A la Une du N° 249
d'
Afrique Express

Madagascar

A Dakar, on a voulu sauver le capitaine des eaux
en oubliant les matelots

Bien naïfs ou peu au fait de la réalité malgache, le monde de la diplomatie qui a applaudi des deux mains après la signature, à Dakar, le jeudi 18 avril, d’un accord entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana, accord censé tracer la voie à un règlement pacifique de la crise politique malgache qui dure depuis le premier tour de l’élection présidentielle du 16 décembre dernier.
“Succès diplomatique sénégalais”, ont titré les agences de presse. Le président français Jacques Chirac a adressé dans l’euphorie ses “plus sincères compliments” à son homologue sénégalais Abdoulaye Wade. La présidence espagnole de l’UE a estimé quant à elle que “les résultats obtenus sont conformes aux objectifs de l’Union européenne: recherche de la paix civile, respect des principes démocratiques et solution politique à la crise”. Enfin, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a crû bon de qualifié cet accord de Dakar de “pas majeur vers la résolution de la crise politique”.
Avec ses homologues Joaquim Chissano (Mozambique), Omar Bongo (Gabon), Mathieu Kérékou (Bénin) et Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), et sous l’égide de l’OUA, Abdoulaye Wade avait entrepris une médiation ayant abouti à un accord prévoyant la mise en place d’un “gouvernement de réconciliation nationale de transition”, si personne n’avait obtenu la majorité absolue lors du premier tour de la présidentielle après un nouveau décompte des voix. Dans ce cas, un référendum devait désigner le président de Madagascar dans les six mois.
Une clause verbale et secrète prévoyait aussi que M. Ravalomanana ne serait pas proclamé président immédiatement et qu’un gouvernement de transition, composé par les deux camps à parité, organiserait le référendum pour départager les deux rivaux. Cette “réconciliation” engagée, M. Ratsiraka se serait alors retiré “honorablement” de la course, toujours selon la clause secrète.
Dans l’article 5 du texte écrit, les deux rivaux s’engageaient “dès la signature du présent accord, à faire respecter la liberté de circulation des biens et des personnes, l’arrêt immédiat de toutes les menaces et violences sur les personnes et les biens, le dynamitage des ponts, ainsi que la levée de tous les barrages sur toute l’étendue du territoire national”.
La lettre de l’accord prévoyait donc la levée, “dès sa signature”, des barrages routiers érigés par le camp Ratsiraka depuis plus de deux mois pour asphyxier économiquement la capitale, et la fin des violences contre les pro-Ravalomanana dans les provinces.
Ces deux clauses n’ont jamais été respectées. Pourquoi ? C’est peut-être la question essentielle sur laquelle devrait se pencher la communauté internationale.
En négociant uniquement une “sortie honorable” au président Ratsiraka, l’OUA, Wade et consorts, ont oublié de s’intéresser à toute une classe politique affairiste qui n’a vécu jusqu’à présent que par les prébendes d’un pouvoir auquel elle s’accroche. A Dakar, on a voulu sauver le capitaine des eaux en oubliant les matelots.
Résultat, les “Ratsirakistes”, qui sont en fait de plus des électrons libres et qui s’agitent pour leur propre survie, n’ont pas bougé d’un pouce, n’étant pas concernés par l’accord de Dakar. Aucun barrage économique n’a été levé, car c’est la seule arme qui leur reste pour peser encore sur le cours de l’histoire et se faire entendre.
Dans ce contexte, le gouvernement de Jacques Sylla, le Premier ministre nommé par Marc Ravalomanana, a eu beau jeu de faire fi lui aussi des autres clauses de l’accord de Dakar, notamment celle qui prévoyait la mise en place d’un gouvernement mixte.

La communauté internationale n’a aucune emprise sur les gouverneurs de province qui refusent d’admettre la légitimité de Marc Ravalomanana, comme elle n’en n’a pas plus sur les nouveaux tenants du pouvoir à Antananarivo. Marc Ravalomanana ne connaît personne - aucun chef d’Etat africain ne compte parmi ses amis -, et surtout ne doit rien à personne. Il n’a pas d’ascenseur à renvoyer, pas de promesses à tenir. Idem pour l’armée malgache, qui pour l’heure n’a d’autres préoccupations que sa survie. Les généraux malgaches n’ont rien à attendre de la communauté internationale, ils n’ont guère de relations qu’avec le pouvoir politique malgache et le monde des affaires locales. Leur choix restera surtout dicté par la tranquillité de leur carrière qu’ils pourront préserver ou non.


Que peut faire la communauté internationale ? Rien. Des pressions économiques ? La bonne blague. Le pays vivait déjà en temps normal dans un état de quasi pauvreté généralisée, et depuis les blocus intérieurs, la population vit en état de nécessité absolue. Que l’on se trouve dans la province d’Antananarivo ou que l’on vive dans les provinces sous contrôle des partisans de Didier Ratsiraka, la crise est la même. Ici on manque d’essence, là-bas de légumes, ici de travail, là-bas de salaires. Ici, l’on fabrique, on produit mais on ne vend rien. Des pressions sur les “nouveaux dirigeants” ? Ont-ils eu seulement le temps d’avoir gagné quelque chose à ne pas perdre vu l’état de délabrement du pays ?
Cette situation quasi inextricable, sur laquelle bien peu de monde a prise, n’augure pas de jours tranquilles. On ne voit pas à l’horizon d’autres voies que celle de la force. Sauf à être désavoué par la population qui l’a porté au pouvoir, Marc Ravalomanana n’a guère d’autre solution que de faire sauter en force les barrages qui quadrillent maintenant tout le pays. Ces barrages sont déjà en eux même l’expression d’un choix de la violence. Outre leur aspect paralysant pour la vie économique, ils sont aussi des symboles de la supposée force des gouverneurs de province. Les populations des provinces d’Antsiranana, de Toamasina, de Toliara et de Mahajanga demeurent comme paralysées, coupées qu’elle sont du pouvoir politique basé à Antananarivo. Qui leur viendra en aide si d’aventure les sympathisants de Ravalomanana tentaient de manifester dans ces provinces ? Et pourtant, les résultats du premier tour démontrent à l’envi que Didier Ratsiraka fut loin d’avoir obtenu une majorité écrasante, voire une majorité simple, dans ses supposés fiefs provinciaux. Dans la ville d’Antsiranana (Nord), M. Ratsiraka a bien emporté la majorité des suffrages mais dans la province du même nom, les deux candidats étaient au coude à coude. Dans celle de Toamasina, le fief électoral de M. Ratsiraka, l’amiral a obtenu une majorité confortable mais dans les quatre autres provinces, M. Ravalomanana était largement en tête.
Le lundi 29 avril, dix jours après la signature de l’Accord de Dakar, le secrétaire général de l’OUA, Amara Essy, en dénonçant la proclamation, la veille, de Marc Ravalomanana comme président de Madagascar par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), a résumé l’embarras de la communauté internationale. La décision de la HCC “pourrait porter préjudice à la gestion de la mise en œuvre de l’accord de Dakar”, a déclaré Amara Essy, invoquant “l’esprit et la lettre”.
“Pourquoi, alors, avoir cautionné l’article premier dudit accord ? Pourquoi ne pas avoir écrit tout de suite un référendum «est» organisé...?”, s’est insurgé le quotidien Midi Madagasikara. Le journal a dénoncé aussi la “position très ambiguë” de M. Essy, “qui, au nom d’une institution internationale, semble semer le doute devant un accord qu’elle a pourtant cautionné”. “A la lumière de la déclaration de M. Essy, on est amené à croire que l’accord de Dakar, dans sa forme rendue publique, n’était qu’un leurre pour le peuple malgache. L’OUA s’attendait-elle à ce que la HCC puisse altérer la vérité pour permettre à M. Ratsiraka d’assouvir ses caprices?”, a encore écrit Midi Madagasikara.
De fait, pourquoi avoir proposé dans l’accord de Dakar un nouveau décompte des voix du premier tour effectué par la HCC si c’était pour lui dénier aussitôt toute valeur. Si le problème est tant la crédibilité de cette Haute Cour Constitutionnelle, pourquoi ne pas avoir proposé dans l’accord de Dakar, un décompte des suffrages par une instance extérieure et neutre ? Et enfin, qui de la levée des barrages ? Suite à cette réaction d’Amara Essy, le quotidien indépendant Tribune n’a pas manqué de mettre l’accent sur l’impuissance de la communauté internationale à imposer à M. Ratsiraka la levée des barrages, une exigence à laquelle il devait se plier “dès la signature” de l’accord de Dakar, selon la lettre du même accord.
RJ L.

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N° 249 du 6 mai 2002


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