l’ordre naturel. Mais ensuite, la naïveté de l’éthique naturaliste qui inspire ces réactions apparaît plus clairement et le rejet s’atténue. On progresserait ainsi dans la conscience morale avec le progrès scientifique. Le monde de l’éthique se confondrait avec celui de la science... Je parlerais plutôt de parallélisme. Le rôle spécifique de l’éthique, c’est de fonctionner comme une mémoire des arguments. La maladie d’enfance du débat bioéthique, c’est de ne pas se rappeler ce dont on a parlé avant- hier, et de redécouvrir les mêmes arguments à propos de nouvelles avancées technologiques. Le rôle de l’éthicien, c’est surtout de rappeler qu’on a déjà discuté d’un thème similaire auparavant, souvent avec les mêmes contresens, les mêmes ritournelles idéologiques. Cette mémoire des arguments permettrait de faire face à ce qui apparaît comme une inflation de problèmes éthiques nouveaux. Cet automne encore, des chercheurs ont réalisé que l’injection de cellules souches dans un embryon de souris, une méthode classique pour tester leur pluripotence, posait un problème avec les cellules souches humaines. La question n’est en effet pas nouvelle. Il y a par exemple, dans la Constitution suisse, un article qui est clairement inspiré par un «tabou taxinomique» : il ne faut pas mélanger «le patrimoine génétique et germinal humain» avec celui d’autres espèces. Le débat sur l’hybridation des espèces, déjà ancien en bioéthique, car contemporain du premier débat sur le génie génétique au début des années 70, est simplement réactivé par cet épisode. Là aussi, c’est céder à une certaine idéologie que de voir l’éthique comme rattrapée par un tir de barrage de plus en plus soutenu de la part de la science. Cela dit, que la question ne soit pas nouvelle n’implique pas qu’elle soit triviale. On trouve dans notre culture des tabous très profonds sur l’importance des barrières entre espèces, et en particulier entre notre espèce et les autres. Elles apparaissent comme intangibles, ou dangereuses à transgresser. De nos jours, dans les cultures latines, ce sont surtout les psychanalystes qui viennent rappeler la Loi, et jouent volontiers aux prophètes de l’ancien Testament dès qu’il est question des limites assignées à l’humanité et en particulier celle-là. Mais est-ce bien une expérience d’hybridation ? Les chercheurs pourront toujours argumenter en disant qu’il s’agit d’une expérience limitée, qu’il ne vont pas pousser la logique de la chimère jusqu’au bout. C’est vrai. Ce qui n’empêche pas la question suscitée par cette expérience d’avoir un air de déjà vu. Le même débat a eu lieu au début des années 80, lorsque ont été produites les premières souris transgéniques, en particulier porteuses de gènes humains. A l’époque de l’initiative sur le génie génétique, on demandait souvent aux scientifiques : «Vous mettez un gène humain dans une souris. D’accord, mais ensuite vous en mettrez deux, puis dix. A quel moment cela deviendra-t-il une souris un peu humaine ?». Il est très difficile d’entrer en débat avec ce genre de question car la question elle-même est piégée. Elle repose sur une théorie essentialiste de l’appartenance à l’espèce, bourrée de contresens. Pourtant, il faut bel et bien «faire avec» ces représentations sociales, la difficulté étant que les scientifiques sont mal à l’aise vis-à-vis de ce genre de représentations et les connaissent mal. Les tabous aussi, et leurs origines culturelles profondes. L’éthique doit-elle les respecter ? Tout dépend de l’éthicien qu’on inter-roge. Pour ma part, je me situe dans une tradition plutôt anti-naturaliste. Je considère qu’il ne suffit pas de faire de l’anthropologie philosophique pour obtenir des jugements moraux clés en mains. C’est une erreur que font quasiment toujours les commentateurs d’inspiration psychanalytique, qui s’érigent en juges suprêmes du bien et du mal au nom d’une certaine connaissance de la nature humaine. En réalité, lorsque vous avez décrit la nature humaine et les tabous qui l’encadrent, vous n’avez fait que la moitié du travail. Il reste tout le processus de création de valeurs qui, lui, est beaucoup plus libre. Tout de même, cette création de valeur concerne toute la société. En médecine, le mouvement de sortie du paternalisme et de partenariat avec les patients est considéré comme une avancée importante. Une évolution du même type ne serait-elle pas souhaitable dans la recherche ? Un mouvement qui remplacerait le «paternalisme» des chercheurs et des industriels par une gestion plus démocratique des biotechnologies ? Je suis assez sceptique. Le paternalisme médical et son dépassement se situent dans le cadre d’une pratique humaine très particulière, la médecine. Celle-ci ne peut pas fournir à bien plaire des comparaisons pour d’autres domaines comme la recherche. Par rapport à mes idées initiales, je suis revenu à une conception où l’activité médicale a des spécificités très importantes, qui méritent d’être défendues comme telles. L’éthique médicale n’est pas une simple application de l’éthique en général. N’étant pas médecin moi-même, c’est un peu sur le tard que je découvre à quel point les valeurs de la médecine sont extrêmement spécifiques, tout en étant fragiles. Et les armes dont on dispose pour les défendre sont elles-mêmes assez fragiles, précisément parce les valeurs médicales sont difficiles à expliquer et à défendre par rapport à d’autres valeurs sociales plus visibles et tonitruantes. Je ne crois donc pas qu’on puisse tirer une analogie entre la relation patient-médecine et le rapport citoyen-recherche. (Seconde partie : la semaine prochaine)



La recherche biomédicale semble soumettre la société à un nombre croissant de choix difficiles. L’éthique est appelée à la rescousse. Mais le rôle de cette discipline reste flou. Doit-elle définir ce qu’est l’humain ? Préciser ce qui relève du permis ou de l’interdit ? Interroger les mythes de la société, se poser en gardienne voire en créatrice de valeurs ? Alexandre Mauron, professeur de bioéthique à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, membre de la Commission nationale d’éthique en médecine humaine, ébranle quelques idées reçues au sujet de sa discipline. Face à l’avalanche de questions dites «nouvelles», l’éthique peut jouer un rôle de mémoire des arguments. Si la société doit fixer des limites aux moyens que les chercheurs utilisent pour progresser, elle ne saurait dicter leurs buts sans menacer leur créativité. Enfin, il faut se méfier des questions éthiques à la mode : elles ne sont pas forcément les plus urgentes. Interview. La plupart des questions que la science pose à la société font appel à la notion de limites. Instaurer des limites, est-ce le grand rôle de l’éthique ? Je suis d’accord que l’éthique a affaire avec les limites. Mais je refuse d’instituer l’éthicien comme une sorte de père la vertu qui mesure la longueur des minijupes de la science. L’éthique n’est pas uniquement une entreprise qui restreint la liberté des chercheurs. Elle peut aussi rappeler que certaines limites issues du consensus social et politique sont parfois mal fondées. Comment réagissez-vous à l’impression, largement partagée, que l’éthique n’a que le pouvoir de retarder l’introduction de nouvelles techniques dans la vie quotidienne, que toutes les limites qu’elle pose sont transgressées ? Le meilleur exemple est la fécondation in vitro : lorsqu’ils mettaient au point cette technique, Edwards et Steptoe étaient au ban de la communauté scientifique. Mais après leur victoire – la première naissance d’un enfant conçu in vitro – l’acceptation sociale et éthique a suivi. Il y a un présupposé non dit dans cette lecture de l’histoire de la fécondation in vitro, qui voudrait que la procédure posait réellement des problèmes éthiques dans la décennie 70, mais que ces problèmes seraient désormais passés sous silence. On refuse d’envisager que les problèmes éthiques perçus alors étaient peut-être des pseudo-problèmes. A mon avis, il n’y a pas vraiment d’accoutumance à des pratiques qui seraient intrinsèquement perverses et qui s’imposeraient petit à petit selon une logique sociale inéluctable et avec le secours rhétorique des éthiciens. Cette lecture relève de l’idéologie. Il y a plutôt une réaction initiale de rejet, rationalisée alors au moyen d’arguments qui s’avèrent ensuite discutables. Car de deux choses l’une : soit Edwards et Steptoe avaient éthiquement tort à l’époque et ils ont encore tort aujourd’hui, soit ils avaient déjà raison il y a 25 ans et la vraie différence d’avec le présent, c’est qu’aujourd’hui, le bien-fondé éthique de la fécondation in vitro est plus largement reconnu. N’y a-t-il pas une troisième possibilité : que ce qu’on appelle «tort» ou «raison» évolue à travers le temps ? Cette interprétation relativiste ne me convainc pas. Je pense que les arguments qui étaient avancés contre la fécondation in vitro étaient faibles. Mais l’effet de choc médiatique et social associé à certaines technologies biomédicales empêche, dans un premiers temps, de prendre la bonne mesure des arguments éthiques. Car il arrive que de telles nouveautés soient initialement «mises en scène» comme des transgressions effrayantes de l’ordre naturel. Mais ensuite, la naïveté de l’éthique naturaliste qui inspire ces réactions apparaît plus clairement et le rejet s’atténue. On progresserait ainsi dans la conscience morale avec le progrès scientifique. Le monde de l’éthique se confondrait avec celui de la science... Je parlerais plutôt de parallélisme. Le rôle spécifique de l’éthique, c’est de fonctionner comme une mémoire des arguments. La maladie d’enfance du débat bioéthique, c’est de ne pas se rappeler ce dont on a parlé avant- hier, et de redécouvrir les mêmes arguments à propos de nouvelles avancées technologiques. Le rôle de l’éthicien, c’est surtout de rappeler qu’on a déjà discuté d’un thème similaire auparavant, souvent avec les mêmes contresens, les mêmes ritournelles idéologiques. Cette mémoire des arguments permettrait de faire face à ce qui apparaît comme une inflation de problèmes éthiques nouveaux. Cet automne encore, des chercheurs ont réalisé que l’injection de cellules souches dans un embryon de souris, une méthode classique pour tester leur pluripotence, posait un problème avec les cellules souches humaines. La question n’est en effet pas nouvelle. Il y a par exemple, dans la Constitution suisse, un article qui est clairement inspiré par un «tabou taxinomique» : il ne faut pas mélanger «le patrimoine génétique et germinal humain» avec celui d’autres espèces. Le débat sur l’hybridation des espèces, déjà ancien en bioéthique, car contemporain du premier débat sur le génie génétique au début des années 70, est simplement réactivé par cet épisode. Là aussi, c’est céder à une certaine idéologie que de voir l’éthique comme rattrapée par un tir de barrage de plus en plus soutenu de la part de la science. Cela dit, que la question ne soit pas nouvelle n’implique pas qu’elle soit triviale. On trouve dans notre culture des tabous très profonds sur l’importance des barrières entre espèces, et en particulier entre notre espèce et les autres. Elles apparaissent comme intangibles, ou dangereuses à transgresser. De nos jours, dans les cultures latines, ce sont surtout les psychanalystes qui viennent rappeler la Loi, et jouent volontiers aux prophètes de l’ancien Testament dès qu’il est question des limites assignées à l’humanité et en particulier celle-là. Mais est-ce bien une expérience d’hybridation ? Les chercheurs pourront toujours argumenter en disant qu’il s’agit d’une expérience limitée, qu’il ne vont pas pousser la logique de la chimère jusqu’au bout. C’est vrai. Ce qui n’empêche pas la question suscitée par cette expérience d’avoir un air de déjà vu. Le même débat a eu lieu au début des années 80, lorsque ont été produites les premières souris transgéniques, en particulier porteuses de gènes humains. A l’époque de l’initiative sur le génie génétique, on demandait souvent aux scientifiques : «Vous mettez un gène humain dans une souris. D’accord, mais ensuite vous en mettrez deux, puis dix. A quel moment cela deviendra-t-il une souris un peu humaine ?». Il est très difficile d’entrer en débat avec ce genre de question car la question elle-même est piégée. Elle repose sur une théorie essentialiste de l’appartenance à l’espèce, bourrée de contresens. Pourtant, il faut bel et bien «faire avec» ces représentations sociales, la difficulté étant que les scientifiques sont mal à l’aise vis-à-vis de ce genre de représentations et les connaissent mal. Les tabous aussi, et leurs origines culturelles profondes. L’éthique doit-elle les respecter ? Tout dépend de l’éthicien qu’on inter-roge. Pour ma part, je me situe dans une tradition plutôt anti-naturaliste. Je considère qu’il ne suffit pas de faire de l’anthropologie philosophique pour obtenir des jugements moraux clés en mains. C’est une erreur que font quasiment toujours les commentateurs d’inspiration psychanalytique, qui s’érigent en juges suprêmes du bien et du mal au nom d’une certaine connaissance de la nature humaine. En réalité, lorsque vous avez décrit la nature humaine et les tabous qui l’encadrent, vous n’avez fait que la moitié du travail. Il reste tout le processus de création de valeurs qui, lui, est beaucoup plus libre. Tout de même, cette création de valeur concerne toute la société. En médecine, le mouvement de sortie du paternalisme et de partenariat avec les patients est considéré comme une avancée importante. Une évolution du même type ne serait-elle pas souhaitable dans la recherche ? Un mouvement qui remplacerait le «paternalisme» des chercheurs et des industriels par une gestion plus démocratique des biotechnologies ? Je suis assez sceptique. Le paternalisme médical et son dépassement se situent dans le cadre d’une pratique humaine très particulière, la médecine. Celle-ci ne peut pas fournir à bien plaire des comparaisons pour d’autres domaines comme la recherche. Par rapport à mes idées initiales, je suis revenu à une conception où l’activité médicale a des spécificités très importantes, qui méritent d’être défendues comme telles. L’éthique médicale n’est pas une simple application de l’éthique en général. N’étant pas médecin moi-même, c’est un peu sur le tard que je découvre à quel point les valeurs de la médecine sont extrêmement spécifiques, tout en étant fragiles. Et les armes dont on dispose pour les défendre sont elles-mêmes assez fragiles, précisément parce les valeurs médicales sont difficiles à expliquer et à défendre par rapport à d’autres valeurs sociales plus visibles et tonitruantes. Je ne crois donc pas qu’on puisse tirer une analogie entre la relation patient-médecine et le rapport citoyen-recherche. (Seconde partie : la semaine prochaine)

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