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15 May 2004
Category: Personal reflections

Carnet de route n°6: "Occupation, oppression à Jayyous, ailleurs,..."

Pasteur Gilbert Charbonnier


Sixième semaine - 15 mai 2004
"Occupation, oppression à Jayyous, ailleurs …"



L’expression Territoires occupés paraissait anodine à l’observateur occidental désintéressé que j’étais jusqu’à lors. Quitte à ressasser toujours les mêmes histoires, et à fatiguer le lecteur pressé qui comprend (trop) vite, je consacre les lignes de ce billet hebdomadaire à la conscience que les gens ont ici de leur condition. C’est l’Occupation. La population a le sentiment de ne plus être chez elle ; toutes leurs activités quotidiennes sont soumises au bon vouloir d’une autorité étrangère qui n’éprouve pas le besoin d’expliquer les raisons pour lesquelles ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd’hui. Quelques exemples, vécus cette semaine, illustreront cette situation.

Mercredi, je ramasse des concombres avec Mahmud, dans une serre surchauffée par un soleil estival. Il habite à quelques cinq kilomètres ; mais depuis cinq mois il n’a pas revu sa femme et ses enfants. Entre eux, il y a la barrière de séparation (le Mur), et il n’a pu renouveler son permis de passage comme il faut le faire tous les six mois. Il doit travailler pour nourrir sa famille, en attendant qu’un avocat israélien lui obtienne le document désiré, non sans qu’il lui ait versé au préalable l’équivalent de quarante journées de salaire. En attendant, il dort sur son lieu de travail. – Puis, visite dans une autre propriété. Moaath, 18 ans ; le lycée terminé, il se prépare à des études de journalisme. Mais pour le moment il aide son grand-père dans les cultures, en attendant que son père arrêté depuis plus de deux ans, sans jugement et sans chef d’accusation, sorte de prison.

Pendant la nuit de mardi à mercredi une centaine de soldats, venant de quatre directions différentes, simulent une attaque en convergeant simultanément sur la localité. Ils y pénètrent, et sillonnent les rues toute la nuit. - Mercredi, en fin de matinée, une dizaine de militaires investissent la maison que Muhamad est en train de construire de ses propres mains. Ils interrompent le chantier en cours (le béton est en train de prendre), lui enjoignent de s’en aller et de ne pas revenir avant trois jours sous peine de se faire tirer dessus. Avertissement identique adressé aux enfants du village. Il y a une école primaire à proximité. Les enfants sont souvent curieux …

Mercredi après-midi nous sommes deux, comme d’habitude, à aller surveiller le point de passage des paysans à travers la barrière de séparation au retour des champs, à plus de cent mètres de dénivelé au-dessous du village. Le trajet est effectué au moins deux fois par jour sous un soleil qui devient de plus en plus chaud. En remontant la raide pente à travers l’oliveraie, nous sommes rudement interpellés par trois soldats embusqués qui surgissent, et nous mettent en joue. Volontairement agressifs : " Arrêtez-vous … Ne bougez plus … Où habitez-vous ?… D’où venez-vous ?… Que faites-vous ici ?… Quel est votre boulot ?… Montrez vos papiers … ". Toujours les mêmes questions que posent tous les soldats du monde chargés de contrôler une population. Vieux souvenirs. Les soldats de l’occupation allemande sur une route de France. Les soldats français, en Algérie, et ailleurs. … Et après quelques minutes de silence et d’immobilité : Go ! Les accompagnateurs œcuméniques peuvent passer. Bravo

Le jeudi matin, les soldats se retirent de la maison occupée la veille. Serait-ce le résultat du contact que nous avons établi entre l’intéressé et un organisme israélien de défense des droits civils ? En tout cas, la partie semble heureusement gagnée. Mais le soir, les militaires reviennent, sèment à nouveau la panique dans les rues en tirant des grenades lacrymogènes. Ils investissent une autre maison vide d’occupant, celle-ci, mais non abandonnée ; et ils y passent la nuit. – Jeudi, encore, Mustapha, d’un service de santé, a mis cinq heures pour aller à Naplouse, capitale de la région, à vingt cinq kilomètres. Barrage.

Comme la majorité des hommes qui ont été mêlés à un mouvement nationaliste, Jamaal ne peut avoir de permis de passage et d’accès à sa propriété de dix hectares, à travers le Mur. Sa famille était prospère. Elle avait un domaine important, dans cette région où les propriétés dépassent rarement quatre ou cinq hectares. Oisiveté obligée. C’est la misère. Pas d’études possibles pour les enfants. L’avenir s’annonce sombre.

Occupation. Plus de liberté de circulation. Plus de liberté de travail, ou d’études. Plus de sécurité familiale. A tout moment, la vie peut changer, être bouleversée par une intervention extérieure imprévisible. Alors c’est la détresse ; c’est la colère ; c’est la haine. Mais ce soir, vendredi, Issam me dit : Il faut que vous fassiez bien comprendre aux gens de chez vous que nous n’en voulons pas aux Israéliens. Nous les aimons. Ils ont le droit de vivre en paix., comme nous. Nos ennemis, ce sont Sharon, Bush, et le Sionisme, qui se fichent de nous, nous ignorent. Contre eux, c’est la lutte, l’excès. Il faut se battre. Que voulez-vous faire d’autre avec des gens qui aujourd’hui refusent le dialogue et décident pour vous de votre sort.. Ils n’ont pas une politique de sécurité, mais d’occupation et d’annexion. Violence. Facile à condamner quand on ne risque rien. Résister. Mais sans alliés, sans idéologie, c’est dur. Il faut que les nations du monde nous aident. Leur avenir est en cause aussi. Qu’en pensez-vous ?


The Ecumenical Accompaniment Programme in Palestine and Israel (EAPPI) was launched in August 2002. Ecumenical accompaniers monitor and report violations of human rights and international humanitarian law, support acts of non-violent resistance alongside local Christian and Muslim Palestianians and Israeli peace activists, offer protection through non-violent presence, engage in public policy advocacy and stand in solidarity with the churches and all those struggling against the occupation. The programme is coordinated by the World Council of Churches (WCC).

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