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Le Pangolin blog animé par Mouélé Kibaya, écrivain essayiste, pour réagir sur l'actualité de l'Afrique et du Congo, en ce qui concerne les relations internationales, la culture, l'économie, la littérature, la philosophie, les sciences sociales etc....

23 novembre 2006

Opposition politique ,

Opposition politique ,

Le Petit Dictionnaire  Mouele  Kibaya des mots 1 : opposition poilitique

Je continue le tour des définitions des mots pour l'action en Africaine.

Je viens vous donner quelques définitions du mot opposition, voici ce que dit le dictionnaire Larousse de Langue française,

il fait 6 occurences, selon le grand Larousse, le mot opposition nom féminin vient du bas latin oppositio, onis) :

1. situation de choses placées vis-à-vis; effet qui résulte du rapprochement de la coexistence des choses opposées.

2.situation de ce qui est en contradiction avec quelque chose.....

3. action de s'opposer à quelque chose, d'y mettre obstacle par sa resistance

4. fait de s'opposer à quelqun, de lui resister, d'être plus ou moins hostile ou agressif à son égard

5. Ensemble des partis et des forces politiques qui s'opposent à un moment donné au pouvoir et au gouvernement et dont le programme est opposé à celui de la majorité politique

6 en opposition avec, en conflit, en contestation............"

Il y a aussi cette définition que j'ai lue et approuvée sur le site tunisien "www.reveiltunisien.org

Définition de l’opposition politique
mercredi 23 octobre 2002, par T.I.Z


Faut il appeler le mouvement contre le régime de Ben Ali une Opposition ou une Résistance ? Quelques éléments de réponse dans Encarta [*].


[*] Encyclopédie Microsoft® Encarta® 2002 en ligne

I. Introduction

opposition (politique), ensemble des forces politiques qui expriment des divergences importantes par rapport aux détenteurs du pouvoir.

Pour qu’il puisse exister une opposition, il faut que le système politique d’un pays soit organisé et régi par des règles précises. L’opposition est ouverte et collective. Lorsque la lutte contre les détenteurs du pouvoir est clandestine, il ne s’agit pas d’opposition mais de résistance. De même, l’opposition n’est pas normalement la critique individuelle mais le regroupement de personnes partageant des vues critiques sur la manière dont le pays est gouverné.

II. Les modèles d’opposition

La réflexion sur l’opposition est récente. Parmi les auteurs qui se sont intéressés de près à cette notion, il faut citer R. Dahl, qui a écrit en 1966 un ouvrage intitulé l’Avenir de l’opposition dans les démocraties. Dans ce livre, R. Dahl propose un essai de typologie des différents modèles d’opposition en régime démocratique. Ainsi, il distingue les pays dans lesquels le « consensus » étant très élevé, les minorités d’opposition sont peu nombreuses et les citoyens sont en général d’accord avec l’esprit des lois qui sont édictées ; les pays dans lesquels il y a en permanence une importante minorité qui accepte les formes et les procédures constitutionnelles tout en étant profondément en désaccord avec la politique suivie par le gouvernement. Les personnes faisant partie de cette minorité obéissent aux lois qui ont été adoptées suivant la procédure constitutionnelle et légale reconnue légitime, mais ont le sentiment d’être contraintes d’obéir à ces lois bien qu’elles les trouvent mauvaises. Enfin, R. Dahl définit un troisième type, constitué par les pays dans lesquels une importante minorité refuse à la fois la politique gouvernementale et la Constitution.

Il s\’agit bien entendu de formes « idéales ». Il semble que la France, après avoir appartenu à la troisième catégorie, appartienne désormais à la deuxième, celle où les textes fondamentaux, la Constitution et l’esprit qui l’inspire sont à peu près acceptés. On peut donc distinguer dans les faits les régimes politiques à « consensus élevé » ou de nombreux citoyens ne sont que très modérément opposés au pouvoir et les régimes à « consensus limité » où beaucoup de citoyens sont fortement opposés au pouvoir. Parmi les premiers, on peut citer la Suède, parmi les seconds, la France ou l’Italie. Un régime de consensus limité offre plus de liberté dans l’action politique qu’un pays de consensus élevé, mais il entraîne des risques importants de violences politiques, d’impasses politiques, d’instabilité constitutionnelle et, à la limite, de destruction de la démocratie elle-même. C’est l’une des causes de la chute de la IVe République en France en 1958.

III. Les fonctions de l’opposition

Alfred Sauvy écrit dans la Tragédie du pouvoir (1978) : « La démocratie ne consiste pas à s’unir mais à savoir se diviser. L’unanimité, le plein accord, est un mauvais signe. » L’opposition assure donc certaines fonctions indispensables en démocratie. Elle permet d’abord une information contradictoire des décisions et des intentions du gouvernement du pays. Il revient à l’opposition de soulever des questions, de critiquer les interrogations ou les orientations de telle ou telle politique. L’opposition doit ensuite constituer pour les électeurs un éventuel gouvernement de rechange. Cela signifie que l’opposition doit avoir un programme réalisable. Le principe de l’alternance fait donc de l’opposition un gouvernement en puissance.

TIZ 100% réveillé

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15 novembre 2006

Bamako, le film à voir absolument!

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" Bamako", film d’action et de justice

Comme à l’accoutumé je vous livre en lecture sans commentaires un article sur le film Bamako du Malien Abderrahmane Sissako, une façon originale de parler de la dette africaine.

Je vous incite à aller regarder ce film.

Vous avez toutes les dates de passage en cliquant sur le site du film www.bamako-film.com Et le site de l’organisation CADTM www.cadtm.org

Je vous souhaite donc bonne lecture et surtout bon film allez voir et venez me dire ce que vous pensez.

L’affiche du film présenté au festival de Cannes 2006 qui a reçu le grand prix du public

"Bamako", film d’action et de justice

par Damien Millet, Olivier Lorillu (CADTM) www.cadtm.org

Il a déjà fait parler de lui au festival de Cannes 2006, il sera à l’affiche dans les cinémas à partir du 18 octobre : le film « Bamako » est un évènement cinématographique majeur de cette rentrée [1] , et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les choix artistiques de son réalisateur, le Malien Abderrahmane Sissako [2], en font un vrai film d’auteur. Tour à tour, ils étonnent, ils émeuvent, ils amusent, ils secouent, autant dire qu’ils ne laissent jamais indifférents. Insistons ici sur le premier de ces choix, l’idée de base du scénario qui donne au film sa colonne vertébrale : mettre en scène, dans la cour d’une maison malienne où la vie quotidienne continue de s’écouler, le procès du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à propos de leurs responsabilités dans la situation économique africaine. La Cour, les avocats, le public, les témoins sont là, sur la terre battue malienne. Loin d’être des boucs émissaires, les deux institutions mises en cause doivent effectivement rendre des comptes pour leur rôle central dans l’impasse actuelle pour le continent noir. Qu’on en juge.

Créées toutes les deux à Bretton Woods (États-Unis) en juillet 1944, elles sont les héritières du rapport de forces issu de la seconde guerre mondiale. Installées à Washington, à proximité de la Maison blanche, elles constituent un dispositif clé pour les Etats-Unis et les puissances alliées dans leur mainmise sur l’économie mondiale.

Après l’accession à sa présidence en 1968 de Robert McNamara, ancien secrétaire d’État à la Défense des États-Unis (alors empêtrés militairement au Vietnam), la Banque mondiale a utilisé l’endettement dans un but géopolitique : déstabilisation de gouvernements progressistes et démocratiques en leur supprimant toute aide (Soekarno en Indonésie, Kubitchek puis Goulart au Brésil, Allende au Chili...) pour contrer les velléités d’émancipation ; soutien aux alliés stratégiques du bloc occidental, notamment des régimes dictatoriaux responsables avérés de crimes contre l’humanité (dictatures brésilienne et argentine, Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, régime d’apartheid en Afrique du Sud, Suharto en Indonésie, régimes dictatoriaux en Corée du Sud et en Thaïlande, régimes dissidents de l’ancien bloc soviétique comme Ceaucescu en Roumanie et tant d’autres [3]).

Une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale a servi à mener des politiques qui ont porté préjudice à des centaines de millions de citoyens. Elle a systématiquement privilégié les prêts pour des projets néfastes pour les populations concernées et pour leur environnement : grands barrages souvent inefficaces (plus de 10 millions de personnes ont dû être déplacées à cause de tels projets soutenus par la Banque mondiale, souvent privées d’indemnisation suffisante), industries extractives (mines à ciel ouvert, oléoducs), politiques agricoles favorisant le « tout à l’exportation » au prix de l’abandon de la souveraineté alimentaire, centrales thermiques (grandes consommatrices de forêts tropicales), etc.

En violation des principes du traité de Versailles de 1919, les prêts accordés par la Banque mondiale à des métropoles coloniales pour l’exploitation des ressources naturelles de leurs colonies ont été transférés à la charge des États au moment de leur indépendance. Voilà comment des pays comme la Mauritanie, le Gabon, l’Algérie, le Congo Kinshasa, la Zambie, le Kenya, le Nigeria et d’autres ont hérité d’une véritable dette de l’indépendance avec l’aval de la Banque mondiale.

Après la crise de la dette au début des années 1980, le FMI est intervenu à la demande des créanciers pour organiser et sécuriser le remboursement de la dette. Il a conditionné ses prêts aux pays surendettés à la signature de programmes d’ajustement structurel (PAS) qui correspondent toujours au même schéma : production agricole tournée vers l’exportation ; austérité budgétaire et baisse drastique des budgets sociaux (santé, éducation, infrastructures...) ; suppression des subventions aux produits de base ; licenciements dans les services publics et gel des salaires ; fiscalité souvent réduite à une TVA frappant surtout les plus démunis ; privatisations ; libéralisation de l’économie, ouverture totale aux capitaux étrangers et mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les transnationales... Le FMI a donc complété l’action de la Banque mondiale dans le sens d’une colonisation économique. En effet, tant le FMI que la Banque mondiale soutiennent une politique de captation des richesses des pays du Sud au profit d’une poignée d’entreprises multinationales, de quelques individus fortunés et des proches du pouvoir, dont les choix s’imposent cruellement à la majorité des habitants de la planète.

Le caractère nocif de ces prétendus remèdes a été démontré dans les multiples crises qui se sont succédé à partir du milieu des années 1990, du Mexique à l’Asie du sud-est, de la Russie au Brésil, de la Turquie à l’Argentine... Le résultat de ces politiques est une profonde dégradation des conditions de vie des populations du Sud, particulièrement en Afrique : le nombre d’Africains devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé entre 1981 et 2001, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et l’espérance de vie est en chute (pour 20 pays d’Afrique, elle est passée sous la barre des 45 ans).

Depuis quelques années, ces deux institutions internationales font des annonces tonitruantes sur l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres. Mais elles oublient de préciser que peu de pays sont concernés et que cet allégement s’effectue en contrepartie de longues années de réformes économiques draconiennes, dans la droite ligne de l’ajustement structurel. En termes de réduction de la dette, de lutte contre la pauvreté, de respect des droits humains, le FMI et la Banque mondiale ont indéniablement échoué et les dégâts qu’ils ont provoqués sont considérables.

Aucune institution ne bénéficie d’immunité si elle est impliquée dans des crimes contre l’humanité, pour lesquels n’existe aucune prescription. Au motif de crimes contre l’humanité, le FMI et la Banque mondiale doivent être traduits en justice. « Bamako », film d’action et de justice, film d’action en justice soutenu par le CADTM, vient révéler cela au grand jour.

Notes:

[1] Durée : 1h58. Sortie en France : 18 octobre 2006. Voir le site du film

[2] Auteur récompensé notamment au festival de Cannes en 2002 par le Prix de la critique internationale pour « En attendant le bonheur ».

[3] Voir Eric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’état permanent, CADTM/Syllepse/CETIM, 2006.

Source. Cadtm  URL: http://www.cadtm.org

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12 novembre 2006

Carte Postale Pan-Africaine

Voici ce que j'ai lu sur le site www.pambazuka.org et que j'ai trouvé interessant de partager avec vous. Vous souhaite bonne lecture, merci

Comment écrire sur l’Afrique

Voici quelques pistes : coucher du soleil et famine.

Binyavanga Wainaina (2006-01-12)

Employez toujours le mot ‘Afrique’ ou ‘Obscurité’ ou ‘Safari’ pour votre titre. Les sous-titres pourront inclure des mots comme ‘Zanzibar’, ‘Massai’, ‘Zambèze’, ‘Congo’, ‘Nil’, ‘Gros’, ‘Ciel’, ‘Ombre’, ‘Tambour’, ‘Soleil’ ou ‘Passé’. Il y a aussi des mots utiles tels ’Guérillas’, ‘Eternel’, ‘Primordial’ et ‘Tribal’. A noter que ‘Peuple’ signifie les Africains qui ne sont pas Noirs, alors que ‘Les Peuples’ signifient les Africains Noirs.

Pas d’image d’Africain en règle sur la couverture de votre livre ou à l’intérieur, à moins que cet Africain ait gagné le Prix Nobel. Un AK-47, des taquineries, des seins nus, voilà ce que vous devez utiliser. Si vous devez inclure un Africain, assurez-vous que vous prenez un Massai ou un Zoulou ou une robe Dogon.

http://www.kwani.org/

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30 octobre 2006

Ethnie, notions et reflexions

Je viens soumettre à votre reflexion ce texte sur l'ethnie.

La notion d'Ethnie Préalable - Définitions et quelques repères

- Commentaires 28/03/06 Que sous-entendent des expressions comme "les Albanais du Kosovo", "le peuple corse", "les Auvergnats de Paris", "les Français d'origine musulmane", "conflit ethnique au Rwanda" ou encore "les mariages mixtes" ? Y aurait-il moins d'ambiguïté dans celles de "les Hmong du Viêt Nam", les Wolofs du Sénégal" ou "les Jivaros d'Amazonie" ? "Ethnie" est un signifiant flottant et, à moins d'une certaine naïveté, il ne se donne pas d'emblée comme objet scientifique. Les usages et les pratiques sociopolitiques qui lui sont liés restent inséparables de tous les discours pouvant être tenus à son sujet. Cela interroge la position même des "savants" qui, comme n'importe quel citoyen, ne peuvent se déposséder de leurs propres habitus. Aussi faut-il avoir en tête et en préalable le cadre sociopolitique. En France par exemple , mais chacun peut internationaliser les exemples, dans les discours, de droite comme de gauche, la question de l'ethnicité est discutée pêle-mêle avec les problèmes des banlieues, avec ceux de l'immigration, avec des questions religieuses, avec celles des "minorités". Les média nous expliquent que tel ou tel conflit, telle ou telle guerre sont de nature "tribale" ou "ethnique" comme si les deux termes pouvaient être interchangeables.. Tous ces amalgames génèrent des malentendus qui servent de ferment aux idéologies xénophobes ou racistes, d'écran aux politiques internationales des "grandes puissances" mais aussi d'obstacle épistémologique à une approche raisonnée de cette notion. Les ethnologues eux-mêmes, peu à l'aise avec cette notion, se contentent d'une prudente réserve alors que l'on pourrait penser que la notion d'ethnie est au cœur de leur discipline. Nous soutiendrons ici une position particulière et nous l'annoncerons avant même de présenter ce concept : Les ethnies, ça n'existe pas mais il y en a beaucoup. Le paradoxe n'est qu'apparent car la négation de leurs existences et le constat de leurs multitudes ne se situent pas au même niveau d'analyse. Ça n'existe pas si on les définit comme une sorte d'isolat tant génétique que culturel. Même s'il existe des gradients en termes de génétique de populations, en termes de groupements linguistiques, en termes de relations interculturelles et d'acculturation, il ne saurait être observé de "groupes purs" à un niveau synchronique et encore moins à un niveau diachronique. C'est en ce sens que Jean Loup Amselle et Elikia M'Bokolo ont pu montrer, exemples à l'appui, que beaucoup d'ethnies sont des créations coloniales même si, ce que font ces auteurs, ces propos sont à nuancer.(3) Il y en a beaucoup car, tant au plan de l'autodétermination d'une identité culturelle qu'à celui d'une allo-détermination, toutes les sociétés du monde définissent simultanément une identité et une altérité culturelles. Soulignons enfin que ces définitions sont d'une certaine manière à géométrie variable car il n'y a pratiquement jamais d'appartenance unique. Chaque groupe appartient à des ensembles eux-mêmes constitués de sous-ensembles. Que cela soit en tout ou partie imaginaire n'en constitue pas moins une réalité sociale et psychologique. Dans ce sens, est applicable la considération de Max Weber qui appelle "groupes ethniques" des groupes humains qui font preuve d’une croyance subjective dans leur ascendance commune, à cause de ressemblances dans le type physique, dans les coutumes, ou de souvenirs partagés dans l’expérience de la colonisation et des migrations.

AUTOUR DE QUELQUES DEFINITIONS.

e q n o V : Toute classe d'êtres d'origine ou de condition commune d'où : race, peuple, nation, tribu, dans le Bailly qui précise aussi que le mot fut utilisé pour les personnes (ex. race des mortels), des animaux (ex. races des abeilles, poissons ...), des corporations, professions (ex. caste des brahmanes indous - ex. race des artisans).

Ethnie : Nom féminin (Grec - ethnos) Groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène et dont l'unité repose sur une communauté de langue et de culture - Larousse. Le mot désigne un ensemble d'individus qui ont en partage un certain nombre de caractères de civilisation, notamment linguistiques ; il tend à remplacer certains emplois abusifs de race mais reste didactique.

Le Robert historique de la langue française. Le Littré de 1876 représentatif de l'état de la langue à la fin du XIXeme siècle répertorie ethnarchie, ethnarque, ethnique, ethno-généalogie, ethnographe, ethnographie, ethnographique, ethnologie,ethnologique, ethnologiquement, ethnologiste mais ne reconnaît pas encore ethnie.

On peut y noter que l'ethnographie est la "Science qui a pour objet l'étude et la description des divers peuples." et que l'ethnologie est "Traité sur l'origine et la distribution des peuples". Ce qui a trait à ethnique est un raccourci historique des avatars de ce mot :

1° Qui appartient au paganisme, dans le style des Pères de l'Église. Les nations ethniques.

2° Terme de grammaire. Mot ethnique, mot qui désigne l'habitant d'un certain pays. Français est un mot ethnique.

3° S. m. L'ethnique, la désignation qui caractérise un peuple. Gaulois est l'ethnique d'une population considérable en Europe. Allemand est l'ethnique de la peuplade des Alamans, dont les Français ont fait l'ethnique de la nation entière. Constellation d'ethnos. Au-delà de la question des définitions se pose celle des connotations qui sont "flottantes".

C'est aussi le cas des signifiants avec justement lesquels le mot ethnie peut être ou a été confondu comme race, peuple, tribu, nation. Ces flottements ne sont compréhensibles qu'à l'intérieur des contextes socio-historiques de leurs usages. ethnologie : Poirier [5] rapporte que le mot Ethnologie paraît, en 1787, sous la plume de Chavannes dans un livre intitulé Essai sur l'éducation intellectuelle avec le projet d'une science nouvelle. L'auteur y voyait une branche de l'histoire, celle de l'étude des étapes de l'homme en marche vers la civilisation. L'évolutionnisme n'était pas encore né mais l'idée d'une progression voire du "progrès" était bien présente.

Mais, note Poirier, "très vite, ethnologie a pris une acception raciologique ...Ce n'est que vers le début du XXe siècle que le mot prendra sa signification actuelle." ethnographie : Le même auteur considère que le mot ethnographie est plus tardif et il l'attribue à l'historien allemand Niebuhr (vers 1810) et ce serait l'italien Balbi résidant à Paris qui l'aurait diffusé en France. Cela n'est pas sans discussion. Rohan-Csermak écrit que "Le terme d’ethnographie..[...]..avec une forte tendance géographique, apparaît pour la première fois, semble-t-il, en Allemagne, en 1791, dans le titre d’une Ethnographische Bildergallerie publiée à Nuremberg. En 1807, un certain Campl, d’après Jorge Dias, ou Camper, selon Paulo de Carvalho Neto, l’utilise dans l’acception de description des peuples, ce qui la rapproche de celle qu’a adoptée notre génération.

À Weimar, en 1808, paraît un Allgemeines Archiv für Ethnographie und Linguistik; l’historien Barthold Georg Niebuhr serait l’un des premiers à introduire ce terme dans le langage académique, en l’utilisant, en 1810, à l’Université de Berlin, dans ses cours publiés en 1811 sous le titre Römische Geschichte ". [9] Menget [4] cite l'historien allemand Schlöser comme le premier utilisateur d'ethnographisch, et cela en 1772. Si tenté que le nom d'une revue cristallise des préoccupations et des intérêts plus collectifs, il faut attendre 1818 pour que Friedrich Alexander Bran fonde Ethnographisches Archiv. ethnie : En Angleterre, l’édition de 1833 de Penny Cyclopaedia semble être la première à publier ce mot, faisant remarquer que le "terme ethnographie (description des nations) est utilisé par des écrivains allemands dans le sens que nous [les Anglais] donnons à Anthropographie ".

En France, il semble que ce soit Georges Vacher de Lapouge en 1896, qui pour la première fois utilise ethnie dans son livre Les sélections sociales. De toutes manières et débordant le XIXe siècle les termes de race, de peuple, de nation, de civilisation sont utilisés avec beaucoup d'ambiguïté. Il ne faudrait pas croire que l'arrivée d'ethnie aurait remplacé celui de race. Dans un excellent article Hervé Vieillard-Baron rappelle par exemple que "Jean Giraudoux appelait de ses voeux en 1939 un ministère de la Race, tandis que l'Espagne franquiste célébrait la Journée de la Race pour souligner les liens indéfectibles qui l'unissaient aux pays d'Amérique latine." [10].

Au-delà de la diversité des usages il semble qu'en France le terme d'ethnie a globalement reçu une connotation négative et cela jusqu'à la fin de la décolonisation. Taylor écrit "Tandis qu'en Allemagne, dans les pays slaves et dans l'Europe du Nord, les dérivés d'ethnos mettent l'accent sur le sentiment d'appartenance à une collectivité, en France le critère déterminant de l'ethnie est la communauté linguistique". [7]

ET AUJOURD'HUI ?

Je ne suis pas si sûr que ces dernières considérations soient aussi manifestes.

Il y a des distorsions et des écarts considérables entre les usages savants eux-mêmes du terme d'ethnie mais aussi avec les usages "quotidiens". Nous entendons par cette dernière expression les pratiques du terme dans les journaux, les télévisions, les banlieues et puis, il faut bien le dire dans les "Cafés du Commerce".

Une chaîne culturelle comme Arte peut par exemple annoncer un documentaire sur l'ethnie Dogon mais ne fera jamais référence à une ethnie arabe. Et quand bien même des références seraient faites à une ethnie chinoise "tout le monde" comprendrait spontanément qu'il ne s'agit pas des Chinois lambda.

Les guides touristiques sont pour cela d'excellents indicateurs des représentations culturelles sur les Cultures. La compilation des données précédentes autour d'ethnos ne doivent pas cependant faire oublier la minceur des travaux.

L'interprétation de ce fait paraissant la meilleure en profondeur nous semble être celle de Jean-Loup Amselle : "Ce relatif oubli ou ce désintérêt de la part des anthropologues est sans doute à rapprocher de l’histoire même de la discipline et des différentes tendances qui l’ont traversée.

Il est, en effet, de plus en plus évident que l’anthropologie s’est formée sur la base du rejet de l’histoire et que ce rejet s’est maintenu depuis lors." (2) Nous croyons quant à nous que ce rejet de l'histoire est un analogue de l'amnésie infantile sur le plan individuel.

La plupart des auteurs s'accordent à penser que les travaux de Fredrik Barth dans les années soixante marquent un tournant dans la manière même dont la communauté des ethnologues aborde l'objet "ethnie". Les lecteurs francophones trouveront son texte fondamental en la matière, Les groupes ethniques et leurs frontières dans Théories de l'ethnicité de Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Fenart.

Ces derniers écrivent que "l'apport majeur de sa théorisation (...) est de mettre l'accent sur les aspects génératifs et processuels des groupes ethniques. Ceux-ci ne sont pas considérés comme des groupes concrets mais comme des types d'organisation basés sur l'assignation et l'auto-attribution des individus à des catégories ethniques." [6] Barth renverse la perspective : au lieu de considérer l'ethnie comme un isolat humain se transmettant immuablement le long des générations des éléments culturels, il considère que les distinctions ethniques se fondent et s'entretiennent dans des interrelations et par des mécanismes d'exclusion et d'incorporation définissant des frontières, des limites (boundaries).

Peu d'ethnologues sont familiarisés avec les travaux psychanalytiques de Mélanie Klein et c'est peut-être dommage car ils trouveraient matière à réflexion. Pour le dire vite, le petit enfant construit son identité sur la base de ce qu'il introjecte comme bon et de ce qu'il projette comme mauvais. Bien entendu cette dichotomie ne se présente jamais à lui d'une façon aussi simple. Certains bons objets sont dehors, certains mauvais objets sont dedans et certains objets sont à la fois bons et mauvais.

La vie fantasmatique et plus généralement la vie psychique s'élabore en partie pour intégrer ces éléments primaires. La construction de l'identité ne peut qu'être corrélative d'avec la construction de la réalité. Dans ces processus l'imaginaire est fondamental. Je sais le risque que ce rapprochement soit taxé de psychologisme, critique que la plupart des anthropologues ont adressé à Freud dès qu'il a orienté la psychanalyse vers d'autres domaines que la clinique, et pourtant ça pourrait fonctionner. Non pas en pensant que du psychologique produirait du sociologique mais en considérant que "des matériaux différents peuvent s'édifier à partir de structures formellement homologues". (note) On peut même aller plus loin dans cette direction. Annamaria Rivera dans un article que nous recommandons avec insistance, Ethnie-Ethnicité écrit : "..l'anthropologue norvégien propose de ne pas considérer le groupe ethnique comme déterminé par des contenus culturels. Ces derniers sont au contraire utilisés pour construire la frontière, et par conséquent pour construire la culture du groupe." [8] Aller plus loin c'est faire ici un nouveau rapprochement avec un autre psychanalyste anglais, Winnicott. Celui-ci est notamment connu pour son concept d'objet transitionnel. Il s'agit concrètement de cette peluche ou de ce bout d'étoffe que le petit enfant trimbale avec lui et qui prend une importance particulière lors des moments de séparation ou d'exploration. Winnicott considère que cet objet permet de créer un espace intermédiaire, transitionnel entre le dedans et le dehors, entre le moi et la réalité. Pour lui la Culture est dans le prolongement de cet objet transitionnel : "l'acceptation de la réalité est une tâche toujours inachevée, qu'aucun être humain n'est affranchi de l'effort que suscite la mise en rapport de la réalité intérieure et de la réalité extérieure; enfin, que cette tension peut être relâchée grâce à l'existence d'une zone intermédiaire d'expérience qui n'est pas mise en question (les arts, la religion, les sciences etc.)".

L'enfant crée l'objet transitionnel comme le groupe ethnique crée des contenus culturels et non pas l'inverse. A notre avis et au moins autant que Barth sont incontournables Amselle et M'bokolo. Ces derniers, en adoptant une perspective historique sur l'objet ethnie, ont révélé l'importance du fait colonial dans la "création" des ethnies africaines. Leurs analyses seraient certainement à modifier si elles devaient être appliquées au monde américain ou asiatique mais il n'empêche qu'elles mettent l'accent sur le fait que l'usage d'ethnie est indissociable des rapports de domination politique, économique ou idéologique d'un groupe sur un autre. On peut toujours dire avec naïveté que c'en est fini des colonisations mais il n'en reste pas moins que les populations indigènes, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, en Australie etc. sont globalement dans des situations socio-économico-culturelles désastreuses ou pour le moins dans les niveaux les moins enviables des Etats dont ils relèvent aujourd'hui. Ce qui est nouveau comme le note Taylor (déjà cité) c'est que la conscience ethnique peut être vue comme prenant "..le relais d'une conscience de classe dont l'histoire n'a pas permis l'émergence, tout en jouant, par la mobilisation et la solidarité qu'elle encourage, le même rôle dans la lutte contre les injustices." Après ces quelques réflexions, certainement trop générales, il serait opportun d'ouvrir ce questionnement de l'ethnie vers un autre, celui des relations complexes entre identité culturelle et identité ethnique. Nous renvoyons ici au maintenant classique L'identité culturelle de Sélim Abou dont le premier chapitre de ce livre est justement consacré à ce sujet.[1] Que ce soit un citoyen libanais qui l'ait écrit n'est vraisemblablement pas le fruit du hasard. Voulez-vous être prévenu(e) de l'évolution de nos pages ? OUI

Notes et bibliographie

- 1 - Abou Sélim, L'identité culturelle, Editions Anthropos, coll. Pluriel, 1981 - retour -

2 - Amselle Jean-Loup, article Ethnie, Encyclopaedia Universalis - retour -

- 3 - Amselle (J-L), M'Bokolo (E), Au coeur de l'ethnie. Ethnicité, tribalisme et Etat en Afrique, La Découverte, 1985 - retour

- 4 - Menget (P), histoire de l'anthropologie, dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie de Bonte (P), Izard (M), 1991, p328-332 - retour

- 5 - Poirier (J), Histoire de l'ethnologie, Paris, P.U.F., Que Sais-Je?, n°1338, (1969) -1991, p.20 - retour

- 6 - Poutignat Philippe, Streiff-Fenart Jocelyne, (1995) Théories de l'ethnicité, Paris, PUF, coll. Le Sociologue, 2e édit.1999 - retour -

- 7 - Taylor (A-C), Ethnie, in Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie de Bonte (P), Izard (M), 1991, p242-244 - retour

- 8 - Rivera Annamaria, Ethnie - Ethnicité, dans Le retour de l'ethnocentrisme, Recherches revue du M.A.U.S.S., Paris, La Découverte, n°13, semestre 1999 - retour -

- 9 - Rohan-Csermak Geza de, article Ethnologie - Ethnographie, Encyclopaedia Universalis - retour -

- 10 - Vieillard-Baron (H), De l'origine de "l'ethnie" aux fabrications ethniques en banlieue, in Migrants-Formation, Centre National de Documentation Pédagogique, n°109 / juin 1997, p.24-47 - retour Habitus : Nous l'utilisons ici dans un sens large mais cependant en référence à la notion de Pierre Bourdieu. L'habitus est une sorte de matrice déterminée par notre position sociale. Cette matrice induit notre représentation du monde mais aussi nos pratiques tels nos styles de vie, nos goûts, nos jugements etc. " Bourdieu dans Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, le définit comme "principe générateur et organisateur de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre" ou encore comme "...systèmes de disposition durables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est à dire en tant que principe de génération et de structuration de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement "réglées" et "régulières" sans être en rien le produit de l'obéissance à des règles..." dans Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 2000, p. 256. - retour - [Note] - Les familiers de Lévi-Strauss auront peut-être reconnu un emprunt et un détournement d'une phrase. Cette dernière est en réalité : "l'efficacité symbolique consisterait précisément dans cette propriété inductrice que posséderaient, les unes par rapport aux autres, des structures formellement homologues pouvant s'édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du vivant......" p.231 de Anthropologie structurale, Plon, coll. Agora, 1974. Nous avons souligné les matériaux que nous avons empruntés et remaniés (avec respect et sympathie). - retour - © Association Géza Róheim - Fermi Patrick - 17 septembre 1998.

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25 octobre 2006

Le Kimuntu : par Fabien Eboussi Boulaga

Comme à  l'habitude je viens de temps en temps partager avec vous le trésor que je ramène de mes voyages sur le net.

Je vous convie à lire cet entretien à trois de Achille Mbembé, Celestin Monga d'un côté avec le philosophe F. Eboussi Boulaga publié sur le site internet de qualité www.bonaberi.com en date du 20 juillet 2006, lui même repris du journal camerounais "Le Messager".

Monga-Mbembé : Rencontre avec Fabien Eboussi Boulaga (20/07/2006)

Achille Mbembe et Célestin Monga ont eu un long échange avec le philosophe camerounais. Une conversation triangulaire dont les lecteurs apprécieront sans doute la hauteur et la qualité.

Par Achille Mbembé et Célestin Monga

Achille Mbembe : “Il nous suffit d’avoir fait acte de pensée et de lucidité”, écriviez-vous dans la préface de votre ouvrage La crise du Muntu en 1979. À l’époque, vous étiez préoccupé, comme la plupart des penseurs africains de votre génération, par la question de la “ reprise de soi ”, c’est-à-dire d’un coté “ le désir d’attester une humanité contestée ou en danger ”, et de l’autre, “ celui d’être par et pour soi-même ”. Au vu de ce que nous sommes devenus depuis que ces lignes ont été écrites, que reste-t-il de ce projet aujourd’hui ? Que signifie, dans les conditions actuelles, faire “ acte de pensée et de lucidité ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : La crise du Muntu, achevée en 1974, a été publiée en 1977. Il serait surprenant que ce livre n’ait pris aucune ride. Mais en ce qui concerne ce que vous appelez son “ projet ”, il me semble qu’il demeure intact, n’ayant pas été réalisé ni entamé.
La raison en est qu’il est la présupposition de tout accomplissement qui se veut comme l’expression de ce que nous éprouvons spécifiquement et irréductiblement. C’est ce que visent des termes tels que “ la présence à soi ”, la responsabilité intellectuelle et morale de ce qu’on dit et que l’on fait, “ la raison libre et la liberté raisonnable ”.

Les descriptions et discussions phénoménologiques parfois obscures de l’ouvrage visent à partir de ce socle et à y revenir, comme à la pierre de touche des offres et demandes qui nous assaillent. Elles doivent passer par le crible de notre jugement et de notre vigilance tout comme ce que nous-mêmes proposons. Faire acte de pensée et de lucidité, voilà l’essentiel au-delà des étiquetages scolaires, disciplinaires et partisans.

Célestin Monga : Vos premiers travaux philosophiques ont porté sur ce que vous appeliez le “ Bantou problématique ”. Vous vous êtes ensuite appesanti sur ce que vous avez appelé la crise du Muntu. Quelle évaluation faites-vous aujourd’hui de la situation du Muntu ?

Fabien Eboussi Boulaga : Le Muntu est l’homme dans la condition africaine et qui doit s’affirmer en surmontant ce qui conteste son humanité et la met en péril. C’est à lui de faire l’évaluation de sa situation, de ce avec quoi et contre quoi il a à compter pour se faire une place, sa place dans un monde commun, dans le dialogue des lieux en quoi il consiste concrètement.

Achille Mbembe : Arrêtons-nous, un moment, sur le désir africain d’attestation d’une humanité contestée ou en danger. Où en sommes-nous aujourd’hui et où en est-on de ce désir ? Qui et qu’est-ce qui conteste notre humanité ? À vos yeux, quels types de dangers continuent de peser sur l’humanité des Africains ? Et d’ailleurs en quoi consiste-t-elle précisément, cette humanité, et de quelles promesses serait-elle porteuse ?

Fabien Eboussi Boulaga : Ce qui nous alerte, c’est d’abord ce que nous éprouvons, une auto-affection faite de souffrance, de peine, de peur, de colère, mais aussi de joie, d’exaltation. C’est dans notre relation aux autres, y compris à nous-mêmes devenus autres pour nous-mêmes, que nous faisons l’expérience d’échapper à nous-mêmes.

La nomination ou la désignation de “ qui ” et de “ quoi ” peut occulter le caractère relationnel de notre posture et de notre humanité. Celle-ci s’exerce dans et par ses altérations, ses rencontres, ses heurts avec ce qu’elle considère comme son autre, son négatif ou son positif absolu. Les promesses que recèle notre humanité sont toujours hors de nous, ailleurs. La sagesse, dit-on, découvre que “ je est un autre ”, et dans un éclair, que l’ailleurs est ici, que l’instant est dans l’éternité.

Achille Mbembe : Très souvent, les Africains ont posé la question de leur humanité, ce qui la conteste et ce qui la met en danger, en relation à l’Occident. Souvent, ce dernier a d’ailleurs été posé comme l’obstacle premier à notre désir d’“ être par nous-mêmes ” et à notre volonté “ de nous faire ”. Quelle crédibilité faut-il accorder à cet argument ? Est-il seulement productif ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’Occident joue le rôle qu’on lui prête parce qu’il est l’autre nous-mêmes comme autre. C’est une des polarités parfois seulement possible, parfois actualisée de nous-mêmes. La dénégation soit de la différence, soit de la ressemblance, fait partie d’une histoire que l’Occident connaît aussi. Cette dénégation, il la connaît sous de multiples figures de son histoire dramatique, parfois tragique, mais aussi sous la forme d’une tension créatrice permanente.


Célestin Monga : Bien avant la mort de Léopold Sédar Senghor, la négritude semblait passée de mode. Pourtant, divers mouvements politico-intellectuels comme la ‘Renaissance africaine’ qui ambitionnent la résurrection du panafricanisme, voudraient en ressusciter quelques variantes. Le postulat de base de ces nouveaux modes de mobilisation est que tous les peuples noirs sont à mettre dans le même panier, qu’ils soient d’Afrique, des Caraïbes, des Antilles ou d’Europe. Que pensez-vous de cette vision des choses ?

Fabien Eboussi Boulaga : La négritude ne pouvait pas ne pas vieillir dans ses expressions elles-mêmes liées à un contexte conjoncturel. Elle a donc plus ou moins vieilli, mais selon la solidité de l’infrastructure conceptuelle qui la soutenait et l’énergie créatrice qui la soulevait. Qui conteste efficacement Aimé Césaire aujourd’hui ? Les tenants de la créolité se provincialisent quand ils parviennent à l’oublier. Les variantes actuelles de la négritude peuvent être une illusion, une sorte de retard ou d’excentricité provinciale. Elles peuvent également être dues à l’absence de sens historique, à la méconnaissance des enjeux du présent dans leur tranchant unique, sans précédent. Il est sans doute plus juste d’y voir un hommage à ce que la négritude visait, au-delà d’elle-même et de ses expressions.

Quoi ? Dans l’humanité se faisant, le moment de la négation de l’autre du fait de sa race, de sa couleur, de sa différence est d’une nécessité historique a posteriori. Nous avons là les limites d’un cosmopolitisme abstrait et d’une mondialisation idéologique.

L’essence humaine est celle de “ l’être-devenu ”, comme celle de Socrate est à jamais celle du questionneur inlassable condamné à mort en buvant la ciguë. On peut ajouter que si l’histoire ne se répète pas, la persistance des formes anciennes de la négritude suggère que le contexte de leur validité n’a pas totalement changé. Le rythme de l’évolution des mentalités et des structures de base des économies qui nous régissent situe les enfants des enfants des pères de la négritude dans la même période ou le même cycle historique. A l’intérieur d’un cycle, il y a des répétitions en spirale, et ce qui se produit comme tragédie peut y revenir comme farce.

Célestin Monga : La “ créolité ” a-t-elle une quelconque validité à vos yeux ? Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau mettent en avant le postulat suivant : “ Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles ”. Cette démarche esthétique, qui vise d’abord à explorer l’antillanité d’aujourd’hui, n’est-elle pas une quête éthique ?

Fabien Eboussi Boulaga : La créolité s’impose d’elle-même comme refus d’un identitarisme qui ne s’obtient qu’en érigeant en trait exclusif, en valeur absolue, une nécessité sans choix des multiples appartenances dont nous sommes les vecteurs. Elle est précieuse comme prise en charge et valorisation des lieux et des relations denses de proximité. L’éthique se soucie du prochain antillais. Sa validité est indirecte dans les relations ténues qu’elle entretient avec moi, avec les confins où opèrent la morale et la dialectique d’Aimé Césaire.

Achille Mbembe : À vous lire attentivement, vous ne préconisez, ni un retour pur et simple à la “ tradition ”, ni un rejet pur et simple de cette dernière. Vous suggérez que nous nous situions en continuité d’humanité avec les ancêtres en faisant de “ la tradition ” une “ utopie critique et mobilisatrice au présent ”. C’est ce que vous appelez “ la dialectique de l’authenticité ”. Pouvez-vous repréciser le rapport entre “ tradition ” et “ utopie ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : La tradition est ce moment où nous posons que ce qui nous est transmis de valeur est marqué du sceau de l’origine insaisissable en elle-même. La tradition est l’origine différée et en différé. Elle est relation à ce qui manque, nostalgie de ce qui est sous le mode de ne plus être. Qu’est l’utopie, sinon relation à ce qui manque, mais pour “ ne pas encore ” être ? Au lieu d’être situé derrière nous comme origine, l’utopie est devant nous comme fin, renouement avec une origine perdue et retrouvée à la fin, comme fin. Tradition et utopie sont une seule et même chose ou fonction considérée de points de vue différents. Le langage métaphysique établit cette équivalence en proclamant : “ Le commencement est la fin ” et réciproquement.

Célestin Monga : Ne pourrait-on pas penser que la tradition est un “ droit de vote ” attribué aux morts ? Obnubilées par le passé, nos sociétés ne finissent-elles pas par porter ce dernier comme un lourd passif ? Beaucoup de jeunes Africains estiment, en effet, qu’il est urgent que les générations actuelles inventent de nouvelles traditions, s’ajustent à l’ici et maintenant, et produisent des cultures qui seraient plus aisément compatibles avec les exigences des temps présents.

Fabien Eboussi Boulaga : Le vote des morts et des bêtes sauvages, c’est l’Afrique de Kourouma. La “ tradition ” est de l’ordre de la dette, de la reconnaissance d’une communauté avec ceux qui sont humains avant nous, sur le même arbre généalogique qui plonge dans la nuit des temps.

Les morts ne décident, n’agissent, ni ne parlent à notre place. J’évite de parler des traditions. Je préfère les mœurs. Elles changent : “ autres temps, autres mœurs ”. Les mœurs ne sont pas créées par les générations. Elles les unissent et les séparent tout à la fois. Les mœurs disent la similarité dans la dissemblance. L’erreur philosophique de la magie est de doter la similarité de la force de la causalité. Avoir la même culture ou des cultures adéquates aux exigences du présent ? Qu’est-ce, sinon mettre la culture en cause, faire de la similarité une cause ? La culture ne se substitue ni à la morale, ni à la politique, bref à l’action. Voir la culture comme source de la Renaissance africaine, c’est prendre un heureux effet pour l’ensemble d’une stratégie avec ses buts, ses actions, ses opérations, ses conflits et ses obstacles surmontés.

Personnellement, je doute que le poids du passé joue un rôle significatif et écrasant en dehors de la préservation et de la reconduction violente des institutions et du système des relations du régime colonial. Le passé, comme tel, n’entre plus dans la structure de l’action. Il conditionne, mais il ne détermine pas. L’action se conjugue au présent.

Achille Mbembe : D’autre part, vous faites valoir que la seule philosophie qui mérite ce nom est celle qui nous permettrait de nous renoncer à nous-mêmes, de mourir à nous-mêmes pour renaître à la vérité. De quelle vérité s’agit-il et comment concilier “ tradition ” et “ renaissance ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Je doute que je parle de la vérité en un autre sens que celui de cette reprise de soi, de cette liberté de jugement et d’action sur les investissements dans lesquels nous nous trouvons déjà captivés avant de nous y être engagés nous-mêmes. La vérité, c’est nous-mêmes, désarmés, faisant face à mains nues à ce qui se découvre à nous comme notre tâche d’homme seul ensemble avec les autres, proches et lointains. C’est ici que “ tradition ” et “ renaissance ” se concilient. La philosophie ne commence jamais, elle recommence. La vie humaine ne naît pas avec moi, mais elle renaît.

Célestin Monga : Je souhaiterais que l’on aborde un certain nombre d’obstacles politiques et épistémologiques liés aussi bien à l’acte de penser et à la notion d’ “Afrique” qu’aux fonctions mêmes de l’intellectuel. Et d’abord, l’ “Afrique ” est-elle un concept opérationnel valide en sciences sociales ou dans les humanités ? L’épistémologie s’accommode-t-elle des frontières de la géographie ou des notions raciales ? En d’autres mots, existe-t-il des comportements, des manières d’être, de faire ou de penser qui soient spécifiquement “ africains ”, voire une philosophie, une science politique ou une économie typiquement “ africaines ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Ce que j’ai suggéré plus haut postule et/ou implique que l’Afrique est un “ construit ”. Je dis quelque part que c’est une idée neuve posée par ceux qui décident de faire de cet espace géographique le lieu de leur orientation dans le monde et où ils inscrivent leur destinée. Ce qui m’apparaît comme une exploration encore plus excitante, c’est de “ penser spatialement ”, de substituer, à titre d’expérience de pensée, en tous les cas où l’opération est possible, l’espace au temps.

Au lieu du Sein und Zeit, esquissons un Seit und Raum. Le problème du spécifiquement africain s’écroule alors de lui-même sans faire place à l’universellement abstrait qu’on lui oppose. C’est une des issues des faux dilemmes où nous nous enfermons et qui nous paralysent. Nous ne pensons plus le contraire ou l’inverse, nous pensons autrement. Nous répondons que nous comprenons ces manières de penser, mais que ce n’est pas ainsi que nous réfléchissons et nous nous posons les problèmes. Ce n’est pas ainsi qu’ils nous viennent “ à l’idée ”.

Célestin Monga : Dans l’éditorial que vous écriviez alors pour le premier numéro de la revue Terroirs en 1993, vous expliquiez déjà que les ‘élites’ et les ‘guides’ qui nous ont conduit à la famine, à l’exode, à l’abjection de la misère et de l’assistance internationale sont des gens de bonne compagnie, doués d’astuce, plein de ressources et de savoirs. Vous disiez même qu’il ne faut pas hésiter à leur accorder une intelligence supérieure qui, dans l’environnement des relations humaines, démontre leur sens de l’opportunité, leur maîtrise des tactiques offensives et défensives en vue de leur propre survie et de l’accaparement du pouvoir. Pourtant, vous affirmiez également : “ La racine du mal africain est l’absence de pensée. ” Croyez-vous que ceux qui ont suffisamment d’intelligence pour conceptualiser l’appareil répressif soient aussi allergiques à la pensée ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il y a diverses formes d’intelligence. On rappelle ce fait d’expérience aux pédagogues comme nécessaire pour amener chaque individu à se développer jusqu’au point où il pourra collaborer de façon fructueuse avec les autres. La fin est ici d’être parvenu à reconnaître ses limites et à voir qu’elles se dépassent grâce aux autres qui sont différemment limités. Le premier déficit de pensée est la méconnaissance intellectuelle et pratique de cet horizon de totalité, où l’absence de décentration conduit à l’exaltation de son individualité et à l’absolutisation de sa particularité.

La pensée est la reconnaissance du “ Connais-toi toi-même ” comme mortel. Le moderne appréhende mieux l’absence de pensée en comprenant l’intelligence comme l’ensemble de “ ruses ” dont sont capables les prédateurs que nous avons longtemps été, que nous pourrions être, et que nous sommes encore, pour notre survie, la défense et l’attaque. Toutes les technologies dérivent de cette nécessité de parer aux agressions, d’appliquer efficacement une énergie à une adversité à transformer, à détourner ou à capter, à instrumentaliser.

La pensée est alors la faculté de l’inutile, de ce qui est poursuivi pour la beauté ou l’existence de lui-même, y compris notre existence qui ne sert à rien. La pensée est donc cette capacité à revenir à soi décentré, à être sans jalousie, comme la divinité, en paix et joie avec soi et avec les autres. Dans cette terminologie, il n’est que tautologique de dénier la pensée à l’intelligence prédatrice. Malgré sa sophistication, elle ne se dégage pas du règne reptilien paléontologique.

Célestin Monga : L’écrivain nigérian Chinua Achebe met en garde les intellectuels africains contre la tentation de se croire propriétaire d’un savoir et de vouloir légiférer au nom du continent. Quelle est, d’après vous, la fonction d’un intellectuel dans le contexte africain actuel ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’écrivain nigérian a raison. On ne s’autoproclame pas intellectuel. L’intellectualité n’est pas une propriété privée individuelle. Elle ne fonctionne que là où la connaissance est reconnue comme une valeur irréductible parmi celles qui structurent une communauté humaine, à côté de quelques autres tout aussi irréductibles comme le pouvoir, la richesse, la poésie, la ritualité ou l’étiquette. C’est dans une synergie avec ces autres valeurs que la connaissance développe une éthique et une esthétique de la pensée comme sa contribution spécifique à l’aventure commune de vivre et de mourir en humains.

On peut donc dire qu’il n’y a pas d’intellectuels opérationnels là où une société ne reconnaît pas l’intelligence comme valeur structurante irréductible. C’est là un radotage pour ceux qui me fréquentent. Le rôle de l’intellectuel est de démontrer la nécessité de la fonction de l’intelligence et son caractère irréductible face au pouvoir et à l’argent ou à la richesse.

Achille Mbembe : Vous êtes de ceux qui ont sans doute articulé la critique africaine la plus radicale du christianisme. Vous avez voulu croire qu’il était possible pour les Africains de “ croire autrement ” au sein de l’Eglise. Vous vouliez fonder une critique et reprise du christianisme qui aurait remis le dogme à sa place et qui aurait libéré un espace pour une pratique de la foi qui soit en même temps une pratique de la liberté, à l’écoute des problèmes réels de l’existence africaine. Comment, d’après vous, se pose aujourd’hui la question de Dieu et du dogme en Afrique ? Les pratiques du religieux que l’on observe ici et là semblent s’exercer dans un contexte culturel où la vieille opposition du vrai et du faux, de la vérité et de l’erreur ne joue plus les mêmes fonctions qu’auparavant. Aujourd’hui, chacun est plus ou moins libre de créer son église et de se déclarer prophète au nom de la foi et de la “ vérité ”. N’assistons-nous pas à l’implosion du dogme lui-même ? Compte tenu de la prolifération des instances de vérité, comment articuler une nouvelle critique politique du christianisme en particulier ?

Fabien Eboussi Boulaga : Premièrement, “ croire autrement ”, c’est se refuser de tenir le contraire de ce qui est cru par les autres, de se contenter de le défendre, d’en faire l’apologie ou de le maintenir grâce à un art de l’interprétation. Deuxièmement, “ croire autrement ” peut être de l’ordre de la description. Il y a des christianismes ou des façons de se comprendre chrétien autrement qu’à travers la grille des dogmes et des pratiques convenus, parfois sans églises. Qu’est-ce alors croire ? Troisièmement, quelle explication ou interprétation peut-on donner aux dogmes dans ces cas de figures ? Partir des dogmes pour se prononcer sur leur éclatement, c’est leur donner une valeur normative en vigueur dans son point de départ, mais ce n’est pas comprendre à la manière de ce qui n’est un point d’arrivée que par une pétition de principe. Dieu et les dogmes surgissent ou ne surgissent pas dans les indéfinies reconfigurations du christianisme.

Celle de l’ouvrage Christianisme sans fétiche en est une parmi d’autres et contient son propre système d’inférences et de justifications. Pour le reste, le vrai et le faux n’ont pas la même signification dans les religions ou les idéologies que dans la vie ordinaire ou les pratiques discursives scientifiques. Dans les religions, ils sont une déclaration d’appartenance, d’inclusion ou d’exclusion. Ils ont donc une valeur performative, sacramentelle puisque faisant ce qu’ils signifient. Ils ont trait à ce qui rend possible le vrai et le faux des autres régimes. La profession ou la déclaration du vrai et du faux est auto-implicative : il y va du sens de la vie et de la mort de celui qui la prononce.

Achille Mbembe : Il est de nombreux passages de votre livre Christianisme sans fétiche où vous plaidez en faveur d’une forme de spiritualité attentive à la dramatique de la mort et de la vie et aux conditions de genèse de l’homme. D’ailleurs, au détour d’une réflexion sur la puissance transfigurante du Christ, vous vous livrez à une fascinante méditation sur le thème de la mort. Je voudrais que nous nous attardions sur ce thème en particulier en examinant, non pas les rapports entre la mort et la foi, mais entre la mort et le politique. Quels sont, dans l’Afrique actuelle, les “ lieux de mort ” qui devraient nous interpeller le plus ? Quel est le type de parole qui émerge de ces lieux et à quelles conditions cette parole pourrait-elle constituer le fondement d’une pratique spirituelle pour les temps qui sont les nôtres ?

Fabien Eboussi Boulaga : Dans Christianisme sans fétiche, il y a une injonction à arracher le mythe de l’imaginaire en l’historicisant et en le politisant. C’est par là qu’on retrouve la puissance universelle de ce qui risque d’être emprisonné dans les catégories appauvrissantes de l’entendement, sans l’horizon de la pensée régulatrice et dérégulatrice des représentations et des constructions de celui-là.

Le mal propre du politique est la malemort qu’il inflige dans une configuration où le meurtre, le mensonge et le vol (l’expropriation sous toutes formes) font corps ou système et sont comme institués. Les lieux de cette mort insensée sont : a) dans la parole vidée de ses fonctions d’élucidation, de connaissance et d’engagement par la promesse, le serment. Il en résulte l’empire du faux, quand le mensonge se fait monde ; b) dans l’expropriation, la privation et la destruction des capacités humaines de se construire ensemble avec les autres.

La multiplication des morts vivants, des zombies situés en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire dans la misère, sans possibilité d’accès au répit du combat harassant contre la faim, la maladie, l’ignorance, de manière à se poser les questions “ inutiles ” de la valeur, de la différence des genres de vie possibles : voilà ce qui crée les hommes superflus et éliminables par des choix ou l’absence de choix stratégiques, par la porte grande ouverte à la corruption, à la prédation généralisée. Le meurtre chaud ou froid, direct ou indirect qui en résulte est devenu mode de gouvernement. Il est dérisoire et cruel de se gargariser de discours sur la démocratie, les droits de l’homme, dans une culture de la mort dévaluée d’hommes superflus et encombrants.

Célestin Monga : L’idée d’une dévaluation de la mort est particulièrement intrigante et nécessite quelques développements. Ne peut-on pas penser que l’équivalence générale entre la mort et la vie conduit beaucoup d’Africains de toutes les couches sociales au désespoir et au suicide par inaction ? La mort peut-elle servir d’épouvantail aux millions d’enfants que le pouvoir politique condamne à la violence et à l’errance ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il n’a jamais été bon de se servir de la mort comme épouvantail. Il me semble que cette manière de faire malsaine n’a jamais été d’une efficacité durable. Le spectacle désolant de nos morts innombrables ne fait pas naître nécessairement le courage et la pitié. L’accumulation des statistiques des catastrophes avec leurs victimes est une abstraction qui touche seulement le petit nombre de ceux qui se croient investis d’une mission de sauver nos sociétés. L’action commence toujours par elle-même, comme la liberté, me semble-t-il. Tout le reste est une forme de résignation, devant ce bloc opaque que vous nommez le pouvoir politique.

Achille Mbembe : Un dernier mot sur votre tentative de démythologisation du christianisme. Vous semblez n’accorder – du moins dans Christianisme sans fétiche - qu’une place limitée au motif de la “ résurrection ”. Pourtant, le thème de “ la vie qui donne sens à la mort ”, et de “la mort qui transforme la vie ”, de la mort comme “nécessaire à la vérité de la vie et comme source de solidarité, de communication et de réciprocité entre les vivants ” - tout cela parcourt très profondément votre méditation. Dans le contexte actuel, quelles formes pourrait prendre une critique du politique ayant précisément pour pierre angulaire ce souci de la vie ?

Fabien Eboussi Boulaga : Cette question appelle une explicitation du rapport de la mort à la vie, du rôle transformateur de la mort, de sa fonction de solidarisation des vivants et de médiation de leur communication, d’opérateur de leur réciprocité. C’est là un vaste programme, celui d’une anthropologie de la mort revisitée. Quelques uns de ses éléments et de ses jalons sont présents dans Christianisme sans fétiche et dans quelques esquisses ultérieures, tout comme ce qui en découle : une critique du politique, avec pour critère de base sa capacité ou son incapacité à promouvoir les conditions d’une vie sensée.

L’axiome inspirateur de cette critique est qu’une communauté humaine se comprend comme constituée de vivants et de morts, de visibles et d’invisibles. Le souci de la vie devient névrotique s’il n’est pas en même temps souci de la mort et non sa dénégation. Cette loi vaut pour les peuples qui l’objectivent et pour les individus qui la subjectivisent. Les morts, sous des formes variées (les “ valeurs ” entre autres), sont les tiers invisibles et inclus, qui permettent le jeu humain de la réciprocité et de la médiation.

Célestin Monga : Les philosophes comme Daniel Dennett et certains historiens affirment que l’avènement de la religion est en réalité un phénomène relativement récent dans l’histoire de l’humanité. En fait, presque aucun chercheur ne prétend que l’homme du Cro-Magnon ou du Neandertal était particulièrement spirituel. L’on observe aussi une absence totale de corrélation entre la ferveur religieuse qui met en transe des centaines de millions d’hommes et de femmes en Afrique, dans les Amériques et en Asie, et le niveau d’exigence éthique validé par les populations de ces régions-là. Au Cameroun en particulier, j’observe par exemple que les gestionnaires de fonds publics qui ont le plus de choses à se reprocher sont aussi ceux qui se bousculent tous les dimanches au premier rang dans les églises. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Comment comprendre d’un coté le désir de Dieu qui semble inspirer tant de monde et, de l’autre, le besoin de péché et l’absence de spiritualité dans les actes de la vie quotidienne ?

Fabien Eboussi Boulaga : La définition de la religion comme communauté des vivants et des morts avec leurs relations et leurs transactions supposées est aussi vieille que l’homo sapiens ! Il ne faut pas être spirituel au sens parfois éthéré de certains modernes pour enterrer ses morts, leur réserver une place vide, leur adresser des paroles et des signes, se croire le véhicule de l’invisible ou possédé par un génie, un dieu, proférer des paroles qui tout en émanant de vous, nous dépassent et nous constituent. La religion n’est pas la décence civilisée et bourgeoise. Elle comprend la notion de sacrifice (pour le meilleur et pour le pire). En effet les raisons sacrées ou divines de vivre valent plus que la vie.

La religion est aussi crainte et tremblement. Elle n’est pas toujours synonyme de paix. Ce que vous décrivez, c’est la religion comme superstition ou névrose, scrupule qui accumule des garanties qui appellent sans fin d’autres garanties, dans un infini qui est indéfini. Les religions comportent leurs maux spécifiques. L’hypocrisie en fait partie ainsi que l’intoxication de soi et l’idolâtrie sous toutes ses formes. Voilà pourquoi il est permis de les juger, par leurs conséquences profanes, les plus petites pour l’homme du commun. Il est aussi salubre de les comprendre à partir de ce qu’en fait l’homme qui, tout en reflétant un monde sans âme, exprime dans un seul et même mouvement. Ici aussi, la religion du pauvre n’est pas celle du bourgeois et du puissant satisfait. L’équivoque frappe les mots communs qu’ils prononcent, pour le pire et, parfois, pour le meilleur.

Célestin Monga : Restons, un moment, dans le registre de l’actualité immédiate. La globalisation (mondialisation) est de plus en plus contestée, parfois par ceux-là même qui tirent profit des avancées scientifiques et des progrès technologiques qui stimulent ce processus. Comment vous situez-vous par rapport au mouvement anti-mondialiste ? Le libéralisme économique est-il un mal absolu pour les sociétés africaines ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’homme ordinaire ne rencontre pas la mondialisation, mais les individus, les objets dont il trouve l’usage intéressant en certains cas où ses tâches en sont facilitées. Il est face à des institutions dont les règles peuvent l’aider à certains égards et l’entraver à d’autres. Il n’est pas soustrait à des relations, à la gestion des proximités qui ont leur propre poids.
Les anti-mondialistes sont nos alliés quand ils éveillent notre sens critique, qu’ils nous alertent contre la croyance que le développement exhibé par les pays qu’on dit les plus avancés, les plus puissants, est devenu le dernier mot de l’histoire. Les choses sont ce qu’elles sont, dit-on. D’accord, mais elles auraient pu être autrement. Nous pouvons et devons participer à une aventure encore ouverte, sans derniers ni premiers, celle qui sera précisément une œuvre commune.

Célestin Monga : Vous avez écrit récemment à propos de ceux qui tentent de définir le “ terrorisme ” et souligné le fait que ce phénomène reflète d’abord un “ conflit d’anthropologies ”. Traitant du “ terrorisme ”, comment peut-on éviter à la fois la tyrannie de l’opinion majoritaire en Occident (“ l’émotion répulsive universelle ” comme vous le dites) et le relativisme cynique de ceux qui voudraient moraliser la violence contre les innocents au nom d’une certaine figure de la loi du Talion ?

Fabien Eboussi Boulaga : Une certaine conception voudrait que l’histoire soit une succession où les dominés d’hier deviennent les dominants d’aujourd’hui ou de demain, et où les victimes d’hier doivent se rendre capables de devenir les persécuteurs d’aujourd’hui. De cette façon de voir naît l’ambition d’arrêter l’histoire, de constituer une domination perpétuelle de ceux qui ont la puissance du moment.

Le “ terrorisme ” peut servir d’épouvantail et servir ce dessein de stabilisation par la guerre préventive. “ Terrorisme ” et “ contre-terrorisme ” participent de la même philosophie de l’histoire. La lutte pour ou contre “ la civilisation ” allègue la transcendance des fins. Selon Aristote et le bon sens, on est toujours d’accord sur les fins, le désaccord est sur les moyens de ces nobles fins.
Soucions-nous de la survie de ceux qui meurent des famines, des guerres et des maladies par millions, de la mort à bout touchant par le paludisme, le sida, les effets de la corruption de ceux qui gouvernent le monde et leurs fondés de pouvoir locaux. Alors, peut-être, le problème du “ terrorisme ” nous apparaîtra sous un autre jour.

Célestin Monga : Les formes dans lesquelles s’énoncent nos manières d’exister et d’agir évoluent constamment. Les vecteurs d’expression que nous utilisons dépendent parfois du rapport de forces sociales, des urgences et des impératifs du moment. Par tradition, l’écriture a toujours eu une longueur d’avance sur les autres modes d’expression de la pensée. Pensez-vous que la musique, les arts plastiques ou même le sport soient devenus aussi des lieux d’énonciation d’une exigence éthique et esthétique ? Vous arrive-t-il d’ailleurs de regarder des matches de football à la télévision ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il n’est pas difficile de vous concéder que la littérature de fiction ou la poésie ont été plus loin et plus vite que les idéologues. La musique plus clairement encore, est un lieu de créativité incontestable. Je participe assidûment et avec plaisir au phénomène mondial du football. On peut en faire des lieux exemplaires et proposer en modèle la discipline et les modèles qui y ont cours. Je crains cependant que ce ne soit un moralisme facile, sans la moindre garantie d’avoir un effet d’entraînement. Le passage à l’action et au monde de la conflictualité politique, économique et sociale est passage à un autre ordre.

Achille Mbembe : Je voudrais que nous revenions sur un des aspects qui, me semble-t-il, a toujours constitué la ligne de force de votre réflexion : la question de la transformation de la vie et de la genèse de soi. C’est ainsi qu’au début des années quatre-vingt dix, vous vous êtes intéressé au phénomène des “ conférences nationales souveraines ”. À travers elles, c’est la question du possible avènement, dans l’histoire africaine, de ce que l’on pourrait appeler “ une relation de liberté ” qui préoccupait le philosophe. Qu’est-ce qui reste, aujourd’hui, de cet événement ? Pour advenir à cette relation de liberté et renaître au monde, l’Afrique ne doit-elle pas, au préalable, avoir vaincu la peur de la mort ?

Fabien Eboussi Boulaga : La banalisation de la mort est aujourd’hui notre expérience la plus quotidienne et la plus destructrice. L’Afrique s’est bâtie dans la rareté de la vie qui faisait le sérieux de la mort, d’hommes surabondants des explosions démographiques non contrôlés et de la misère des guerres barbares, avec leurs seigneurs triomphants, leurs enfants sanguinaires, massacrés et mutilés tous ensemble.

Nous méprisons la vie plus que nous ne craignons la mort. Nous tournons en dérision ou nous tenons pour rien la mort des autres.
J’ignore si ceci est un prélude clair à une renaissance, sauf si par là nous avons atteint le fond de l’abîme. Des conférences nationales, il reste un goût d’inachevé. Aucune d’elle n’a sondé les abîmes qu’elle a ouverts sur un mode de gouverner par le meurtre, la torture et la terreur. L’Afrique du Sud est-elle l’exception qui confirme la règle ? Je ne sais.

Achille Mbembe : S’agissant précisément de la culture de la dérision, l’écrivain Sony Labou Tansi avait coutume de dire qu’il avait “ la curieuse impression que l’Africain se joue la comédie à vie ”. Que cette comédie fut dramatique ou tragique, elle était, de toutes les façons, du moins à ses yeux, une comédie. Partagez-vous ce point de vue ? Si oui, comment expliquez-vous ce côté théâtral de notre vie ?

Fabien Eboussi Boulaga : À quelle expérience de l’Afrique se réfère l’écrivain Sony Labou Tansi ? À la Brazzaville qui conjugue allègrement la sape, le meurtre, la danse, un hédonisme rentier et irresponsable de ses chefs et de ses élites ? Toute société détachée du travail productif qui s’en remet à des puissances tutélaires visibles et invisibles tombe en décadence et dans le jeu tragique. L’Afrique ne survit que parce que le fond de la vie n’est pas théâtre. Mais elle engendre, dans ses marges, une classe d’esthètes, de joueurs et de jouisseurs. Enfin, elle a un mode de faire face à l’adversité qui ne répond pas aux normes attendues. Le drame de ceux qui nous veulent du bien n’est-il pas, selon vous-mêmes, qu’ils savent ce qui doit être sans savoir ce qui est ? Comment dériver l’être du devoir-être ? Pourquoi ne pas tirer légitimement son possible de son être ?

Achille Mbembe : À votre avis, à quoi est dû le fait qu’une énorme part de notre vie n’ait guère trouvé place dans nos récits, dans notre écriture et dans notre pensée ? Est-ce un problème de langage ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’art de dire ou de raconter quelque chose qui arrive à quelqu’un en fonction de la “ nature ” de ce quelque chose, de ce quelqu’un, dans le lieu et le moment indiqués, est la chose la mieux partagée. Les récits innombrables prennent en charge une partie infinie du flot continu de ce qui arrive et nous arrive. Le déficit d’expression dont vous parlez est mesuré par les normes idéales d’une performance propre à une mince couche sociale censée “ écrire ” et “ penser ”. Pour qui écrit-elle ? De qui veut-elle être reconnue ?

L’écriture est serve ou captive quand elle privilégie ce qui doit être au détriment de ce qui est ; quand elle souscrit aux exigences sournoises du “ développement ”, de la “ croissance ”, de la “ démocratie ”, du “ marché ”. Elle est sous surveillance, un procès de dénigrement de soi, de victimisation de soi, ou d’apologie. Cette condition empêche la venue au langage lettré ou savant de ce qui se raconte au quotidien et constitue son arrière-plan. Mais cette rumeur ambiante a sa propre vie. Elle n’est pas une matière première en attente d’un démiurge qui la transforme en or dans la foire des échanges et pour la bourse des valeurs d’une culture cosmopolite et néanmoins dominante.

Achille Mbembe : Arrêtons-nous, précisément, sur cette “ mince couche sociale ” censée ‘écrire’. Si vous le voulez bien, laissons de côté, du moins pour l’instant, les problèmes d’audience et de reconnaissance que vous soulevez à juste titre, ou encore ceux qui ont trait à la vie du langage et à la question des valeurs. Pendant longtemps l’acte d’écrire, en Afrique, semble avoir eu partie liée avec une certaine économie de la subversion. C’était notamment le cas pour votre génération – celle qui a produit des romanciers comme Mongo Beti. À votre avis, que subsiste-t-il de la fonction subversive de l’écriture aujourd’hui ? Le rapport de quasi-équivalence établi par votre génération entre écriture et messianisme/prophétie peut-il encore servir de point de départ à la critique esthétique dans l’Afrique contemporaine ?

Fabien Eboussi Boulaga : Dans la littérature africaine, il y a des discours prophétiques relevant de messianismes religieux ou laïcisés. Des poètes de chez nous se sont pris pour des mages à l’instar de ceux du romantisme européen. Beaucoup plus nombreux sont les écrivains qui se sont vus comme les porte-parole et les porte-étendards des souffrances, des aspirations, du génie de leurs peuples. D’autres se sont inscrits dans le sillage de l’idéologie émancipatrice de la philosophie des Lumières ou de celle des socialismes. Je doute que le rapport à l’écriture ait été dominé par le prophétisme. L’écriture a été principalement accès au cercle dominant, à certains de ses avantages et de ses immunités marginales. La critique de l’esthétique peut commencer utilement par des questions simples du genre : à quelles contraintes obéissent aujourd’hui les industries culturelles ? À quel public s’adresse l’auteur et pour qui écrit-il ? Qui achète le livre et qui le lit ? Elles pourraient conduire au cœur du problème.

Achille Mbembe : Vous vivez dans un “ lieu ” (le Cameroun) où, de l’avis des Camerounais eux-mêmes, l’impression est que la grimace fait loi. À supposer que cela soit vrai, quelles conséquences cela a-t-il sur votre corps et sur votre système nerveux ? Comment vit-on au milieu de la bêtise et de la grimace sans succomber à la tentation qui consisterait à la contempler, à se laisser fasciner par elle, ou encore à la mimer en s’y abandonnant ?

Fabien Eboussi Boulaga : Chacun peut s’inventer une hygiène mentale de sa façon. On peut se donner pour règles de conduite générale les maximes suivantes. La première emprunte à Hegel. Elle stipule que le penseur digne de ce nom n’est pas celui qui se croit meilleur que son temps. La deuxième est un pari rationnel qui se formule comme suit. Dans une situation où l’on croit que “ les fous dirigent les sages, c’est la conduite des sages qu’il faut changer pour éviter ou limiter les catastrophes, car c’est sur elle qu’il est possible d’agir ” (J.-P. Derriennic).

Achille Mbembe : Parallèlement à ce “ souci de soi ”, vous évoquiez il y a quelques années trois ou quatre piliers anthropologiques possibles d’une politique africaine de la vie et de la démocratie : la guérison et la fête, les âges de la vie, le lien des générations. Pourquoi estimez-vous que l’on dispose là des éléments pour une reprise critique de ce que l’on pourrait appeler “ l’humanisme africain de demain ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Très brièvement et en énigme - parce que ces piliers indiquent la région de la réciprocité des vivants et des morts, celle du don sans contrepartie marchande, notamment celle de la transmissibilité de la vie humaine, dont nul n’est le père ni la mère. Bref, ces “ piliers ” sont ceux d’une anthropologie où l’on ne définit ni l’homme, ni la liberté comme celui ou ce qui est propriétaire de soi et de ses appropriations.

Entretien avec :
- Achille MBEMBE, Professeur d’histoire
et de sciences politiques à l’université du Witwatersrand (Johannesbourg) et directeur de recherche à la Witwatersrand Institute for Social and Economic Research
(WISER) – auteur de De la postcolonie (Paris, Karthala, 2000).
- Célestin MONGA, Lead Economist
et conseiller du premier vice-président de la Banque mondiale (Washington)

Source : Le Messager

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31 août 2006

Migrations des compétences : Pourquoi les "cerveaux" africains s’en vont ?

Kuzvinetsa Peter Dzvimbo du Département des ressources humaines de la Banque mondiale n’aiment pas le mot "fuite des cerveaux". Il lui préfère celui de "migration internationale du capital humain qualifié des pays en développement". Pour lui, il est préférable de parler de migration internationale du capital humain qualifié (Imshc) parce qu’un tel terme englobe à la fois la fuite des cerveaux, l’exode des compétences optimales, le gaspillage, la circulation, l’échange, la globalisation et l’exportation des cerveaux. C’était d’ailleurs le titre de sa communication présentée au cours de la conférence d’Accra sur l’enseignement supérieur.

Parlant des causes de ce phénomène, M. Dzvimbo indique que, pour contrôler la migration, il est crucial de comprendre pourquoi les gens émigrent, pour dire que l’Ismhc résulte de l’interaction complexe des forces économiques, politiques, sociales, culturelles, linguistiques et même religieuses. Sans prendre en compte des facteurs psychologiques comme un environnement propice à l’autonomie professionnelle, ni de la personnalité, des objectifs de l’histoire personnelle. Les facteurs qui poussent les gens hors de leur pays d’origine peuvent être les conditions intérieures défavorables (capacité éducative peu satisfaisante, bas niveau de vie, limitations de la technologie, mauvaise adéquation de la formation et de l’emploi, incertitude du lendemain, malaise politique, conflits armés, absence de politique de main-d’œuvre réaliste, instabilité économique). Ainsi, en 1990, les Etats-Unis avaient accueilli 125 799 Africains ayant un niveau d’éducation secondaire et supérieur. Les plus gros contingents venaient de l’Egypte (52 281), du Ghana (12 504) et de l’Afrique du Sud (22 478).

Pour ce qui est des facteurs d’attraction dans les pays d’adoption, M. Dzvimbo en a listé, entre autres, les opportunités personnelles et professionnelles, les politiques favorables à l’immigration, les écarts de salaires, la différence de qualité de vie, les opportunités d’éducation pour les enfants, l’interaction avec d’autres professionnels, la stabilité politique, la sécurité de l’emploi. Et, sur ce plan, les pays ayant des politiques agressives de recrutement sont le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Mais pour mieux comprendre ce qui fait leur attrait, le fonctionnaire de la Banque mondiale met en exergue les facteurs de "pulsion" et d’"attraction". Définissant la "pulsion", il dira qu’en 1992, les demandeurs d’asile, dans les pays en conflit (dont le Sénégal) avaient atteint le chiffre de 700 000. Un nombre en baisse depuis lors. Pour l’"attraction", elle résulte de l’espoir de meilleures conditions. Ce qui fait que l’on a compté 1 652 400 appartenant à la diaspora africaine en France (en 1999), 411 492 en Italie (en 2000), 373 000 au Royaume-Uni... Dans cette étude réalisée par Migration du monde, les ménages en Turquie et dans quatre pays africains (Maroc, Sénégal, Egypte et Ghana) ont été interrogés avant et après leur migration. Il en est ressorti que "l’idée d’encourager la migration et d’accroître la demande pour une éducation secondaire et supérieure est en train de faire des progrès", indique le conférencier pour qui tout peut être relatif à l’offre et à la demande de main-d’œuvre qualifiée, aux perspectives de carrière, etc.

Même si les écarts de salaires ne suffisent pas à motiver la plupart des Africains à émigrer, M. Dzvimbo n’en note pas moins que dans les pays les moins avancés, le Pib par habitant est de 1 222,4 dollars, alors qu’il est de 27 820,8 dans ceux à revenus élevés de l’Ocde et de 23 539,7 dans l’Union européenne. Si les conditions de travail, notamment l’autonomie accordée aux jeunes chercheurs, ont leur importance, pour ce qui est des étudiants, leur mobilité semble être fortement influencée par la disponibilité de l’aide financière. Ainsi, en 2000-2001, il y avait 22 679 étudiants africains préparant une licence et 9 833 poursuivant des études au-delà de la licence aux Etats-Unis.

Le conférencier s’est, en outre, appesanti sur l’ampleur du problème de la migration internationale. Selon lui, en 2000, 5,4 millions d’étrangers vivaient dans l’espace économique européen (à l’exclusion de la Grèce). Le continent qui accueille le plus d’immigrés est l’Europe. Elle est suivie de l’Asie, puis de l’Amérique du Nord. Parlant des stratégies et des options pour gérer l’Imshc, il dira qu’il y a six réponses de politique générale à la migration internationale qui peuvent être regroupées en deux approches plus vastes, pour réduire les pressions de la migration. D’abord, il faut maximaliser les profits de l’immigration par des politiques de promotion du retour des migrants à leur pays d’origine, des politiques de recrutement des migrants internationaux qui ne limitent pas leurs nombres, des initiatives pour ressourcer les expatriés par l’accroissement des communications, le transfert des connaissances et des fonds, ainsi que les investissements, des politiques réparatrices qui feront rembourser les pays d’origine par les pays d’accueil afin de compenser la perte en capital humain ou imposer les émigrés directement. Pour les politiques de rétention, il faut contrôler les facteurs d’"impulsion". Il faut aussi faire une option de politique par pays d’accueil et mettre sur pied une politique d’immigration restrictive et sélective, mais aussi de naturalisation. Tout en pensant au recrutement.

Demba Silèye DIA (Source : Wal Fadjri 7 octobre 2003)

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19 mars 2006

Afrique : les causes de la soumission volontaire 6

De l’Obéissance Civile
Bertrand de Jouvenel


Après avoir décrit, dans ses traités (perdus) des Constitutions, les structures gouvernementales d'une quantité de sociétés distinctes, Aristote, dans sa Politique, les a ramenées à des types fondamentaux, monarchie, aristocratie, démocratie, qui, par le mélange de leurs caractères en proportions diverses, rendaient compte de toutes les formes du Pouvoir par lui observées.
Depuis lors, la science politique, ou ce qu'on appelle ainsi, a docilement suivi les directives du maître. La discussion sur les formes du Pouvoir est éternellement actuelle puisque dans toute société s'exerce un commandement et que dès lors son attribution, son organisation, son maniement doivent intéresser tout le monde. Mais précisément le fait qu'il existe sur tout ensemble humain un gouvernement, cela aussi mérite d'exercer l'esprit. Que son mode diffère d'une société à une autre, qu'il change au sein d'une même société, ce sont, en langage philosophique, les accidents d'une même substance, qui est le Pouvoir.
Et l'on peut se demander, non plus quelle doit être la forme du Pouvoir - ce qui constitue proprement la morale politique - mais quelle est l'essence du Pouvoir, ce qui constitue une métaphysique politique.
Le problème peut être également pris sous un autre angle qui souffre un énoncé plus simple. Partout et toujours on constate le problème de l'obéissance civile. L'ordre émané du Pouvoir obtient l'obéissance des membres de la communauté. Lorsque le Pouvoir fait une déclaration à un État étranger, elle tire son poids de la capacité du Pouvoir à se faire obéir, à se procurer par l'obéissance les moyens d'agir. Tout repose sur l'obéissance. Et connaître les causes de l'obéissance, c'est connaître la nature du Pouvoir.
L'expérience montre d'ailleurs que l'obéissance a des limites que le Pouvoir ne saurait dépasser, qu'il y a des limites aussi à la fraction des moyens sociaux dont il peut disposer. Ces limites, l'observation en témoigne, varient durant l'histoire d'une société. Ainsi les rois capétiens ne pouvaient lever l'impôt; les Bourbons ne pouvaient exiger le service militaire.
La proportion ou quantum des moyens sociaux dont le Pouvoir peut disposer, est une quantité en principe mesurable. Elle est évidemment liée de façon étroite au quantum d'obéissance. Et l'on sent que ces quantités variables dénotent le quantum de Pouvoir.
Nous sommes fondés à dire qu'un Pouvoir est plus étendu selon qu'il peut diriger plus complètement les actions des membres de la Société et user plus pleinement de ses ressources.
L'étude des variations successives de ce quantum est une histoire du Pouvoir relativement à son étendue; tout autre donc que l'histoire ordinairement écrite, du Pouvoir relativement à ses formes.
Ces variations du quantum du Pouvoir en fonction de l'âge d'une société pourraient en principe se figurer par une courbe.
Sera-t -elle en dentelure capricieuse? Ou bien aura-t-elle un dessin général assez clair pour qu'on puisse parler d'une loi du développement du Pouvoir dans la société considérée?
Si l'on admet cette dernière hypothèse, et si l'on pense d'ailleurs que l'histoire humaine en tant qu'elle nous est connue consiste dans la juxtaposition des histoires successives de « grandes sociétés » ou « civilisations » composées de sociétés plus petites emportées par un mouvement commun, on peut aisément imaginer que les courbes du Pouvoir pour chacune de ces grandes sociétés risquent de présenter une certaine analogie, et que leur examen même peut éclairer le destin des civilisations.
Nous commencerons notre recherche en tâchant de connaître l'essence du Pouvoir. Il n'est pas sûr que nous y réussissions, et ce n'est pas non plus absolument nécessaire. Ce qui nous importe en effet c'est le rapport, grossièrement parlant, du Pouvoir à la société. Et nous pouvons les traiter comme deux variables inconnues dont la relation seule est saisissable.
Néanmoins, l'histoire n'est pas tellement réductible à la mathématique. Et il ne faut rien négliger pour voir le plus clair possible.

Le mystère de l’obéissance civile

La grande éducatrice de notre espèce, la curiosité, n'est éveillée que par l'inaccoutumé; il a fallu les prodiges, éclipses ou comètes, pour que nos lointains ancêtres s'enquissent des mécanismes célestes; il a fallu les crises pour que naisse, il a fallu trente millions de chômeurs pour que se généralise l'investigation des mécanismes économiques. Les faits les plus surprenants n'exercent pas notre raison, pourvu qu'ils soient quotidiens.
De là vient sans doute qu'on ait si peu réfléchi sur la miraculeuse obéissance des ensembles humains, milliers ou millions d'hommes qui se plient aux règles et aux ordres de quelques-uns.
Il suffit d'un ordre et le flot tumultueux des voitures qui, dans tout un vaste pays, coulait sur la gauche, se déporte et coule sur la droite. Il suffit d'un ordre et un peuple entier quitte les champs, les ateliers, les bureaux, pour affluer dans les casernes.
« Une pareille subordination, a dit Necker, doit frapper d'étonnement les hommes capables de réflexion. C'est une action singulière, une idée presque mystérieuse que l'obéissance du très grand nombre au très petit nombre[1] ». Pour Rousseau, le Pouvoir évoque « Archimède assis tranquillement sur le rivage et tirant sans peine à flot un grand vaisseau[2] ».
Quiconque a fondé une petite société pour un objet particulier connaît la propension des membres pourtant engagés par un acte exprès de leur volonté en vue d'une fin qui leur est chère - à fuir les obligations sociétaires. Combien surprenante donc la docilité dans la grande société!
On nous dit « Viens! » et nous venons. On nous dit « Va! » et nous allons. Nous obéissons au percepteur, au gendarme, à l'adjudant. Ce n'est pas assurément que nous nous inclinions devant ces hommes. Mais peut-être devant leurs chefs? Il arrive pourtant que nous méprisions leur caractère, que nous suspections leurs intentions.
Comment donc nous meuvent-ils ?
Si notre volonté cède à la leur, est-ce parce qu'ils disposent d'un appareil matériel de coercition, parce qu'ils sont les plus forts ? Il est certain que nous redoutons la contrainte qu'ils peuvent employer. Mais encore, pour en user, leur faut-il toute une armée d'auxiliaires. Il reste à expliquer d'où leur vient ce corps d'exécutants et ce qui assure sa fidélité : le Pouvoir nous apparaît alors comme une petite société qui en domine une plus large.
Mais il s'en faut que tous les Pouvoirs aient disposé d'un ample appareil de coercition. Il suffira de rappeler que pendant des siècles Rome n'a pas connu de fonctionnaires professionnels, n'a vu dans son enceinte aucune force armée, et que ses magistrats ne pouvaient user que de quelques licteurs. Si le Pouvoir avait alors des forces pour contraindre un membre individuel de la communauté, il ne les tirait que du concours des autres membres.
Dira-t-on que l'efficacité du Pouvoir n'est pas due aux sentiments de crainte, mais à ceux de participation ? Qu'un ensemble humain a une âme collective, un génie national, une volonté générale ? Et que son gouvernement personnifie l'ensemble, manifeste cette âme, incarne ce génie, promulgue cette volonté ? De sorte que l'énigme de l'obéissance se dissipe, puisque nous n'obéissons en définitive qu'à nous-même ?
C'est l'explication de nos juristes, favorisée par l'ambiguïté du mot État, et correspondant à des usages modernes. Le terme d'État - et c'est pourquoi nous l'évitons - comporte deux sens fort différents. Il désigne d'abord une société organisée ayant un gouvernement autonome, et, en ce sens, nous sommes tous membres de l'État, l'État c'est nous. Mais il dénote d'autre part l'appareil qui gouverne cette société. En ce sens les membres de l'État, ce sont ceux qui participent au Pouvoir, l'État c'est eux. Si maintenant l'on pose que l'État, entendant l'appareil de commandement, commande à la Société, on ne fait qu'émettre un axiome; mais si aussitôt l'on glisse subrepticement sous le mot État son autre sens, on trouve que c'est la société qui commande à elle-même, ce qu'il fallait démontrer.
Ce n'est là évidemment qu'une fraude intellectuelle inconsciente. Elle n'apparaît pas flagrante parce que précisément dans notre société l'appareil gouvernemental est ou doit être en principe l'expression de la société, un simple système de transmission au moyen de quoi elle se régit elle-même. A supposer qu'il en soit vraiment ainsi - ce qui reste à voir - il est patent qu'il n'en a pas été ainsi toujours et partout, que l'autorité a été exercée par des Pouvoirs nettement distincts de la Société, et que l'obéissance a été obtenue par eux.
L'empire du Pouvoir sur la Société n'est pas l’œuvre de la seule force concrète, puisqu'on le trouve où cette force est minime, il n'est pas l’œuvre de la seule participation, puisqu'on le trouve où la Société ne participe nullement au Pouvoir.
Mais peut-être dira-t-on qu'il y a en réalité deux Pouvoirs d'essence différente, le Pouvoir d'un petit nombre sur l'ensemble, monarchie, aristocratie, qui se soutient par la seule force, et le Pouvoir de l'ensemble sur lui-même, qui se soutient par la seule participation ?
S'il en était ainsi, on devrait naturellement constater que dans les régimes monarchique et aristocratique les instruments de coercition sont à leur maximum puisqu'on n'attend rien que d'eux. Tandis que dans les démocraties modernes, ils seraient à leur minimum puisqu'on ne demande rien aux citoyens qu'ils n'aient voulu. Mais on constate au contraire que le progrès de la monarchie à la démocratie s'est accompagné d'un prodigieux développement des instruments coercitifs. Aucun roi n'a disposé d'une police comparable à celle des démocraties modernes.
C'est donc une erreur grossière de contraster deux Pouvoirs différant d'essence, chacun desquels obtiendrait l'obéissance par le jeu d'un seul sentiment. Ces analyses logiques méconnaissent la complexité du problème.

Caractère historique de l’obéissance

L'obéissance, à la vérité, résulte de sentiments très divers qui fournissent au Pouvoir une assise multiple :
Il n'existe ce pouvoir, a-t -on dit, que par la réunion de toutes les propriétés qui forment son essence; il tire sa force et des secours réels qui lui sont donnés, et de l'assistance continuelle de l'habitude et de l'imagination; il doit avoir son autorité raisonnée et son influence magique; il doit agir comme la nature et par des moyens visibles et par un ascendant inconnu[3].
La formule est bonne, à condition de n'y pas voir une énumération systématique, exhaustive. Elle met en lumière la prédominance des facteurs irrationnels. Il s'en faut qu'on obéisse principalement parce qu'on a pesé les risques de la désobéissance ou parce qu'on identifie délibérément sa volonté à celle des dirigeants. On obéit essentiellement parce que c'est une habitude de l'espèce.
Nous trouvons le Pouvoir en naissant à la vie sociale, comme nous trouvons le père ne naissant à la vie physique. Similitude qui a inspiré combien de fois leur comparaison, et l'inspirera encore en dépit des objections les mieux fondées.
Le Pouvoir est pour nous un fait de nature. Si loin que remonte la mémoire collective, il a toujours présidé aux vies humaines. Aussi son autorité présente rencontre en nous le secours de sentiments très anciens que, sous ses formes successives, il a successivement inspirés.
Telle est la continuité du développement humain, dit Frazer, que les institutions essentielles de notre société ont, pour la plupart, sinon toutes, de profondes racines dans l'état sauvage, et nous ont été transmises avec des modifications plutôt d'apparence que de fonds[4].
Les sociétés, et celles mêmes qui nous paraissent le moins évoluées, ont un passé maintes fois millénaire, et les autorités qu'elles subirent autrefois n'ont pas disparu sans léguer leurs prestiges à leurs remplaçantes, ni sans laisser dans les esprits des empreintes qui se surajoutent. La suite des gouvernements d'une même société, au cours des siècles, peut être regardée comme un seul gouvernement qui subsiste toujours et s'enrichit continuellement. Aussi le Pouvoir est-il moins un objet de la connaissance logique que de la connaissance historique. Et nous pourrions sans doute négliger les systèmes qui prétendent ramener ses propriétés diverses à un principe unique, fondement de tous les droits exercés par les titulaires du commandement, cause de toutes les obligations qu'ils imposent.
Ce principe est tantôt la volonté divine dont ils seraient les vicaires, tantôt la volonté générale dont ils seraient les mandataires, ou encore le génie national dont ils seraient l'incarnation, la conscience collective dont ils seraient les interprètes, le finalisme social dont ils seraient les agents.
Pour que nous reconnaissions dans quelqu'une des entités énoncées ce qui fait le, Pouvoir, il faudrait évidemment qu'il ne pût exister aucun Pouvoir où ladite « force » est absente. Or il est patent qu'il y avait des Pouvoirs à des époques où le génie national eût été une expression vide de sens, on en peut citer qu'aucune volonté générale ne soutenait, bien au contraire. Le seul système qui satisfasse à la condition fondamentale d'expliquer tout Pouvoir quelconque, est celui de la volonté divine; saint Paul disant : « Il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu et celles qui existent ont été instituées par Dieu », et cela sous Néron même, a fourni aux théologiens une explication qui est la seule à embrasser tous les cas de Pouvoir.
Les autres métaphysiques y sont impuissantes. A vrai dire, elles n'y prétendent pas. Ce sont de pseudo-métaphysiques où la préoccupation analytique disparaît plus ou moins complètement sous la préoccupation normative. Non plus, que faut-il au Pouvoir pour être... Pouvoir, mais que lui faut-il pour être bon..

Statique et dynamique de l’obéissance

Devons-nous donc laisser de côté ces théories? Non pas, car ces représentations idéales du Pouvoir ont accrédité dans la Société des croyances qui jouent un rôle essentiel dans le développement du Pouvoir concret.
On peut étudier les mouvements célestes sans s'inquiéter de conceptions astronomiques qui ont été accréditées mais ne répondent pas à la réalité des faits, parce que ces croyances n'ont en rien affecté ces mouvements. Mais s'agissant des conceptions successives du Pouvoir il n'en est plus de même, car le gouvernement lui, est un phénomène humain, profondément influencé par l'idée que les hommes se font de lui. Et précisément le Pouvoir s'étend à la faveur des croyances professées à son endroit.
Reprenons en effet notre réflexion sur l'Obéissance. Nous l'avons reconnue causée de façon immédiate par l'habitude. Mais l'habitude ne suffit à expliquer l'obéissance qu'autant que le commandement se tient dans les limites qui lui sont habituelles. Dès qu'il veut imposer aux hommes des obligations dépassant celles à quoi ils sont rompus, il ne bénéficie plus d'un automatisme de longue date créé dans le sujet. Pour un incrément d'effet, un plus d'obéissance, il faut un incrément de cause. L'habitude ici ne peut servir, il faut une explication. Ce que la Logique suggère, l'Histoire le vérifie : c'est en effet aux époques où le Pouvoir tend à grandir qu'on discute sa nature et les principes, en lui présents, qui causent l'obéissance; que ce soit pour assister sa croissance ou pour y faire obstacle. Ce caractère opportuniste des théories du Pouvoir rend compte d'ailleurs de leur impuissance à fournir une explication générale du phénomène.
Dans cette activité particulière la pensée humaine a toujours suivi les deux mêmes directions, répondant aux catégories de notre entendement. Elle a cherché la justification théorique de l'Obéissance -et en pratique répandu des croyances rendant possible un accroissement d'obéissance - soit dans une cause efficiente, soit dans une cause finale.

L'obéissance liée au crédit

Il nous apparaît donc que dans l'obéissance, il entre une part énorme de croyance, de créance, de crédit.
Le Pouvoir peut être fondé par la seule force, soutenu par la seule habitude, mais il ne saurait s'accroître que par le crédit, qui n'est logiquement pas inutile à sa création et à son entretien, et qui, dans la plupart des cas, ne leur est pas historiquement étranger.
Sans prétendre ici le définir, nous pouvons déjà le décrire comme un corps permanent, auquel on a l'habitude d'obéir, qui a les moyens matériels de contraindre, et qui est soutenu par l'opinion qu'on a de sa force, la croyance dans son droit de commander (sa légitimité), et l'espoir qu'on met dans sa bienfaisance.
Il n'était pas inutile de souligner le rôle du crédit dans l'avancement de sa puissance. Car on comprend maintenant de quel prix sont pour lui les théories qui projettent certaines images dans les esprits. Selon qu'elles inspirent plus de respect pour une Souveraineté, conçue comme plus absolue, selon qu'elles éveillent plus d'espoir dans un Bien Commun plus précisément évoqué, elles fournissent au Pouvoir concret une assistance plus efficace, elles lui ouvrent la voie et préparent ses progrès.
Chose remarquable, il n'est même pas nécessaire, pour aider au Pouvoir, que ces systèmes abstraits lui reconnaissent cette Souveraineté ou lui confient la tâche de réaliser ce Bien Commun: il suffit qu'elles en forment les concepts dans les esprits. Ainsi Rousseau, qui se faisait une très grande idée de la Souveraineté, la déniait au Pouvoir et la lui opposait. Ainsi le socialisme, qui a créé la vision d'un Bien Commun infiniment séduisant, ne remettait nullement au Pouvoir le soin de le procurer : mais au contraire, réclamait la mort de l'État. Il n'importe, car le Pouvoir occupe dans la Société une place telle que cette Souveraineté tellement sainte, lui seul est capable de s'en emparer, ce Bien Commun tellement fascinant, lui seul apparaît capable d'y travailler.
Nous savons à présent sous quel angle examiner les théories du Pouvoir. Ce qui nous intéresse en elles, c'est essentiellement le renfort qu'elles apportent au Pouvoir.

En d'autres termes, on a affirmé que le Pouvoir devait être obéi, soit parce que, soit en vue de.
Dans la direction du parce que, on a développé les théories de la Souveraineté. La cause efficiente de l'obéissance, a-t -on dit, réside dans un droit exercé par le Pouvoir, qui lui vient d'une Majestas qu'il possède, incarne ou représente. Il détient ce droit à la condition, nécessaire et suffisante, d'être légitime, c'est-à-dire à raison de son origine.
Dans l'autre direction, on a développé les théories de la Fonction Étatique. La cause finale de l'obéissance, a-t -on dit, consiste dans le but que poursuit le Pouvoir, et qui est le Bien Commun, de quelque façon que d'ailleurs on le conçoive. Pour qu'il mérite la docilité du sujet, il faut et il suffit que le Pouvoir recherche et procure le Bien Commun.
Cette classification simple embrasse toutes les théories normatives du Pouvoir. Sans doute il en est peu qui ne se réclament à la fois de la cause efficiente et de la cause finale, mais on gagne beaucoup en clarté à considérer successivement tout ce qui se rapporte à l'une, puis à l'autre catégorie. Avant d'entrer dans le détail, voyons si, à la lumière de cet aperçu, nous ne pouvons pas nous faire une idée approchée du Pouvoir. Nous lui avons reconnu une propriété mystérieuse, qui est, à travers ses avatars, sa durée, lui conférant un ascendant irraisonné, non justiciable de la pensée logique. Celle-ci distingue en lui trois propriétés certaines, la Force, la Légitimité, la Bienfaisance. Mais à mesure qu'on tâche de les isoler, comme des corps chimiques, ces propriétés se dérobent. Car elles n'ont pas d'existence en soi, et n'en prennent que dans les esprits humains. Ce qui existe effectivement, c'est la croyance humaine dans la légitimité du Pouvoir, c'est l'espoir en sa bienfaisance, c'est le sentiment qu'on a de sa force. Mais, bien évidemment, il n'a de caractère légitime que par sa conformité avec ce que les hommes estiment le mode légitime du Pouvoir, il n'a de caractère bienfaisant que par la conformité de ses buts avec ce que les hommes croient leur être bon. Il n'a de force enfin, dans la plupart des cas du moins, qu'au moyen de celles que les hommes croient devoir lui prêter.


[1]Necker : Du Pouvoir exécutif dans les grands États, 1792, p. 20 -22.

[2]Rousseau : Du Contrat social, livre III, chap.

[3]Necker, op. cit.

[4]J.G. Frazer: Lectures on the Early History of Kingship, Londres, 1905, p. 2 -3.

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23 février 2006

Impressions de l'Afrique Noire en 1995

Un commentaire de monsieur Naki avait été saisi sur mon blog à partir du site du grioo.com à propos de l'article "a propos de la violence des Etats africains"

Monsieur Lucien Naki a bien voulu  poursuivre son commentaire par l'envoi d'un article que j'ai beaucoup aimé et je me fais le plaisir de partager cette lecture avec vous.

«La tragédie de l'Afrique est que trois siècles de la lourde intervention coloniale ont laissé à la plupart des pays, des mélanges de tribus  étrangères les unes aux autres, avec seulement quelques cas de concentrations territoriales ethniques où des communautés cohérentes pourraient remplir les conditions pour créer des états-nations (territoire identifiable, masse critique et identité culturelle et ethnique distincte). Si l'Afrique avait été laissée seule, elle se serait selon toute vraisemblance, organisée par elle-même en entités ethniques, culturelles et politiques naturelles, ou en états-nations comme l'Europe et l'Asie du Sud-Est l'ont fait.»

Impressions de l'Afrique Noire en 1995 par Lucien Naki

Cinq mois passés à voyager, ça peut sembler long, mais c'est en fait une très courte période compte tenu de tous les pays que j'ai visités au cours de ce périple: Égypte, la Jordanie, le Soudan, Érythrée, le Yémen, Djibouti, Éthiopie, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Malawi, le Zimbabwe, la Zambie, le Botswana, la Namibie, l'Afrique du Sud, le Lesotho, le Swaziland, le Mozambique, Israël, Chypre et le Maroc. Je ne suis pas resté assez longtemps dans chaque pays pour bien le connaître mais j'ai eu une vue d'ensemble générale, bien que superficielle, des parties est et sud du continent Africain. (J'avais déjà visité plusieurs des pays du nord et de l'ouest Africain, pour la plupart en voyage d'affaires.)

Bien entendu, il n'y a pas deux de ces pays qui soient tout à fait les mêmes. Chacun a ses propres traits spécifiques, ses attractions et ses problèmes. L'avantage du rapide survol que je me suis offert est de me permettre de faire des généralisations superficielles sur certains aspects qui m'ont semblé communs dans trois groupes distincts de pays du continent; l'importance de l'Islam au nord, celle de l'homme blanc au sud et celle du tribalisme au centre. Je traiterai du tribalisme et je sauterai le problème du fondamentalisme Islamique car il fait partie d'un plus grand problème qui n'est pas seulement africain.

Je suis rentré de voyage avec la forte conviction que le pire héritage de la période coloniale est le partage arbitraire du continent en entités politiques (pays) sans aucun égard pour les réalités ethniques et démographiques de leurs habitants. Je pense que cela a irrévocablement condamné l'Afrique Noire au tribalisme et à ses conséquences négatives.
J'écris ces impressions pour clarifier, pour moi-même, les fondements de mes sentiments, actuellement très pessimistes, sur l'avenir du développement social et économique en Afrique, et aussi pour tenter de comprendre nos propres contradictions Canadiennes à la lumière de ce que ce voyage m'a appris.

On m'a dit et répété plusieurs fois dans mes conversations avec des Noirs que le premier facteur de la politique Africaine a été, est, et restera probablement toujours, l'origine tribale et ethnique des politiciens, plutôt que leur idéologie ou que les programmes législatifs qu'ils proposent pour améliorer le bien-être de la communauté. Je suis arrivé à penser que c'est là la cause fondamentale de la stagnation sociale et économique en Afrique. En effet, comment le bien-être commun peut-il être primordial dans des pays où il n'y a pas de communauté partageant la même culture, les mêmes valeurs, et les mêmes origines. Dans des territoires où les gens s'identifient plus à leur tribu qu'à leur pays, il est naturel que l'objectif du pouvoir politique est de promouvoir les intérêts de son propre groupe ethnique ou tribal aux dépens des autres groupes, plutôt que d'assurer le développement social et économique maximal de tous. Ce contexte mène tout à fait naturellement au favoritisme tribal, à l'intolérance envers toute opposition politique (qui est généralement tribale plutôt qu'idéologique), au pouvoir arbitraire, au mépris des droits de l'homme et finalement, au népotisme et à la corruption généralisée qui sont les obstacles majeurs au développement économique et social dans la plupart des pays d'Afrique Noire.

On aurait eu le même résultat, si la seconde guerre mondiale avait artificiellement réorganisé les frontières européennes en partageant les nations existantes entre de nouveaux territoires, chacun comprenant des parties des pays qui existaient avant. Par exemple, dans un pays constitué d'une partie de l'Espagne, une partie de la France et une partie de l'Italie, la lutte pour le pouvoir aurait lieu entre le parti Espagnol, le parti Français et le parti Italien, plutôt que sur la base d'une
idéologie ou d'un programme. Les mêmes considérations "tribales" domineraient vraisemblablement la politique d'un pays hypothétique, artificiellement créé à partir du Danemark, d'une partie de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et une partie de la France. La violence et le "nettoyage ethnique" en ex-Yougoslavie aujourd'hui, démontrent bien que les européens ne sont pas immunisés contre "tribalisme", même maintenant en 1995.

Cela montre l'importance capitale de l'existence d'une communauté ethnique et culturelle cohérente. C'est une nécessité à l'établissement durable de pratiques politiques démocratiques effectives et à l'impartialité de la Loi dans un territoire donné. La cohérence interne est aussi une nécessité à l'établissement de relations internationales durables et stables. Aujourd'hui la Communauté Européenne, qui ne marche pas trop mal, est possible seulement parce que des accords ont été négociés entre une succession de plusieurs gouvernements s'exprimant au nom de leurs États-nation souverains, chacun démocratiquement élu, représentant les intérêts d'entités démographiques cohérentes et complètes. Ça marche parce qu'aucune "tribu" ne domine les autres.

Ce n'est pas ce que j'ai observé en Afrique Noire où la plupart des entités politiques et territoriales (les soi-disant pays) sont dominées par une tribu aux dépens des autres tribus du territoire. Cela pourrait expliquer la présence de la crainte que j'ai perçue dans presque toutes les conversations politiques que j'ai eues avec des noirs Africains ordinaires. Il m'a semblé que, pour l'homme de la rue, la peur des conséquences qu'il aura à subir si sa tribu n'est au pouvoir, constituait une motivation politique plus puissante que l'orgueil ou l'ambition de faire parue de la tribu gouvernante. Cela indique une fois de plus le manque de cohérence et l'absence d'une communauté d'intérêts entre les diverses tribus composant la plupart des pays Africains. Ces "pays" ne sont pas des États Nations. Non seulement ils ne sont pas cohérents dans leur composition, mais ils ne sont pas complets parce que les communautés ethniques et culturales d'origine, (qui aurait pu former des États Nations), ont été partagées par les pouvoirs coloniaux entre plusieurs tels "pays". C'est le terrible héritage de la période coloniale; deux douzaines d'états manquant la cohérence et l'unité de vision nécessaires à un développement durable et deux douzaines ou plus, de tribus majeures, dispersées entre plusieurs "pays" comme les Kurdes sont dispersés entre la Turquie, l'Irak et l'Iran.

Le problème de la cohabitation ethnique existe dans divers autres endroits du monde, mais nulle part ne semble-il être aussi aigu et aussi généralisé qu'en Afrique Noire. Qu'arrivera-il à l'Afrique du Sud maintenant que le pouvoir est aux mains des Noirs? Je doute que la fière nation guerrière Zoulou n'accepte indéfiniment d'être gouvernée par le Congrès National Africain dominé par les Xhosa. Je doute aussi que la nouvelle constitution actuellement en préparation qui vise à protéger les droits des minorités, ne soit appliquée assez impartialement pour empêcher les éventuels conflits entre tribus. Une nouvelle constitution peut garantir les droits des minorités sur le papier pour réduire le risque de guerres tribales mais elle ne créera jamais une communauté cohérente à partir des tribus Xhosa et Zoulou, historiquement opposées.

Je suis d'avis qu'une solution structurelle doit être préférée à une solution constitutionnelle car le problème fondamental est structurel (l'absence d'un état-nation cohérent). Autrement dit je pense qu'il serait dans l'intérêt à terme de toutes les parties, qu'on accorde à la nation Zoulou l'indépendance que certains Zoulous ont réclamée. Une solution structurelle peut difficilement être appliquée sans de considérables souffrances là où les tribus potentiellement en conflit occupent le même territoire (Bosnie, Inde, Pakistan), mais elle est possible ici car les Zoulous sont en majorité dans la province du Natal (Zululand). Un Zululand indépendant avec une écrasante majorité Zoulou transcenderait naturellement les politiques tribales (car elle n'aurait pas à rivaliser avec une autre tribu majeure dans le territoire). Un Zululand indépendant découvrirait graduellement "la politique du contenu des programmes" comme le peuple du Tigré actuellement en Érythrée, récemment devenue indépendante de l'Éthiopie. Il est évident que l'actuelle coopération présente Érythrée et l'Éthiopie est mille fois meilleure pour les deux parties que la guerre civile destructrice qui les a appauvris pendant tellement d'années, avant que Érythrée ne se libère. De manière similaire, je sens qu'un traité de libre commerce et de défense mutuelle conduisant à une coopération économique efficace entre l'Afrique du Sud et un Zululand indépendant (et aussi avec le Lesotho et le Swaziland, qui sont déjà des États-Nations), pourrait être un meilleur modèle de développement (social et économique), que l'inconfortable cohabitation actuelle de ces deux tribus majeures, potentiellement en conflit, en Afrique du Sud.

Je pense que la façon que les noirs d'Afrique du Sud exerceront leur nouvellement acquise responsabilité de détenir le pouvoir sera cruciale, non seulement pour leur propre bien-être, mais aussi pour celui des pays voisins. Si l'Afrique du Sud noire arrive à se débarrasser du problème Zoulou de la manière suggérée ci-dessus, et si elle réussit à mettre en place une constitution généreuse et impartiale capable d'apaiser les craintes des blancs et celles des autres tribus minoritaires qui ne peuvent aspirer à l'indépendance parce qu'elles n'ont pas de territoire identifiable ou qu'elles n'atteignent pas la masse critique nécessaire pour pouvoir faire cavalier seul, alors il devient possible qu'une "politique de contenus" et une réelle démocratie multipartite puisse remplacer la politique tribale et le pouvoir du parti unique en Afrique du Sud, au fur et à mesure de développement d'une réelle communauté d'intérêts.
Dans cet heureux cas de figure, l'Afrique du Sud pourrait devenir un modèle pour les autres pays africains. De plus, avec ses importantes ressources naturelles, ses infrastructures et sa base industrielle développées et sa richesse considérable, l'Afrique du Sud pourrait être la locomotive capable d'entraîner plusieurs autres pays Africains dans la voie du développement.

Si toutefois l'Afrique du Sud tombe dans le piège de la politique tribale, alors, elle sera divisée, son énergie sera dépensée inutilement dans des conflits entre tribus, les capitaux et les blancs qualifiés partiront progressivement du pays, le pouvoir du parti unique, le népotisme et la corruption généralisée deviendront inévitables et l'économie du pays se détériorera graduellement comme celle de la plupart des pays d'Afrique Noire depuis leur indépendance. L'incapacité de l'Afrique du Sud à déjouer ce négatif "scénario africain" malgré tous les avantages qu'elle a actuellement, scellera probablement le destin des autres pays africains à végéter avec peu d'espoir de ne plus dépendre de l'aide internationale et d'amorcer leur propre développement. Je pense que, d'une manière ou d'une autre, ce qui va arriver en Afrique du Sud aura une profonde influence sur toute l'Afrique noire.

Je ne connais pas tous les détails de la situation en Afrique du Sud, maintenant qu'elle est aux mains des noirs, mais je suis convaincu qu'un résultat positif là-bas, sera salutaire à la démocratie et la Loi dans tous les pays voisins. Je sens que le premier pas sera de transcender le tribalisme en accordant l'indépendance au Zululand et peut-être à d'autres tribus (si d'autres remplissent les conditions de territorialité et de masse critique mentionnées plus haut), pour donner aux Xhosa la majorité absolue qui leur est nécessaire pour bâtir un état-nation suffisamment solide pour éluder la politique tribale, tout en garantissant les droits des minorités restantes. Je crois que ce premier pas sera une nécessité pour que l'Afrique du Sud noire découvre les avantages de "la politique de contenus" et de la démocratie multipartite.

La tragédie de l'Afrique est que trois siècles de la lourde intervention coloniale ont laissé à la plupart des pays, des mélanges de tribus étrangères les unes aux autres, avec seulement quelques cas de concentrations territoriales ethniques où des communautés cohérentes pourraient remplir les conditions pour créer des états-nations (territoire identifiable, masse critique et identité culturelle et ethnique distincte). Si l'Afrique avait été laissée seule, elle se serait selon toute vraisemblance, organisée par elle-même en entités ethniques, culturelles et politiques naturelles, ou en états-nations comme l'Europe et l'Asie du Sud-Est l'ont fait.

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08 février 2006

Tanella Boni

    Mots pluriels
    no 8.Octobre 1998.
    http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP898tb1.html
    © Tanella Boni


    Ecritures et savoirs: écrire en Afrique a-t-il un sens?

    Tanella Boni
    Université de Côte de d'Ivoire

    TEXTE PRESENTE AU PREMIER CONGRES DES ECRIVAINS AFRICAINS EN TERRE AFRICAINE
    ASILAH, AOUT 1998

    Du 7 au 10 août 1998, s'est tenu à Asilah,petite ville balnéaire au nord du Maroc, le premier Congrès des écrivains africains en terre africaine. L'écrivain de renom Henri Lopes était le commissaire à l'organisation et plus d'une quarantaine d'écrivains, journalistes, universitaires venant d'Afrique, d'Europe, des Etats-Unis ont pris part aux débats. Le prix de poésie Tchicaya U Tamsi, prix dédié par la ville d'Asilah à la mémoire du poète congolais disparu en 1988, a été décerné cette année à un autre poète congolais, Jean-Baptiste Tati-Loutard, pour l'ensemble de son oeuvre. A l'issue du Congrès, il a été décidé de la création d'une maison de l'écrivain africain à Asilah. ville culturelle qui depuis 1978 organise un festival d'été. Ce congrès a permis la rencontre entre les écrivains africains de toutes les Afriques. Ce fut le lieu d'un dialogue afro-arabe très enrichissant sur le thème : "les écritures africaines et demain".

    1. Petite histoire de l'écrivain africain

    L'écrivain s'est métamorphosé avec le temps. Il avait porté sa toge de combattant pour être un missionnaire sûr de son témoignage. En cours de route, il a perdu toutes ses illusions jusqu'à la dernière. Il ne sait même plus ce que l'histoire et les circonstances ont fait de sa vie.

    Mais était-il là, dès l'origine, au temps de nos ancêtres mythiques ? Qu'est-il devenu aujourd'hui ? Où se cache-t-il ? De temps en temps on en voit quelques-uns se donner en spectacle. Parfois, on se demande si prendre la plume ce n'est pas animer un numéro de cirque qui ne fait plus rire personne. Est-ce, au contraire jouer une scène de tragédie qui puisse émouvoir et faire pleurer ? Mais le public n'existe pas. Est écrivain, aujourd'hui semble-t-il, celui ou celle qui est capable de tenir le coup face au silence sépulcral qui répond à ses mots. Mais comment résister aux multiples assauts des pouvoirs qui surgissent de toutes parts ? Pour avoir droit de cité, il lui faut d'abord franchir le cap difficile de l'édition. Mais à quelles conditions ? Pour rester vivant, il doit user de subterfuges, jouer des rôles qui n'étaient pas les siens au départ. Mais les rôles de l'écrivain sont -ils fixés de toute éternité ?

    Se situant tantôt entre le savant et le politique, tantôt entre le prophète et le marchand, l'écrivain africain cherche sa place. Il ne sait pas qui il est. C'est peut-être mieux ainsi. Porté aux nues par les journalistes qui aident à la fabrication de sa peau, il commence à avoir une place dans la société. Parce qu'il a une très haute idée de lui-même, les choses se gâtent, il abandonne la plume ou l'asservit complètement à quelque cause autre que celle de l'écriture. Il semble avoir eu, dans l'histoire, un passé glorieux. Mais avant sa naissance, l'Afrique avait ses dépositaires de la parole, ses réservoirs de mots vivants. Il devrait apprendre à dialoguer avec ces esprits qui l'empêchent de dormir. Leur parler serait le meilleur moyen de leur prêter longue vie. Eux, en retour, pourraient lui apprendre à raconter des histoires comme pour narguer la réalité qui s'amuse à composer de la fiction. Pour l'éternité...

    2. Parole et savoirs

    Au commencement était la parole. Et les maîtres de la parole n'étaient pas des écrivains. Ils étaient conteurs, devins, guérisseurs, griots, vendeurs de cola ou buveurs de vin de palme. Ils avaient partie liée avec le savoir. Ils transmettaient une vérité certaine ou approximative. Ils étaient des maîtres dans les forêts sacrées ou dans les ateliers d'apprentissage. Ils devaient apprendre à d'autres à être capables d'assimiler un savoir et de pouvoir transmettre à leur tour, le moment venu, après avoir gravi tous les degrés d'initiation. Dans ces conditions, le savoir reste le support de la parole. Il s'acquiert avec l'âge et avec l'expérience. Il ne peut être entendu par n'importe qui, à n'importe quel moment. L'auditeur doit être préparé à en subir les épreuves. Parfois, un moment propice est requis pour délivrer la parole : la nuit par exemple le temps du conte. Et ce temps dédié à la parole contée lui donne plus d'éclat et plus de vérité. On l'attend sans l'attendre vraiment. On se prépare à la recevoir. Une complicité se noue entre le public et le conteur. Celui-ci n'est jamais seul quand il crée. Il parle à un public donné, à tel moment précis. Et ce public l'écoute et l'encourage à continuer dans cette voie qu'il s'est tracée. Car il est un intermédiaire qui cherche le mot juste pour traduire une réalité, l'origine des choses ou des êtres, les maux et les biens qui sont le lot commun des vivants. Un messager que la parole a choisi pour s'exprimer.

    Cette parole initiatique réservée à ceux qui sont aptes à l'entendre a été conceptualisée, comme on le sait, par Platon. On se rappelle ses arguments contre l'écriture dans le Phèdre ou les Lettres (notamment la lettre 7). Le philosophe grec du 5eme siècle avant JC préfère la parole parce que celle-ci peut se défendre. Elle est entendue par ceux qui sont élus pour l'entendre. Car la parole est la source par où se répand le savoir. Mais cette source ne peut se répandre que si elle sait pourquoi elle existe et quelles sont les conditions requises afin qu'elle fasse l'objet d'une diffusion.

    Chez le diseur de vérité dans l'Afrique traditionnelle, deux caractéristiques essentielles méritent d'être soulignées. La parole transmise est la vérité d'un groupe. Ainsi, le diseur de vérité est le dépositaire de cette parole, celui qui la porte et la transporte partout où elle doit se dire. En outre, la manière de dire est tout à fait remarquable. La parole passe de relais en relais afin qu'elle soit protégée, habillée, parée. Elle ne peut, sous peine d'elle profanée, se libérer de ses chaînes et se livrer nue, au premier venu. Cette manière de délivrer (ou enfermer) la parole a dépassé les limites du bois sacré. L'on sait qu'aujourd'hui encore, les chaînes de la parole n'ont pas disparu, en Afrique. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles l'écriture, qui se veut liberté d'expression, a du mal à être reconnue comme telle. Parfois, l'écrivain en arrive à pratiquer l'autocensure non pas parce qu'il a du mal à trouver le mot juste mais bien parce qu'il a intériorisé des manières de dire qui l'empêchent d'aborder certains sujets ou de les traiter selon sa sensibilité propre.

    Mais il n' y a pas que la parole initiatique, celle qui enseigne une vision du monde, des techniques, des sciences, les valeurs, les rudiments de la vie pratique[1]. Une autre forme de parole, individuelle celle-là, ne doit pas être passée sous silence. Elle semble transmettre un savoir dont la source reste inconnue du grand public. Elle fait appel à des puissances qui ne sont pas humaines. Elle peut provenir d'un animal, d'une plante, d'un minéral, d'habitants de la brousse nommés djinn ou portant d'autres noms. Le porte-parole[2] reçoit le savoir ou le savoir-faire de ces êtres non identifiés qui vivent sur notre planète. C'est le cas du chanteur inspiré ou du guérisseur qui soigne des maladies incurables sans être passé par une période initiatique. La parole, ici, est la vérité d'un individu qui échappe au contrôle du groupe et de la société tout entière. Il occupe une place en marge de la société. Il s'y installe et y mène cette vie qu'il promène comme une nécessité quand on l'appelle. Son savoir-faire est utile , on le consulte, il participe à la vie. On le craint parce qu'il n'est pas comme les autres. On respecte son savoir. Etre à part, il est ouvert à l'ensemble de l'univers et capte d'autres langages que le commun des humains ignore. Ainsi naît l'artiste, ce détenteur d'une parole individuelle qu'il n'a jamais apprise. Il l'entend par inspiration, ou par intuition. Il ne sait pas d'où elle vient. Il sait qu'elle est présente et qu'elle le tient, l'empêche de dormir parfois, jusqu'à ce qu'il la délivre. Cela s'appelle création.

    Or, l'écriture, aussi, relève d'un processus de création ou de production du sens. Dans l'Afrique coloniale et après les indépendances, on a vu quelques lettrés prendre la parole et se donner une mission nouvelle : montrer que des valeurs autres que celles du pays colonisateur existent, mener un combat pour la défense et l'illustration de la culture. Ainsi, en Afrique, l'écriture apparaît dans un premier temps comme l'élément fondamental qui donne un sens à des traditions non reconnues par l'autre. Cette quête du sens qui va de pair avec un combat proprement politique, se métamorphose au fil du temps. En fait, l'écrivain n'est pas l'équivalent du diseur de vérité qui instruit et éduque un public donné. Il n'est pas non plus semblable à l'artiste traditionnel, solitaire, utile à la société. Ici, la figure de l'écrivain reste à cerner. Elle a varié dans le temps. Essayons de montrer quelques aspects de cette figure inclassable.

    3. L'écrivain entre le savant et le politique

    En novembre et décembre 1997, Présence Africaine a commémoré à Dakar puis à Paris, ses cinquante ans d'existence. A cette occasion, ceux qui ignoraient encore le rôle de premier plan joué par les écrivains africains ont été convaincus de ce que, dès la première moitié de ce siècle, être "écrivain africain" n'était pas une expression dénuée de sens. Bien au contraire. Il s'agissait de mener un combat à la fois politique et culturel : mettre en valeur un patrimoine culturel et des valeurs non reconnues par l'autre. D'une manière générale, l'écrivain se donnait une mission à accomplir, une mission à la fois individuelle et collective. Individuelle car chacun prenait la plume dans ses domaines de prédilection : théâtre, poésie, conte, roman. Collective car tout se passait comme si une même ambition, un même rêve était partagé dans le même temps par tous ceux qui avaient quelque chose à dire et qui se faisaient le devoir de le dire par la plume. Créer était en soi un devoir et ils le savaient tous, ceux de la négritude comme Césaire ou Senghor, ou ceux qui, en marge de ce mouvement participaient à cette mission collective, comme Bernard Dadié ou Birago Diop.

    Comment comprendre cette mission de l'écrivain dans la première moitié du vingtième siècle, en Afrique ? Il y a eu à cette époque une prise de conscience, chez les intellectuels africains de ce que l'instruction n'était pas une donnée suffisante pour faire évoluer les choses en Afrique. Il ne s'agissait pas d'aller à l'école du colonisateur, d'apprendre sa langue, sa culture et en rester là. Il fallait aller plus loin : utiliser cette langue et ce savoir livresques pour défendre et illustrer des cultures et des savoirs différents. Prendre la plume apparaissait alors comme un chemin privilégié pour la quête d'une identité à montrer. Un chemin de survie. Le seul moyen de parler au colonisateur c'était d'utiliser sa langue pour décrire et mettre en valeur une réalité qu'il avait occultée, niée ou déformée. Les africains qui se faisaient le devoir de prendre la plume savaient qu'il y aurait au moins une poignée de lecteurs qui liraient leurs livres, ceux qui avaient déjà approché l'Afrique autrement que par la politique ou la religion. Ceux qui avaient la curiosité de voyager par la lecture. Or, depuis le 18eme siècle, les frontières de l'Europe s'étaient ouvertes sur des mondes inconnus, le mythe du bon sauvage avait pris corps. L'Afrique elle-même était devenue un mythe, " pacifiée " par les colonisateurs, décrite par les explorateurs : René Caillé, Faidherbe, Savorgnan de Brazza, Stanley, Binger... Il y avait donc dès le début de ce siècle une littérature abondante sur l'Afrique et les Africains, écrite par des non-africains.

    Ce qui est véritablement nouveau c'est cette préoccupation que l'on rencontre chez des " lettrés " instruits à l'école occidentale : prendre la plume pour dire l'Afrique telle qu'elle est, décrire des mondes imaginaires différents qui expriment des cultures différentes. Et l'on sait que les intellectuels africains se sont fait entendre, d'une manière ou d'une autre, par les colonisateurs. En France notamment des intellectuels de renom, des africanistes comme Michel Leiris ou Théodore Monod, des philosophes comme Mounier et Sartre, des romanciers comme Gide, des poètes surréalistes, des artistes comme Picasso, Derain, Vlaminck (au début du siècle) avaient découvert l'Afrique par sa culture et sa pensée. Par leurs prises de position ou leur pratique artistique, ils témoignent de la vitalité et de la fécondité des cultures africaines. Parfois, ils préfacent les écrits. Or qu'est-ce qu'une préface si ce n'est un moyen efficace, une clé permettant de passer par la grande porte ; un permis de se faire entendre, d'exister dans un monde hostile ? Ainsi, l'écriture africaine et nègre en général a pu être éditée dans les anciennes métropoles. Les écrivains avaient conscience d'appartenir à un corps nouveau. Ils étaient l'élite qui avait droit à la parole, qui pouvait dialoguer avec l'autre en utilisant son arme favorite : l'écriture. On comprend alors pourquoi certains ont franchi le pas qui sépare littérature et politique. Il y avait urgence à dire, à rétablir une vérité. Ils l'ont fait. Mais il y avait aussi urgence à agir et ils ont participé à l'action.

    En dehors de la lutte pour l'émancipation des noirs, l'écrivain vient à l'écriture pour exprimer ce malaise d'être " entre les eaux "[3], assis entre deux cultures. S'il a pu apprendre à être savant dans l'une, il regrette d'avoir été arraché à ses racines. " Le monde s'effondre "[4]. L'écriture devient donc ce lieu d'une tension extrême où se joue le drame d'un être en partance vers d'autres mondes qu'il n'a pas choisis. Il emporte dans ses bagages quelques images, quelques bribes de paroles qui ont du mal à se couler dans l'écriture, ce moyen d'expression avec lequel il pratique le corps à corps quotidien. Il a pris conscience, depuis longtemps, de ce que son " aventure est ambiguë "[5].

    Dans un premier temps, il pensait avoir été appelé pour témoigner et voilà qu'il découvre, chemin faisant, que le témoignage est une épreuve à traverser. Dès les indépendances intervenues dans les années soixante, il commence à déchanter. Il se pose la question de savoir si son grand rêve d'émancipation et de liberté n'était qu'une illusion. Les régimes politiques qui gouvernent l'Afrique serviront de réservoir inépuisable pour cette littérature qui cherche sa voie. En effet, la scène politique et toutes les tribulations qui s'y déroulent, restent, jusqu'à ce jour, un thème majeur sur lequel de nombreuses variations ont été écrites parmi lesquelles on retrouvent ces romans " de la rupture ", remarquables par l'utilisation de la langue française : Les soleils des Indépendances d'Ahmadou Kourouma ( Paris, Seuil, 1970) et La vie et demie de Sony Labou Tansi (Paris, Seuil, 1979).

    En moins d'un demi siècle, l'écrivain africain est passé de l'assurance d'une mission à accomplir, pour la collectivité, auprès des autres, le colonisateur notamment, à la recherche du sens d'un monde qui devient à ses yeux incompréhensible. Avec le temps, il a changé de visage, il s'est métamorphosé. Il devient insaisissable, plus solitaire que jamais. A un moment donné, il avait pensé pouvoir écrire pour le peuple. Mais le peuple, d'une manière générale, ne lit pas la langue d'écriture. Seuls ceux qui écrivent dans une langue nationale (comme au Congo démocratique ou au Sénégal par exemple) ont quelque chance de trouver un public averti. L'écrivain africain sait-il pour qui il écrit ? Peut-être devrait-il cesser de se poser cette question. Car le texte écrit, même dédié, est une bouteille à la mer. Il peut échouer sur n'importe quelle rive du monde, même " sur l'autre rive "[6] qu'il n'a jamais pensé pouvoir atteindre. De la même manière qu'il lui faut économiser du temps en contournant la question du public, de cette même manière, il doit continuer à écrire, le seul chemin qui fait de lui un écrivain à part entière non pas seulement " un écrivain africain ", car l'adjectif, ici, pourrait se révéler être un piège s'il n'y prend garde. Et les pièges sont nombreux, en la matière. Parfois, ils nous amènent à douter de la vérité de ce métier. Ils nous empêchent de reconnaître l'écrivain authentique parmi une pléiade de marchands de mots fabriqués de toutes pièces par quelque machine infernale qui impose ses lois qui sont celles du marché et son pouvoir dont les arcanes ressemblent étrangement à ceux du pouvoir politique.

4. Les chemins de la survie

    Il n' y a pas d'écrivain sans livre publié. Or, l'un des maux qui minent l'écriture, en Afrique, c'est l'édition et la circulation du livre. Mais publier suffit-il à maintenir l'écriture en vie ? Si l'écriture est un acte solitaire, elle se heurte au moment de sa création et en vue de sa réception par le public, à des impératifs qui peuvent la transformer en un monstre capable de dévorer son auteur. Dans ces conditions, en Afrique bien plus qu'ailleurs, nous sommes tous des docteurs Frankenstein en puissance[7].

    Dans un premier temps, les écrivains africains publiaient leurs livres dans les anciennes métropoles. En France et en Grande-Bretagne, quelques grandes maisons d'édition ont accepté leurs manuscrits. Mais dans le domaine de la publication, Présence Africaine a joué un rôle de premier plan. Elle publiait aussi bien des écrivains anglophones que francophones. D'ailleurs, la Revue utilisait couramment les deux langues. On peut donc dire que dans un premier temps, les écrivains ont pu disposer de quelques tribunes pour s'exprimer, pour s'organiser. C'est à ce moment-là, à la fin des années cinquante que les premiers congrès des écrivains africains se sont organisés, à Paris (Sorbonne, 1956), et à Rome (1959). Autour de Présence Africaine il y avait la Société Africaine de Culture. Là encore l'ambition était noble, les objectifs louables et rassembleurs : défendre et diffuser la culture des peuples noirs sans distinction de continent et de pays. L'Afrique était une avant d'être une mosaïque de peuples et de cultures. Elle s'étendait jusqu'aux Amériques en passant par les Caraïbes. Le Festival des Arts Nègres, organisé à Dakar en 1966, montre à quel point les dispositifs mis en place dans un premier temps avaient pour but la rencontre de la diversité : la littérature n'était pas séparée des arts, elle faisait partie intégrante de la culture. L'artiste ou l'écrivain savait que son discours lui appartenait même s'il avait quelque difficulté à se faire reconnaître. Après Dakar, le deuxième Festival n'a eu lieu qu'en 1977 à Lagos.

    Mais aujourd'hui, on peut se poser la question de savoir si l'écriture appartient vraiment aux Africains. Présence Africaine existe toujours. Après quelques années difficiles, elle semble se porter mieux. En Afrique, quelques maisons d'édition ont vu le jour. Mais la belle aventure unitaire des Nouvelles Editions africaines qui avait commencé en 1972 a pris fin en 1989. Elle a éclaté en trois morceaux à Dakar, à Abidjan et à Lomé[8]. Les écrivains continuent de se battre pour se faire publier. Le discours unitaire semble avoir volé en éclats. On vient de tel pays particulier, car l'Afrique est divisée en mille frontières. Et l'écriture elle-même reconnaît-elle sa parenté avec les autres formes d'arts ? Chacun prêche pour sa propre chapelle, livré à lui-même. Mais le hic, c'est qu'il n'y a même plus de chapelle du tout. Qui croit encore à l'efficacité de l'écriture ?

    C'est dans cette situation de fragilité extrême que quelques bonnes volontés tendent la main aux écrivains venant de " toutes les Afriques ". Des maisons d'édition se sont spécialisées dans la publication de leurs livres qui n'entrent dans le cadre d'aucune collection connue. L'écriture des Afriques se trouve ainsi reléguée dans la marge, soit sur le sol africain par des maisons d'édition filiales des maisons françaises qui ne les diffusent pas du tout, soit dans des réserves ou dans les caves des maisons spécialisées en " écritures noires "[9]. Le combat pour la survie devient un combat individuel pour la conquête d'un marché. C'est ici précisément que notre propre discours peut nous échapper, entrer dans le cadre de grilles préétablies par un éditeur, une idéologie, une volonté politique. En Afrique, si un écrivain fait partie des proies sur lesquelles veille le pouvoir politique en vue d'une récupération à la moindre occasion favorable, il nous appartient d'ouvrir l'oeil sur tous les autres dangers qui nous menacent de mort. A commencer par les désirs des éditeurs et les intérêts des puissances politiques ou économiques qui oeuvrent autant que faire se peut pour la balkanisation des écritures. Mais un éditeur peut acheter une oeuvre qu'il décide de publier, doit-il acheter, aussi la conscience d'un écrivain ? Qui doit décider pour qui nous devons écrire ? Qui doit décider quels sujets nous devons traiter et de quelle manière ? Voilà quelques-uns des pièges, véritables dispositifs, mis en place (par qui, je me le demande ) pour fabriquer des " écrivains africains ", ce qui signifie, en toute rigueur, soit sous-littérature acceptable malgré tout, soit produit de consommation courante, vendable à grande échelle, reconnaissable à la " couleur locale " mais universellement reconnue. Nous prenons part à ce jeu, qui flatte notre volonté de puissance. Mais demain nous attend au détour du chemin où le temps fait la différence entre ce qu'il consomme et ce qu'il fait passer du côté de l'éternité.

    Or nous devons continuer à écrire malgré les adversités qui se multiplient. Nous devons continuer à écrire contre vents et marées. Si, en Afrique bien plus qu'ailleurs, la réalité nous livre une concurrence déloyale parce qu'elle fabrique de la fiction sous nos yeux étonnés, nous avons le devoir de relever le défi en affûtant des armes imprenables. Et il ne nous reste que les mots, d'une langue ou d'une autre, peu importe. Ce sont nos seuls bagages qui nous permettent d'effectuer ce voyage mémorable jusqu'aux rives de demain. Si les mots de la langue sont le lot de tous les utilisateurs de cette langue, il appartient à l'écrivain de la remplir avec son imaginaire plein de mémoire et d'oublis. Seul le mot nous sert de passeport pour ouvrir le chemin. Nous le transformerons en images, nous le forgerons en musiques et en rythmes afin qu'il devienne véritablement le pays dont nous rêvons. Le pays que nous pouvons traverser sans visa. Un véritable univers qui ne tombe pas du ciel, qui advient au jour à force de travail et de persévérance. Seule une nécessité intérieure, peut nous pousser à aller jusqu'au bout.

    Je me souviens de ce conseil mémorable de Henri Lopes, un jour de 1985 dont il ne se souvient plus. J'étais allée le voir à son bureau, à l'UNESCO. A l'époque, je venais de commettre ma première plaquette de poésie. Il m'a dit : " avez-vous lu les Lettres à un jeune poète de Rilke ? ". J'avais lu ce livre, quand j'étais en Khâgne dix ans plus tôt. Mais j'avais dû le ranger quelque part dans une bibliothèque. J'ai racheté le livre et je l'ai relu. Cette année, j'ai rencontré une jeune romancière française qui a dédié son premier roman à Henri Lopes qui lui avait, un de ces jours recommandé la lecture des " Lettres à un jeune poète ". Ces centaines de jeunes auteurs à qui ce livre a pu être conseillé au détour d'une conversation ont appris une chose essentielle. En matière d'écriture, seule compte la " nécessité intérieure "; tout le reste renvoie à la littérature qui flatte notre volonté de puissance, quelle que soit la nationalité d'un auteur.

    Cette nécessité intérieure n'est autre que la manifestation de ce que nous savons et de ce que nous ne savons pas, de la vie, du monde. Ce qui reste incompréhensible quand toutes les sciences ont dit leur vérité, quand toutes les religions nous ont invités à prier. Voilà pourquoi l'écrivain africain ressemble à Mandala Mankunku, le héros du Feu des origines d'Emmanuel Dongala[10]. Il traverse tous les savoirs, depuis celui de ses ancêtres jusqu'à ceux, de pointe, dont il ne pouvait pas soupçonner l'existence. Ainsi, l'écriture portée par cette nécessité peut survivre quels que soient les dispositifs mis en place pour l'enfermer, quels que soient les murs qui l'écoutent, comme dans le cas des récits de Khadidja dans le Cavalier et son ombre.[11] Elle est plus résistante que la réalité parce qu'elle a plus de ressources, plus d'une corde à son arc qui n'est pas seulement un instrument de musique. Elle peut traverser toutes les guerres, à l'instar de ceux qui ont le don de se rendre invisibles. Elles pourrait atteindre la perfection dans l'invisibilité. Car être invisible n'est nullement une tare comme le montre ce récit lumineux de Ben Okri : Astonishing the gods.[12] Oui, étonner tous les dieux de la terre et du ciel, c'est à cette condition que nous serons responsables devant demain.

    Notes

    [1] Comme le montre, entre autres Jack Goody dans Entre l'oralité et l'écriture (The interface between the written and the oral), Cambridge University Press, 1993 ; trad. Française, Paris: PUF, 1994

    [2] Dans ce cas précis, le porte-parole ne transmet pas la parole d'un groupe social. Il est le messager de quelque puissance qui le pousse à aller jusqu'au bout du processus de création.

    [3] Titre d'un roman de VY Mudimbe, Paris: Présence Africaine, 1973

    [4] Titre d'un roman de Chinua Achebe, (No longer at ease) trad.française, Paris: Présence Africaine, 1973

    [5] Titre d'un roman de Cheikh Hamidou Kane, Julliard, Paris, 1961

    [6] Titre d'un roman de Henri Lopes, PARIS: Seuil, 1992

    [7] Le personnage créé au début du siècle dernier par Marie Shelley continue de hanter tous les esprits (cf. Dominique Lecourt, Prométhée, Faust, Frankestein, les fondements imaginaires de l'éthique Paris: Synthélabo Groupe, 1996

    [8] Aujourd'hui existe à Lomé NEA Togo, en Côte d'Ivoire les Nouvelles Editions Ivoiriennes (NEI) et à Dakar les NEAS (Nouvelles Editions Africaines du Sénégal).

    [9] Comme nous le disions déjà en 1988 cf Notre Librairie, ndeg. spécial " au-delà du prix Nobel ", article " l'écrivain et le pouvoir "

    [10] Paris: Albin Michel, 1987

    [11] Paris: Stock, 1997

    [12] Traduction française : Etonner les dieux, Christian Bourgois, Paris, 1997

    LIRE EGALEMENT
    Carnet de route de Tanella Boni

    Tanella Boni est écrivain, philosophe et professeur de philosophie à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de Cocody (Côte d'Ivoire). Elle a publié de très nombreux articles érudits et elle se passionne pour la peinture et les Arts plastiques. Son oeuvre littéraire comprend plusieurs romans, des recueils de poésie et des livres pour les enfants.
    Tanella Boni vient de publier un nouveau recueil de poésie (enrichi de trois Encres du peintre Jacques Barthélémy) : Il n'y a pas de parole heureuse. 5 rue du Pont, 87110 Solignac (France): Le bruit des autres, 1997. ISBN 2-909468-52-6.


    Professeur


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01 février 2006

Afrique: Les causes de la soumission volontaire 3

Dans la quête de la réponse à cette question, je viens vous livrer un texte qui parle de la mystique du pouvoir. En effet à entendre les Africains, si les dictateurs maison sont en place c'est parce que ces derniers ont des pouvoirs surnaturels qui leur permettent de dominer, voilà une première réponse à la grande question de Hannah Arendt. La réponse de Hannah Arendt qui s'inscrivait elle dans le discours sur la servitude volontaire se trouve confortée. Les opprimés sans le savoir ont accepté leur condition. Il nous s'agit de voir comment on aboutit à la soumission volontaire.

Le texte du Docteur Mohamed Chaouki Zine, que je vais vous donner à lire, que j'approuve vous éclairera sur cette composante du pouvoir. A la prochaine livraison je viendrais illustrer ce texte, je compte sur vous pour m'en envoyer. Je vous souhaite bonne lecture.

" Mystique et mystère du pouvoir, Michel de Certeau et Michel Foucault "

Par: Dr. Mohamed Chaouki Zine

Trois notions s'imposent et nécessitent une analyse approfondie. Il s'agit de " mystique ", " mystère " et " pouvoir ". Y a-t-il un rapport étroit entre ces notions ou bien s'agit-il simplement d'une quête impossible de trouver un lien plus ou moins implicite ?

La question consiste, en effet, à délimiter les termes pour bien élucider les rapports conceptuels, les transpositions possibles et les implications réciproques. Michel de Certeau (1925-1986) et Michel Foucault (1926-1984) sont deux historiens bien connus dans la pratique historienne. Le premier dans l'histoire des croyances et, généralement, la mystique et le second est de discerner la production du discours par l'élaboration des pratiques non discursives à travers chaque période épistémique. Le premier, membre de l'école freudienne fondée par Jacques Lacan, s'intéresse aux stratégies des institutions du pouvoir en parallèle avec les arts de faire tacticiens. Il est, par ailleurs, l'architecte de l'énoncé mystique. Le second, un simple " lecteur " disait à ceux qui cherchaient vainement à lui assigner une place dans l'institution de l'ordre. Il n'a pas cessé de mettre en valeur sa philosophie du possible " Comment et jusqu'où il serait possible de penser autrement ?". Il s'intéresse, plutôt, à l'ensemble des procédures qui produisent le discours sur la folie, la prison, le sexe, le pouvoir au moment de l'élaboration théorico-pratique du savoir occidental. Qu'est-ce que la mystique ? Qu'est-ce qu'on entend par pouvoir ? Y a-t-il un rapport de type " mystérieux " qui les caractérise ? Par quel moyen et pour quel but les initiations mystiques et les dispositifs du pouvoir se forment-elles et se donnent à voir ? La mystique, selon Michel de Certeau, est liée à la voix, à la parole ou à la fable (1). Elle est la science de la seule probabilité de l'autre ou, mieux dire, une " mysticologie " de croire à l'autre et à l'altérité, anonymes et imprévisibles. Devient mystique, celui qui se détache de l'institution. Mais comme nous allons voir, la sphère de la mystique est structurellement et fonctionnellement identique à celle de l'institution. Il s'agit d'une pratique exercée sur le corps afin d'avouer son secret (d'où l'étymologie de " mystique " qui se rapporte au " mystère " et au " secret ") sous la torture et les pratiques de l'exclusion (comme le cas du corps interné tel que Foucault avait si bien analysé).

L'espace et l'enjeu du visible

L'organisation de l'espace comme instrument utilisable pour discipliner et assujettir les corps donne aux dispositifs du pouvoir leur raison d'être. Foucault montre les fonctionnements d'un pouvoir opaque et omniprésent dans chaque énonciation, c'est-à-dire l'acte de sujet à l'insu de son énoncé ou, selon le mot si cher à de Certeau, " arts de faire " stratégiques et tacticiens détournés et transposés par les ruses de la masse. Le pouvoir est partout là où l'acte épuise son énergie d'actualisation et de mouvement. Il n'est ni hiérarchique ni diagonal impliquant ainsi un dominant et un dominé, mais plutôt machinal, voire aléatoire qui fonctionne grâce à sa capacité de distribuer, classer, analyser et individualiser dans l'espace tout objet donné. Foucault isole le geste reproduit de son cadre discursif afin d'organiser l'espace visible pour qu'il soit un réseau de contrôle individuel et collectif. La répétition permanente et rythmique (2) des procès qui amplifient et perfectionnent le geste, organisent par ailleurs le discours qui articule la naissance de ce qu'on appelle " les sciences humaines ". Cette articulation est l'effet d'une organisation rationalisante qui a caractérisé l'âge des Lumières (Aufklärung), c'est-à-dire les processus de la rationalisation de la société et les rapports étroits entre les divers expériences comme la folie, la mort, le crime et la sexualité et les diverses technologies du pouvoir. Foucault décrit dans un texte suggestif la généalogie du pouvoir pastoral caractérisé par la métaphore Berger-Troupeau. La relation entre le pasteur et son troupeau et foncièrement d'affinité et de contrôle. Le pasteur rassemble, guide et conduit son troupeau dont la préoccupation est de connaître le troupeau dans son ensemble et en détail. Il s'agit de dévouement pour le pasteur, car tout ce qu'il fait, il le fait pour le bien de son troupeau. Le pouvoir pastoral suppose donc une attention individuelle et singulière à chaque membre du troupeau. La relation exprime, en effet, la soumission du multiple (les brebis) à l'un (le berger). La conception chrétienne développe l'idée selon laquelle le pasteur doit rendre compte non seulement de chacune des brebis, mais aussi ses actions les plus infimes et ses intentions les plus intimes. Ce n'est pas uniquement le rapport externe et dans les limites du visible entre le pasteur et ses brebis, mais aussi la capacité du premier de deviner le secret de chaque membre du troupeau (une conséquence morale concernant les péchés et le repentir). Ceci suppose une relation de dépendance individuelle et complète entre le pasteur et ses brebis. Bien que cette métaphore montre lucidement la formation généalogique du pouvoir pastoral, elle met particulièrement l'accent sur l'art de gouverner. D'où les études qui ont été esquissées aux XVIII et XIX siècles dans le dessein de théoriser " la raison d'Etat ". L'art de gouverner comme tâche séculière prend pour modèle l'arrière-plan sacré de la relation Dieu-Créature. La police (entendons par là une technique de gouvernement propre à l'Etat, des domaines, des techniques et des objectifs qui impliquent l'intervention de l'Etat) veille au " vivant " et s'occupe de la religion ou la qualité morale de la vie. Foucault considère les " sciences de la police ou la politique " (Polizeiwissenschaften) à la fois comme art de gouverner et une méthode pour analyser une population vivant sur un territoire. Il y a tout un réseau de pratiques de pouvoir qui font que le " Pouvoir " n'est pas une substance ou une réalité métaphysique, mais bel et bien un mode particulier de relations entre individus.

Comme nous l'avons vu, le pasteur veille lorsque ses brebis sommeillent. Il est omniprésent et omnipotent dans l'image et l'imagination de son troupeau. Son ?il ne cesse de contrôler et surveiller les actes et les conduites de cet ensemble bien discipliné et codifié. La rationalisation du pouvoir à l'âge des Lumières est indissolublement liée à la découverte de l'optique qui a suggéré à Jérémie Bentham l'idée d'un modèle " panoptique " dans les prisons dont le but consiste à voir et contrôler sans être vu. Michel de Certeau écrit : " derrière " le monothéisme " des processus panoptiques dominants, nous pourrions soupçonner l'existence et la survie d'un " polythéisme " de pratiques disséminées ou cachées, dominées mais non effacées par le triomphe historique de l'une d'elles " (3). Les microtechniques fournissent non seulement le contenu du discours élaboré et savamment mis en ?uvre, mais aussi le procès de son avènement. Autrement dit, le champ du visible comme espace de contrôle et de vision dans lequel le savoir puisse prendre forme, sert à formuler le champ du dicible ou le réseau discursif sans se confondre avec lui. C'est dire le champ d'opérations dans lequel une théorie des pratiques du pouvoir serait possible. Comme le constatent Michel Foucault et Gilles Deleuze dans un entretien sur le rapport théorie-pratique, la théorie est souvent locale, relative à un domaine précis et elle peut avoir son application dans un autre domaine. La pratique, quand à elle, est un ensemble de relais d'un point théorique à l'autre. Tout à fait comme la théorie qui se veut un relais d'une pratique à l'autre. Foucault et Deleuze s'entendent sur le fait que la théorie " est " une pratique par excellence. De son côté, Michel de Certeau se pose les problématiques suivantes : comment le discours fait-il place à ce dont il parle ? En est-il altéré ? Comment est-il à son tour marqué par ce qu'il cherche à présenter/produire ? Il constate que le discours doit être analysé comme pratique, c'est-à-dire la relation que la production du discours puisse entretenir avec l'organisation du pouvoir. Le discours va ainsi de vision en vision. La visibilité transforme, en effet, l'espace en opérateur de pouvoir à travers lequel le visible demeure le champ de nouveaux jeux de pouvoir et enjeux de savoir. Il ne s'agit plus de question des acteurs (des énoncés), mais des actions (des énonciations), non plus de personnages, mais des " opérations " et des relations. C'est ainsi qu'apparaît le labyrinthe de manières de faire ou d'usages, pratiques du langage, pratiques de l'espace, etc. par une mobilisation protocolaire établissant ainsi une stylistique des pratiques quotidiennes. à suivre

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Notes :
(1) Michel de Certeau, " Mystique et psychanalyse ", in " Michel de Certeau ", sous la direction de Luces Giard, Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, Paris, 1987, p.183-189.
(2) La notion de structure est liée à la notion du " rythme " (Gr. " ryth " qui signifie " fluctuation " et " mos " qui veut dire " durée ") et qui signifie le retour périodique de la même chose.
(3) Michel de Certeau, Histoire te psychanalyse entre science et fiction, folio/essais, Gallimard, 1987, p.42

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