EL SAAD el-ALI

Photo de Nancy Lamentin (2002)

Pour le site Photos d'Egypte

 

"Le barrage et les usines qui en naîtront seront nos pyramides !"

affirmait Gabal Abdel Nasser, président de la RAU en 1954.

En abordant les causes de sa création, et les conséquences sur le patrimoine historique et social, on comprend mieux pourquoi ce barrage, jadis fierté de l'Égypte, est aujourd'hui un formidable fiasco !

 

Alors pourquoi ce barrage ?

La crue du fleuve, alimentée par le Nil Blanc issu des Grands Lacs et par le Nil bleu d'Éthiopie recouvrait l'Égypte pendant quatre mois dès fin juillet. De tout temps, ses limons étaient considérés comme "un don de dieu". Mais l'évolution de la démographie égyptienne entraîna de nouvelles données : la population ne cessant de s'accroître, il fallait trouver de nouvelles terres arables. C'est pourquoi fut édifié en 1902 le premier barrage, situé au sud d'Assouan, au niveau de la première cataracte, faisant monter les eaux jusqu'à 120 mètres au-dessus du niveau de la mer, inondant la Nubie seulement huit mois sur douze.......

Mais ce ne fut pas assez efficace ! Cinquante ans plus tard, malgré une politique de régulation des naissances, la population allait atteindre les cinquante millions d'habitants et le barrage ne répondait plus aux besoins. Le projet principal était de créer une immense retenue, de la première à la troisième cataracte, élevant ainsi le niveau des eaux jusqu'à 170 mètres.

Il fut alors décidé, non pas de surélever encore et toujours le premier ouvrage, mais d'édifier un deuxième barrage, sans aucune écluse, composé d'une colossale digue longue de 3600 mètres, arrêtant l'apport des eaux de la crue. Le plan d'eau, avec ses 157 milliards de mètres cubes, plus grand que le Lac Victoria, assurerait une irrigation régulière ! Les Soviétiques et les Français finançaient la majorité des travaux !

On était en 1954 !

Le Sadd el-Ali était né !

La Nubie était définitivement sacrifiée et devenait le réservoir de l'Égypte !

Quelle fierté .........

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Le sauvetage des temples !

 

PhilaeFace au drame nubien qui était en train de se jouer, Christiane Desroches Noblecourt lança en 1954 une formidable opération de sauvegarde du patrimoine culturel ! Quatre ans de propagande avant que l'opinion internationale ne réagisse ! Les trésors de Nubie étaient si loin ! Qui connaissait alors les spéos d'Abou Simbel ? Mais en 1960, sous l'impulsion d'André Malraux, l'Unesco lance enfin un formidable chantier qui s'étalera sur presque vingt ans et nécessitera d'énormes moyens !

 

La haute technologie venait enfin au secours des dieux !

Cinquante états membres de l'Unesco et quarante missions archéologiques oeuvrèrent pendant vingt ans pour sauver "ce qui a pu l'être" ! Vingt quatre temples et chapelles étaient menacés de submersion ! Homme du XXIè siècle que nous sommes, nous restons bien évidemment sensibilisés par l'entreprise pharaonique qu'a été le sauvetage des temples d'Abou Simbel et de Philae ! Mais qu'en est-il des autres trésors ? Les principaux temples de Nubie en terre d'Égypte et quelques monuments au Soudan furent ainsi regroupés en six ensembles (dont un au Soudan).

 

  • Sur l'île d'Algilkia, près d'Assouan fut transféré le temple de Philaé
  • Sur l'ancienne Kalabcha furent remontés les temples de Beit el-Wali, Kalabscha et le kiosque de Kertassi
  • Sur l'ancien site de Wadi es Seboua furent regroupés les temples de Dakka, Maharraqa et de Wadi es Seboua
  • Non loin d'Amada ont été transférés les temples d'Amada (en un seul bloc) et de Derr ainsi que la tombe de Pennout d'Aniba
  • Les temples d'Abou Simbel ont été remontés 60 m au-dessus de leur site originel.
  • Les temples d'Aksha, Bouhen, Semna ont été transférés dans les jardins du musée national des Antiquités à Khartoum, capitale du Soudan.

 

Le sauvetage de ces temples n'aurait pu avoir lieu sans l'aide internationale. D'autres pièces, sauvées des eaux, ont ainsi été données en gage de remerciement par le gouvernement égyptien aux membres participants.

  1. Le spéos d'El-Lessiya trône aujourd'hui au Musée égyptien à Turin
  2. Le temple de Dabbod resplendit aujourd'hui dans un parc à Madrid
  3. Le temple de Dendour revit sous serre au Métropolitan Museum à New-York
  4. Une porte d'époque ptolémaïque du temple de Kalabscha a été reconstituée au musée égyptien de Berlin

Pour reprendre les propos de Christiane Desroches Noblecourt, cette entreprise pharaonique est en soi un phénomène unique : ce fut "la sauvegarde de tout un territoire et de ses sanctuaires" !

Mais surtout, la Nubie était ressuscitée...., donnant bonne conscience à l'opinion internationale !

 

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Le sauvetage des hommes !

"L'archéologie a repêché la culture des pierres, pas celle des hommes !" Jérôme Neutres

Fiers de leur patrimoine, les Nubiens participent activement à la sauvegarde de leurs trésors, portant à dos les sacs de limon, déblayant à main nue les pierres envasées....Sans eux, il est avéré que rien n'aurait pu être fait ! Et pourtant.......

La réalisation de ce "sarcophage moderne" a finalement englouti leur terre sur 500 km ! En 1963, 100 000 Nubiens sont expropriés !

Les Nubiens soudanais se regroupent près de la frontière éthiopienne, les Nubiens d'Égypte sont transférés, tout comme des monuments architecturaux, vers quarante villages situés aux environs de Kom Ombo, territoire que l'on rebaptisa gracieusement Nouvelle Nubie !

"Nous serions mieux traités si nous étions des statues !"

une phrase qui se passe de commentaires.......

Chassés de leurs villages ancestraux, 60 000 Nubiens essaient de reconstituer, plus haut, leur mode de vie ! Ces seigneurs du Nil créent aujourd'hui des communautés dont l'économie n'est plus la culture des terres enrichies par le limon, mais le tourisme. Beaucoup sont partis pour les capitales européennes, envoyant aux femmes et aux anciens, l'argent nécessaire à la survie du village auquel ils appartiennent. Ils constituent aujourd'hui cette Nouvelle Nubie !

Travailleurs, adaptables, pacifiques, ils s'intègrent à la vie moderne tout en transmettant à la génération future le savoir des anciens.

La culture nubienne résiste grâce au folklore mais est amenée à disparaître !

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un fiasco !

 

La réalisation du Sadd el-Ali n'a rien arrangé, bien au contraire ! Aucune merveille n'a jailli de cet ouvrage titanesque ! Le bilan est négatif !

On attendait 157 milliards de mètres cubes d'eau, il n'y en a que 80 à partager entre l'Égypte et le Soudan.

La production d'électricité s'est également révélée insuffisante.

Les auteurs du barrage ont oublié d'introduire une technique visant à récupérer le limon. Les alluvions, qui étaient déposées par le Nil, enrichissant ainsi les terres, ont tout simplement disparu, entraînant aujourd'hui un appauvrissement des sols ! La terre recule et les rives s'érodent sous l'effet du courant, aucune boue ne venant les étayer.

Plus grave encore est la hausse de la nappe phréatique causée par l'irrigation des champs. Avec elle, le sel "stérilise les terres et mine les fondations des monuments".

La flore et la faune se transforment progressivement. Les algues infestent les réseaux. La faune traditionnelle a quitté les rives du fleuve mais on la retrouve telle quelle au Lac Nasser.

Quant au patrimoine culturel, malgré cette formidable opération de sauvetage des temples de Nubie, n'oublions pas que des milliers de trésors gisent désormais sous les eaux, dont la cité de Kasr Ibrim, la cathédrale de Faras, les milliers de tombes des 151 nécropoles à peine fouillées avant leur submersion, ou encore les onze majestueuses forteresses du Moyen-Empire.......

Mais c'est surtout l'éclatement de tout un peuple privé de sa terre. 100 000 personnes ont en effet été déplacées. La Nubie est aujourd'hui ce qu'on appelle l'Atlantide Moderne !

Par ailleurs, d'un point de vue stratégique, le barrage constitue une réelle menace. En cas d'attaque militaire ou terroriste, la digue cède et c'est une vague de 10 mètres de haut qui balaie le pays.........d'où une surveillance constante.

Un tel bilan a entraîné le gouvernement égyptien à envisager d'autres solutions, comme la création d'une "Vallée parallèle au Nil" dans le désert occidental, qui créerait 25 % de terres cultivables supplémentaires et de nouvelles communautés urbaines !

Aujourd'hui un projet est à l'étude et sera vraisemblablement réalisé début 2004. La récupération du limon, déposé depuis 30 ans, permettra de fertiliser dans le désert 420 000 ha de plantations. Des pompes, conçues par les Japonais, aspireront l'engrais bienfaiteur. Les futures exploitations de fruits, blés et légumes devraient renforcer l'agriculture et combler les lacunes alimentaires égyptiennes. La culture du soja sera exportée au Japon, en contre partie des accords signés entre les deux états et l'aide apportée par celui-ci.

Mais le barrage du Saad-el-Ali ne fut qu'une étape.....

La suite au Soudan !

 

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Mes sources

Christiane Desroches Noblecourt - Robert Sole -Jérôme Neutres - Eve Sivadjian - Frédérique Fogel

Ce que mes yeux ont vu en 1998......

Voir aussi

Le pour et le contre par Corinne Smeesters

Entretien avec Christiane Desroches Noblecourt