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IRAK

Droits humains :
un an après la guerre, la situation reste critique


AMNESTY INTERNATIONAL
DOCUMENT PUBLIC
Index AI : MDE 14/006/2004
ÉFAI
Londres, mars 2004


Résumé

Un an après l'invasion de l'Irak par la coalition dirigée par les États-Unis, la situation des droits humains reste critique. Immédiatement après la chute de Saddam Hussein en avril 2003, les Irakiens ont dû faire face à une réalité nouvelle : pillages généralisés, criminalité et violences, effondrement des institutions et chômage de masse. Alors qu'elles tentaient de prendre le contrôle du pays et de rétablir l'ordre, les forces de la coalition ont commis de graves violations des droits fondamentaux. Elles ont recouru à la force de façon excessive ou injustifiée et provoqué ainsi la mort de civils. Elles ont également placé des milliers de personnes en détention sans inculpation dans des conditions éprouvantes et torturé ou maltraité des détenus, avec parfois des issues fatales. Dans le même temps, des groupes armés opposés à l'occupation ont lancé des attaques délibérées et aveugles contre des civils, des dirigeants politiques ou des étrangers, tuant plusieurs centaines de personnes. Le désordre a incité la population à se faire justice elle-même et à tuer d’anciens responsables irakiens à titre de vengeance. Les femmes et les jeunes filles ont particulièrement souffert de cette situation de chaos. Nombre d’entre elles ont été enlevées et violées par des délinquants de droit commun ou menacées par des membres de groupes islamistes radicaux. Elles continuent d'avoir peur. Par ailleurs, les Irakiens attendent toujours que justice soit rendue pour les atteintes aux droits humains commises sous le régime de Saddam Hussein.


SOMMAIRE

Introduction
Contexte
Les homicides de civils
    Les homicides imputables aux forces de la coalition
    Les homicides imputables à des individus armés
L’administration de la justice
La détention illégale et au secret
La torture et les mauvais traitements
Les démolitions de maisons et les perquisitions
Les victimes du chaos
La violence contre les femmes
L'obligation de rendre des comptes
Conclusion et recommandations


Introduction

Un an après le déclenchement de la guerre en Irak, la promesse d'une amélioration de la situation des droits fondamentaux est loin de s'être concrétisée pour les Irakiens. La plupart d’entre eux ne se sentent toujours pas en sécurité dans ce pays ravagé par la violence.
En Irak, la vie et la sécurité sont menacées quotidiennement. La violence qui y sévit est endémique et polymorphe : attaques par des groupes armés, atteintes aux droits humains par les troupes d'occupation ou actes de violence contre les femmes. Des millions de personnes subissent les conséquences de la destruction ou du pillage des infrastructures et du chômage de masse. Pour elles, l’avenir apparaît extrêmement incertain. Par ailleurs, la population n’est pas convaincue que les responsables des atteintes aux droits humains seront traduits en justice.
Au cours de l'année écoulée, des groupes armés ont tué des centaines de civils lors d’attaques délibérées et aveugles. Ils agissaient ainsi pour lutter contre l’occupation ou pour se venger. Les troupes de la coalition ont pour leur part recouru à la force de façon excessive ou injustifiée pendant des manifestions ou à des postes de contrôle, faisant elles aussi de nombreuses victimes. Des milliers d'Irakiens ont été incarcérés, le plus souvent dans des conditions très éprouvantes, dans des centres de détention secrets. Beaucoup ont été torturés ou maltraités, certains en sont morts. D'autres ont vu leurs récoltes et leurs maisons détruites à titre de sanction collective à la suite d'attaques contre les forces de la coalition. Dans cette situation de chaos généralisé, on a également signalé des violences contre les femmes et les jeunes filles, notamment des enlèvements, des viols et des meurtres. Amnesty International a rappelé à maintes reprises aux puissances occupantes leurs obligations ; dans bien des domaines, ces dernières n’ont pas été respectées.
Des évolutions positives ont toutefois été constatées, notamment en matière de liberté d'expression, d'association et de réunion. Des dizaines d'organisations non gouvernementales (ONG), dont certaines se consacrent aux droits des femmes, ont été créées. Plus de 80 quotidiens et hebdomadaires sont publiés et de nombreux partis politiques et organisations religieuses ont été fondés.
Toutefois, le sang a suffisamment coulé et la population irakienne a un besoin urgent de stabilité, de sécurité et de paix. L'avenir des Irakiens doit être fondé sur la justice et l'état de droit. Le présent rapport, publié un an après le déclenchement de la guerre, expose certains des principaux sujets de préoccupation d’Amnesty International. Ces derniers devront être pris en compte afin de garantir l'avenir du peuple irakien.

Contexte

Avant le déclenchement de la guerre, le 20 mars 2003, Amnesty International avait averti qu'une opération militaire entraînerait de nouvelles souffrances pour la population, déjà terriblement éprouvée par la répression gouvernementale et les sanctions économiques. Certaines craintes de l'organisation se sont révélées fondées. Des centaines de civils irakiens ont été tués ou blessés au cours de la guerre, notamment par les bombes à fragmentation des forces de la coalition. Des habitations et des infrastructures essentielles ont été détruites et des localités privées d'eau et d'électricité.
Début avril, les forces américaines contrôlaient Bagdad et les troupes britanniques le sud du pays. Le 1er mai, le président George W. Bush proclamait la fin des combats. Peu de temps après, Paul Bremer, ancien diplomate, a été nommé administrateur américain de l'Irak et responsable de l'Autorité provisoire de la coalition (APC). L'Irak était un pays vaincu et occupé.
Les délégués d'Amnesty International sont arrivés à Bassora le 24 avril. C’était la première fois depuis vingt-quatre ans que des représentants de l'organisation pouvaient se rendre en Irak. La préoccupation dominante des personnes qu'ils ont rencontrées était l'augmentation de l'insécurité et des actes de violence. Bassora était en proie aux pillages et à l'anarchie. C’était une ville où les femmes et les jeunes filles n'osaient plus sortir seules car elles craignaient, entre autres, d'être victimes d'enlèvement ou de viol.
Le désordre, la peur et l'insécurité régnaient dans tout le pays. Dans la plupart des cas, les soldats américains et britanniques n'avaient rien fait pour empêcher le pillage et la démolition systématique des bâtiments officiels et des établissements publics (bureaux, universités, écoles, hôpitaux, musées, bibliothèques, entrepôts, etc.). D'innombrables documents essentiels pour l'avenir des Irakiens ont été brûlés et détruits.
Les forces de la coalition ont certes renversé le gouvernement de Saddam Hussein, mais elles n’ont pas fourni la protection et l'assistance requises à la population du pays occupé. En tant que puissances occupantes, il leur incombait, aux termes du droit international, de rétablir et de maintenir l'ordre. Elles devaient par ailleurs fournir de la nourriture, des soins médicaux et une aide humanitaire à la population. Les forces de la coalition ont failli à ce devoir, exposant ainsi la santé et la sécurité de millions d'Irakiens.
L'insécurité a été aggravée par l'absence de mesures efficaces de maintien de l'ordre et par le grand nombre d'armes en circulation. Une augmentation des atteintes graves aux droits des femmes, et notamment des cas de viol et de meurtre, a été signalée. On a également enregistré un grand nombre d’attaques motivées par la vengeance contre d’anciens membres du parti Baas et des forces de sécurité, notamment dans les quartiers à majorité chiite de Bagdad et dans le sud du pays.
En juillet 2003, l'APC a désigné un Conseil de gouvernement de l'Irak (CGI) formé de 25 membres appartenant aux différents groupes religieux et ethniques. Cet organe disposait de pouvoirs exécutifs, mais Paul Bremer pouvait annuler ses décisions ou y mettre son veto. Au début du mois de septembre, le CGI a nommé un gouvernement intérimaire. L'APC et le CGI ont convenu, en novembre, de transférer le pouvoir à un gouvernement intérimaire irakien le 30 juin 2004. Le CGI a adopté une Constitution intérimaire le 8 mars 2004.
Entre temps, de nouvelles ONG irakiennes de défense des droits humains, et notamment des groupes de promotion des droits des femmes, ont été créées. Elles ont commencé à travailler sur une grande variété de problèmes et ont notamment recueilli des informations sur les violations anciennes ou récentes de ces droits. De nouveaux partis politiques et des médias sont également apparus et, pour la première fois depuis des décennies, la population a organisé librement des manifestations pour exprimer ses revendications. Les réformes législatives introduites par les nouvelles autorités ont supprimé la peine de mort et supprimé des tribunaux qui rendaient une parodie de justice.
Toutefois, ces évolutions positives, comme pratiquement tout le reste, étaient constamment remises en cause par l'augmentation de l'insécurité. Amnesty International a régulièrement appelé les puissances occupantes à garantir en priorité le maintien de l'ordre jusqu'à ce que la police irakienne soit opérationnelle, ainsi qu’à accélérer la formation de cette dernière.
Des progrès ont été accomplis en ce sens depuis le début de l'occupation, particulièrement dans le sud du pays. En février et en mars, à Bassora et à Amara (les deux gouvernorats sous contrôle britannique), les représentants d’Amnesty International se sont entretenus avec des Irakiens. Selon eux, la situation s'était améliorée de manière générale mais l'insécurité restait préoccupante. Les membres des minorités religieuses – musulmans sunnites, chrétiens, sabéens et mandéens – se sont plaints d'être victimes d'attaques et d’autres atteintes à leurs droits.
Ailleurs dans le pays, la violence et l'insécurité continuent de dominer la vie quotidienne. Les attaques visant les postes de police irakiens et les forces de la coalition se sont multipliées. La plupart ont eu lieu dans le centre et dans le nord de l'Irak, ainsi qu'à Bagdad. Elles ont entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes, essentiellement des Irakiens, mais aussi des ressortissants des États-Unis et d'autres pays.
Ces attaques ont semblé s'intensifier à l'approche du premier anniversaire du déclenchement de la guerre. Le 3 février, le général américain Mark Kimmitt a fait état d’une moyenne quotidienne de 23 affrontements entre soldats américains et «insurgés irakiens», contre 18 la semaine précédente(1).
De leur côté, les forces d’occupation semblent bien souvent utiliser le climat de violence pour justifier leurs propres violations des droits humains. Les soldats de la coalition ont abattu des Irakiens au cours de manifestations et torturé et maltraité des prisonniers. Ils ont également procédé à des arrestations arbitraires et placé des personnes en détention sans inculpation pour une durée illimitée, sans les autoriser à consulter un avocat. Ils ont également démoli des habitations, entre autres biens, à titre de représailles et de sanction collective. Les forces de la coalition agissent dans un cadre légal qui ne prévoit aucun mécanisme permettant de traduire en justice, en Irak, les auteurs de tels agissements.

Les homicides de civils

Plus de 10000 civils irakiens auraient été tués depuis le 20 mars 2003, soit pendant la guerre, soit à la suite d'actes de violence durant l'occupation. Il s'agit d'une estimation car les autorités ne souhaitent pas recenser les homicides ou ne sont pas en mesure de le faire. En février 2004, le général Mark Kimmitt déclarait : «Nous n'avons pas les capacités nécessaires pour établir une liste de toutes les victimes civiles.»(2) L’attitude était différente lorsqu’il s’agissait de victimes non irakiennes.
Un an après le déclenchement des hostilités, des civils irakiens sont tués chaque jour. Les cas les plus graves sont relayés par les médias internationaux, mais de nombreux homicides ne sont pas signalés. En général, les responsables ne sont pas identifiés. C'est ainsi que le 4 mars 2004, un journaliste de l'Agence France-Presse (AFP) a été témoin de la mort de trois civils irakiens dont la voiture a explosé après avoir été atteinte par une roquette, non loin d'une base de l'armée américaine, au sud-ouest de la capitale. Ni le journaliste ni la police irakienne n'ont pu établir l'origine des tirs et les noms des victimes n'ont pas été rendu publics(3).

Les homicides imputables aux forces de la coalition

De très nombreux civils auraient été tués après un usage excessif de la force par les troupes américaines, ou abattus dans des circonstances peu claires.
Des soldats américains ont notamment abattu de nombreux manifestants, dont sept à Mossoul, le 15 avril 2003, au moins 15 à Fallouja, le 29 avril et au moins deux devant le palais présidentiel de Bagdad, le 18 juin.
En novembre 2003, l'armée américaine a affirmé avoir versé environ 1,25 millions d'euros à des civils irakiens à titre de compensation pour des préjudices corporels, des décès ou des dégradations de biens. Parmi les 10402 plaintes enregistrées, certaines concerneraient des soldats américains ayant abattu ou grièvement blessé des civils irakiens sans raison apparente(4).
Hormis ces versements, les familles des victimes ne disposent pratiquement d'aucune voie de recours. Aucun soldat américain n'a fait l'objet de poursuites pour avoir tué illégalement un civil irakien. Un ordre promulgué à Bagdad en juin par l'APC empêche les tribunaux irakiens de juger les affaires dans lesquelles des soldats américains, des membres de toute autre troupe étrangère, ou des responsables étrangers en Irak sont mis en cause. Les soldats américains bénéficient donc d'une totale impunité.
On peut citer quelques cas recensés par Amnesty International :
• Le 14 mai, à Ramadi, deux véhicules de l'armée américaine ont enfoncé le mur d'enceinte de la maison de Saadi Suleiman Ibrahim al Ubaydi. Les soldats ont battu cet homme à coups de crosse puis ils l'ont abattu alors qu'il tentait de s'enfuir.
• Le 26 juin, des militaires américains ont tué Mohammad al Kubaisi au cours de perquisitions dans le quartier de Hay al Jihad, à Bagdad. Cet enfant de douze ans allait porter la literie de la famille sur le toit de sa maison quand il a été abattu. Des voisins ont tenté de l'emmener en voiture à l'hôpital tout proche, mais les soldats américains les ont empêchés de passer. Mohammad al Kubaisi était mort quand on l'a ramené chez lui. En juillet, des responsables de l'APC ont déclaré aux délégués d'Amnesty International que cet enfant portait une arme au moment où il a été tué.
• Le 17 septembre, à Fallouja, un adolescent de quatorze ans a été tué et six autres personnes ont été blessées par des soldats américains qui ont ouvert le feu en direction de personnes célébrant un mariage. Selon certaines sources, les soldats ont cru à une attaque lorsque les convives ont tiré en l'air en signe de joie.
• Le 23 septembre, trois agriculteurs, Ali Khalaf, Saadi Faqri et Salem Khalil, ont été tués et trois autres personnes ont été blessées par un tir de barrage américain qui aurait duré au moins une heure dans le village d'Al Jisr, non loin de Fallouja. Un responsable de l'armée américaine a affirmé que les soldats avaient été pris pour cible, ce que les proches des victimes ont fermement nié. Des officiers américains se seraient rendus à la ferme dans la journée pour prendre des photos et ils auraient présenté des excuses à la famille.
L'organisation a également recueilli des informations sur de nombreux cas dans lesquels des soldats britanniques ont tué des civils irakiens alors que ni leur vie ni celle d'autrui ne semblait en danger. Dans certains cas, aucune enquête n'a été ouverte ; dans d'autres, les investigations menées semblaient insuffisantes. Les familles des personnes tuées par des soldats britanniques sont généralement mal informées sur les procédures d'enquête et de compensation, voire ignorent tout de ces dernières.
• Walid Fayay Mazban, un chauffeur de quarante-deux ans, a été abattu par des soldats britanniques, le 24 août, à un carrefour non loin du camp Apache, dans des circonstances indiquant qu'aucune vie humaine n'était en danger. Les soldats avaient installé un poste de contrôle temporaire au carrefour, mais l'éclairage public ne fonctionnant pas, tout le quartier était plongé dans l'obscurité. Walid Fayay Mazban, qui ne s'était pas arrêté au barrage, a été abattu de plusieurs balles dans le dos par un soldat britannique. Les militaires n'ont trouvé aucun objet suspect dans le véhicule. En septembre, l'armée britannique a versé environ 1250 euros à la famille de cet homme à titre humanitaire. La Police militaire royale a également ouvert une enquête, mais la famille de Walid Fayay Mazban n'a reçu aucune information sur le déroulement des investigations.
Amnesty International a réclamé à plusieurs reprises l'ouverture d'une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur tous les cas d'homicide de civils par les forces de la coalition, ainsi que la comparution en justice des responsables d'homicides illégaux. Aucune enquête indépendante ne semblait avoir été effectuée au moment de la rédaction du présent rapport.

Les homicides imputables à des individus armés

Le 2 mars 2004, des bombes ont explosé à quelques secondes d'intervalle dans une mosquée chiite du quartier de Kadhimiya à Bagdad et dans la ville sainte chiite de Kerbala. Quelque 170 civils ont été tués et 500 autres blessés. Presque toutes les victimes étaient de confession chiite. Ces attaques, qui combinaient des attentats-suicides, des poses de bombes et peut-être des tirs de mortier(5), semblaient soigneusement planifiées.
Un mois plus tôt, 101 personnes avaient trouvé la mort à la suite de deux attentats-suicides qui avaient ravagé les bureaux de partis politiques kurdes dans la ville d'Arbil, au nord du pays.
Ces attentats à l'explosif sont deux exemples des attaques les plus récentes menées apparemment par des groupes armés. Ces dernières sont devenues de plus en plus courantes en Irak depuis le début de l'occupation. Elles ont ciblé les soldats américains, les membres des forces de sécurité irakiennes, les postes de police contrôlés par les Irakiens, les dignitaires et les édifices religieux, le personnel des médias, ainsi que les ONG et les agences des Nations unies. Ces attaques ont entraîné la mort de centaines, voire de milliers, de civils.
De nombreux autres civils ont été tués par des armes à feu – qu’ils aient été pris directement pour cible ou atteints par des balles perdues. À Bassora, les victimes étaient d’anciens membres du parti Baas, des services gouvernementaux ou des forces de sécurité, mais aussi des personnes soupçonnées de vendre ou de consommer de l'alcool. Certains de ces homicides seraient des vengeances personnelles. Beaucoup d'autres paraissent avoir été planifiés, apparemment par des groupes armés islamistes. Le responsable d'un poste de police de Bassora a approuvé ouvertement les vengeances : il a déclaré à un délégué d'Amnesty International que les familles des victimes du gouvernement précédent «avaient raison» de venger la mort de leurs proches.
Amnesty International a appelé les groupes armés à mettre un terme aux attaques visant les civils et les membres des organisations internationales humanitaires. Elle a également demandé que les responsables de ces crimes soient traduits en justice et jugés conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.
La liste qui suit recense certaines de ces attaques. Aucun des auteurs n'a été déféré à la justice.
• Le 7 août 2003, 17 personnes ont été tuées à la suite de l'explosion d'un camion piégé devant l'ambassade de Jordanie à Bagdad.
• Le 19 août 2003, 22 personnes, dont l'envoyé des Nations unies Sergio Vieira de Mello, ont trouvé la mort dans l'explosion d'un camion piégé au siège des Nations unies, à Bagdad.
• Le 29 août 2003, 83 personnes, dont l'ayatollah Mohammad Baqer al Hakim, ont été tuées par l'explosion d'une voiture piégée devant la mosquée de l'imam Ali à Nadjaf.
• Le 27 octobre 2003, 35 personnes ont trouvé la mort à Bagdad dans quatre attentats à l'explosif qui visaient les locaux de la Croix-Rouge et des postes de police.
• Le 18 janvier 2004, 25 personnes, des civils irakiens pour la plupart, ont été tuées à la suite de l'explosion d'une voiture piégée devant le quartier général des forces américaines à Bagdad.

L’administration de la justice

Le 12 décembre, Amal Salim Madi, dont les trois fils avaient été arrêtés en octobre, a participé à une manifestation à Bagdad en faveur des droits des prisonniers. Cette femme de soixante-cinq ans a déclaré : «les Américains ont dit qu'ils emmenaient [mes fils] une heure pour les interroger. Nous ne les avons pas revus»(6).
Les fils de cette femme font partie de la nouvelle génération de personnes «disparues» en Irak. Celles-ci ne finissent pas dans des fosses communes, comme cela était fréquent sous le gouvernement précédent, mais elles sont perdues pour leur famille, incarcérées dans l'un des centres de détention gérés par les troupes d'occupation en Irak. Adil Allami, avocat travaillant pour une organisation irakienne des droits humains, a déclaré en octobre 2003 : «L'Irak est devenu un grand Guantanamo». Il faisait référence à la prison militaire américaine à Cuba dans laquelle des centaines d'individus soupçonnés d'actes de «terrorisme» sont maintenus en détention sans inculpation(7).
Depuis le déclenchement de la guerre, Amnesty International a reçu des informations relatives au placement en détention d'Irakiens par les forces de la coalition. Beaucoup ont été détenus sans inculpation pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et certains ont été torturés et maltraités. Rares sont les prisonniers qui ont pu rencontrer un avocat ou leurs proches dans des délais acceptables, ou encore bénéficier d'un réexamen judiciaire du bien-fondé de leur détention.
Ces irrégularités dans l’administration de la justice ont été favorisées par l'effondrement de la loi et de l’ordre dans le pays, ainsi que par une application incohérente des normes internationales par les forces d'occupation.
Après son entrée en fonction, l'APC a révisé le Code pénal irakien de 1969 et le Code de procédure pénale de 1971 afin d'évaluer leur compatibilité avec les normes internationales relatives aux droits humains. Elle a également apporté à la législation des modifications qui sont entrées en vigueur avant leur publication en arabe au Journal officiel, ce qui est contraire à l'article 65 de la Quatrième Convention de Genève. Ces modifications comprenaient toutefois des réformes opportunes. Ainsi, l'article 9 de l'Ordre n°7 de l'APC prohibait le recours à la torture, ainsi qu’aux traitements et châtiments cruels, inhumains ou dégradants. Le tribunal révolutionnaire, les tribunaux d'exception et les cours de sûreté de l'État, juridictions particulièrement iniques, ont été abolis.
En juin 2003, l'APC a promulgué l'Ordre n°13, qui instaure la Cour pénale centrale. Cette juridiction, qui applique le droit irakien, est compétente pour les crimes commis en Irak depuis le 19 mars 2003, notamment ceux commis contre les forces de la coalition. En novembre 2003, la Cour pénale centrale a condamné l'ancien gouverneur de Nadjaf à quatorze ans d'emprisonnement pour «arrestation illégale, destruction d'un document officiel et abus de pouvoir». Elle a par ailleurs examiné au moins deux affaires de contrebande. Les délégués d'Amnesty International n'ont pas pu assister aux audiences de la Cour pénale centrale, mais l'organisation déplore que l'Ordre n°13 exige que les juges de cette cour n'aient pas participé aux activités du parti Baas. En outre, les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de juge sont nommées pour une période d'un an par l'administrateur de l'APC, ce qui semble violer le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire.
L'article 2-3 de l’Ordre n°3 de l'APC prévoit que les juridictions irakiennes ne sont pas compétentes pour juger le personnel des forces de la coalition, tant en matière civile que pénale, ce qui engendre une impunité de fait. Aucun mécanisme efficace n'a été mis en place pour mener des enquêtes satisfaisantes et impartiales sur les allégations de violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains imputables à l'APC ou aux forces de la coalition.

La détention illégale et au secret

L'immense prison d'Abou Ghraib, au sud-ouest de Bagdad, était le centre de détention le plus redouté sous le gouvernement précédent. Cet établissement a pris le nom officiel de Centre de détention de Bagdad, mais presque rien d'autre n'a changé. Les familles des détenus attendent toujours à l'extérieur des nouvelles de leurs proches et les avocats sont refoulés. En novembre, les gardiens ont dit à un homme qui voulait rendre visite à son fils de revenir quatre mois plus tard. Cet homme a déclaré à un membre de l'International Occupation Watch Center (Centre international de surveillance de l'occupation) : «Mon fils est déjà détenu depuis quatre mois et il n'a pas été inculpé.»(8)
L'APC a publié une liste de 8500 prisonniers sur un site Internet. La plupart d'entre eux sont incarcérés pour des raisons de «sécurité»(9) ou maintenus en détention illimitée sans inculpation car ils sont considérés comme des «terroristes présumés». Les familles qui attendent devant la prison d'Abou Ghraib affirment que leurs proches ont, dans la plupart des cas, été arrêtés au cours de rafles effectuées sans discernement.
De nombreux Irakiens ignorent le lieu de détention de leurs proches et la majorité d'entre eux n’ont pas la possibilité d’effectuer des recherches sur Internet. Certains prisonniers sont détenus dans des prisons gérées par la police irakienne et d'autres sont emmenés dans des centres contrôlés par les forces américaines ; bien souvent personne ne semble disposer d'informations précises. Dans les prisons irakiennes, les détenus peuvent généralement rencontrer un avocat et sont présentés à un juge. Dans les prisons et centres de détention de la coalition – comme le camp Cropper à l'aéroport international de Bagdad (fermé en octobre), la prison d'Abou Ghraib et les centres de détention de l'aéroport de Habbaniya et d'Oum Qasr, bon nombre de prisonniers sont systématiquement privés de tout contact avec un avocat et leurs proches. Par ailleurs, ils ne peuvent bénéficier d’aucune forme de réexamen judiciaire du bien-fondé de leur détention. Certains sont détenus ainsi depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d'autres ont apparemment été maintenus en détention au-delà de la période de quatre-vingt-dix jours à l'issue de laquelle un réexamen judiciaire doit avoir lieu. Dans certains cas, les forces de la coalition auraient tardé à appliquer des décisions de remise en liberté prononcées par des juges. Amnesty International a également effectué des recherches sur cette question.
Dans la pratique, les personnes détenues par les forces de la coalition disposent de garanties inférieures à celles accordées aux personnes détenues par les autorités irakiennes. À titre d’exemple, l’Ordre n°3 de l'APC prévoit que les personnes arrêtées par les forces de la coalition peuvent rester en détention jusqu'à quatre-vingt-dix jours avant d'être présentées à un juge. Celles détenues dans le cadre du Code irakien de procédure pénale doivent voir leur cas examiné par une autorité judiciaire dans un délai de vingt-quatre heures.
Les conditions carcérales sont éprouvantes dans de nombreux centres de détention. Des informations non confirmées ont fait état de grèves de la faim et de mutineries. L'APC a reconnu que trois prisonniers avaient été tués et huit autres blessés lors d'une révolte dans la prison d'Abou Ghraib le 24 novembre 2003.
À Bassora, de très nombreuses personnes sont détenues sans inculpation ni jugement dans le centre de détention d'Al Shuaiba, contrôlé par les troupes britanniques, non loin d'Al Zubair. Certaines ont aussi été détenues à Oum Qasr avant d’être transférées. C’est également à Bassora que des groupes armés islamistes ont arrêté, détenu et torturé des personnes soupçonnées d'activités «immorales», comme la vente d'alcool, de vidéocassettes ou de CD.
• Le 6 mai, Qays Mohammad Abd al Karim al Salman, un homme d'affaires de nationalité danoise, a été arrêté par des soldats américains, dix jours après son retour en Irak. Cet homme affirme qu'il a été contraint de s'allonger par terre sur la route avant d'être emmené au centre de détention de l'aéroport de Bagdad où il a été détenu pendant trente-trois jours car on le soupçonnait de meurtre. Il a été libéré sans avoir été inculpé. Pendant sa détention, il a été maltraité et privé de tout contact avec le monde extérieur.
• Zakariya Zakher Saad, un Égyptien de cinquante-cinq ans, gardien de nuit au consulat russe de Bagdad, a été arrêté par des soldats américains qui enquêtaient sur une tentative de vol dans les locaux du consulat. Des voisins ont tenté d’expliquer aux soldats que cet homme n'était pas un voleur mais les soldats n'ont rien voulu entendre. Ils ont précipité Zakariya Saad à terre, l'ont ligoté, puis l'ont emmené au camp Cropper où il a été détenu jusqu'en juillet 2003. Sa famille, qui n'a pas été autorisée à le rencontrer, n'est pas en mesure de confirmer son lieu de détention. Amnesty International ignore si Zakariya Saad est toujours incarcéré.
• Humam Abd al Khaleq Abd al Ghaffur, physicien nucléaire, a été arrêté à son domicile de Bagdad le 20 avril 2003. On ignore tout de son sort.
• Hussain al Haery, professeur à l'université de Bagdad, a été arrêté à son domicile au début du mois de juillet 2003. Il est actuellement détenu dans la prison d'Abou Ghraib.
• Saadoun Hamadi, ancien président du Parlement, a été arrêté le 29 mai 2003 et détenu sans inculpation ni jugement pendant près de neuf mois. Il a été libéré le 14 février. Cet homme a été détenu dans trois endroits différents : le camp Cropper, à l'aéroport international de Bagdad, Oum Qasr et la prison d'Abou Ghraib. Lorsqu'il a été libéré, les autorités américaines ont déclaré que son maintien en détention n'était pas justifié par des raisons de sécurité.
Amnesty International a écrit à l'APC pour demander des éclaircissements sur les raisons du maintien en détention et sur le statut légal d'un certain nombre de personnes, notamment des scientifiques, des anciens diplomates et des fonctionnaires. Aucune réponse ne lui est parvenue.

La torture et les mauvais traitements

Au début du mois d'avril 2003, Abdallah Khudhran al Shamran, un ressortissant saoudien, a été arrêté à Al Rutba par des soldats américains et leurs alliés irakiens alors qu'il venait de Syrie et se rendait à Bagdad. Il a affirmé que les soldats l'ont emmené dans un lieu non identifié où ils l'ont battu et lui ont administré des décharges électriques. Il aurait également été suspendu par les pieds et aurait eu le pénis attaché ; on l’aurait également privé de sommeil. Il a été transféré dans un hôpital de campagne à Oum Qasr au bout de quatre jours de détention. Abdallah al Shamran a été relâché après avoir été interrogé, mais son passeport et son argent ne lui ont pas été restitués. Après s'être adressé à un soldat britannique, il a été emmené dans un autre centre de détention puis transféré dans un hôpital militaire de campagne où il a de nouveau été interrogé et torturé. Cette fois, on l’aurait laissé en plein soleil pendant une longue période, enfermé dans un container et menacé d'exécution.
En 2003, de nombreuses informations ont fait état d'actes de torture et de mauvais traitements imputables aux troupes de la coalition. Pendant les premières semaines de l'occupation, des personnes détenues dans des tentes ont souffert de la chaleur extrême et manqué d'eau. Les installations sanitaires étaient insuffisantes et de simples tranchées tenaient lieu de toilettes. Les prisonniers n'avaient pas de vêtements de rechange et étaient privés de livres et de journaux, ainsi que de radio ou de matériel d'écriture. Au cours de l'année écoulée, des détenus se sont plaints d'avoir été systématiquement soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant au moment de leur interpellation et pendant les premières vingt-quatre heures de leur détention. Les menottes en plastique utilisées par l'armée américaine étaient inutilement douloureuses. Des anciens prisonniers ont affirmé qu'ils avaient été contraints de rester allongés, face contre terre, les mains attachées par des menottes, les yeux bandés ou avec une cagoule sur la tête. Ils ont ajouté qu'ils avaient été privés de nourriture et d'eau et qu'ils n'étaient pas autorisés à se rendre aux toilettes.
De nombreux détenus ont affirmé qu'ils avaient été torturés et maltraités par des soldats américains et britanniques au cours de leur interrogatoire. Citons parmi les méthodes décrites la privation de sommeil, les coups, le maintien prolongé dans des positions inconfortables (parfois combiné à une musique assourdissante), le port prolongé d'une cagoule et l'exposition à de très fortes lumières. Pratiquement aucune allégation de torture ou de mauvais traitements n'a fait l'objet d'une enquête idoine.
À Bassora, au moins quatre personnes arrêtées par des soldats britanniques sont mortes pendant leur détention, l'une d'entre elles des suites de torture. Plusieurs anciens détenus se sont plaints aux délégués d'Amnesty International d'avoir été torturés par les soldats britanniques qui les interrogeaient.
• Huit Irakiens arrêtés le 14 septembre 2003 par des soldats britanniques du camp Steven à Bassora auraient été torturés. Ces hommes travaillaient dans un hôtel de la ville où des armes auraient été trouvées. Baha al Maliki, réceptionniste de l'hôtel, est mort trois jours plus tard en détention. Son corps ensanglanté présentait apparemment des contusions importantes. Kefah Taha, admis à l'hôpital dans un état grave, souffrait d'insuffisance rénale et présentait des contusions étendues.
• En février 2004, au cours d'une audience sur la mort de Najem Saadoun Hattab, survenue en juin 2003 dans le centre de détention du camp Whitehorse, à proximité de Nassiriyah, un ancien membre des Marines américains a déclaré que les prisonniers qui n'étaient pas coopératifs, et même parfois ceux qui l'étaient, étaient souvent frappés à coups de poing et de pied. Cet homme a bénéficié de l'immunité des poursuites pour ce témoignage. Najem Saadoun Hattab, ancien responsable du parti Baas, est mort après avoir été battu et étranglé par un réserviste du corps des Marines(10).

Les démolitions de maisons et les perquisitions

Le 10 novembre 2003, des soldats américains sont arrivés dans la ferme de la famille Najim, près de la ville d'Al Mahmudiya, au sud de Bagdad. Ils auraient donné une demi-heure à toutes les personnes vivant là pour quitter les lieux. Peu après, deux avions de combat F-16 auraient bombardé et détruit la ferme.
Cette action a, semble-t-il, été exécutée en représailles à une attaque survenue quelques jours plus tôt contre un convoi américain. Peu après, les soldats américains ont arrêté six hommes près de la ferme de la famille Najim, apparemment après avoir découvert des armes. D'autres cas similaires ont été signalés. Ces actes de représailles contre des personnes ou leurs biens, ainsi que les sanctions collectives, sont expressément prohibés par la Quatrième Convention de Genève.
Amnesty International a eu connaissance de la destruction par les forces américaines d'au moins 15 autres maisons au cours d'opérations militaires à Tikrit. Dans un cas, une famille du village d'Al Haweda s'est vu accorder cinq minutes pour évacuer sa maison avant que celle-ci ne soit rasée par les tirs des chars et des hélicoptères.
Le commandant Lou Zeisman, officier américain de la 82e division aéroportée, aurait affirmé : «Quiconque tire sur un Américain ou sur un membre des forces de la coalition sera tué ou fait prisonnier, et si on repère une habitation particulière ayant pu servir de refuge à quelqu'un, l'endroit sera détruit […]»(11)
Amnesty International continue de recevoir de nombreuses informations faisant état de destruction de biens et de dommages infligés sans justification au cours de perquisitions domiciliaires par des membres des forces de la coalition. Des soldats ont fracassé les serrures de voitures, de portes et d'armoires alors que les propriétaires leur avaient remis les clés et les suppliaient de les utiliser. Dans de nombreux cas, des biens et des sommes d'argent importantes ont été «confisqués» lors d'une arrestation sans être restitués à leur propriétaire au moment de sa remise en liberté.
Dans un cas, des officiers américains ont reconnu que des soldats avaient «confisqué» indûment plus de trois millions de dinars (environ 1700 euros) dans une maison. Ils ont toutefois ajouté qu'ils n'avaient pas les moyens de mener une enquête et que la procédure de compensation serait longue et difficile.

Les victimes du chaos

Le 15 février 2004, des rafales de coups de feu ont soudainement retenti dans la rue animée d'Old Basra. Au moins neuf personnes ont trouvé la mort, dernières victimes en date des attaques contre les commerçants soupçonnés de vendre de l’alcool à Bassora. Les tueurs n'ont pas été identifiés, mais on estime qu'ils appartiennent aux groupes armés chiites qui sont apparus depuis le début de la guerre. Tarik Mahmoud, un vendeur apeuré, a déclaré : «Il n'y a pas de loi qui me protège, et même s'il y avait une loi, j'aurais toujours peur parce que les gens ont l'habitude de s'entretuer.»(12)
L'absence de loi et d'ordre reste une préoccupation majeure dans de nombreuses régions de l'Irak. Les délégués de l'organisation ont été les témoins directs de l'impact dévastateur du chaos sur la vie des Irakiens ordinaires, qu'il s'agisse de pillages, d'homicides à titre de vengeance, d'enlèvements ou de crimes sexuels.

La violence contre les femmes

Les actes de violence commis contre des femmes et des jeunes filles, notamment l'enlèvement, le viol et le meurtre, se sont multipliés au lendemain de la guerre en raison de l’effondrement de la loi et de l’ordre. Beaucoup de femmes avaient trop peur de sortir de chez elles et les parents n'envoyaient plus leurs filles à l'école. Les femmes victimes d'actes de violence dans la rue ou chez elles n'ont pratiquement aucun espoir d’obtenir justice.
En mai 2003, Asma, une jeune femme ingénieur, a été enlevée à Bagdad. Elle faisait des courses avec sa mère, sa sœur et un parent de sexe masculin quand six hommes armés ont commencé à tirer des coups de feu autour d'eux. Asma a été contrainte de monter dans une voiture et emmenée dans une ferme en dehors de Bagdad où elle a été violée à plusieurs reprises. Le lendemain, elle a été ramenée en voiture et abandonnée dans le quartier où vivent ses parents.
À Bassora, les femmes et les jeunes filles qui ne portaient pas le hijab (voile islamique) ont été menacées par des membres de groupes islamistes. Désormais, presque toutes les femmes sont voilées.
En mai, Samira Abd al Munim, employée de l'hôpital universitaire de Bassora, a déclaré aux délégués d'Amnesty International : «Ma vie est fortement restreinte par le climat actuel d'insécurité. Je ne peux pas rendre visite à ma famille ni aller au marché sans être accompagnée de mon mari […] Je n'ose plus marcher seule dans la rue comme j'avais coutume de le faire […] Mes enfants sont pratiquement emprisonnés à la maison pour des raisons de sécurité.»
Des militantes pour les droits des femmes ont reçu des menaces. Yanar Mohammed, membre de l'Organisation pour la liberté des femmes en Irak, aurait été menacée de mort à plusieurs reprises, notamment par un courrier électronique émanant de l'Armée des compagnons du Prophète, un groupe islamiste. Elle a sollicité une protection auprès de l'APC, mais on lui aurait répondu qu'il y avait des problèmes plus urgents à résoudre. Un certain nombre de femmes qui travaillaient pour l'APC ont été tuées. À la connaissance de l'organisation, ni l'APC ni le CGI n’ont pris de mesure pour assurer une protection adéquate des militantes des droits des femmes et des droits humains.

L'obligation de rendre des comptes

Pour les innombrables victimes d’atteintes aux droits humains commises en Irak, obtenir la justice est fondamental. Plusieurs décennies durant, les Irakiens ont enduré les graves violations des droits humains perpétrées par les agents de l'État, ainsi que les exactions résultant de plusieurs conflits, notamment de la guerre qui vient de s'achever et de ses suites.
À ce jour, peu d'initiatives ont été prises pour traiter les violations passées des droits humains, et notamment les «disparitions» massives, pour traduire en justice les responsables présumés d'actes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, ou encore pour accorder réparation aux victimes et les indemniser. En décembre, le CGI a adopté les statuts du tribunal spécial irakien chargé de juger Saddam Hussein et d'autres anciens responsables irakiens. Il a également annoncé la mise en place d'une Commission vérité et réconciliation. Il reste à voir si ces organes seront efficaces et s'ils permettront de rendre justice aux victimes conformément aux normes internationales.
Pour être équitables et efficaces, toutes les mesures visant à rendre la justice doivent être conformes aux normes internationales relatives aux droits humains. Ni les victimes ni les auteurs présumés ne doivent recevoir une justice de second ordre.
Amnesty International n'a cessé de réclamer que les anciens responsables gouvernementaux irakiens soient jugés équitablement. Tout tribunal doit être compétent, indépendant et impartial, et poursuivre les suspects en se fondant uniquement sur les preuves retenues contre eux et produites dans le cadre d'un procès équitable. Aucune prescription, amnistie, grâce ou toute autre mesure analogue ne doit être accordée pour les crimes relevant du droit international si ces mesures doivent empêcher un jugement définitif et l'octroi de réparations pleines et entières aux victimes. Les condamnés doivent bénéficier du droit d'interjeter appel. Il convient également d'exclure le recours à la peine de mort ou à toute autre forme de châtiment cruel, inhumain ou dégradant. Enfin, les victimes et leurs familles doivent disposer des moyens nécessaires à l'obtention de réparations pleines et entières pour les atteintes subies.
Amnesty International recommande que des juristes experts irakiens travaillent en collaboration avec des experts étrangers pour évaluer le système judiciaire irakien, notamment sa capacité à garantir des procès équitables, et pour étudier les moyens de traduire en justice les responsables d'atteintes aux droits humains.

Conclusion et recommandations

Après une année de guerre, de chaos, de spirale de la violence et de difficultés économiques, les Irakiens font face à un avenir incertain. Pour que l'année à venir soit meilleure que la précédente, les forces d'occupation, le CGI, le gouvernement intérimaire qui sera formé et la communauté internationale doivent réellement s'engager à protéger et à promouvoir les droits humains en Irak.
Des changements fondamentaux sont nécessaires au niveau de la législation, de l'appareil judiciaire et de la justice pénale en Irak. Les droits humains doivent être au centre de tous les efforts de reconstruction de ce pays. Négliger ces droits au cours du processus de changement reviendrait à trahir le peuple irakien qui a déjà tant souffert.
Amnesty International appelle l'APC, les forces de la coalition et le CGI à :
• veiller à ce que les soldats respectent les normes relatives à l'application des lois et qu'ils n'aient recours à la force que conformément aux principes de nécessité et de proportionnalité. Ils ne doivent notamment utiliser les armes à feu que si des vies humaines sont en danger et lorsqu'il n'existe aucun autre moyen de réagir à ce danger ;
• veiller à ce que des policiers irakiens remplacent dès que possible les militaires pour faire respecter la loi, à condition qu'ils reçoivent une formation et un matériel appropriés, notamment dans le domaine des normes internationales relatives à l'application de la loi ;
• mettre en place un système judiciaire unifié prévoyant un traitement égal pour tous les suspects de droit commun ainsi que le respect de toutes les garanties du droit international. Les droits de tous les suspects doivent être respectés quelle que soit l'autorité responsable de leur détention ;
• fournir sans délai des éclaircissements sur la situation et le lieu de détention de tous les prisonniers ;
• modifier l'Ordre n° 3 de l'APC afin de garantir que tous les suspects de droit commun soient présentés sans délai à une autorité judiciaire après leur interpellation et qu'ils bénéficient d'un réexamen de la légalité et du bien-fondé de leur détention. Cet Ordre doit également être modifié pour garantir que les détenus puissent consulter sans délai un avocat et que leurs familles soient informées de leur placement en détention ;
• préciser et rendre publics les mécanismes disciplinaires et judiciaires prévus pour que les membres de l'APC et des forces de la coalition répondent de leurs actes ;
• veiller à ce que l'interdiction du recours à la torture et à toute autre forme de mauvais traitements soit totalement respectée par les forces de la coalition, par la police irakienne ainsi que par toute autre force détenant des suspects ;
• veiller à ce que toutes les enquêtes sur des atteintes présumées aux droits humains imputables aux forces de la coalition soient confiées à un organisme compétent, indépendant, impartial, et perçu comme tel. Les conclusions de cet organisme devront être rendues publiques ;
• garantir réparation et indemnisation aux victimes ou à leurs proches ;
• mettre en conformité les conditions de détention avec l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ;
• mettre immédiatement un terme à la destruction illégale de biens et aux sanctions collectives et faire savoir clairement aux forces américaines que de tels actes sont prohibés. Toutes les familles dont les maisons ou les biens ont été détruits doivent recevoir une indemnisation pleine et entière.



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Notes :

(1) AP, 3 février 2004.
(2) Reuters, 12 février 2004.
(3) AFP, 4 mars 2004.
(4) The Guardian, 26 novembre 2003.
(5) AFP et Reuters, 4 mars 2004.
(6) AFP, 12 décembre 2003.
(7) L'agence de presse et la date ne sont pas précisés.
(8) Enders, D. Searching for Yunis – and how many others ? International Occupation Watch Center, 28 novembre 2003.
(9) Enders, D. Searching for Yunis – and how many others ? International Occupation Watch Center, 28 novembre 2003.
(10) Rogers, R. in Union-Tribune, 3 février 2004.
(11) Los Angeles Times, 12 novembre 2003.
(12) Wong E. in International Press, 19 février 2004.

 

      

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