[title8.jpg] Home|Qui sommes-nous ?| Archives | Liens |Contact | Irja ! Gideon Lévy Haaretz, 15 décembre 2005 www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=657784 Version anglaise : Theatre of the absurd www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=gideon&itemNo=658494 Une heure et quart dans un Transit palestinien pour contourner le barrage de Qalandiya, fermé : un détour de 50 km pour faire 500 mètres. La vie dans un lafa. Irja. Rappelez-vous ce mot, où ne lavez-vous pas déjà entendu ? Il ny a pas un soldat qui ne le connaisse, pas un Palestinien qui ne lait entendu. « Irja ! », rugit le soldat à lencontre de celui quil empêche de passer au barrage, « Retourne chez toi ! », « Tire-toi ! ». Irja ! à celui qui porte lenfant blessé et qui veut le ramener à la maison, Irja ! à lingénieur en construction qui veut se rendre à son travail, Irja ! à la mère en route pour rendre visite à ses parents avec son bébé, Irja ! au vieillard qui veut aller voir ses petits enfants, Irja ! à ladolescent qui a refusé de ramasser les mégots de cigarettes au barrage. Autrefois, les soldats faisaient encore un peu durer la conversation : « va-ten dici », grondaient-ils (en arabe) ou « va-ten dici ! » (en hébreu). Aujourdhui, le soldat se contente dun bref « irja ! » qui décide du sort des gens avec la même économie que de dire « ho ! » à son cheval ou « couché ! » à son chien. Irja ! à Hawara, Irja ! à Beit Pourik, Irja ! à Qalandiya, Irja ! à tous les barrages. Le théâtre de labsurde de loccupation donne lieu à un spectacle toujours renouvelé et à la fois ancien. Jeudi passé, Youssef Abou Aadi, un homme de 29 ans, a poignardé le soldat Nir Kahana, au barrage de Qalandiya, et la tué. Le barrage a immédiatement été fermé et cela fait maintenant une semaine que des centaines de milliers de Palestiniens ne peuvent y passer. Le barrage de Qalandiya, rappelons-le, est un méga-barrage situé À LINTERIEUR des Territoires, pas au passage entre les Territoires et Israël, et cette sanction collective cruelle condamne des dizaines de milliers de personnes innocentes et misérables à un surcroît de longues journées de brimades. Le barrage est fermé ? Pas vraiment. Il y a moyen de le passer. Mais pas en parcourant à pied les quelques centaines de mètres (ça, ce nest permis quaux habitants de Jérusalem-Est et aux « cas humanitaires »), seulement par un trajet en taxi, coûteux et long : 50 kilomètres, un trajet dune heure et quart, dans un sens comme dans lautre. On monte vers le nord sur des dizaines de kilomètres pour avancer de quelques centaines de mètres vers le sud. Avant darriver de lautre côté du barrage, on contourne celui-ci en parcourant presque toute la Cisjordanie. Bientôt sera inauguré le nouveau barrage de Qalandiya : une ville de barrages avec, sur le côté, une étouffante muraille de séparation, avec des routes internationales dotées de lieux de stationnement pour les invalides et des voies agencées de manière exemplaire, avec du tuf amené des hauteurs du Golan pour ajouter à lembellissement des places. Il y a aussi ce panneau routier bien visible avec son culot : « Notre espoir à tous » et à côté, le dessin dune rose rouge. Le barrage rénové, qui coupe la Cisjordanie occupée, sera « notre espoir à tous ». Quil y ait dans le monde un autre barrage avec une prétention aussi effrontée, on peut en douter. Sauf peut-être le barrage de Tapouah : là aussi se construit actuellement un monstre de barrages avec un panneau semblable. Ici aussi, à lavant du taxi Transit dans lequel nous avons voyagé pour faire lexpérience de labsurdité de ces pérégrinations de plusieurs dizaines de kilomètres pour seulement contourner un barrage fermé l'armée de défense d'Israël aime beaucoup appeler ça un « point de passage » il y a une inscription qui réveille lespoir : « Ne désespère pas ». Humour noir. Les montagnes dordures, le sable, le fil de fer barbelé et les blocs de béton qui ont été déposés ici, jeudi, ôtent toute possibilité de passage en voiture. Un meurtre à Tel Aviv et tout Tel Aviv est-il placé en état de siège ? Un coup de couteau à Haïfa et Haïfa est-il tout entier emprisonné ? Ici, dans les Territoires, tout es permis. Il y a un meurtre à Qalandiya et la moitié de la Cisjordanie est bouclée. Dans les journaux palestiniens, il est question de la fermeture du barrage en première page. Qui cela intéresse-t-il, chez nous ? Un adolescent portant un enfant dont la jambe est plâtrée sur toute sa longueur, sapproche des blocs de bétons entre lesquels du fil de fer barbelé a maintenant été tiré. Le gars de la police des frontières, par un excès dhumanité, autorise lenfant blessé à rentrer chez lui Israël nautorise-t-il pas le passage pour les « cas humanitaires » ? mais son oncle, celui qui le porte dans ses bras, ne constitue pas, lui, un « cas humanitaire ». Lenfant ne peut se tenir debout sur ses deux jambes. Son oncle le dépose sur le cube de béton, comme un objet, sous les yeux du policier. « Je le porterai seulement jusquà la voiture et puis je reviens », implore loncle, mais toute cette affaire ne touche pas le gars de la police des frontières. Irja ! et basta ! Un ingénieur en construction de Beit Ikhsa, portant cravate, cherche à se rendre à son bureau situé à Ramallah. Il se tient sur le côté, tout interdit, des plans à la main. Lui aussi a été frappé de irja ! Depuis jeudi, il tente chaque jour de rejoindre son bureau. En vain. Le préjudice économique saccompagne pour lui dune humiliation cuisante. Son visage est plus parlant que tous les mots. Dans la file de voitures obligées de retourner doù elles sont venues, embouteillages et coups de klaxon jusquau ciel, un jeune homme assis dans une « Polo » blanche montre du doigt les cicatrices quil a au visage. Il dit quici, lors de la dernière fête, un soldat la frappé. Il avait essayé de lui parler au cur pour quil autorise son frère à le rejoindre pour la fête en famille. En réponse, il a reçu des coups de crosse de fusil. Un travailleur social du Croissant Rouge à Ramallah, bénévole qui se spécialise dans le traitement des traumatismes psychologiques, tente de montrer au type de la police des frontières son certificat de volontaire fourni par son organisation humanitaire ainsi quune coupure de journal où il est dit que le passage est autorisé pour les « cas humanitaires ». Irja ! Allègement du bouclage : depuis dimanche, Israël autorise les habitants de Jérusalem-Est à passer au barrage mais bien sûr pas les habitants de Ramallah et de Cisjordanie. Donc nous commençons à traverser le barrage à pied. Dans le tunnel malpropre du passage, un jeune homme, revenant sur ses pas, marche vers nous, le visage exprimant la colère : « Fils de putes ! » Le jeune homme, qui sappelle Issa, dit quil était occupé à fumer une cigarette au barrage, que le soldat lui a ordonné de léteindre et qualors, comme il avait lancé son mégot vers les ordures qui traînent de toutes parts, le soldat lui a commandé de ramasser tous les mégots de cigarettes du barrage, sinon : irja ! « Je ne travaille pas pour vous », a dit Issa le jérusalémite, renonçant à son droit de passer. « Pas facile, toute cette histoire du coup de couteau. Cétait sûrement quelqu'un qui a dû beaucoup endurer à ce barrage. Ça ne vient pas tout seul, comme ça, que quelqu'un poignarde un soldat. » « On passe ? », demande un piéton. « On passe, mais avec lhumiliation », répond Issa. Dans une « Golf » bleue, une femme, une jérusalémite, est assise avec son bébé sur ses genoux. Cela fait déjà une heure quelle est là dans le passage Est, par où il est permis aux voitures de Jérusalémites de quitter Ramallah par la voie de contournement. Elle a sorti le bébé de son siège quand il sest mis à hurler comme un enragé. Déjà une heure au barrage et la fin nest pas encore en vue. Un visite chez grand-père et grand-mère. Dans un taxi Transit qui attend de se remplir pour contourner le barrage, Jamel Abou Sarhan attend. Son épouse possède une carte didentité bleue [israélienne] et lui une carte didentité verte. Ils sont mariés depuis 20 ans mais sa demande de « regroupement familial » na toujours pas été exaucée. Cest pourquoi il se déplace sur les routes de Cisjordanie avec, en poche, la carte didentité de son épouse. Pour le cas où cela aiderait. Aujourdhui, cela na aidé à rien. Sa femme est jérusalémite et donc ses enfants également. Tout ce quil demande cest de rentrer chez lui à Jérusalem. Il a même un permis dentrer en Israël, « y compris pour y passer la nuit », mais le soldat a aboyé « irja ! », permis de passer la nuit ou pas. « Où vais-je dormir ? » Trois petits enfants reviennent de lécole « Hosni al Ashhab » et retournent chez eux dans le camp de réfugiés de Qalandiya. Chaque jour, ils passent par ce barrage pour aller à lécole et pour en revenir. A eux également, Israël autorise le passage. Des élèves de 6^e année. En chemin, ils enregistrent ces images du barrage et leur cur semplit de lamour de Sion ["Hibbat Tsion", allusion à un mouvement de colonisation juive de la Palestine à la fin du 19^e s - NdT]. Soubahi, Samer et Yasser ont été libérés plus tôt : le professeur de sport et le professeur de sciences nont pas été autorisés par les soldats à passer. La femme au bébé attend toujours dans la « Golf » bleue. Seule lironie ne connaît pas de frontières : de lautre côté du panneau où il est écrit à la main et sans soin que le barrage nest ouvert que pour les titulaires dune carte didentité bleue et pour les écoliers, est imprimé : « Le peuple est avec le Goush Katif ». La mère attache le bébé dans son siège ; il ne reste que deux voitures devant elle au barrage, une heure et demie après quelle y soit arrivée. Jedda Darwish est un vieil homme porteur dun passeport américain avec un visa touristique valide pour Israël. Il lui est permis de circuler librement à Tel Aviv mais pas de traverser Qalandiya. Américain ou non, irja ! Le jaune se lève : toute la Cisjordanie se couvre maintenant de vestes phosphorescentes jaunes. En Israël, une nouvelle directive impose à tout conducteur de revêtir cette veste lorsquil sort de sa voiture sur la route pendant la nuit. Les conducteurs de Cisjordanie, dont la sécurité importe tout particulièrement à Israël, sont prompts à donner 15 shekels pour se procurer cet équipement auprès des nombreux colporteurs présents au bord de la route : ils savent quils seront les premiers à avoir droit, sinon, à un PV. 12h25 et notre taxi collectif prend la route pour revenir de lautre côté du barrage. Quelques hommes au regard sombre, forcés de payer 15 shekels et de perdre une heure et quart sans compter le long temps dattente jusquà ce que le taxi soit rempli, et tout ça pour arriver de lautre côté de Qalandiya. Point de passage du mur de séparation qui coupe la route de Ramallah et le long de laquelle se trouve laéroport international de Jérusalem. A droite : le camp de Qalandiya. Pour nous rendre au sud, nous voyagerons vers le nord, par Ramallah, et sur notre longue route, nous croiserons les maisons dEl-Bireh. Les voyageurs se sont drapés dans leur silence. Quy aurait-il à dire ? On encaisse lhumiliation de ce stupide voyage, on roule et on se tait. Une photo de carte didentité du fils du conducteur, un enfant de réfugiés de Qalandiya, est accrochée au-dessus de sa tête à côté du petit sapin vert qui exhalait autrefois du parfum. Le visage du conducteur est sombre lui aussi, même si, avec la fermeture du barrage, il a davantage de travail. Hôtel « Best Eastern », Ramallah. La ville espère donner une impression internationale. Pour nous rendre au sud de Ramallah, nous roulons vers le nord, comme nous lavons dit, très au nord, ensuite vers lest et ensuite à nouveau vers le sud. En arabe, ils appellent ça « à la manière du lafa ». Le village de Soudra : cest ici quil y avait un des barrages les plus cruels de Cisjordanie ; il a été retiré. Le village dAbou Kash dont une partie importante des habitants a émigré en Amérique : à la vitrine dun des magasins, sont présentés des appareils de musculation. Sur notre gauche, le beau campus de lUniversité de Bir Zeit et nous voilà déjà dans la ville de Bir Zeit dont la majorité des habitants sont chrétiens. Voyagez, faites des excursions. Pas de soldats aujourdhui au barrage situé à la sortie de Bir Zeit. Cest tout bonus pour les voyageurs. Le pont dAtara. A droite la route monte vers Naplouse, à gauche vers la colonie de Halamish. La route devient montagneuse : on descend dans les vallées, on monte sur les crêtes ; chouettes montagnes russes. Jifna est à droite. Il est déjà 13h05 : 40 minutes que nous roulons. A lapproche du passage sur la route 60, le conducteur attache sa ceinture de sécurité. Une route juive souvre devant lui. Les conditions saméliorent dun coup : revêtement impeccable fini les cahots de larges accotements et de léclairage. 17 km jusque Beit El, 5km jusque Ofra, 28 km jusque Jérusalem. Enfin nous tournons au sud, la direction de notre destination. Un sentiment étrange, rappelant lexaltation sans en être. Après 48 km et une heure et quart exactement, nous touchons au but : le barrage de Qalandiya dont nous sommes partis, mais de lautre côté. Le porte-parole de l'armée de défense d'Israël : « Le point de passage de Qalandiya est fermé en raison du grand danger qui pèse sur la sécurité des soldats de l'armée de défense d'Israël qui font les contrôles et du contact direct existant entre les Palestiniens et les soldats, ce qui a conduit jeudi dernier à un attentat au couteau au cours duquel un soldat de l'armée de défense d'Israël a été tué par un terroriste. Etant donné que prochainement doit avoir lieu louverture du nouveau point de passage de Qalandiya qui assurera aux soldats de meilleurs moyens de protection et aux habitants palestiniens des conditions de passage plus convenables, il a été décidé au commandement central de ne pas courir de risques superflus et dattendre louverture du nouveau point de passage. Il y a lieu de noter quen dépit de la fermeture du point de passage, le passage y est possible pour les cas humanitaires ainsi que pour les habitants de Jérusalem-Est. » Si cest dangereux pour les soldats, et si de toute façon il est possible demprunter un chemin de contournement, peut-être le barrage est-il superflu ? (Traduction de l'hébreu : Michel Ghys) Home|Qui sommes-nous ?| Archives | Liens |Contact | haut de page Aide Sanitaire Suisse aux Palestiniens (ASSP) 15, rue des Savoises 1205 Genève Tél. 0041(0)22/329.82.13