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Construction et montage d’une guitare

mardi 22 juin 2004.
 
Dans ces pages vous sera expliqué la construction d’une guitare classique

Introduction

I l’on considère les changements étonnants qui ont bouleversé le monde de la guitare depuis le siècle dernier, la construction de la véritable guitare classique par la main patiente du luthier donne une impression d’immuabilité. Alors que les chaînes de montage des grandes usines produisent des millions de guitares bon marché, les techniques de fabrication des instruments de très haute qualité n’ont pratiquement pas changé.

Les meilleures guitares modernes proviennent de petits ateliers. Tantôt c’est un chef d’atelier qui supervise le travail de plusieurs ouvriers compétents et expérimentés, tantôt on assiste à une collaboration et à une division du travail. Mais, très souvent, la guitare est construite par un artisan travaillant seul. C’est dans cette formule que se trouve la clé de la personnalité et de la qualité des instruments faits à la main. Deux personnes travaillant sur des établis contigus, sur le même modèle de guitare, utilisant les mêmes bois et les mêmes procédés de construction, produiront des instruments sonnant différemment. Chaque artisan met quelque chose de lui-même (ses idées, sa personnalité) dans ce qu’il fabrique ; chaque guitare faite à la main possède son caractère propre, qui participe en fin de compte de la personnalité de celui qui l’a construite. Il est impossible de trouver une telle personnalité dans un instrument construit en usine, assemblé par différents ouvriers à partir de pièces préconditionnées faites en série.

Le mode de travail traditionnel du luthier a d’autres avantages. Sa conception personnelle de la guitare évolue en fonction de son expérience et de ses résultats antérieurs. Il est libre d’expérimenter et de faire d’un instrument à l’autre de petites modifications le menant vers ce qu’il pense être la sonorité idéale. S’il le désire, il peut fabriquer une guitare sur mesures répondant aux exigences d’un client particulier. Il a la possibilité de discuter de son travail (les fines subtilités de la coloration du timbre, l’équilibre de la guitare, la tension des cordes...) avec des musiciens renommés qui jugeront de son succès ou de son échec. Et surtout, il peut sélectionner, couper et sécher son bois selon ses exigences personnelles, et en contrôler la qualité à tous les stades du travail.

Mais ces avantages ont leur prix. Les meilleurs matériaux sont chers. La construction à la main est lente et laborieuse,et la production d’un luthier n’est pas importante (une moyenne annuelle de vingt à trente instruments, parfois moins). Enfin, la demande en bonnes guitares dépasse l’offre de la production et elles sont devenues objets d’investissement. Les prix ont augmenté en conséquence.

Tout exposé sur la construction de la guitare doit partir de la matière première : le bois. La qualité la plus importante d’un luthier est sa connaissance du bois et de la façon dont on peut travailler chaque pièce afin d’en obtenir le maximum. En ce qui concerne les essences de bois, les préférences varient d’un luthier à l’autre, mais tous sont d’accord sur le fait qu’il leur faut des matériaux du meilleur choix. Selon Manuel Reyes, un des meilleurs « guitarreros » actuels, « l’élément de base le plus important de la fabrication d’une guitare est un matériau d’une qualité exceptionnelle, qui a été bien vieilli ou séché ».

Le choix du bois

Le choix de l’essence de la table revêt une importance particulière. II existe plusieurs « bois de résonance », parmi lesquels l’épicéa est le plus recherché. En lutherie, on utilise principalement deux variétés d’épicéa : l’épicéa des Alpes, qui provient des forêts suisses et allemandes, et l’épicéa de Sitka, qui vient d’Amérique du Nord. Pour les guitares classiques de haut de gamme, on ne se sert que d’épicéa européen.

Depuis plusieurs siècles, l’épicéa des Alpes sert à faire des tables de résonance d’instruments à cordes. On ne prend que les arbres pleinement adultes, et seulement la partie principale du tronc, qui se trouve en dessous des branches les plus basses. Une fois coupé et raboté, l’épicéa est un bois très attrayant, légèrement rosé d’aspect et au grain fin et régulier. Bien qu’il soit résilient et d’une bonne stabilité dimensionnelle, il est assez tendre et facile à travailler. Une de ses caractéristiques est la présence de rayons médullaires fortement marqués, qui croissent du coeur de l’arbre vers l’écorce, perpendiculairement au fil. Ce sont de petits faisceaux de cellules qui passent à travers les fibres principales, et dont la fonction naturelle est d’emmagasiner la cellulose et de faire circuler la résine. Ils donnent un effet de fine moirure, perpendiculaire au grain du bois. On pense que, par leur entrecroisement avec les fibres principales, les rayons médullaires contribuent à améliorer les qualités acoustiques de la table de la guitare. Leur présence dans le bois destiné aux instruments de musique est donc hautement appréciée.

Pour juger si une pièce d’épicéa est convenable ou non, on se sert de plusieurs critères, dont les plus communs sont la finesse et la régularité du grain du bois. La croissance annuelle de l’arbre est marquée par un anneau de bois large, tendre et pâle, qui apparaît rapidement au printemps, et par un autre anneau, plus dur, plus étroit et plus foncé, qui marque la croissance lente de la fin de l’été et de l’automne. Ce sont ces lignes foncées que nous appelons le grain d’une planche finie. D’une façon générale, plus le grain est fin (plus les lignes sont rapprochées), plus la planche est résiliente et plus le son qu’on pourra en tirer sera clair, bien que de nombreux facteurs secondaires entrent aussi en ligne de compte, comme dans toutes les règles générales.

L’ultime critère de choix est la préférence personnelle du luthier. Pour savoir si une mince planche d’épicéa lui convient ou non, le luthier ne se contente pas d’en examiner le grain. Il en jauge la flexibilité pour apprécier sa résilience, et il la tapote pour en écouter la résonance. Le meilleur épicéa a une vitalité extraordinaire que même le profane peut apprécier.

Mais l’épicéa des Alpes est, hélas, très contingenté. Les forêts ont subi trop de coupes, il y a peu d’arbres suffisamment adultes, et le bois de premier choix est à la fois très cher et très difficile à trouver. Beaucoup de facteurs de guitares cherchent maintenant des bois de remplacement. Ces dernières années, de nombreux luthiers (dont José Ramirez et Ignacio Fleta, les deux constructeurs espagnols les plus réputés) se sont tournés vers le western red cedar pour remplacer l’épicéa.

Malgré le large usage qui en est fait, le western red cedar soulève encore des controverses considérables. Il est plus facile à trouver et coûte moins cher que l’épicéa. Ces deux avantages jouent en sa faveur de façon immédiate. Le westerrn red cedar est le plus gros des cèdres d’Amérique du Nord. Son tronc mesure souvent vingt mètres, du sol à la plus basse branche, et il fournit un bois au fil régulier, sans noeuds et d’une qualité étonnante. Les forêts américaines ont été, toutes proportions gardées, moins déboisées que celles d’Europe ; beaucoup de vieux arbres (dont l’âge se situe entre cinq cents et deux mille ans) sont encore vivants et donnent un bois au grain exceptionnellement fin. Le cèdre possède aussi une stabilité dimensionnelle remarquable, même quand il est confronté à des changements de température et d’humidité. II est par contre beaucoup plus tendre que l’épicéa, et l’ongle y laisse facilement une trace. Il est moins résilient, et, malgré une légère maille, il n’a pas les mêmes irisations médullaires ondoyantes que l’épicéa. Lorsqu’on le découpe, il donne une fine sciure aromatique qui peut être très irritante pour les poumons sensibles.

La véritable controverse concerne les propriétés du cèdre en tant que bois de résonance. Certains luthiers sont incapables d’en tirer quoi que ce soit, et certains autres en tirent de bons résultats. José Ramirez va même jusqu’à dire : « S’il en avait connu l’existence, Stradivarius aurait utilisé le bois américain ». Il est difficile de faire des comparaisons précises, mais si l’on écoute deux guitares semblables construites par le même luthier, l’une avec une table en épicéa et l’autre avec une table en cèdre, on a l’impression que le cèdre a plus de réponse dans les fréquences graves. Ceci permet d’obtenir plus facilement un son doux et moelleux, mais va à l’encontre de la fermeté et de la clarté. On prétend également que durant le temps de vie active d’une guitare, le timbre d’une table en cèdre s’améliore moins bien que celui d’une table en épicéa. Il est certain que l’on a construit de très bonnes guitares munies de table en cèdre, mais il est encore douteux que ce bois ait les qualités nécessaires pour faire des instruments exceptionnels. Quel que soit le verdict final, le cèdre continuera à être largement utilisé tant qu’il y aura une forte demande en guitares et que l’épicéa demeurera difficile à obtenir.

Les éclisses et le fond d’une guitare classique sont presque toujours faits en palissandre. On peut là aussi choisir entre deux essences : le palissandre de Rio et le palissandre des Indes. Bien qu’ils portent le même nom, ce sont en fait deux bois différents, tous deux denses, huileux et très beaux. Le palissandre de Rio a tendance à être plus ramagé et plus roux, tandis que le palissandre des Indes a un fil plus régulier et contient souvent des veinures pourprées. Le palissandre de Rio, plus cher, est traditionnellement considéré comme un premier choix, mais là aussi il y a des désaccords sur les mérites respectifs des deux essences. José Ramirez, par exemple, préfère le palissandre des Indes, mais David Rubio, quant à lui, le considère comme une variété inférieure, à tel point que, dit-il, « si je ne peux pas avoir du Rio, je ne fais pas de guitares ». Rubio pense que le Rio est moins fibreux et qu’il remplit mieux son rôle de réflecteur sonore. D’autres fabricants utilisent les deux essences, et répercutent la cherté du bois sur le prix des guitares faites en palissandre de Rio (par ailleurs semblables en tous points à celles qu’ils construisent en palissandre des Indes).

Au XIX siècle, l’érable connut une grande vogue pour la fabrication des caisses de guitare, mais il n’est plus utilisé qu’exceptionnellement. La solidité inhérente à la structure de sa maille permet de le raboter jusqu’à une épaisseur très fine. Quelques luthiers se servent de cette propriété pour construire des guitares au timbre doux et vif, très attrayant pour un instrument de salon, mais peu adapté aux larges espaces des salles de concert. On peut aussi utiliser le poirier, et le luthier madrilène Paulino Bernabe l’a récemment expérimenté sur les caisses de ses guitares classiques et flamenco.

Les essences des caisses de guitare sont principalement sélectionnées en fonction de leurs qualités acoustiques, alors que ce sont surtout leurs propriétés mécaniques qui déterminent le choix des bois utilisés pour les manches et les touches. Le manche d’une guitare subit de la part des cordes une traction permanente, qui tend à l’arquer et à le déformer. Le bois choisi doit être dur et stable. La moindre tendance à se tordre ou à se voiler sera accentuée par la traction des cordes. Mais il doit aussi être léger, afin qu’entre les mains du musicien l’instrument offre une tenue équilibrée. L’érable et le cédrat du Honduras possèdent cette combinaison de robustesse, de stabilité et de légèreté.

Le bois de la touche doit être suffisamment dur pour résister à l’usure provoquée au fil des ans par les doigts du musicien. Il doit aussi être d’une stabilité raisonnable. L’ébène a totalement remplacé le palissandre pour les touches des guitares classiques, et il est maintenant universellement choisi. Sa plus grande dureté l’a remporté sur la meilleure stabilité du palissandre.

Quiconque a déjà travaillé le bois sait qu’il possède une vie propre. Il est constamment mouvant et fluctuant, et il réagit au moindre changement de température et d’humidité. Dans un instrument de musique comme la guitare, qui doit être léger et flexible pour répondre aux vibrations musicales, on ne peut pas combattre ces tendances du bois par une construction plus massive. Il faut les contrôler par une coupe et un séchage adéquats. Tous les bois destinés à la construction des guitares doivent provenir de planches découpées le plus près possible du rayon de la bille. Ils doivent en outre subir un séchage complet.

Si on découpe une planche dans une bille de façon radiale, de sorte que son fil de tranche soit vertical, sa tendance à se déformer se manifestera selon ses trois axes principaux. Si au contraire la bille est coupée sur dosse, le fil de tranche de la planche se retrouve en biais et les forces qui s’exercent lorsque le bois bouge vont tordre et voiler la planche.

Pour obtenir d’une même bille le maximum de planches coupées radialement, on la découpe par quartier. Il existe plusieurs façons de le faire, mais en principe plus on a de planches réellement radiales, moins on a de pertes, et plus les manipulations de scierie sont complexes. L’idée de José Romanillos d’employer des coins et des haches pour le débitage ne correspond pas au processus commercial ordinaire, et n’est réellement viable que dans les endroits où le luthier peut travailler lui-même sur la bille .

Un bois convenablement séché ne voit pas seulement sa tendance à se voiler se réduire : plus il vieillit, plus sa solidité augmente et plus sa capacité de réponse aux vibrations s’améliore. Une fois que la bille a été débitée, les plateaux sont soigneusement empilés et abrités de façon à ce que la moisissure contenue dans l’arbre vivant puisse se dessécher et être éliminée. On préfère le séchage à l’air libre au séchage à l’étuve, parce qu’il laisse aux changements chimiques le temps de se produire et de « traiter » le bois. C’est là une opération particulièrement lente. Les luthiers laissent sécher leurs bois pendant une période de trois à cinq ans minimum, et souvent pendant plus longtemps. Pour les tables, une période allant de vingt à trente ans est considérée comme idéale. Une fois séché, le bois est stocké dans l’atelier jusqu’à ce qu’il se stabilise dans les conditions de température et d’humidité qui présideront à son assemblage.

La structure de la guitare

L’assemblage d’une guitare classique est déterminé par la double nature de l’instrument, qui est à la fois physique et musicale. Il n’est pas facile de satisfaire en même temps les exigences de la solidité et celles de la stabilité. A son stade actuel d’évolution, la guitare moderne est suffisamment robuste pour résister à la traction exercée par les cordes sur le manche et sur la table, et elle est en même temps assez légère et assez flexible pour répondre aux moindres vibrations musicales.

En ce qui concerne sa structure, la forme de la guitare a des désavantages intrinsèques. La caisse est dans son essence une boîte plate, et si l’on veut qu’elle soit réellement solide, il faut la renforcer. La totalité de la traction des cordes est transmise à la table plane par le chevalet. La table doit résister à cette traction sans se déformer, mais elle doit rester capable de vibrer comme un diaphragme. Les difficultés engendrées par ce conflit ont été amplifiées par l’augmentation de taille des instruments modernes.

La solution aux problèmes structurels de la guitare tient largement à la combinaison de deux artifices. Le premier est la conformation particulière du talon du manche et du tasseau supérieur, qui sont faits d’un seul tenant et dans lesquels sont enclavées les éclisses. Ils fournissent en outre de larges zones de collage pour la fixation de la table et du fond. Cet assemblage est le point de rencontre rigide des principaux éléments de la guitare (éclisses, table, fond et manche), à l’endroit où les contraintes et les mouvements potentiels sont les plus forts. Il donne à l’instrument un centre de stabilité, avec un minimum de matériaux.

Le second artifice important est le système hautement élaboré de barres disposées en éventail sous la table. Ces barres arment la table contre la traction des cordes et en contrôlent les vibrations. Elles permettent en outre un amincissement de la table qui favorise une meilleure qualité de réponse. Elles évitent également d’avoir à renforcer la partie inférieure de la table avec des barres latérales qui en entraveraient la vibration. En modifiant l’épaisseur de la table et en réglant subtilement la position du barrage, le luthier expérimenté peut « accorder » la réponse de la table en fonction de la gamme entière des fréquences, afin d’obtenir le son qu’il désire.

L’attention apportée à la table et à son barrage peut donner l’impression que c’est là le seul facteur important dans la production du son et dans la réponse du timbre de la guitare. Il n’en est rien : une corde de guitare qui vibre met la table en mouvement. La table vibre en projetant des ondes sonores vers l’intérieur et vers l’extérieur de l’instrument avec une égale intensité. Les ondes projetées à l’intérieur sont réfléchies et concentrées par la caisse de l’instrument avant d’être projetées au dehors par l’ouverture de la table. Elles ne doivent pas interférer avec les ondes qui partent directement de la table vers l’extérieur, et la totalité du volume d’air de la caisse doit être pleinement activée. La forme exacte et la taille de la caisse, la taille et la position de l’ouverture de la table, la hauteur des éclisses et les caractéristiques vibratoires de la taille et du fond, sont autant de facteurs qui doivent entrer en ligne de compte. L’interaction de ces paramètres est si complexe qu’on ne peut formuler aucune règle précise. Le luthier doit principalement se fier à son expérience et à son intuition.

La relation entre la taille et le volume sonore de la guitare n’est pas totalement claire. Certaines des guitares les plus admirées ont une caisse de petite taille. L’énergie délivrée par les cordes est limitée, de même que la quantité de travail fournie par cette énergie pour mettre en vibration les bois et les volumes d’air de la guitare. Selon David Rubio : « Ce n’est pas la taille qui fait le volume. Peut-être qu’avec un appareil qui mesure le son en décibels à une certaine distance de la guitare, la caisse plus épaisse donne un son plus fort, mais... une guitare plus petite ayant un bel équilibre de sonorités et une bonne séparation des notes portera mieux dans une salle de concert. »Quoi qu’il en soit, il faut admettre que la majorité des guitares que l’on entend en concert de nos jours sont des instruments de grande taille.

Les luthiers sont des individualistes et ne suivent pas tous exactement le même ordre dans les étapes de la construction. Chacun a ses habitudes favorites quant aux diverses opérations. Les différents processus de la méthode espagnole traditionnelle demeurent cependant la base de la construction de la guitare classique.

Le processus de construction

La première opération est la préparation des éclisses. Après les avoir rabotées et raclées à la main jusqu’à la bonne épaisseur (2 mm ou un peu moins), il faut les cintrer. Le procédé habituel consiste à travailler le bois sur un fer à cintrer chauffé. Le fer à cintrer traditionnel est fait d’un tuyau métallique de section ovale chauffé à sa base par un brasero de charbon de bois. Les fers à cintrer modernes fonctionnent à l’électricité. Une fois chauffé, le bois devient plus malléable et on peut lui donner la courbure voulue. On peut travailler le bois à sec ou mouillé. Plus il contient de moisissures, et plus il se courbe facilement, mais le travail à sec le soumet à moins de changements brusques d’humidité, et permet de gagner du temps. La plupart des luthiers travaillent à main levée, en utilisant comme repère un gabarit plein qui donne le contour de la table. Le travail à main levée demande une longue expérience, mais permet au luthier de modifier la forme de la caisse de ses guitares. Une fois les éclisses cintrées, on les met de côté pendant un jour ou deux. Si elles se détendent, on peut les retravailler et les mettre de nouveau en forme.

Il existe une autre méthode de cintrage des éclisses : on les plonge dans de l’eau presque bouillante jusqu’à malléabilité complète. Quand elles sont molles, on les fixe sur un moule pour leur donner la bonne courbure. Cette technique présente l’avantage de la simplicité, mais empêche le luthier de remanier la forme de ses guitares sans refabriquer une pièce de base de son outillage.

José Ramerez emploie pour ses guitares un mode inhabituel de montage des éclisses : elles ne sont pas en palissandre massif, mais en palissandre plaqué de cyprès espagnol (une essence utilisée traditionnellement pour les caisses des guitares flamenco). Il pense que le placage de deux bois différents empêche les éclisses de se voiler ou de se tordre. La combinaison du palissandre et du cyprès est sans doute un élément déterminant du son particulier de ses instruments.

Le manche est découpé dans un bloc d’acajou ou de cédrat du Honduras. L’épaisseur supplémentaire de bois demandée par le talon et le tasseau supérieur peut être faite de couches de bois rajoutées et contrecollées. On façonne et on finit le tasseau, mais le plus souvent on laisse le manche brut jusqu’à ce qu’il soit fixé sur la caisse. Le manche est habituellement fait d’une seule pièce, mais Ramerez a introduit une pratique différente, qui a depuis été adoptée par plusieurs autres luthiers : ses manches sont faits d’une fine tranche centrale d’ébène (qui est une précaution supplémentaire contre le gauchissement) prise en sandwich entre deux tranches de bois.

La tête de la guitare est souvent découpée dans la même pièce de bois que le manche, et rapportée par un joint en sifflet, calculé pour donner à la tête la bonne inclinaison par rapport au manche. A la place du joint en sifflet, on utilise parfois une enture en V, qui a l’avantage d’être un assemblage par compression, par opposition à une jointure par contact. Mais elle est difficile à réaliser, et la résistance accrue des colles modernes l’a fait tomber dans une désuétude croissante.

On peut maintenant procéder à la mise en forme de la tête, à la pose de son placage et à sa préparation en vue de la pose des mécaniques. Selon les préférences, ces opérations peuvent être remises à une étape ultérieure de la construction de la guitare. Le placage est une simple feuille de palissandre, ou encore par exemple une triple épaisseur d’ébène, de houx et de palissandre. Dans les deux cas, le palissandre sert de complément visuel au chevalet. La découpe du haut de la tête (et parfois la sculpture de sa face avant) est une caractéristique particulière qui permet de déceler l’origine de la guitare. Chaque luthier possède sa découpe personnelle qui, même s’il en change parfois, est sa signature au même titre que son nom sur l’étiquette.

Une fois le manche préparé, le luthier peut se consacrer à la table et au dos. D’ordinaire, on les travaille plus ou moins en même temps, de façon à pouvoir assortir leurs caractéristiques de résonance. Deux fines planches aux dessins symétriques, dont les chant ont été parfaitement dressés et poncés, sont collées l’une contre l’autre. Le dos reçoit ses filets centraux.

Il est courant, bien que cela ne soit pas une pratique universelle, de coller les bois de la table de façon à ce que le fil le plus serré (et donc le plus rigide) soit placé au centre. Ceci est dû au fait que les zones périphériques de la table sont renforcées par leur collage sur les éclisses, et que c’est au centre de la table que les vibrations critiques sont transmises en premier lieu. Après collage, la table est rabotée jusqu’à une épaisseur approchant de sa cote définitive. On peut maintenant placer la rosace.

Une fois la rosace insérée, le luthier découpe la table à sa forme, la rabote et la racle à son épaisseur définitive et place le barrage. C’est là une étape déterminante pour le résultat final. Le but est de construire une guitare qui n’ait pas seulement un timbre d’une certaine qualité, mais aussi une longueur de son égale sur toute l’étendue du registre. Elle doit avoir une réponse dans les basses et dans les aiguës qui soit équilibrée, et dans l’idéal, chaque note devrait avoir le même volume sonore. Comme tout objet qui résonne, une table de guitare possède ses propres caractéristiques naturelles de résonance. Le luthier doit veiller à ce qu’elles ne dominent pas et à ce qu’elles ne colorent point l’étendue du registre.

Outre l’épaisseur de la table, les paramètres dont il doit tenir compte sont le nombre, la disposition, la taille et l’épaisseur des barres de l’éventail. Le nombre des combinaisons possibles est énorme, ainsi qu’en témoignent les divers types de barrage que l’on trouve aujourd’hui sur les bonnes guitares.

En premier lieu, le luthier doit évaluer les possibilités de la table, arriver à une estimation de ses qualités sonores potentielles, et décider de la façon dont il va les exploiter pleinement. Si la table est rigide, elle aura une tendance naturelle à avoir une bonne réponse dans les aiguës. Si elle est très souple, elle favorisera les graves. De l’avis général, il n’est pas très difficile d’obtenir de bonnes basses bien riches. Le vrai problème est d’avoir des aiguës claires, sans « trous de réponse », qui supporteront le poids des basses et qui sonneront avec une grande clarté. Il est facile de fabriquer une guitare dont tous les éléments sont bons, mais il est beaucoup plus difficile d’en faire une qui soit bonne une fois assemblée. Plus la guitare est grosse et plus le problème se pose, car la résonance des basses tend à augmenter avec la taille de l’instrument. La plupart des schémas de barrages expérimentés ces dernières années sont conçus pour renforcer la table du côté des aiguës et augmenter la réponse dans les hautes fréquences.

Bien que sur le plan acoustique elles aient le rôle le plus déterminant, les barres de l’éventail ne sont pas les seules barres importantes de la table. Il y a aussi des barres transversales qui donnent de la stabilité aux régions de la taille et du renflement supérieur, des renforts tout autour de l’ouverture centrale et parfois une plaque de renforcement sous l’extrémité de la touche. Tout ceci sert à combattre les flottements importuns de la partie supérieure de la table.

Torres lui-même était un grand expérimentateur, et il essaya un bon nombre de dispositions différentes des barres d’harmonie (ce fait est d’ailleurs souvent oublié). Certaines de ses expériences (fig. 2) étaient aussi étranges que ce que l’on trouve maintenant sur une guitare moderne. Cet éventail, qui a été posé sur un instrument fabriqué en 1863, comprend neuf barres dont six passent sous une barre transversale à deux arches placée sous l’ouverture centrale de la table. Cette guitare était également équipée d’un porte-voix (un cylindre de cuivre légèrement tronconique) fixé derrière l’ouïe.

Le système de barrage, conçu en 1956 par le luthier français Robert Bouchet, comprend une barre à arches semblable à celle-ci et située sous la rosace.

Plus récemment, David Rubio a modifié le barrage de Torres en posant dans la région du chevalet une « barre nodale à cheval sur les deux barres d’aiguës extérieures (fig. 3). Se basant sur l’idée qu’avait eue Bouchet d’une barre joignant entre elles les nervures situées sous le chevalet, Rubio pense qu’en plaçant cette barre avec précision il peut discipliner la réponse des aiguës.

Ce schéma de barrage, qui équipe une guitare faite par Marceline Lopez (fig. 4), montre un autre procédé de renforcement des aiguës, grâce à une barre diagonale placée immédiatement en dessous de la barre transversale principale. On trouve des variations sur ce thème chez Ramirez et Fleta. Remarquons ici le dessin asymétrique de l’éventail, qui comprend quatre barres d’aiguës et trois barres de graves, disposées de part et d’autre d’une barre longitudinale centrale. Les barres d’aiguës sont nettement plus légères que les autres.

Felix Manzanero est l’un des quelques luthiers à utiliser un système de nervures parallèles (fig. 5). Mais que dire du système à trois éléments de Pauline Bernabe (fig. 6) ?. On ne s’attend pas à première vue à ce qu’il soit efficace, mais Bernabe est un luthier de grand talent et ses idées apparemment hérétiques donnent des résultats étonnamment bons.

Les variations des systèmes de barrage sont pratiquement innombrables, mais cette petite sélection devrait suffire à donner un aperçu des principaux chemins qui ont été explorés.

Durantlafixationet le façonnage des barres d’harmonie, la table de la guitare est fixée sur l’établi avec des serrejoints. Les barres elles-mêmes sont faites dans le même bois que la table, que ce soit de l’épicéa ou du cèdre. Leur collage doit être propre et minutieux. Des barres mal collées peuvent émettre des vibrations parasites et ne remplissent pas leur rôle correctement.

Les barres transversales ne sont pas tout à fait plates, mais légèrement arquées, ce qui donne à la table un bombage à peine prononcé. De même pour le dos, car le bombage accroît la rigidité de l’instrument en même temps qu’il empêche la formation d’ondes parasites (vibrations pouvant prendre naissance entre deux surfaces planes et parallèles, et s’amplifier jusqu’à devenir dominantes).

En même temps qu’il met en forme les barres d’harmonie, le luthier accorde la table de façon définitive, en en vérifiant constamment les caractéristiques de résonance. Les différents luthiers ont pour cela différentes méthodes : certains d’entre eux accordent la table selon une note spécifique (que l’on peut entendre en tapotant la table, ou en frottant un archet de violon sur sa tranche) ; d’autres écoutent les combinaisons d’harmoniques, d’autres encore ont des méthodes moins précises, mais savent quand cela sonne « comme il faut ».

Le dos, accordé avec la table selon les mêmes procédés, possède trois barres transversales et un filet central recouvrant le joint d’assemblage de ses deux moitiés. La relation à établir entre la table et le dos suscite des opinions variées. David Rubio, par exemple, accorde le dos un demi-ton plus bas que la table. D’autres ne l’accordent pas selon une note spécifique. Le but final est d’obtenir une table et un fond acoustiquement compatibles et qui permettront à la guitare de produire un son clair.

Une fois la table et le fond terminés, on procède au collage du manche et de la caisse. On peut par exemple coller en premier lieu le manche sur la table (toujours fixée sur l’établi), puis assembler les éclisses. On peut aussi coller d’abord les éclisses dans les fentes pratiquées entre le talon du manche et le tasseau supérieur, et coller ensuite la table sur cet ensemble. La zone de collage des éclisses et de la table voit sa superficie accrue par la présence de petits taquets triangulaires disposés côte à côte tout autour de la jointure, ou par une contre-éclisse lisse ou marquée de traits de scie (une contre-éclisse marquée de traits de scie est une baguette de bois de section rectangulaire ; des traits de scie donnés à intervalles réguliers permettent de la courber et de l’ajuster aux contours de la table).

La zone de collage éclisses/fond est, de la même façon, augmentée par la présence d’une contre-éclisse, qui est en principe lisse et mise en forme au fer à cintrer avant d’être collée sur les éclisses.

I1 existe une théorie selon laquelle les contre-éclisses, non contentes d’augmenter la rigidité de la caisse, en améliorent les qualités acoustiques en comblant les angles formés par l’assemblage des différents éléments, qui sans cela seraient des « coins morts ».

Une fois le manche, la table et les éclisses assemblés (et toujours fixés sur l’établi), on colle le dos à sa place avant d’en tailler les contours aux bonnes dimensions.

Pendant le montage de la caisse, on doit faire attention à l’alignement correct du manche et à son renversement par rapport à la caisse. Le manche est parfois monté à plat dans le même plan que la table, mais de nombreux fabricants lui donnent un léger renversement vers le haut, ce qui relève le sillet de tête d’une hauteur allant jusqu’à 3 mm. Ceci contribue à obtenir un toucher convenable et un jeu sans frisage et réduit le voilage qui doit normalement être apporté à la touche.

La position du manche, le profil de la touche, la hauteur du sillet de chevalet, et même le comportement de la table, tout cela a une influence sur le toucher de la guitare.

Après l’assemblage de la caisse, le luthier peut incruster les filets de bordure à la jointure de la table et des éclisses, et à celle des éclisses et du dos. Les filets, qui sont de longues bandes de placage de bois dur, ajoutent énormément à beauté visuelle de la guitare.

Ils servent aussi à sceller les extrémités du fil du bois d éclisses, de la table et du fond, et empêchent la pénétration des moisissures contenues dans l’air ambiant. Une feuillure de dimensions légèrement plus petites que celles de la tracnche du filet, est découpée à l’aide d’un trusquin ou d’une défonceuse aux jointures éclisses/table et éclisses/fond. La bordure est mise en place, collée, poncée et raclée à niveau avec la caisse.

Maintenant que la caisse de l’instrument est achevée, l’attention se concentre sur le manche et sur la touche. Si ce n’a pas été fait à un stade antérieur, il faudra aussi s’occuper de la tête (y poser le placage, en découper le sommet, y pratiquer les fentes qui recevront les mécaniques).

La touche est un élément plus complexe qu’il n’en a l’air. II faut la mettre en place, repérer et pratiquer les rainures destinées à recevoir les barrettes, et poser ces dernières. Comme d’habitude, l’ordre précis dans lequel vont se dérouler toutes ces opérations varie d’un atelier à l’autre. Le façonnage de la touche doit satisfaire à deux exigences. Le dessous de la touche doit s’adapter avec précision et sans forcer au manche et à la table, jusqu’à la rosace. Quand cet ajustage est obtenu, la touche est collée en place, et on peut en travailler la surface. Le profil de la corde en vibration doit entrer en ligne de compte. Quand une corde vibre, son plus grand déplacement se situe, dans le cas d’une corde non frettée, à la douzième barrette (le point milieu de sa longueur vibrante). La corde doit avoir la place de bouger, faute de quoi elle frise contre les barrettes. Mais si la distance entre la corde et la surface de la touche est trop grande, le jeu de la guitare peut devenir difficile, et sa sonorité peut elle aussi être modifiée. Pour tenir compte de cela, on effile légèrement la touche, qui est donc plus fine à la hauteur de la rosace qu’au niveau du sillet de tête. La surface supérieure de la touche n’est pas toujours plane. L’enveloppe d’une corde en vibration est courbe, et on peut lui faire correspondre une courbure de la touche. La courbure d’une touche bien ajustée peut donner entre la douzième et la première barrette une différence de niveau allant de 0,4 à 0,8 mm. Pour finir, les cordes basses vibrent avec un déplacement plus grand que les cordes aiguës. Pour ne pas entraver ce phénomène, on peut rehausser une des extrémités du sillet du chevalet, ou bien surbaisser la touche du côté des basses, ou bien les deux à la fois. Ces ajustages sont infimes, mais ils ont leur importance.

L’étape suivante est la pose des barrettes. Le diapason, ou longueur de corde vibrante, est de toute évidence un des éléments majeurs dans la détermination du dessin et de la construction de la guitare. Il y a quelques années, certains luthiers, qui cherchaient à fabriquer des instruments plus puissants, ont rallongé le diapason de leurs guitares, le portant à 66 cm et même davantage, au lieu de l’étalon fixé de 65 cm par Torrès. Cet allongement rend le jeu de la guitare plus difficile (car les écartements de main gauche sont plus grands) et on émet des doutes croissants quant à la puissance apparente de ces guitares de plus grande taille.

Le luthier doit savoir déterminer la position des barrettes et les mettre en place avec une grande précision, de façon à ce que la guitare soit juste à toutes les cases. L’échelle musicale dont nous nous servons maintenant est à tempérament égal : l’octave est divisée en douze demi-tons parfaitement égaux. Le calcul de la position des barrettes nécessite quelques connaissances mathématiques de base.

Lorsqu’il a déterminé les positions des barrettes correspondant au diapason choisi (en fait, dans la plupart des cas, lorsqu’il s’est procuré le résultat des calculs de quelqu’un d’autre), le luthier fabrique un gabarit sur lequel les positions sont repérées. Il fixe ce gabarit sur la touche avec des serre-joints, et il reporte les positions sur l’ébène.

Les barrettes elles-mêmes sont faites de tronçons de fil de maillechort à section en T, coupées à même le rouleau. Le pied de la barrette porte un certain nombre de picots. On pratique tout d’abord les rainures dans la touche à l’aide d’une scie très fine. Ces incisions doivent être de la largeur et de la profondeur exactes permettant, une fois que la barrette a été enfoncée au marteau dans son logement, que son pied soit entièrement encastré et que le bois enserre fermement les picots. C’est une mise en place à force, sans colle.

La plupart des luthiers exécutent les rainures une par une à la main ou à l’aide d’une scie circulaire électrique. Les ateliers plus importants et plus mécanisés peuvent se procurer une scie circulaire spéciale, qui exécute les dix-neuf rainures en même temps. Cet outil ressemble à une scie circulaire ordinaire, mais à dix-neuf lames, espacées de façon à donner le positionnement exact des barrettes. Si on utilise une scie circulaire, il est plus pratique de réaliser les rainures avant de coller la touche sur le manche. Si on travaille à la main, c’est le contraire qui est vrai.

Quand les rainures sont faites, on coupe à la pince, à même le rouleau, des tronçons de barre de ton d’une longueur un tout petit peu trop grande, et on les enfonce à force dans leur logement avec un marteau. Il faut ensuite les amener à la bonne longueur et en égaliser les extrémités à la lime. Quand le doigt presse une corde, celle-ci doit entrer fermement en contact avec le sommet exact de la barrette.

Maintenant que les barrettes sont posées, le luthier va pouvoir terminer le manche et mettre à leur place les sillets de tête et de chevalet. Le manche et le talon sont sculptés au ciseau et à la plane. La vitesse avec laquelle un luthier transforme un bloc de bois à peine dégrossi en un manche parfaitement lisse et au profil adéquat est absolument étonnante.

Le chevalet de la guitare classique est taillé dans un bloc rectangulaire de palissandre. Les arêtes de sa partie centrale (sur laquelle viennent s’attacher les cordes) sont protégées par de l’ivoire. Cette partie centrale est parfois garnie d’une mosaïque de bois incrusté dont le motif est assorti à celui de la rosace. Le chevalet Kasha est plus large du côté des basses que du côté des aiguës. Ceci est supposé favoriser un meilleur équilibre de réponse.

Le positionnement exact du chevalet est aussi essentiel pour la justesse de la guitare que celui des barrettes. En théorie, le diapason est la distance entre les points de contact de la corde avec le sillet de tête et celui du chevalet. En pratique, il faut légèrement déplacer le chevalet vers le bas, de façon à ce que la longueur de corde vibrante soit un peu plus grande que la longueur théorique du diapason. Cette différence, appelée compensation, est fixée à 2 mm environ, mais elle varie légèrement d’une guitare à l’autre en fonction de la longueur du diapason et du toucher de l’instrument. Sans une compensation précise, la guitare sera fausse. Lorsque le doigt presse une corde sur la touche, cette pression même augmente la tension de la corde, ce qui se traduit par une légère augmentation de la hauteur de la note, laquelle n’est plus tout à fait juste. Cette modification de la hauteur de la note doit être corrigée par la compensation. Une fois que l’on a établi la position du chevalet (lequel a déjà reçu apprêt et vernis), on peut le coller à sa place à l’aide de deux ou trois serre-joints à large voie.

Les sillets de tête et de chevalet sont tous deux faits d’os ou d’ivoire. On préfère de beaucoup l’ivoire, car sa beauté est durable alors que l’os jaunit avec le temps. Les six fines rainures du sillet de tête, dans lesquelles reposent les cordes, sont légèrement décalées vers le côté grave de la touche. Ceci permet d’avoir un peu plus de place pour la chanterelle, de façon à ce qu’elle ne « saute » pas hors de la touche dans les passages en « legato ».

Pour finir, il faut vernir la guitare. Certains luthiers montent les mécaniques et les cordes avant de vernir, afin d’essayer la guitare et de procéder aux réglages finaux, puis ils les démontent. Cette démarche fastidieuse est assez peu répandue.

L’effet du vernis sur le timbre de l’instrument suscite des opinions variées. Tout bien considéré, les différences semblent négligeables, tant que le vernis est appliqué en quantité ordinaire.

L’application d’un vernis comporte plusieurs opérations différentes. Le palissandre est un bois huileux, qui doit être complètement dégraissé à l’aide d’un solvant volatil avant de pouvoir être verni. On apprête ensuite la guitare tout entière (à l’exception de la touche) avec une fine couche de gomme-laque. Puis le palissandre de la caisse et le cédrat ou l’acajou du manche sont passés au fondur, qui bouche les pores ouverts du bois. C’est seulement quand le fondus est parfaitement sec que l’on peut enfin vernir. Seule la touche reste dans son état naturel, tout le reste de la guitare étant verni.

On peut utiliser plusieurs types de vernis : vernis au tampon, vernis à l’huile, à l’alcool, ou laques. Les meilleures guitares reçoivent traditionnellement un vernis au tampon, très beau, durable et sans contre-indications acoustiques, mais au mode d’application lent et difficile. C’est une variété de gomme-laque, appliquée à l’aide d’un tampon de tissu doux et étroitement rembourré. On passe le vernis d’un mouvement large et régulier, par couches successives de plus en plus minces. Les dernières couches sont très fines et travaillées de façon à donner un beau lustre. Le vernis est enfin passé légèrement à l’alcool pur afin d’enlever l’excédent d’huile et parfaire le lustre.

Les autres vernis sont faits de résines naturelles en solution dans des bases d’alcool ou d’huile. Appliqués à la brosse, ils sont ensuite poncés au papier de silicone fin, puis polis à l’aide d’une fine pâte à polir. Les vernis à l’huile sèchent lentement et sont plus souples. Certains facteurs d’instruments les suspectent d’étouffer l’indispensable réponse des aiguës.

Les laques pulvérisées acryliques et à la nitrocellulose, largement employées pour les guitares à cordes d’acier et les guitares électriques, se taillent lentement une place dans les ateliers classiques. José Ramirez fut le premier à utiliser couramment les vernis au pistolet pour les guitares faites à la main. Les laques sont durables, faciles à appliquer, et donnent un lustre très brillant. Elles peuvent aussi avoir un aspect désagréablement synthétique, et il faut prendre garde, pendant la pulvérisation, d’éviter les vilains amoncellements dans les angles, tels que la jointure du chevalet et de la table.

Une fois le vernis durci, sec et poli, on peut monter sur la guitare les mécaniques et les cordes. Les meilleures mécaniques sont pour la plupart fabriquées en Allemagne, plaquées or ou argent et ciselées à la main. D’autres sont en métal bleui, « avec un ciselage doré. Les engrenages ne doivent pas avoir de jeu, et doivent tourner facilement et sans à-coups, ce dont on ne peut s’assurer que les cordes étant détendues.

La guitare est enfin terminée. Sa construction, du moins, est achevée, car les instruments neufs mettent du temps à révéler toutes leurs qualités. La guitare doit se « roder », et il faut faire sonner toutes les notes autant les unes que les autres, sinon des « endroits morts » vont se créer. Si elle est traitée correctement, la guitare s’améliorera avec les années. Si on la néglige ou si l’on en joue mal, elle perdra petit à petit ses pouvoirs.


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