[USEMAP:header.jpg] Editorial News Critiques Dossiers Replay Indies [spacer.gif] [rub_Play.gif] Le chat vocal, ... Librairie Presse Screen [spacer.gif] [rub_View.gif] Cyberwar [print.gif] 12/09/2005 Le Chaos : la destruction du sens [news20050912051829.jpg] « Le XXe siècle a été celui de lhypertrophie des Etats. Le XXIe sera peut-être celui de leur faillite.» Pour Thérèse Delpech, nous sommes dans une période de chaos, dinstabilité permanente. La fin de lhostilité est/ouest a provoqué lémergence de forces remettant en cause lorganisation étatique : la criminalité internationale, le trafic de drogue, le terrorisme entraînant par là même une « vulnérabilité universelle». La politique du chaos est née faisant concurrence avec la société des nations. Lordre contre le chaos La dualité entre lordre et le chaos nest pas nouvelle dans les jeux vidéo. Dans de nombreux RPG dont Eye of the Beholder 2 et Ultima 5, le héros doit combattre la mauvaise partie de son père qui représente le chaos (lOmbre, la tyrannie, loppression, lEnfer) pour rétablir la civilisation (cf. le travail de Pierre Bruno). Mais les représentations sont parfois plus contemporaines: dans Dog of War, vous incarnez un mercenaire tout à la fois enclin à libérer des prisonniers de guerre américains au Vietnam quà aider le gouvernement soviétique à récupérer des missiles volés ou à lutter contre lapartheid. La multiplicité de ces causes laisse percer une «perte de sens» (puisque la figure du mercenaire veut quon ne saffilie pas à un camp ou un autre) mais lobjectif est «un» : lutter contre le chaos pour restaurer lordre. La mise en scène du chaos La perte de sens est dabord le fruit de lasymétrie extrême entre le sens et la puissance. Le sens est détruit. Et la puissance se disloque, séparpille, se dissémine. Cette disparition du sens na pas quun effet géopolitique. Dans nos sociétés occidentales, elle affecte durablement le Projet des lumières, la croyance dans le progrès selon laquelle le monde va nécessairement vers le meilleur. Cette crainte du positivisme se traduit de manière de manière la plus extrême dans les jeux vidéo par la mise en scène du chaos : la destruction de la Civilization dans son projet positiviste greffé aujourdhui au capitalisme mais aussi plus radicalement lanéantissement du contrat social et des droits de lhomme. La fin de lordre et le retour à lauto-détermination des individus [news20050912051940.jpg] Dans les jeux vidéo, ce chaos se matérialise en terme de gameplay par une lutte contre tout ce qui symbolise lunité, lordre, la stabilité et la sécurité. Cest le monde providence en flammes, déstructuré, éclaté, atomisé dans lequel règne une anomie sociale permanente (destruction des règles, des structures, de lorganisation liant les individus). Le territoire du bien sen trouve assiégé par les forces du mal, non celles que lon combat dans Conflict Desert Storm mais par les ennemis de lintérieur : les pauvres, les désenchantés, les nihilistes Cest un univers détotalisé : la neutralisation sécuritaire visant à défendre aveuglement le bien en prévenant lintrusion du mal na plus cours. La terreur que cette politique faisait régner nexiste plus car lennemi total a tout simplement disparu. La notion de mal existe-t-elle encore ? Puisque lanomie sociale conduit à lindividualisme le plus extrême où chacun désigne son adversaire en fonction de ses motivations propres : cest la destruction du sens puisque toutes les barrières communes (morales, éthiques, politiques) sécroulent. Dans GTA San Andreas, le «don't blame me, blame society» proféré par le héros lors de la commission de ses infractions les plus graves sonne comme une charge cinglante envers le traitement criminalisant des problèmes sociaux opérés par les gouvernements menant des politiques sécuritaires. Autrement dit, la criminalité trouve sa source non pas dans les intentions des individus mais dans un contexte social particulier (pauvreté, chômage), seule une solution « sociale » permettant de résoudre ce problème. Mais cest surtout le constat exprès de lirresponsabilité pénale et sociale. Lordre ne peut plus être garanti par lEtat, ce qui est la porte ouverte à lexpression des seules volontés individuelles. Le Dieu logiciel qui incarne une morale spécifique nexiste plus car lordre nest plus. Place est faite à lauto-détermination de lindividu qui peut se soustraire au schéma narratif et à un code moral auquel il ne souscrit pas nécessairement. Cela néquivaut pas à la liberté totale puisquun scénario existe bien mais refuser de sy plier ne retire pas toute substance à lunivers ludique (les villes de GTA 3 restent riches en interactions en dehors du parcours scénarisé) Dans les jeux subversifs mettant en scène le chaos, lEtat de droit est aboli, aucun refuge «providence» nexiste, la «sûreté» est prise à défaut : nous évoluons dans un univers instable où les ennemis dhier sont les amis daujourdhui et vice versa. Dans GTA 3, vous migrez de clan à clan au rythme de vos intérêts et de ceux de vos pourvoyeurs de missions criminelles. [news20050912052050.jpg] Le complexe militaro-industriel qui essuie un tir de barrage de la part des organisations subversives se révèle incapable de contrôler et de se réapproprier le monde providence. Dans Fallout, RPG post-apocalyptique, il est significativement représenté par la Confrérie de lAcier, une organisation souterraine devenue minoritaire qui sest reclue pour développer un arsenal technologique surpuissant. De manière générale, le chaos est parfaitement mis en scène dans les jeux cyberpunks comme Chaos Overlords vous plaçant à la tête dune organisation criminelle qui doit étendre son contrôle sur un territoire fractionné et disputé par des clans rivaux. Outre que cette configuration est reproduite dans GTA 3 : toutes les manifestations de lordre (respect des règles de la circulation, forces de police et armée) y sont en plus ridiculisées (les manuvres sauvages des forces de lordre qui écrasent les passants) et doivent être enfreintes. Cest un peu comme dire : lEtat possède le monopole de la violence illégitime pour mieux se réapproprier avec brutalité les libertés fondamentales dont la terreur sécuritaire nous avait privées (droit daller et de venir, liberté dexpression) La contestation de la forme étatique [news20050912052255.jpg] Les jeux subversifs contestent aussi lunité des pensées, la centralisation politique et la concentration des pouvoirs. Republic The Revolution qui met en scène une révolution dans un Etat dictatorial né de léclatement de lURSS semble imprégné dune conception post-totalitaire de défiance envers lEtat. Pour déloger le dictateur en place (ancien responsable de la police soviétique), on ne cherche pas fondamentalement à prendre le contrôle des institutions de lEtat (en participant à des élections) ni à sattirer des soutiens auprès de proches du régime, on va tenter de mobiliser la société civile en recrutant dans toutes les classes de la société (des religieux, des financiers, des leaders ouvriers) à la manière du mouvement Solidarnosc en Pologne. LEtat est présenté sous langle exclusif de linstrument doppression puisquon se doute bien que lhéros que lon incarne va lui-même devenir dictateur (le Parti est en effet construit autour dun leader charismatique). Republic The Revolution opère donc une lecture libérale (au sens dAdam Smith) où la société civile évolue de manière autonome, en dehors dun Etat Leviathan dont la place doit être à tout prix réduite pour protéger lexercice individuel des libertés. Le capitalisme ou le non-sens [news20050912052807.jpg] Dans les jeux vidéo, il nexiste aucun espace entre le libéralisme politique et économique et le chaos. Hormis quelques simulations isolées conçues durant la guerre froide, aucun modèle alternatif ne peut être mis en uvre. Dans Civilization, lanarchie est le seul facteur susceptible dinterrompre la croissance économique qui assoie le capitalisme. Lanarchie nest pas un mode dorganisation sociale, cest un mode de désorganisation, ce qui ne correspond pas à sa définition théorique mais au sens commun qui correspond au chaos. Selon ce postulat, la lutte contre le capitalisme aboutirait donc à un non-sens intellectuel, à un désert total. Le communisme a été disqualifié suite à leffondrement de lURSS (selon lidéologie tendant à assimiler marxisme et stalinisme), le fascisme sest écroulé avec lAllemagne nazie, lidéologie libérale simposerait donc comme le seul horizon possible et souhaitable, en somme lunique sens face au néant. Le choix ne seffectuerait donc quentre le capitalisme et le chaos, le sens et le non-sens. A lunité des Civilizations vouées inexorablement à la grande marche du Progrès ne répond que le morcellement décadent dune société anomisée (GTA 3, Fallout) Puisque toutes les propositions alternatives sont effacées, la critique du capitalisme ne devrait se manifester quau travers du nihilisme constitutif du chaos. Elle nest jamais constructive et débouche donc directement sur une impasse : le non-sens. Ce qui nous fait dire que le jeu vidéo est un medium post-critique. Le modèle néo-libéral est si imprégné dans les structures mentales que seul ce système fait «sens», toute proposition alternative se révélant impossible à mettre en uvre, ce qui signifierait en somme la fin de tout événement possible. Voire plus, laboutissement de la pensée humaine et lachèvement de lHistoire telle quanalysée par Fukuyama (dont on rappelle que la thèse fut publiée à la même période que Civilization 1). Lanéantissement du contrat social [news20050912053601.jpg] Le contrat social est rompu : cest le retour à létat de nature où lhomme est un loup pour lhomme. Le retour à lordre naturel est bien sûr liberticide (puisquen théorie, la liberté sarrête là où commence celle dautrui, le contrat social permettant de faire respecter cette règle). Le chaos étant lexpression du libertarisme et du nihilisme, dans les jeux «subversifs», vous ne construisez rien (Sim City), vous détruisez (State of Emergency). Vous norganisez rien (Football Manager), vous désorganisez (Storm Over Europe). Toutefois, si les clans de GTA 3 sèment le chaos sur lespace public de Liberty City, ils épargnent toutefois la sphère privée et intime (on ne peut encore pas encore entrer dans les habitations). Les suburbs de The Sims composent précisément ces espaces domestiques dans lesquels les truands de GTA 3 nentrent pas. Ces banlieues sont tout le contraire du chaos : sécurisantes (car restaurant les liens familiaux), stables, tranquilles. Pourtant, si elles constituent le dernier refuge des libertés fondamentales (le droit de propriété est bien le fondement de la société américaine), elles moins limitent pas moins les libertés réelles (au sens de Marx) en mettant en production toutes les activités de la vie privée. Le choix de celles-ci systématiquement attachées à une valeur comptable doit notamment obéir à un utilitarisme en phase avec le système économique. Par exemple, si lordinateur rend heureux dans les Sims, cest aussi parce que le secteur informatique est jugé économiquement productif (et accessoirement, parce que les développeurs des Sims ont intérêt à ce quil le soit). The Sims promeut laliénation totale des individus où les chaînes ne sont plus les lois de lEtat mais bien les contrats du capitalisme. [news20050912052902.jpg] Wargamers Le panorama de la cyberwar nest pas monolithique mais constitue plutôt un espace fractionné par des tensions multiples : guerre propre contre guerre totale, universalisme contre différentialisme, le sens face au chaos dont les représentations tantôt se recoupent ou entrent en conflit. Dans chaque cas, la détermination de la guerre, du rapport à lAutre, à la vie et à la mort nest pas le même. Néanmoins, comme nous lavons vu, la guerre propre et le chaos constituent à leur façon une guerre totale contre les hommes et leurs libertés, lun du fait de la terreur préventive quil met en oeuvre, lautre par lanéantissement radical du contrat social. La cyberwar est en tout cas floue, illimitée et permanente : les joueurs sont perpétuellement en guerre, pas seulement parce que les jeux de guerre constituent une part écrasante du paysage ludique mais aussi parce quil y a toujours un ennemi virtuel à combattre nouvellement désigné : des êtres maléfiques, un dirigeant fantoche, des terroristes impitoyables, la cyberwar étant avant tout la vitrine de lirrésistible entreprise dauto-destruction humaine. Sources : Arendt Hannah, le système totalitaire, Le Seuil, 1972 Baudrillard Jean, le masque de la guerre, Libération : http://www.liberation.fr/page.php?Article=94394 Bouthors Mathilde, Trémel Laurent, Mourir, c'est perdre in La mort et l'immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Lenoir Frédéric et de Tonnac Jean-Philippe (dir), Editions Bayard. Bruno Pierre, les jeux video, Syros 1993 Chapoutot Johann Nazisme et guerre totale : entre mécanique et mystique http://www.sens-public.org/article_paru3.php3?id_article=171 Fortin Tony, Civilization 3 : du singe à laméricain blanc, Gaming n°5 Fortin Tony, L'idéologie des jeux vidéo in Santolaria Nicolas, Trémel Laurent, Le Grand Jeu : débats autour de quelques avatars médiatiques, PUF 2004 Fortin Tony : Les jeux vidéo peuvent-il tout nous dire ?, http://www.planetjeux.net/index.php3?id=article&rub=read&article=093 Fortin Tony, Trémel Laurent : les jeux «de civilisation», des représentations du monde à interroger, à paraître Fukuyama Francis, La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion,1992 Gaultier Pierre, Manhunt, Metal Gear Solid 2, Manipulation, violence et vertige, Gaming n°5 Gillen Kieron, Culture Wargames, http://www.escapistmagazine.com/issue/1/7 Huntington Samuel, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Foreign Affairs, 1993 Kline Stephen, Dyer-Whiteford Nick, de Peuter Greig Digital Play : the interaction of technology, culture, and marketing (McGill-Queen's university press, 2003 Lefort Claude, Un homme en trop, Le Seuil, 1976 Moncharmont Vincent, Le Monde providence, http://www.planetjeux.net/index.php3?id=article&rub=read&article=114 Poole Steven, Philosophical scenarios, Edge n°136, http://www.stevenpoole.net/ Trémel Laurent, Jeux de rôle, jeux vidéo, multimédia : les faiseurs de monde, PUF Tony Fortin Pages: 1 2 3 4 5 Société Politique Virtuel Médias Business [spacer.gif] [rub_Think.gif] Forum Ressources Présentation Contacts Line Up Rechercher : ____________ ok (_) Tout (_) Articles (_) News [tv_bout.gif] Administration