Yann Gunzburger Nicolas Zornette Elèves de deuxième année Axe terrain Ecole des Mines de Nancy Rapport de semaine départementale mars 2000 1°) Le Barrage à Malpasset : une aubaine pour Frejus ? Depuis 2 000 ans, Fréjus (cité du Var, au confluent de lArgens et du Reyran) a toujours dû faire face au problème vital de l'obtention d'eau. Les Romains, en leur temps, s'étaient déjà vus contraints d'entreprendre la construction d'un aqueduc long de 40 kilomètres (dont persistent aujourdhui quelques vestiges) pour fournir aux habitants de Fréjus une eau pure et abondante. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l'équipement hydraulique était toujours au premier plan des soucis des responsables de la région. Le manque deau, notamment l'été, se faisait cruellement ressentir, et cette pénurie devenait chaque année plus sensible, augmentant avec la poussée démographique et la croissance des afflux touristiques. De plus, la vallée de Fréjus étant fertile, on se devait de donner à lagriculture locale les moyens de se développer. [Image16.jpg] Les besoins en eau potable, les nécessités dirrigation, le désir de lutter contre les incendies de forêts ravageurs et de mettre un terme aux inondations régulières occasionnées par le Reyran dans la plaine de Fréjus sont autant de raisons qui conduisirent le Ministère de lAgriculture à approuver, le 3 août 1950, la construction dun barrage sur ce cours deau, au lieu-dit " Malpasset ". La construction fut confiée à un bureau détudes réputé pour être l'un des plus grands dans cette spécialité. Le site ressemblait à celui de bien dautre barrages : la vallée du Reyran est étroite et ses flancs sont raides. Le barrage voûte paraissait donc particulièrement adapté. Aucun trait morphologique nattira lattention. Le terrain (gneiss et micaschistes avec des filons de pegmatite) ne présentait pas de faille visible. Les forages ne révélèrent rien non plus. Louvrage, achevé en 1954, était pleinement réussi, tant sur le plan technique que sur le plan architectural. Le Barrage de Malpasset était du type "voûte mince". D'une hauteur de 66 mètres, son arc se déployait en crête sur près de 225 m. L'épaisseur de la voûte au sommet de l'édifice, ne dépassait pas 1.5O m, et en faisait à lépoque le barrage le plus mince dEurope. La capacité totale de retenue était de l'ordre de 5O millions de m^3, dont 25 millions utilisables. 2°) La rupture catastrophique Décembre 1959. Des pluies exceptionnelles sabattent sur toute la Côte dAzur depuis plusieurs jours. Le niveau de leau dans la retenue du barrage monte rapidement. Des fuites deau sont observés dans des rochers à quelques mètres en aval du barrage. Mais pour ne pas gêner les travaux de lautoroute Marseille-Nice qui se déroulent alors à 1 km à peine en aval, lexploitant décide de laisser le réservoir se remplir plutôt que douvrir les vannes pour atténuer la crue. [Image17.jpg] [Image18.jpg] Photos dépoque : le barrage brisé les rails [Image19.jpg] 2 décembre. 21 h13. Une série de déflagrations d'une violence inouïe retentit dans la vallée du Reyran. Le Barrage de Malpasset vient de céder libérant une masse d'eau gigantesque qui se dirige vers la vallée. Une vague de près de 5O m de haut se rue vers les premiers obstacles, détruisant tout sur son passage. 21 minutes plus tard, un front encore haut de plusieurs mètres atteint Fréjus et balaie presque toutes les habitations. Illustration de lénormité des blocs charriés par la vague Ce soir là, la ville est mortellement blessée. Le bilan est très lourd : plus de 400 morts, des milliards de Francs de dégâts. Les terres agricoles sont totalement dévastées. 3°) Les causes du sinistre On a très vite compris que le béton de la voûte nétait pas responsable de laccident, ni dans son calcul, ni dans sa réalisation : cest le terrain de fondation qui a lâché. Restait à savoir pourquoi. Un mois fut nécessaire pour établir un premier bilan ; huit ans, pour définir les véritables causes de la catastrophe. Comme pour beaucoup dautres accidents rares, ce sont en fait plusieurs caractères indépendants qui se sont trouvés réunis : * Pour le terrain de fondation : [Image20.gif] * La foliation bien développée du massif rocheux a permis louverture dimportantes fractures, en particulier sur la rive gauche, où elle était sub-verticale et tangente à la voûte. En effet , lorsquun barrage est rempli, leau le pousse vers laval. Ce déplacement entraîne le terrain de fondation de façon sensible, mais pas le terrain située en amont (faute dune résistance suffisante à la traction de la roche). Ce phénomène, négligeable dans le cas des barrages épais car il se répartit sur toute lépaisseur, à été particulièrement important à Malpasset, dautant plus que la roche était exceptionnellement déformable (près de 10 fois plus que pour les autres barrages du même type, celle de Tignes représentant le cas idéal dune roche encaissante dexcellente qualité). * Une faille rive gauche (non repérée lors des études préliminaires) délimitait un bloc rocheux de grand volume qui est tombé vers laval sous la poussée de leau de la retenue. Cette chute, facilitée par les phénomènes de sous-pression (poussée dArchimède), a été rendue plus dramatique encore par le fait quelle supportait la culée qui avait été placée sur la rive gauche pour maintenir la voûte du barrage, dont lassise était incertaine. Un tunnel fut creusé au niveau de la culée rive gauche pour étudier la faille et les caractéristiques du terrain. [Image21.jpg] * La perméabilité du terrain était particulièrement sensible à la compression, ce que personne navait remarqué lors de la construction. Cette caractéristique a sans doute joué un rôle important dans la rupture du barrage : le terrain de fondation est naturellement parcouru par des circulations deau du simple fait du fort gradient hydraulique qui existe entre la retenue à lamont et le cours deau à laval. Mais dans le cas qui nous préoccupe, cette circulation a été rendue impossible par la formation dune barrière imperméable dans les zones de compression engendrées par la poussée de la voûte. Toute la pression hydraulique sest donc concentrée à ce niveau, accentuant linstabilité de louvrage dans son ensemble. Ce facteur navait pas été pris en compte lors de la construction. Pourtant, on avait pris conscience depuis la rupture du Barrage de Bouzey (Vosges) en 1895 que leau nexerce pas seulement sa poussée sur la face amont du barrage, mais quelle sinfiltre également dans les joints de la maçonnerie et sous louvrage, mettant ainsi dangereusement en cause sa stabilité. * Pour les conditions particulières dexploitation : * Le remplissage très rapide des 4 derniers mètres du barrage (en 24 h) a opéré un véritable effet de choc sur la structure de ce dernier. Louvrage aurait sans doute pu résister à une montée lente du niveau de leau, entrecoupée de paliers, comme cest lusage pour le premier remplissage de tous les barrages. Seulement, les terrains qui devaient être submergés navaient pas été achetés en totalité, si bien que le niveau normal de remplissage navait jamais été atteint avant que les pluies diluviennes du mois de Décembre 1959 ne provoquent une crue inhabituelle et subite du Reyran. * Le Barrage de Malpasset ne faisait lobjet daucune surveillance particulière, ni de la part du bureau détudes responsable de sa construction, ni de la part daucun organisme public. Ainsi, bien que des mesures de déplacement de la voûte aient été effectuées régulièrement, elles nont jamais été dépouillées et sont restées méconnues. Elles mettaient pourtant en évidence des déformations de grande amplitude qui laissaient supposer un comportement anormal du terrain de fondation et présageait dune rupture imminente, comme la montré plus tard la commission denquête ministérielle sur la rupture du barrage. 4°) Une révolution dans les esprits La rupture catastrophique du barrage de Malpasset a provoqué dans le monde entier une remise en cause systématique des pratiques en vigueur et a donné un coup de fouet à la recherche en mécanique des roches. Elle fût notamment à lorigine de la création du Comité Français de Mécanique des Roches (CFMR) que préside aujourdhui Jack-Pierre PIGUET. Les auscultations traditionnelles du corps de barrage furent dès lors étendues à leurs fondations que lon supposait à tort indéformables, au moyen de pendules inversés (fils tendus vers le haut par un flotteur, par analogie avec les fils à plomb). Plusieurs projets de barrage en béton furent même remplacés par des remblais (le Barrage de Saint-Cassien, par exemple). Enfin, un soin nouveau fut apporté aux voiles dinjection et aux voiles de drainage. Le problème des sous-pressions nen demeure pas moins le principal danger pour les barrages sur rocher, surtout lorsquil existe des surfaces de discontinuité étendues. Si la plupart des accidents interviennent lors du premier remplissage, les moyens de surveillance désormais mis en uvre devraient permettre de déceler une rupture en temps opportun pour alerter les populations menacées. 5°) Les autres ruptures de barrages Le barrage de Malpasset nest malheureusement pas le seul cas de rupture ou déboulement de barrages. Les causes ne sont évidemment pas les mêmes mais, dans le monde entier, des barrages se sont effondrés causant la mort de nombreuses personnes. Voici une liste des ruptures ou éboulements de barrages : * Argentine 1970 4-1 100 morts Mendoza * Brésil 1960 28-3 1000 morts LOros * Chine 1993 27-8 +240 morts province de Qinghai * Colombie 1972 25-2 60 morts Foledon * Corée du Sud 1962 28-10 163 morts Sunchon * Espagne 1802 608 morts 1959 9-1 144 morts Wega de Fera * Etats-Unis 1874 16-5 144 morts Williamstown (Massachussetts) 1889 31-5 2204 morts Johnstown (Pennsylvania) 1928 13-3 ~700 morts Saint Francis (California) 1972 26-2 +450 morts Logan (Virginia) 1976 7-6 140 morts Teton (Idaho) * France 1895 27-4 87 morts Bouzey (Vosges) 1959 2-12 423 morts Malpasset (Var) * Angleterre 1864 12-3 250 morts Sheffield * Inde 1979 11-8 ~30000 morts Machhu * Indonésie 1967 27-11 160 morts Kebumen * Italie 1923 1-12 600 morts Gléno 1963 9-10 2118 morts Vaiont 1985 19-7 264 morts Tesero * Ukraine 1961 13-3 145 morts Kiev Le barrage de Johnstown Le premier juin 1889 au matin, les Américains ont entendu aux informations que Johnstown en Pennsylvanie avait été dévasté par le plus grave déluge de lhistoire des Etats-Unis. Plus de 2200 personnes sont décédées et bien plus encore sont sans abris. Johnstown est en 1889 une ville de lindustrie de lacier. Avec une population de 30000 habitants, essentiellement des Allemands et des Gallois, la ville sagrandit et est connu pour la qualité de son acier. Il ny a quun seul petit inconvénient à habiter à Johnstown : la ville a été construite sur une plaine dinondations à la fourchette des rivières Little Conemaugh et Stony Creek. Pour gagner de lespace constructible, les rives des rivières ont été réduites si bien que les averses importantes de lannée ont causé des inondations toujours croissantes. [Image22.jpg] Mais il y avait une chose encore plus inquiétante. A une vingtaine de kilomètres en amont de la rivière Little Conemaugh, un lac de 5 km de long 140 m plus haut que la ville - était retenu par le vieux barrage South Fork. Le barrage a été piètrement entretenu et, à chaque printemps, on se demandait si le barrage allait tenir. La crainte fut finalement au fil des années sujette à railleries. Mais à 16h07 le 31 mai 1889, les habitants ont entendu un sourd grondement. Ils ont su immédiatement que cétait le barrage qui venait de céder après une nuit daverses continues. 20 millions de tonnes deau ont déferlé sur la vallée étroite. Emportant dénormes débris, la vague atteint la hauteur de 18 m et la vitesse de 65 km/h rasant tout sur son passage. [Image23.jpg] Tout sest déroulé en 10 minutes. Beaucoup de corps nont jamais été identifiés, des centaines de personnes ont disparu. Lopération de nettoyage dura des années et des corps furent trouvés des mois (voire des années) après le déluge. La ville mit 5 ans à renaître. Après la catastrophe, la plupart des survivants mirent en cause les membres du club de chasse et de pêche de South Fork. Ils avaient acheté le réservoir abandonné et avaient ensuite élevé le niveau du lac. Aucune poursuite judiciaire ne fut menée contre les membres du club pour leurs fautes et les morts occasionnées par le désastre. Les barrages en Inde Daprès un rapport dune organisation de lenvironnement, International Rivers Network, la majorité des barrages en Inde ne sont pas aux normes standards. Sur 25 barrages étudiés, il est reporté quaucun dentre eux nest conçu pour retenir la quantité deau quil peut contenir suite à dimportants orages. Deux parmi eux pourraient être touchés par des flots 7 fois plus puissants que ceux pour lesquels ils ont été conçus. Lauteur de ce rapport, M. William Price, dit que pour ces barrages - Hirakud et Gandhi Sagar, deux des plus grands de lInde les conséquences dune rupture seraient indescriptibles. En Inde, la plus grave catastrophe de barrage en date, la rupture du Machhu en 1979, tua des milliers de personnes. Ce barrage sétait effondré suite à une inondation deux fois supérieure à ce que le barrage pouvait contenir. M. Price précise quil ny a aucune comparaison entre les zones " désertes " du déluge du Machhu et les vallées fortement peuplées en aval des barrages Hirakud et Gandhi Sagar. De plus, Machhu était relativement petit : 26 m de hauteur. Hirakud fait 59 m de haut et contient 8.1 milliards de m^3 deau. Quant à Gandhi Sagar, il est 5 m plus grand que Hirakud et son réservoir est substantiellement plus petit. Les catastrophes à venir pourraient donc avoir une ampleur considérable. Le barrage de Vaiont [Image24.gif] Le désastre du barrage de Vaiont est un exemple classique des conséquences due à un manque détudes de la part des ingénieurs et géologues pour comprendre la nature du problème quils traitaient. Pendant le remplissage du barrage, une coulée denviron 270 millions de m^3 de terre sest détachée du flanc de montagne vers le lac à la vitesse approximative de 110km/h. En conséquence, une vague séleva de plus de 250 m au-dessus de la hauteur du barrage et se déversa sur la vallée en causant la mort de plus de 2000 personnes. Le barrage résista remarquablement (il nest pas cassé) aux flots. Vaiont est situé au sud-est des Alpes italiennes à environ 100 km de Venise. Le choix du site de construction sest fait dans les années 1920 et la construction elle-même a commencé en 1956. Il était alors le plus haut barrage en voûte de faible épaisseur. Sa hauteur est de 265 m et il contient 115 m^3 deau. Il est apparu durant la construction que la rive gauche était instable. Des études ont ensuite révélé quil existait une butée qui servait de frein à la coulée et des études sismiques ont suggéré que la roche possédait un module délasticité élevée. En conséquence, des coulées étaient considérées comme probables avec des volumes et des vitesses faibles. Le remplissage du barrage a débuté avant la fin complète des travaux (en septembre 1960) et en mars 1960, le niveau deau atteignait déjà 130 m quand un petit détachement se produisit. Le remplissage fut poursuivit jusquà 170 m où le taux de déplacement observé à rapidement augmenté à 3.5 cm par jour. Une zone de 1700 m de long sur 1000 m de large était mobilisée. Le niveau du barrage fut rabaissé à 135 m et les déplacements mesurés diminuèrent à 1 mm par jour. Il paraissait inespéré darrêter la coulée. Cependant le contrôle de la coulée pouvait être tenté en variant le niveau du lac. Ainsi du début octobre 1961 à février 1962, le niveau fut augmenté lentement jusquà 185 m puis à 235 m en novembre 1962. Au début les déplacements étaient faibles mais atteignirent 1.2 cm par jour. Le niveau fut donc rabaissé lentement à 185 m en 4 mois et les déplacements diminuèrent. Après ce succès, les ingénieurs de procéder à une nouvelle augmentation. Elle fut rapide, davril à mai 1963 pour 231 m puis 245 m en septembre. Des déplacements importants furent alors mesurés (3.5 cm par jour) donc le niveau fut rabaissé. Mais cette fois-ci les déplacements se sont accentués jusquà 20 cm par jour en octobre. La rupture eut lieu à 22h38 GMT le 9 octobre 1963. La quasi totalité de la masse prévue a glissé à la vitesse de 30 m/s. [Image25.jpg] Depuis la coulée, dimportants travaux ont été entreprit pour déterminer les causes. Cest vraisemblablement laugmentation du niveau de leau qui a induit une surpression intersticielle dans les couches dargile. 6°) Le site de Malpasset aujourdhui [Image26.jpg] [Image27.jpg] Vue générale du site, Vue sur le lit du Reyran (amont) [Image28.jpg] [Image29.gif] Fente ouverte rive droite Structure fracturée rive droite En guise de conclusion Nous tenons dans un premier temps à remercier M. Pierre Duffaut pour sa gentillesse et ses renseignements précieux au sujet du barrage de Malpasset et de son histoire. Nous tenons ensuite à remercier les organisateurs de la semaine départementale qui a été pour nous très instructive et nous a permis de découvrir beaucoup dapplications différentes de la géotechnique et la géologie. [Image30.jpg] La semaine départementale est un excellent moyen denrichir ses connaissances et de côtoyer les professionnels. De plus, se retrouver en groupe favorise les échanges et les relations. [Image31.jpg]