1915

Roclincourt

1915

 

 

Temps gris, nuit blanche et jour noir

 

 

Combat du 25 septembre 1915

 

Dimanche 1er aout 1915

Le régiment relève le 138e Dans le secteur au nord de la route d'Ecurie-roclincourt qui se trouve à cheval sur la route d'Arras à Lille, il y restera pendant 8 mois, du 1er août 1915 au 5 mars 1916.

Ses trois bataillons sont étalés sur un front de 1.200 mètres qui va de l'ouest, du boyau Fantôme, à l'est, jusqu'au boyau Abd El Kader

La ligne avancée est distante de 20 a 100 mètres de l'ennemi. On se touche presque par endroits, et partout on entend distinctement le Boche dans ses trous.

source : J.Nouaillac sous-lieutenant au 63e RI le six-trois au feu édition Charles-Lavauzelle 1919 page 70

Jeudi 16 septembre 1915

Rompant le silence de la nuit, une puissante préparation d'artillerie se déclenche, elle dura 8 jours, 8 jours de destruction continu, la grande offensive se dessine, tout doit être nivelé avant que les fantassins passent à l'action. Des milliers d'obus français se déversent avec fracas sur les lignes allemandes. Les leçons des dernières offensives qui ont avorté faute de moyens puissants semblent avoir été retenues. Fini les obus tirés à l'économie, place au déluge large et gras. Le poilu se réjouit du spectacle, des pièces de tous les calibres donnent à la fois, elles écrasent les tranchées, martèlent les barbelés défoncent les abris et laminent les boyaux. Des colonnes de fumée et de poussière. , s'élèvent, tourbillonnent sous le vent retombent et se renouvellent un peu plus loin, elles forment un rideau opaque qui se noie dans le gris du ciel d'automne.

Vendredi 24 septembre 1915

Sur les pentes du Thélus Une boule de feu s'allume avec fracas, un obus de gros calibre a éventré un dépôt de munitions allemands, la vision est saisissante, la terre tremble, gronde et se déchire comme sous l'effet d'une éruption volcanique.

Huit heures du soir, les trois bataillons du régiment échelonnés en quatre vagues de six pelotons chacune.sont prêts, équipés pour le grand saut dans l'inconnu. Les hommes sont debout, tassés les uns contre les autres dans les parallèles d'attaque, ils attendent pendant des heures interminables le coup de sifflet redouté et passent ainsi la nuit sans dormir.

Les objectifs ont été clairement désignés : dans un premier mouvement qui doit avoir " le caractère d'une ruée " on doit s'emparer de la tranchée du Paradis dont la conquête permettra de se lancer à l'assaut de la crête132 et du bois de Farbus. Devant l'ampleur des moyens employés on recommence à croire que la percée est possible Cette fois, on y arrivera, il suffit de donner le dernier effort, les Allemands vont se faire enfoncer et avant la fin de l'année on sera tous revenus dans le Limousin près de sa payse, fini la boue, fini la crasse, fini la guerre !

 

Samedi 25 septembre 1915

L'aube fait découvrir aux hommes un paysage bouleversé, les trois milles mètres de glacis qui s'étendent devant la crête du Thélus sont méconnaissables, la terre a été tournée et retournée, des milliers de cratères l'ont défiguré.

 

     
 
guerre 1914 1918
 
 
Paysage lunaire
 
 

 

12h25 en ordre parfait les vagues d'assauts s'élancent à l'attaque, l'artillerie ennemie se réveille mais semble sans beaucoup d'influence sur la charge qui se veut irrésistible. Les premier et deuxième bataillons enlèvent la tranchée des Punaises les défenseurs ont été assommés par les 8 jours de pilonnage, un jet de grenades, un bref corps à corps haineux et violent.

Le temps de nettoyer la tranchée et les bataillons repartent aussitôt à l'assaut de la deuxième ligne de défense. Ils arrivent avec la même impétuosité, à s'emparer de la tranchée des Cafards, la scène se répète à l'identique, nouveau jet de grenades, nouveau corps à corps, le dernier défenseur éliminé ils repartent à l'assaut de la troisième ligne où à bout de souffle, une nouvelle tranchée est atteinte mais ils ne peuvent pas aller plus loin. Tout un système défensif ingénieusement camouflé révèle des réseaux de barbelés infranchissables et des points de résistances entièrement bétonnés.

Pour respecter la synchronisation imposée, par le tir des batteries françaises les deux dernières vagues d'assaut viennent successivement s'agglutiner sur cette tranchée et finissent de nettoyer les boyaux de communications à la grenade ; puis ils fortifient la position pour former un barrage à la contre-attaque que l'on sent prête à se déclencher Elle est extrêmement violente, les boches se découvrent, des troupes toujours plus nombreuses de section d'assaut débouchent des boyaux adjacents, on se bat sur le parapet et aux fonds des boyaux.

Entre les étroites parois de terre la où il est difficile de manier l'encombrant fusil on se bat à la grenade à l'arme blanche et parfois à main nue en crachant sa haine et sa volonté de survire à la face de l'ennemi, les prisonniers seront rares.

La situation se dégrade rapidement, tous les officiers du 63e sont touchés, les munitions s'épuisent et on ne peut pas les renouveler. Les soldats du 63e ramassent les armes des morts sans distinction de nationalité et continuent un combat inégal.

Deux heures passent ainsi à se battre, deux heures d'efforts surhumains de folie et d'héroïsme. Les limites de la résistance sont atteintes, pour survivre, il ne reste plus qu'à décrocher quand il est encore possible mais il faut encore attendre des minutes d'angoisse avant qu'un officier en donne l'ordre.

Survivre, il n'est plus question que de survivre, les hommes s'élancent en terrain découvert et font des efforts désespérés pour essayer de rejoindre les lignes Françaises atteints dans le dos beaucoup tombent en cours de route et ne se relèvent pas quelques-uns encore croyant être sauvés sont touchés au dernier moment et font la culbute par-dessus le parapet. Les survivants à bout de force plongent et s'affalent, les yeux hagards et à bout de nerfs au fond de la tranchée protectrice

On s'était trop avance ; il a fallu rentrer au galop, vers la première ligne. On a passé en trombe en recevant des coups de fusil dans le dos. Au retour on trouvait des morts dans tous les boyaux, surtout des hommes du 78e ; il fallait marcher dessus. Un tableau d'horreur... Ils avaient été appelés en renfort, s'étaient entassés dans les boyaux pour suivre l'attaque. Le barrage était tombé sur eux.

Source : sergents Arnaud et Robert Cité par Joseph Nouaillac dans son livre, le six-trois au feu édition Charles-Lavauzelle 1919

 

     
roclincourt
 
roclincourt ruine
Roclincourt
Ruine d'ecurie

 

 

Deux fois dans l'après midi, le colonel Paulmier essaye de relancer l'attaque mais les boches se sont considérablement renforcés, la confusion règne le 75 Français tire trop court et une section éprouve quelques pertes.

Impossible de passer, il faut se résigner, la déception est immense les hommes croient revivre l'horrible journée de l'attaque de Jonchery.

Le terrain est jonché de cadavres, les survivants qui n'ont pas pu rejoindre aussi vite la ligne de repli que leurs camarades font les morts en attendant la nuit.

Il ne suffit que de quelques heures pour que le régiment perde 2 chefs de bataillon, 8 commandants de compagnie, 31 chefs de section et un millier d'hommes.

Cette nouvelle offensive meurtrière a une nouvelle fois démontré que le front adverse était increvable les attaques arrivaient à percer une, deux, voire à la rigueur trois lignes de défenses mais derrière les barbelés écrasés on trouvait toujours d'autres barbelés intacts et derrière les tranchées prises, il restait toujours d'autres tranchées à prendre, une fois éloignés et coupés de ses lignes par la distance et les tirs d'interdictions ennemis qui empêchaient aux renforts de progresser rapidement les hommes tenaient le temps que les munitions s'épuisent et comme leur renouvellement et approvisionnement étaient pratiquement impossibles il fallait se résigner au repli sous un feu meurtrier