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La bataille de Varaville
La bataille de Varaville
par John A. Willes
Tiré de Out of the Clouds, The History of the 1er Bataillon canadien de parachutistes, 1995, p. 78-81. Reproduit avec l'autorisation de l'auteur.

Un parachutiste épuisé se repose dans une tranchée. Varaville, 6 juin 1944.
Photo par John Ross, reproduite avec l'autorisation des Archives de l'Association du 1er Bataillon canadien de parachutistes.

La compagnie C avait reçu la mission d'éliminer la garnison ennemie postée à Varaville et la position d'artillerie sur la route près du château, de détruire le pont sur la Divette, ainsi que la station de transmission radio près de Varaville. Étant donnée la taille des effectifs de la compagnie, c'était une tâche colossale. Au château de Varaville, l'ennemi avait établi un canon anti-char de 75 mm et des fortifications comprenant bunkers et tranchées. Et le nombre des soldats ennemis, autant ceux qui contrôlaient le carrefour que ceux postés à Varaville même, était plus élevé que prévu. Les difficultés auxquelles allait faire face le petit groupe, lâché dans les environs immédiats, étaient encore aggravées par le fait que les parachutistes étaient passablement dispersés. Seulement trente d'entre eux, tous grades confondus, avaient atteint la zone cible, les autres se retrouvant dispersés, parfois jusqu'à dix milles de leur but.

Le lieutenant S. (Sam) McGowan de la compagnie C se posa à quelque distance de la zone de largage mais réussit à rassembler plusieurs hommes de son peloton et à se diriger vers Varaville. En approchant du village, ils tombèrent sur deux sections d'infanterie allemande et ouvrirent le feu. Un affrontement s'en suivit qui permit d'interdire l'entrée du village à l'ennemi et força la reddition d'un certain nombre de soldats allemands.

McGowan établit un QG de compagnie temporaire dans un cimetière, utilisant le clocher de l'église comme poste d'observation. Peu après la vigie détecta une section ennemie qui s'approchait, traversant un cratère ouvert par les bombardements. Un groupe fut envoyé pour les retenir avant qu'ils n'atteignent le cimetière. La section allemande fut finalement repoussée; elle laissa trois morts derrière elle dans le cratère...

La compagnie C dut par la suite essuyer un tir nourri de mortier et d'artillerie ennemie, de même que le feu de francs-tireurs cachés dans les bois et les maisons voisines. Les civils français apportèrent une aide considérable au peloton de McGowan, les femmes soignant les blessés et les hommes offrant de faire le coup de feu pour chasser l'ennemi. Un français à qui l'on avait remis un béret marron et une arme réussit à abattre trois francs-tireurs. Malgré la violence des tirs, McGowan parvint à maintenir sa position dans le village jusqu'au milieu de l'après-midi alors qu'il fut relevé par le 6e commando de troupes cyclistes britanniques. Il continua alors sa route vers le campement de bataillon au carrefour du Mesnil.

Le major H.M. (Murray) MacLeod de la compagnie C avait été le premier à sauter de l'avion numéro 10 et avait touché terre à l'extrémité nord de la zone de largage. Son ordonnance, le soldat P. I. Bismutka, avait atterri non loin de là. Tous deux se dirigeaient vers le point de rendez-vous lorsque les Lancasters qui avaient reçu l'ordre de bombarder la batterie de Merville survolèrent l'endroit, certains lâchant leurs bombes sur la zone de largage des parachutistes. Ce raid, totalement inattendu, laissa MacLeod et beaucoup d'autres en état de choc. Quand le barrage se termina enfin, MacLeod et Bismutka continuèrent leur route vers le point de rendez-vous qu'ils atteignirent vers minuit et demi.

Le lieutenant H. M. Walker, le sergent G. Davies, le caporal W.E. Oikle, et le soldat G. « Mousie » Thompson arrivèrent au même moment, et y retrouvèrent les sergents M. C. MacPhee et R. O. MacLean, le caporal A. M. Saunders, et les soldats W. S. Ducker, B. Swim, R. Mokelki et A. J. McNally. Les choses ne se passaient pas du tout comme prévu. Il y aurait dû y avoir près de 100 hommes au rendez-vous à minuit et demi, mais MacLeod n'en avait que 15. Le plan exigeait des troupes lourdement armées, avec des équipes de mitrailleurs, des mortiers lourds et des torpilles de type Bangalore. Au lieu de cela, le petit groupe disposait seulement d'un fusil anti-char PIAT, de trois mitraillettes Sten, de huit fusils et du revolver de MacLeod; guère le type d'armement requis pour s'emparer d'une position ennemie solidement défendue. Il fallait changer le plan.

Malgré ses effectifs ridiculement faibles, le major MacLeod entreprit d'attaquer les défenseurs de la position allemande. Ils se faufilèrent à la faveur de l'obscurité en direction de Varaville; en route, ils tombèrent sur le soldat F. Rudko qui conduisait un groupe de cinq fusiliers du 9e peloton, en état de choc sérieux à la suite des bombardements; mais tous étaient vivants et ils avaient leurs armes avec eux.

Le largage principal sur la zone cible devait commencer dans 25 minutes et MacLeod décida d'attaquer les positions défensives pour les empêcher d'intervenir lorsque le reste de la brigade sauterait. Les Allemands alertés par les bombardements aux environs de Varaville avaient quitté leurs baraquements pour leurs positions défensives, mais rien ne laissait croire qu'ils se soient rendus compte de l'invasion aéroportée.

MacLeod et ses hommes réussirent à traverser le village sans être repérés et atteignirent le corps de garde du château. C'était une impressionnante construction en briques jaunes, à quelque distance du château lui-même et qui dominait la position défensive des Allemands, qui consistait en une longue tranchée protégée par de la terre et du béton, avec des ouvertures pour les mitrailleuses disposées à intervalles réguliers. À chaque extrémité de la tranchée, il y avait un bunker; il y avait aussi derrière la tranchée, ce que MacLeod ne devait découvrir que plus tard, un canon de 75mm.

Une partie du petit groupe pénétra dans le bâtiment et les hommes entreprirent de le fouiller deux par deux. Ils s'aperçurent que le corps de garde avait été utilisé comme baraquement avec six lits superposés dans chacune des huit pièces. L'édifice était vide, mais l'état des lits montrait qu'ils avaient servi récemment et avaient été évacués en hâte, probablement lorsque les bombardements avaient commencé. MacLeod calcula que 96 lits voulaient dire 96 soldats et mis ses hommes en position autour du corps de garde.

Le lieutenant Walker plaça 12 hommes dans un fossé peu profond, là ou le groupe de tir de couverture aurait installé ses mitrailleuses si les choses s'étaient déroulées comme prévu. Le reste des hommes se répartirent autour du bâtiment.

Les majors MacLeod et Thompson montèrent à l'étage pour observer les positions ennemies, laissant Swim et Rudko pour garder les portes. Quelques minutes plus tard, dans un fracas de tonnerre, des fragments de brique et des gravats mitraillaient les deux hommes et le rez-de-chaussée se remplit d'une dense poussière de plâtre. Swim et Rudko gagnèrent la porte en tâtonnant et sortirent dans la cour pour respirer. MacLeod comprit alors qu'en plus de la position défensive solidement protégée, l'ennemi disposait d'un canon de gros calibre.

Leur seule chance d'éliminer cette pièce d'artillerie était d'employer le PIAT. MacLeod vit monter à l'étage le caporal Oikle et son PIAT, lui demandant de viser le canon. Oikle visa soigneusement et tira, mais le tir fut trop court de quelques pieds et l'obus explosa sans effets devant le muret de béton qui protégeait la pièce d'artillerie. Oikle rechargea son arme, mais avant qu'il ne puisse tirer, le canon de 75 répliqua à sa première salve. Un obus explosif troua le mur de l'édifice, faisant sauter les munitions du PIAT. Le caporal Oikle et le lieutenant Walker furent tués sur le coup et MacLeod mortellement blessé.

Bismutka, qui venait de pénétrer dans la pièce pour annoncer qu'il amenait un groupe supplémentaire de quinze hommes avec une mitrailleuse, fut lui aussi blessé mortellement. Thompson, le cinquième occupant, restait vivant, tenant encore son fusil brisé; la partie de sa main qui tenait la crosse avait été emportée.

Hanson arrivait avec deux hommes supplémentaires lorsque l'explosion se produisit; les Canadiens étaient maintenant au nombre d'une trentaine. Le soldat W.D. Ducker, l'auxiliaire médical, ne put rien faire pour le major MacLeod, qui mourut quelques minutes plus tard, la tête sur les genoux de Hanson. Thompson et Bismutka furent transportés par Ducker au poste de soins du château; Bismutka devait y mourir peu après.

Hanson étudia alors sa situation : il avait 30 hommes, dont quatre sergents, quatre caporaux, quelques vingt soldats, et lui-même. Du point de vue du matériel, ce n'était guère plus brillant. Le canon PIAT était perdu, mais on avait maintenant une mitrailleuse; sinon, les Canadiens disposaient de quatre mitraillettes, de vingt fusils et d'un assortiment de grenades et de bombes « Gammon » . Chaque officier avait un revolver. Hanson envoya deux hommes au Mesnil pour faire rapport de la situation et pour demander le canon de campagne de 17 livres sur l'arrivée duquel il comptait. Entre temps, il n'y avait guère autre chose à faire que d'employer les tireurs à garder les Allemands confinés à leur bunker.

Peu après, le caporal D. Hartigan et le soldat W. C. Mallon traversèrent le village et s'approchèrent des défenses du château, croyant que le combat était terminé. Par miracle ils réussirent à atteindre le bord du fossé; le sergent D. F. Wright leur cria d'y plonger juste au moment où le tir des mitrailleuses ennemies balayait la route. Le caporal Hartigan apportait un mortier de deux pouces qui augmentait un peu la maigre puissance de feu des Canadiens mais n'était pas suffisant devant l'artillerie de la position allemande. La situation demeura bloquée encore plusieurs heures.

À huit heures et demie, les Allemands hissèrent un drapeau blanc et envoyèrent un émissaire pour négocier avec le capitaine Hanson. Ils souhaitaient évacuer leurs blessés car ils n'avaient pas de personnel médical dans le bunker et, avec l'accord de Hanson, retournèrent à la tranchée pour en sortir les blessés. Deux soldats poussant une charrette avec trois blessés, et accompagnés de trois autres blessés en état de marcher, apparurent et descendirent vers le château. Quand les cinq Allemands atteignirent l'endroit d'où Hartigan et Mallon avaient plongé dans le fossé pour éviter les tirs ennemis, des mitrailleurs allemands ouvrirent le feu sur leurs propres hommes, criblant de balles la charrette et les blessés; les deux soldats qui poussaient le véhicule s'en sortirent indemnes et quand ils eurent repris leurs esprits détalèrent vers le château et le poste de secours.

À ce moment, on entendit une terrible explosion en direction du sud-est. Tous comprirent que le pont de Varaville venait de sauter et les parachutistes crièrent leur joie : un de leurs objectifs avait été atteint grâce au sergent Davies et à ses hommes. Beaucoup poussèrent aussi un soupir de soulagement : il serait beaucoup plus difficile aux chars ennemis d'atteindre maintenant le village.

Peu après dix heures, le caporal Hartigan rassembla son mortier de deux pouces et quelques obus, et se faufila dans un fossé de drainage peu profond, et qui formait un angle droit avec la dépression dans laquelle le gros des parachutistes étaient abrités. Ce fossé l'amena suffisamment près des positions de l'artillerie ennemie pour qu'il puisse les atteindre. Appuyant le mortier contre la base d'un petit arbre et le tenant presque horizontalement, il tira quatre obus en succession rapide contre les positions allemandes, puis plusieurs grenades fumigènes.


Reddition de soldats allemands au corps de garde du château de Varaville, 6 juin 1944.
Photo par John Ross, reproduite avec l'autorisation des Archives de l'Association du 1er Bataillon canadien de parachutistes.

Il regagna en rampant rapidement la dépression, s'attendant à être la cible d'un feu nourri. Mais rien ne vint. Quelques minutes plus tard, un drapeau blanc s'élevait à nouveau du bunker et le caporal Hall, le seul officier médical survivant, accepta la reddition des 43 soldats allemands qui tenaient encore la position. Le caporal John Ross, l'opérateur radio, peu après dix heures transmettait au QG le mot de code « Blood » (qui signifiait une victoire à Varaville). La bataille de Varaville venait de prendre fin.

La reddition des fortifications ennemies à Varaville signifiait aussi la libération d'un commandant de détachement du peloton d'obusiers qui s'était posé en parachute sur le blockhaus ennemi et des caporaux MacKenzie et Mowat du 224e régiment d'ambulanciers de campagne qui avaient atterri à l'intérieur du tracé des barbelés.

Les parachutistes occupèrent les positions ennemies au cas où les Allemands contre-attaqueraient, confiants qu'avec les armes et les munitions saisies, ils pourraient faire bonne figure. Cette contre-attaque ne vint jamais et au milieu de l'après-midi, les commandos britanniques envoyés en relève arrivèrent de la plage et occupèrent le village. Le temps était venu pour la compagnie C de quitter la position. Le petit groupe de parachutistes rassemblait ses prisonniers et se préparait à gagner le carrefour du Mesnil lorsqu'on s'aperçut qu'une patrouille allemande ayant pénétré dans le château durant les combats avait fait prisonniers tous les blessés canadiens.

Pour les soldats qui quittaient Varaville, la marche vers le Mesnil dut sembler d'un bien moindre intérêt. Ce fut cependant le long de cette route de trois milles qu'ils durent pour la première fois affronter les tirs nourris d'ennemis embusqués. La route longe le bord ouest du Bois de Bavent et, pavée, traverse Petiville, Saint-Laurent et Laroucheville. À plusieurs reprises le petit groupe se trouva sous le feu ennemi et chaque fois, deux sections furent détachées pour régler le problème. Huit autres prisonniers furent ajoutés au butin et à six heures du soir, le jour du Débarquement, le capitaine Hanson et ses hommes épuisés arrivaient au campement de bataillon établi au Mesnil.