FRAME: ../indexationautres_fr.php?id=27&act=texteh L?artillerie : une arme de destruction massive La Grande Guerre a souvent été qualifiée de guerre des artilleurs. « L?artillerie conquiert et l?infanterie occupe », a dit un général français. Ce n?était pas si simple, car les stratégies d?infanterie ont été perfectionnées tout au long de la guerre; mais c?est bien du barrage d?artillerie qu?allait dépendre la victoire ou la défaite. En 1914 et 1915, l?artillerie s?est révélée des plus meurtrières. Les shrapnels et les obus explosifs étaient dévastateurs pour les soldats en terrain découvert. Des milliers de corps restèrent à pourrir sur les champs de bataille. Cependant, les pièces d?artillerie étaient vulnérables au tir des armes légères et pouvaient être chassées du front. Mais les canons purent bientôt tirer indirectement, à partir d?emplacements cachés plusieurs kilomètres à l?arrière, et continuèrent d?infliger de lourdes pertes. Les soldats furent alors forcés de se creuser des abris dans le sol pour échapper à ce feu meurtrier. Comme les tranchées furent progressivement renforcées par des barbelés, des abris profonds et des mitrailleuses, une énorme puissance de tir devint nécessaire pour détruire les défenses ennemies et appuyer l?infanterie. Mais, durant les premières années, l?armée n?avait pas toujours suffisamment d?obus pour approvisionner ses canons. C?est ainsi que des dizaines de milliers de fantassins furent tués lors d?attaques frontales contre des tranchées ennemies non endommagées. La guerre se poursuivant, l?approvisionnement en obus devint quasi illimité grâce à la production massive des usines de munitions. De nouvelles tactiques permirent également d?améliorer la précision du tir des canons. Les obus d?artillerie contenaient de puissants explosifs et des balles et, plus la guerre avançait, des gaz et des fumées toxiques. La déflagration des obus explosifs et des obus à balles (shrapnels) devait se produire dans les airs quand ceux-ci se trouvaient au-dessus de la cible visée. Les obus explosifs perçaient des cratères dans les tranchées et, à elle seule, la secousse qu?ils produisaient pouvait tuer, les poumons s?affaissant sous la force de l?explosion. Les shrapnels étaient tout aussi meurtriers; chaque obus comportait au moins 300 balles de métal qui, en explosant, déversaient une pluie métallique tourbillonnante en forme de cône. De même, le revêtement des obus était conçu pour exploser en projetant des débris d?acier irréguliers qui déchiquetaient la peau. En 1916, les commandants en chef croyaient que des tirs d?artillerie massifs, impliquant des centaines de milliers d?obus, viendraient à bout des défenses de l?ennemi. Cela devait permettre à l?infanterie de percer les lignes ennemies et de restaurer la mobilité sur le front Ouest. Mais il était souvent difficile de frapper et de détruire les tranchées étroites et bien fortifiées. Le problème était en partie lié aux détonateurs des obus. Les premiers modèles, particulièrement ceux des obus destinés à démolir les réseaux de barbelés, n?étaient pas assez sensibles pour exploser au contact. Bon nombre d?obus n?explosaient qu?une fois au sol, tuant très peu d?ennemis et laissant les fantassins se battre tout seuls pour pénétrer les défenses en profondeur. À la fin de 1916, de nouveaux détonateurs plus sensibles et qui explosaient au moindre contact vinrent renforcer le pouvoir destructeur de l?artillerie et, tout aussi important pour l?infanterie, permirent de raser les barbelés en place devant les tranchées. Au cours de la dernière moitié de l?année 1916, durant la dernière phase des combats sanglants de la Somme, une nouvelle tactique fut adoptée. Comme il semblait impossible de détruire toutes les défenses allemandes et qu?une mitrailleuse ennemie pouvait à elle seule tuer des centaines de fantassins, l?artillerie essaya plutôt d?anéantir le feu de l?ennemi au moyen d?un « barrage roulant » et de donner suffisamment de temps à sa propre infanterie pour traverser la zone de la mort du no man?s land. Les artilleurs lançaient des obus de manière à créer un mur de feu qui « roulait » lentement vers les lignes ennemies à intervalles réguliers : 50 verges (46 m) toutes les deux minutes, moins si le terrain était boueux, plus en rase campagne. Il s?agissait effectivement d?un écran de feu et d?explosifs. Au fur et à mesure que ce mur de shrapnels et d?explosifs dévorait le terrain sur son passage, les fantassins devaient « s?appuyer sur le barrage » et demeurer le plus près possible. On allait inévitablement essuyer certains tirs amis, mais les pertes seraient plus légères que si le barrage se retirait et laissait les artilleurs allemands, qui attendaient en sécurité dans leurs abris profonds, prendre place au-dessus de leurs tranchées avant que l?infanterie ait traversé le no man?s land. À la bataille de la crête de Vimy, en avril 1917, les artilleurs avaient perfectionné le barrage roulant. Mais les artilleurs ennemis infligèrent de lourdes pertes en opposant des contre-barrages pour capturer les vagues de fantassins qui suivaient. Il fallait stopper ou ralentir les tirs ennemis, mais il était extrêmement difficile de repérer, de viser et de détruire des pièces d?artillerie camouflées plusieurs kilomètres plus loin. Les artilleurs avaient besoin de renseignements précis et la science allait leur permettre de les obtenir. Le Corps d?armée canadien avait la chance de compter dans ses rangs le brigadier-général Andrew McNaughton, chef du bureau de la contrebatterie pendant une grande partie de la guerre et versé dans les nouvelles technologies et la stratégie. Professeur à l?Université McGill avant la guerre, il eut recours à la science pour sauver la vie de ses soldats. Établi en février 1917, le Canadian Counter Battery office (CCBO) était chargé de recueillir et de traiter des renseignements sur l?ennemi dans le but d?aider à éliminer son artillerie. La reconnaissance aérienne effectuée par le Royal Flying Corps (qui allait devenir la Royal Air Force) fut très utile, car les pilotes photographiaient le front de très haut. Plus tard au cours de la guerre, des avions de reconnaissance faisaient le tour du champ de bataille et transmettaient des renseignements immédiats aux artilleurs en laissant tomber des lettres ou en utilisant une technique de télégraphie rudimentaire. Après avril 1917, la contrebatterie s?est perfectionnée; la collecte de renseignements et la sélection des cibles sont devenues plus sophistiquées grâce à de nouvelles techniques comme le repérage par le son et le repérage par éclats, qui aidaient les artilleurs à trouver et à détruire les cibles ennemies. Le repérage par éclats exigeait la coordination des observateurs. Il fallait au moins trois postes d?observation, généralement installés sur une distance de plusieurs kilomètres. Lorsqu?une position ennemie était repérée grâce à l?éclat produit au moment où un obus quittait un canon, les observateurs recevaient un appel du quartier général leur indiquant de porter leur attention sur cet endroit. Après avoir évalué l?éclat du canon, les observateurs appuyaient sur un bouton qui était relié à une lampe au quartier général. Par leurs relevés et par la triangulation de leurs estimations, la position des canons ennemis pouvait être déterminée avec grande précision. Le repérage par le son relevait du même principe. Des personnes s?installaient deux kilomètres derrière la ligne de front avec leurs microphones. D?autres postes d?écoute étaient installés bien plus en avant. Pourvu qu?il n?y ait pas plus d?un obus lancé à la seconde, dès qu?il entendait le fracas d?un canon ennemi, le soldat occupant le poste d?écoute le plus à l?avant appuyait sur un bouton qui actionnait un oscillographe, un instrument qui enregistrait sur film le son de l?obus en vol capté successivement par chaque microphone. Une analyse des intervalles entre les microphones permettait, dans des conditions optimales, de déterminer la position du canon à 25 verges (23 m) près. Toutes les pièces d?artillerie disponibles se tournaient alors dans cette direction pour effectuer un tir massif de 50 à 100 obus. On utilisait également des obus chimiques pour tuer les artilleurs ennemis ou les forcer à porter des masques à gaz qui les affaiblissaient et les obligeaient à ralentir considérablement le rythme des tirs. Durant la dernière année de la guerre, l?artillerie perfectionna le barrage roulant et améliora constamment sa contrebatterie. Les progrès tactiques permirent aux artilleurs de faire des barrages de plus en plus sophistiqués, notamment le barrage encaissant. Ce barrage consistait à ériger un mur de feu et d?explosifs autour d?une position ennemie ? généralement une tranchée ? afin de priver celle-ci de tout renfort. Cela permettait à l?infanterie de capturer et de consolider une position sans craindre une contre-attaque immédiate. À la fin de la guerre, des 43 914 artilleurs qui avaient servi dans l?armée canadienne 2 565 étaient morts à la suite d?une maladie ou de blessures subies sur le champ de bataille. Ils avaient tiré des dizaines de millions d?obus, transformant le paysage en un terrain dévasté, et environ 60 pour cent de toutes les blessures avaient été causées par des obus. La Première Guerre mondiale fut vraiment une guerre d?artilleurs. Repères bibliographiques Cook, Tim. No Place to Run: The Canadian Corps and Gas Warfare in the First World War. Vancouver: University of British Columbia Press, 1999. McNaughton, A.G.L. ?Counter-Battery Work.? Canadian Defence Quarterly 3, 4 (July, 1926). McNaughton, A.G.L. ?The Development of Artillery in the Great War.? Canadian Defence Quarterly 4, 2 (January, 1929). Nicholson, G.W.L. The Gunners of Canada: The History of the Royal Regiment of the Canadian Artillery, Vol. 1: 1534-1919 Toronto: McClelland & Stewart, 1967. Rawling, William. Surviving Trench Warfare: Technology and the Canadian Corps, 1914-1918. Toronto: University of Toronto Press, 1992. Swettenham, John. McNaughton, Volume I. Toronto: The Ryerson Press, 1968.