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Notre savoir dabord, cest à dire le droit dans ses rapports avec lurgence qui est le signe distinctif des "humanitaires". Ce serait une grande vanité que de prétendre dire avec sûreté ce quest le droit. De graves docteurs se sont penchés sur la question et il semble que laccord se fasse sur un point: le droit est constitué dun ensemble de préceptes de conduites obligatoires pour des hommes vivant en société et destinés à faire régner lordre et la justice. Qui ne voit alors que le droit nexiste que dans une relation avec une forme de société politique, quil a pour but dy encadrer une relation pacifique entre le pouvoir et les individus, quil est donc obéissance à la règle commune et quil sapprécie sur la longue période? Tout cela bien sûr nest pas chose facile lorsquil sagit du droit international. En effet, les acteurs de la société internationale sont particulièrement puissants et nobéissent pas toujours aux règles quils ont établies et qui doivent les contraindre. Cest la raison pour laquelle le rôle et la place du droit se dessinent comme en creux et se situent dans des interstices - mais ils sont im menses - entre la violence et la force dévolution rapide de la vie politique. Sil nen était pas ainsi, notre savoir se diluerait. Or le droit nest pas la politique, il nest pas la médecine! Notre savoir-faire ensuite. Les résultats de ce que nous avons fait démontrent dévidence ce qui vient dêtre écrit. Par exemple, en ex-Yougoslavie, nous avons très tôt compris que la visite des camps et le recueil des témoignages relevaient de la compétence dautres instances et peut-être dONG, mieux armées que JSF pour entreprendre ce travail. Nous avons donc décidé de suivre les activités du TPI, ce qui nous a permis daborder presque en solitaire et avec bonheur les rives nouvelles du droit pénal international. Ce nest donc pas un hasard si toutes les autorités rencontrées ont salué lutile originalité de notre démarche. Au Rwanda, notre action dans les prisons a été aussi ex em plaire. La fiche décrou a permis dintroduire lordre juridique en identifiant les prisonniers et elle a permis à son tour le démarrage des procès pour que passe la justice. On le sait, le Prix des Droits de lHomme de la République française est venu couronner cette action et ce nest pas un hasard non plus. En effet, dans le fond, elle a permis dencadrer juridiquement la violence politique. Non, le droit nest pas la politique, il nest pas la médecine! Enfin notre stratégie. Il est à peine besoin de rappeler que les droits de lhomme peuvent être appréhendés par le philosophe, le journaliste, le religieux et ... bien sûr le juriste. Celui-ci cependant se distingue de ceux-là, même si son champ daction et détude est moins spectaculaire et bride peut-être lenthousiasme ; le juriste se doit dêtre précis et dessayer de dire ce qui, dans la cité terrestre, introduit de lhumanité - et non de lhumanitaire - dans la communauté des nations. Non, décidément, ce travail juridique ne se confond pas avec celui du politique ou du médecin! Cest cette cohérence entre les niveaux danalyse qui permet à JSF dêtre prise au sérieux par ses interlocuteurs et dêtre reconnue comme particulièrement compétente. Pour que la réalité continue à être conforme à cette perception, la prochaine Assemblée générale aura donc à se prononcer sur des candidatures à de nombreux projets ou sur des propositions qui nous sont faites. Toutefois, à sen tenir là, ce qui serait déjà beaucoup, lon oublierait le second aspect de la réfle xion entreprise sur lorganisation même de lAssociation. A cet égard, trois grands thèmes peuvent être abordés. En premier lieu, nos propres forces humaines. Tous les membres de JSF ont des emplois du temps surchargés et il leur est extrêmement difficile dêtre, en plus, disponibles pour des activités associatives. Et pourtant, lengagement de JSF présuppose un surcroît dénergie indispensable. Cest un problème récurrent dune extrême importance et qui nous renvoie à nous-mêmes. Il faut lenvisager avec franchise et honnêteté, faute de quoi lexistence de lAssociation peut être menacée. En deuxième lieu, nos moyens financiers. Nos ressources proviennent, pour linstant, des contributions volontaires des Barreaux et des bourses attribuées dans le cadre de programmes dactions définis par des institutions internationales ou nationales. Dans les deux cas, même sil y a des nuances, notre autonomie nest que relative. Une idée avait été suggérée pour conforter notre indépendance, mais elle semble avoir été mal exploitée: demander à de grandes en treprises de soutenir JSF par le biais du mécénat. Par ailleurs, il convient aussi daborder une autre question plus feutrée, mais réelle: celle du défraiement du membre de JSF qui accepte la charge dune mission, tout en noubliant pas la notion de bénévolat. En dernier lieu, notre administration. Cette question est complexe, puisquelle concerne tout à la fois le personnel engagé, les moyens techniques mis à disposition, ou le système de communication souhaitable entre nous et avec les autres, etc... De ce point de vue, le versement de la dernière tranche du programme DG VIII a permis de décider de doter le siège dun réseau informatisé performant et, très récemment, de recruter un Secrétaire général. Cher lecteur, chère lectrice, en conclu sion, noubliez pas ce mot dordre: "Les 5 et 6 septembre, tous à Marseille pour participer à lAssemblée générale de JSF!" Pour la préparer, renvoyez le plus rapidement possible, le questionnaire auquel vous avez répondu, afin de guider les débats. En cette période, un autre impératif simpose aussi à tous : bonne rentrée !... Marie-Luce Pavia la présidente de JSF A propos du Tribunal Pénal International de La Haye Procès Tadic Le jugement Le jugement rendu par la Chambre de Première Instance du T.P.I. est un document tout à fait exceptionnel de plus de 300 pages, sans compter les nombreux renvois à de précédentes décisions du T.P.I. sur des points de procédures particuliers. Ce jugement est dabord une véritable page dHistoire, pas moins de 50 pages étant consacrées à un rappel historique des faits dont la force est de ne pas être quune vérité historique puisque acceptée tant par lAccusation que la Défense, le Tribunal "sétant efforcé de résoudre les rares cas où il y a eu une certaine contradiction en employant des termes neutres" (§ 54) . Cest aussi pour nous, peu habitués à un système juridique accusatoire fortement dominant dans le déroulement procédural, de découvrir son efficacité au plan de la motivation même si larchitecture dudit jugement aurait pu gagner en simplicité voire en logique. I - UNE LEÇON DHISTOIRE La politique de Slobodan MILOSEVIC est analysée au travers de la longue histoire de la Grande Serbie qui sest frayée un chemin pendant un siècle et demi sauf à lépoque du régime communiste du Maréchal TITO qui avait su préserver lunité de lEtat Yougoslave, avant que "son dépérissement et son remplacement pardes formes distinctes de nationalisme, dans une Bosnie Herzégovine où aucun groupe ethnique ne détenait, à lui seul, la majorité, ne laissa rien à cette dernière qui puisse remplacer le communisme et lui conserver son statut dentité unifié" (§ 83). Le tribunal décrit ensuite limportance de la propagande serbe, et sa prise de contrôle progressive de lensemble des médias du pays, par lutilisation récurrente des atrocités commises lors de la seconde guerre mondiale par les Oustachis croates. Cest ainsi en jouant "très habilement" (le terme est sans doute malheureux mais il est utilisé à différentes reprises dans le jugement) sur le sentiment nationaliste que les dirigeants serbes firent croire à leurs ressortissants dune part quils étaient menacés par la cruauté et limpérialisme des populations musulmanes et croates, et dautre part que seul létablissement dune Grande Serbie permettrait dassurer leur protection et même leur survie. La communauté musulmane fût présentée systématiquement dans les médias comme "intégriste" et "politisée" et la pratique du nettoyage ethnique comme la meilleure solution pour répondre à ce péril. Ainsi dès lannée 1989, les dirigeants serbes organisèrent des rassemblements pour défendre et promouvoir lidée dune guerre totale à défaut de quoi leurs ressortissants se retrouveraient "comme par le passé dans un camp de concentration du type JASENOVAC" (§ 88). Cette théorie fût développée notamment par Radoslav BRDANIN, Président de la région autonome serbe de BANJA LUKA qui déclarait que 2 % était le pourcentage maximum de non serbes quil était possible de tolérer dans cette région (§ 89). Il préconisait un plan en trois étapes: 1/ création de conditions de vie impossibles pour les non serbes qui les inciteraient à partir de leur propre chef, notamment par la pression et la terreur, 2/ déportation et bannissement, 3/ liquidation des non serbes restant qui ne correspondraient pas à ses vues pour la région. La renaissance de ce sentiment ultra nationaliste fût favorisée notamment par lAcadémie Serbe des Lettres et des Sciences qui pronât dimportants changements constitutionnels afin de modifier léquilibre démographique du pays entre ses différentes régions, relayée par le SDS, le parti politique Serbe, qui put organiser un plébiscite en faveur des serbes de Bosnie aux termes duquel les bulletins de vote étaient différents selon que lon était Serbe ou non Serbe. Le résultat de ce plébiscite (100% de voies favorables à ce que le peuple Serbe de Bosnie Herzégovine demeure dans un Etat Yougoslave commun incluant la Serbie et différentes régions autonomes Serbes et notamment de KRAJINA et de SLAVONIE) permît au SDS de développer ses propres structures politiques encourageant la création de régions autonomes serbes. Cet activisme institutionnel saccompagnait dune propagande toujours efficace qui faisait écrire par Simo MISKOVIC, Président du SDS, un article paru dans la presse sous le titre: "prévenir la répétition du massacre de 1941"... Le jugement sattache ensuite assez longuement au rôle joué par larmée Yougoslave, la JNA qui, darmée nationale véritablement multi-ethnique, est devenue linstrument de la désintégration de lEtat. Ainsi, en Juillet 1991, sur ordre du Quartier Général de BELGRADE, la JNA semparait au Ministère de la Défense de Bosnie Herzégovine de lensemble des dossiers relatifs à la conscription, ce qui eut pour traduction dans la réalité de faire passer le pourcentage de Serbes au sein de la JNA de 35 % en Juin 1991 à 90% au début de lannée 1992 (§ 106). Certes, cette importante domination Serbe était notamment due au fait que la Slovénie et la Croatie avaient quitté la Fédération mais il y eut également une volonté délibérée ainsi que des pressions importantes pour encourager, voire contraindre, les non Serbes, et parmi eux notamment les officiers, à quitter la JNA qui, se trouvant à cours dhommes, notamment parce quen Bosnie Herzégovine les non Serbes refusaient désormais de répondre aux mobilisations, sappuya de plus en plus sur des forces paramilitaires Serbes, recrutées essentiellement en Serbie et au Montenegro dont les plus connues sont les redoutables "TIGRES ARKAN" ou encore les "TCHETNIKS" de SESEW. A la suite du vote par le Conseil de Sécurité de lONU de sa résolution n° 752, le 15 Mai 1992, ordonnant que cesse immédiatement toute forme dingérence extérieure en Bosnie Herzégovine de la part dunités de la JNA, cette dernière était dissoute. Nous reviendrons plus tard sur les conditions dans lesquelles de nouvelles forces armées étaient créées puisquil sagira pour le tribunal de déterminer si, à partir de cette date, les faits reprochés à lAccusé étaient ou non imputables à larmée fédérale, ce qui permettait alors aux victimes dêtre regardées comme des "personnes protégées" au sens de la Convention de GENÈVE. La dissolution de la JNA laisse place à la création de la V.R.S., qui deviendra larmée de la Républika Srpska (R.S.), le reste de lex-JNA devenant la V.J., armée de la nouvelle République Fédérale de Yougoslavie - Serbie et Montenegro - (R.F.Y.). Il nest de toute facon pas contesté que la V.R.S. était le produit de la dissolution de lancienne JNA et du repli en Serbie de ces éléments non bosniaques et quasiment tous les officiers à la tête des unités de lancienne JNA gardèrent leur commandement, sous lappellation V.R.S., et continuèrent dailleurs de recevoir leur solde du Gouvernement Fédéral de BELGRADE (R.F.Y.). Le tribunal analyse ensuite lhistorique de la prise de lOpstina (sorte de district) de PRIJEDOR en rappelant quavant le conflit, cette région était symbolique de lunité et de la fraternité Yougoslave et que de nombreux couples mixtes y vivaient. Lors des élections municipales de 1990, le SDS prônait déjà la création dune Grande Serbie, de nombreux incidents émaillant la campagne électorale et la composition des postes gouvernementaux au niveau de la répartition entre le SDA majoritaire (musulmans), le SDS (serbes) et le HDZ (croates). Le SDS créa dailleurs rapidement ses propres structures étatiques distinctes y compris un Ministère Serbe des Affaires Intérieures, la caserne de PRIJEDOR devenant un lieu privilégié de rassemblement. Le SDS nattendait plus quun prétexte pour procéder à la prise de la localité de PRIJEDOR le 30 Avril 1992, avant quun incident sur un barrage routier ne justifie lattaque de lensemble de la région un mois plus tard (incident dHANBARINE) et notamment de lattaque de la région de KOZARAC, abritant une forte concentration de population musulmane qui fût pilonnée avant que linfanterie nincendie les maisons les unes après les autres. (§140) Les dirigeants Serbes devaient dailleurs reconnaître plus tard que la prise de PRIJEDOR avait été planifiée à lavanca et participait dun effort concerté entre la police, larmée et les responsables politiques qui prenaient leurs instructions au Ministère de lIntérieur de la Républika Srpska. Cest après lattaque de KOZARAC que les non Serbes fûrent emmenés dans les camps, les hommes vers ceux de KERATERM ou dOMARSKA, les femmes et les personnes âgées vers celui de TRNOPOLJE. Les nouveaux responsables et notamment le Président de la région autonome de KRAJINA, composante de la R.S., RADOSLAV BRDANIN, multipliaient les interventions quant à la nécessité pour la Grande Serbie de ne pas dépasser 2 % de non Serbes et que pour y arriver il fallait notamment annuler les mariages mixtes, "les enfants qui en étaient issus nétant bon quà faire du savon" (§ 147). Cest dans ce contexte que se sont déroulés les faits imputés à lAccusé, essentiellement dans les camps où les conditions de vie étaient effroyables, le viol et la torture étant particulièrement utilisés. A lextérieur, les non Serbes, qui se voyaient imposer le port dun brassard blanc, vivaient dans la terreur de se faire dénoncer par danciens amis ou de disparaître. La force de ce récit, outre la minutie de son enchaînement chronologique, réside dans le fait que les divergences entre lAccusation et la Défense sont apparues comme tout à fait mineures et que la réalité historique apparaît dans sa cruauté et sa simplicité, la Défense nen contestant pas la matérialité puisque la stratégie utilisée sera celle dune "défense dalibi" aux termes de laquelle les faits ne sont pas contestés mais lAccusé prétend ne pas y avoir été mêlé. On est loin de la "défense de rupture" dun Barbie ou de celle que laisse entrevoir Papon dans le cadre dun prochain procès. Ce qui est intéressant en lespèce cest que, nonobstant la défense dalibi de TADIC, ses avocats ne se borneront pas à nier simplement sa présence lors des faits incriminés, mais contesteront de façon pugnace la matérialité de ceux-ci, le déroulement de certaines opérations et des conclusions juridiques que lon peut en tirer, validant ainsi la présentation historique globale que le tribunal a fait de la situation. II - UN ACCUSÉ ORDINAIRE On a tous en mémoire limage du visage de Dusko TADIC, le regard absent, écoutant avec une nonchalance certaine lexposé des uns et des autres auxquels il est dautant moins attentif quil ne consent que rarement à mettre ses écouteurs pour bénéficier de la traduction simultanée. Lhomme est peu expansif et ne réagira dailleurs aucunement au prononcé du jugement sur la culpabilité. LAccusé est âgé dun peu plus de 40 ans et après avoir mené une petite carrière sportive de karatéka, a ouvert un café à la fin 1990 à KOZARAC, ville dont 90 % des habitants étaient musulmans avant le conflit. Petit à petit, les Serbes nationalistes se sont mis à fréquenter ce café qui est devenu un lieu de rassemblement dindividus vêtus du manteau des "Ducs", vêtement symbolique du nationalisme Serbe, qui sy retrouvaient pour chanter des chants tchetniks. LAccusé qui nie avoir été nationaliste a adhéré au SDS en 1990 et consignait régulièrement ses impressions dans un concert qui fût bien évidemment lune des pièces à conviction de lAccusation. Il ressort assez clairement que les prises de position de TADIC sont favorables à la constitution de la Grande Serbie. Ainsi il consigne dans son rapport de travail quil était convenu quil prenne la parole lors dun rassemblement du SDS "pour dire ouvertement et sans détours tout ce qui était négatif et source de friction dans les rapports unissant les différents groupes ethniques" (§187). Plus tard, en août 1992, lAccusé préconise "quun effort soit fait en matière de nettoyage et de sécurisation dans le cadre de la reconstruction du centre de KOZARAC" (§ 189). Après lattaque de KOZARAC, lAccusé devient responsable politique de la ville et est élu Président du conseil local du SDS puis représentant à lAssemblée Municipale de PRIJEDOR, poste qui dans le climat de lépoque naurait pu être accordé à une personne qui naurait pas été acquise à la cause serbe. A compter du 16 Juin 1992, il prend des fonctions dofficier de police réserviste au barrage routier dORLOVCI, ce qui constituera le fondement de la défense dalibi de lAccusé qui justifiera de par la production de ses horaires de travail ne pouvoir être présent au même instant en dautres lieux. III - LACTE DACCUSATION Lanalyse de celui-ci est relativement complexe car les 34 chefs daccusation retenus à lencontre de lAccusé sont issus de 9 séries de faits distincts, chaque fait donnant lieu à différentes qualifications juridiques (les chefs daccusation) qui eux-mêmes renvoient à différentes incriminations du "Statut" adopté par le Conseil de Sécurité pour assurer le fonctionnement du Tribunal Pénal International. En réalité, le paragraphe 5 de lActe daccusation relatif à des faits de viol fût abandonné par le Procureur qui estimait ne pouvoir être en mesure den rapporter la preuve et donc par voie de conséquence, les 3 chefs daccusation lui correspondant ont également été abandonnés. En définitive donc 31 chefs daccusation ont été retenus constituant -soit une infraction grave aux Conventions de GENÈVE de 1949 (Art. 2 du Statut), - soit une violation des lois et coutumes de la guerre (Art. 3 du Statut), - soit un crime contre lHumanité (Art. 5 du Statut). En outre, il faut distinguer pour les Articles 2 & 5 du Statut: - les incriminations en matière dinfraction grave aux Conventions de GENÈVE (Art.2) visent lhomicide intentionnel, la torture ou traitement inhumain, ou encore le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou porter des atteintes graves à lintégrité physique ou à la santé, - en ce qui concerne les crimes contre lHumanité (Art.5), le meurtre, le viol (abandonné), la persécution pour des raisons politiques, raciales et/ou religieu ses, et enfin les actes inhumains. Cette introduction apparaît trop fastidieuse pour que puisse être envisagé maintenant de détailler les faits conduisant aux différents chefs daccusation, étant précisé que si certains faits sont précisément déterminés, dautres comportent des lacunes quant à la date à laquelle ils se sont déroulés ou quant à lidentité des victimes. La majeure partie des faits reprochés à lAccusé se sont déroulés dans les camps et concernent des sévices infligés aux prisonniers et plus rarement des meurtres; ces faits sont visés en 7 paragraphes et conduisent à 30 chefs daccusation distincts. Le 8e paragraphe et dernier chef daccusation, est relatif à des persécutions relatées sous 5 formes distinctes qui se sont déroulées entre le 23 Mai et le 31 Décembre 1992, soit sur lensemble de la période visée à lActe daccusation. Ainsi, ce qui ne facilite pas la clarté de lexposé, un fait unique identifié précisément peut déboucher sur 3 chefs daccusation distincts (par exemple sévices infligés à Sefik SIVAC au camp dOMARSKA vers le 10 Juillet 1992) alors que de très nombreux faits commis sur une période de plus de six mois (pillage, déportation, actes de torture, violences sexuelles, passage à tabac, conflscation des biens, viols collectifs, sélection et transfert dindividus, etc...) conduisent à un chef daccusation unique. IV - UN JUGEMENT FLEUVE Cette apparente complexité de lacte daccusation, motivée par la nature des faits reprochés à lAccusé, a conduit le tribunal à adopter une méthodologie rigoureuse pour apprécier dabord la réalité de chaque fait invoqué, pris dailleurs dans un ordre différent de celui de lacte daccusation, en étudiant systématiquement pour chaque série de faits les événements allégués, le rôle éventuel tenu par lAccusé, les éléments de preuve soumis par la Défense pour enfin en tirer des conclusions factuelles. Le tribunal analyse ensuite la défense dalibi de lAccusé pour enfin sattacher à différents problèmes relatifs à la preuve. Dans un second temps, le tribunal sattache à déterminer la qualification juridique des faits au regard de son Statut dont les Articles 2 à 5 définissent la compétence ratione materiae dans le cadre des poursuites à lencontre des personnes responsables : - selon lArticle 2 du Statut, dinfractions graves aux Conventions de GENÈVE, - selon lArticle 3, des personnes ayant violé les lois et coutumes de la guerre, - selon lArticle 4, des personnes ayant commis un génocide (aucun fait nest visé dans laffaire TADIC), - selon lArticle 5, des personnes responsables des crimes contre lHumanité. Enfin, le tribunal examine lArticle 7 du Statut relatif à la responsabilité pénale individuelle pour apprécier le degré nécessaire de participation pour que celle-ci soit retenue. Dans une dernière partie, il reste enfin au tribunal à tirer les conclusions juridiques tirées de lapplication du Statut aux faits imputés à lAccusé. Pour rigoureux que soit ce plan, il nempêche pas quune certaine confusion se dégage de la lecture dun tel jugement. La décision aurait semble t-il gagné en clarté en commençant par la définition des normes et concepts juridiques pour ensuite étudier chaque série de faits pour en tirer simultanément - et les conclusions factuelles - et les conclusions juridiques. Cela aurait par exemple permis déviter que soit renvoyée lanalyse juridique de la persécution après celle de lArticle 5 du Statut visant les crimes contre lHumanité dont la persécution fait justement partie. V - LES FAITS IMPUTÉS À TADIC La Chambre de Première Instance du T.P.I. va successivement examiner les séries de faits imputés à lAccusé TADIC. Tout dabord, durant une période sécoulant du 1er Juin au 31 Juillet au camp dOMARSKA, le meurtre de 4 personnes dénommées et les sévices causés à une personne dénommée, et enfin les actes inhumains (émasculation) infligés à 2 autres personnes (paragraphe 6 et chefs daccusation 5 à 11 de lacte daccusation); les sévices et mauvais traitements infligés à une personne dénommée, aux alentours du 8 Juillet 1992 au camp dOMARSKA (paragraphe 10 et chefs daccusation 21 à 23 de lacte daccusation); les sévices infligés à 3 personnes dénommées et à dautres détenus non dénommés vers la fin Juillet 1992 au camp dOMARSKA (paragraphe 8 et chefs daccusation 15 à 17 de lacte daccusation); les sévices infligés au camp dOMARSKA à des détenus non dénommés vers la fin du mois de Juin ou le début du mois de Juillet 1992 (paragraphe 9 et chefs daccusation 18 à 20 de lacte daccusation); le meurtre de 4 personnes dénommées, sorties du rang alors quelles marchaient en colonne à KOZARAC en vue dêtre transférées dans les camps, le 27 Mai 1992 (paragraphe 11 et chefs daccusation 24 à 28 de lacte daccusation); le meurtre de 5 personnes dénommées et les sévices portés à 8 personnes dénommées vers le 14 Juin 1992 dans la région de JASKICI et de SIVCI (paragraphe 12 et chefs daccusation 29 à 34 de lacte daccusation); et enfin les persécutions commises entre le 23 Mai et le 31 Décembre 1992 dans lOpstina de PRIJEDOR et notamment dans les camps dOMARSKA, KERATERM et TRNOPOWE (paragraphe 4 et chef daccusation 1 de lacte daccusation). Pour chaque série de faits, le tribunal analyse quels sont les événements précis allégués pour préciser le rôle éventuel de lAccusé avant danalyser les éléments de preuve soumis par la Défense et de terminer par des conclusions factuelles permettant détablir si le principe de la culpabilité de lAccusé est établi "au delà de tout doute raisonnable". Toute cette analyse est extrêmement complète et motivée (le tiers du jugement y est consacré), la procédure accusatoire prenant ici toute son importance. Chaque fait est examiné et même disséqué à la lumière des témoignages, dont la Défense se ne prive pas de soulever le caractère parfois contradictoire. LAccusé sattache néanmoins essentiellement à une défense dalibi aux termes de laquelle il ne pouvait se trouver au camp dOMARSKA puisquil exerçait à cette période ses fonctions dofficier de police au barrage routier dORLOVCI, témoignage et carnet de présence à lappui. LAccusé, qui a déposé sous serment, prétend par ailleurs ne sêtre jamais rendu au camp dOMARSKA, argumentation à double tranchant dans la mesure où de très nombreux témoins attestent ly avoir rencontré. Pour lessentiel, le tribunal considère que ces témoignages sont dignes de foi, ce qui le conduit à considérer que si "lAccusé ment lorsquil nie sêtre jamais rendu au camp dOMARSKA, la thèse de la Défense est compromise". Pour autant, dans le souci dune meilleure motivation, le tribunal ajoute : "Cependant, il incombe, comme toujours, à la présente Chambre de Première Instance, de déterminer si, nonobstant les critiques portées par la Défense aux dépositions des témoins à charge, elle est convaincue au delà de tout doute raisonnable de la culpabilité de lAccusé eu égard à chacun des éléments des actes décrits" (§ 234). Le tribunal apparaît dailleurs particulièrement sourcilleux, et on ne peut que sen féliciter, quant à la motivation de sa décision. Ainsi, alors que le tribunal expose que, même si en temps de guerre il est difficile dexiger la production dun corps pour justifier dun décès, il doit néanmoins exister des éléments de preuve permettant détablir un lien de cause à effet entre les blessures occasionnées et le décès, et de noter : "LAccusation na pas été en mesure de foumir ces preuves. Si la Défense na pas fait valoir cet argument relatif au caractère inapproprié de la preuve, il revient à la Chambre de Première Instance de le faire Lorsque les éléments de preuve permettent daboutir à plus dune conclusion raisonnable, il nappartient pas à la présente Chambre de tirer la conclusion la moins favorable à lAccusé, ce quelle serait amenée à faire en constatant que lun quelconque des 4 détenus est décédé des suites de ses blessures ou quils sont effectivement morts" (§ 240). En lespèce, un témoin a entendu le camion utilisé pour évacuer les corps, suivi dun coup de feu tiré à distance mais il nexiste pas de preuve ni de lidentité de la personne qui a tiré ni de celui des 4 détenus qui aurait été abattu, même sil y a effectivement de fortes probabilités que les détenus soient effectivement décédés. Il ressort des débats que lAccusé a effectivement commis lessentiel des sévices qui lui sont imputés mais il nest pas établi, au delà de tout doute raisonnable, que lAccusé ait commis les meurtres de 4 prisonniers du camp dOMARSKA, ni des 4 personnes visées à KOZARAC ou encore des 5 autres à JASKICI et SIVCI. Il reste désormais à articuler cette responsabilité de principe à sa qualification juridique telle quelle est fixée par le Statut du tribunal. Au préalable, il convient de sattacher rapidement à la défense de lAccusé ainsi quà différentes difficultés soulevées par les modes de preuve rencontrées tant par lAccusation que par la Défense. VI - LA DEFENSE DALIBI DE TADIC LAccusé a plaidé non coupable à légard de lensemble des chefs figurant dans lActe daccusation et a offert, en dehors darguments juridiques distincts, une défense dalibi en ce sens quil déclare sêtre trouvé ailleurs lorsque chacun des actes se serait produit. LAccusé a justifié son alibi par la production des registres de tours de garde lorsquil était en poste à ORLOVCI. Le tribunal a discuté le caractère probatoire de tels registres dont il nest pas établi quils aient eu un caractère officiel mais, et surtout, il est apparu, par des vérifications de lemploi du temps pour chaque fait, quil nexistait aucune incompatibilité entre le début ou la fin du service de TADIC, la distance à parcourir et la survenance des événements, principalement au camp dOMARSKA. LAccusé prétendait également ne pas posséder de véhicule et ne pouvoir utiliser celui de service mais là encore, il est apparu des failles que les témoins à décharge, et notamment de sa propre famille, nont pu combler. Il convient enfin dapprécier les fonctions de lAccusé au poste de contrôle dORLOVCI au regard de ce que lAccusation décrit comme étant "la mission supérieure de la police de la circulation, à savoir la mise en uvre du nettoyage ethnique aux fins de créer une Grande Serbie". Ainsi, le tribunal note que "sagissant des heures daffectation et de repos, lalibi de lAccusé, en rapport avec son emploi comme policier de la circulation, dépend entièrement tant de la recevabilité des éléments de preuve comme démontrant une conformité paffaite avec la description de ses horaires daffectation (...) que de lhypothèse que les autorités nont pas effectivement autorisé ou, peut-être, encouragé, lAccusé à se livrer, pendant ses heures de service, à dautres activités servant plus directement la cause du nettoyage ethnique que sa présence au poste de contrôle dORLOVCI" (§ 513). Cest dans ces conditions que sauf sur certains points extrêmement précis, la défense globale de lAccusé a été écartée par le tribunal qui lui a notamment opposé les nombreux témoins de sa présence sur les lieux où les infractions ont été commises. VII - LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA PREUVE La Défense a fait valoir un certain nombre dobjections qui ont nécessité que le tribunal y apporte une réponse juridique. Alors que la plupart des témoins à charge vivent désormais réfugiés dans dautres pays, la Défense a rencontré de grandes difficultés pour faire témoigner les témoins à décharge et ce en raison du refus des autorités Serbes de coopérer. Cest dans ces conditions que le tribunal a admis les témoignages par vidéo conférence établis à partir dun endroit réputé sûr du territoire de lex-Yougoslavie. Dans dautres cas, le tribunal a accordé des sauf-conduit pour éviter que les témoins à décharge ne fassent lobjet de poursuites à la suite de leur déposition. Enfin, lidentité de certains témoins a été dissimulée et certains témoignages ont été recueillis à huis clos. La Défense a également invoqué le manque de spécificité des accusations portant sur une période qui nétait pas définie avec certitude, ce qui représente incontestablement une difficulté dans le cadre dune défense dalibi. Le tribunal estime que la date et lheure dun fait incriminé ne revêtent un caractère dirimant que si ceux-ci sont des éléments constitutifs essentiels de lin frac tion pour conclure que dans aucun des crimes allégués en lespèce la date ou lheure nest fondamentale et que par voie de conséquence les éléments de preuve présentés par lAccusation sont suffisamment précis pour respecter les principes du procès équitable (§ 534). Le tribunal sest ensuite penché sur la corroboration causale, principe de droit romain aux termes duquel les normes de preuve doivent être "justes" et "permanentes" plutôt que des "normes ad hoc" élaborées par le tribunal. Il sagit ici de savoir si ladage "Unus testis nullus testis" doit être retenu. Le tribunal estime que la condition de corroboration ne fait pas partie du droit international coutumier et que dailleurs de nombreux pays occidentaux lont abandonnée, et revendique le pouvoir inhérent du juge dans sa fonction dinvestigation de statuer uniquement sur la base de son intime conviction personnelle. Cest dans ces conditions que le tribunal, en application de son propre Règlement, estime "que tout élément de preuve pertinent ayant valeur probante doit être reçu comme moyen de preuve, à moins que sa valeur probante soit largement inférieure à lexigence de garantir un procès équitable" (§ 536). La Défense a ensuite mis en cause le fait que lensemble des témoins à charge étaient tous des victimes, qui plus est appartenant au même groupe ethnique, alors que lon juge justement un membre du groupe victorieux. Le tribunal après avoir relevé "que la haine ethnique, même sans lexacerbation due à un conflit violent entre groupes ethniques, peut constituer une raison de douter de la crédibilité dun témoin particulier (mais) il nest ni approprié ni correct de conclure quun témoin ait censé manquer fondamentalement de crédibilité uniquement parce quil a été victime dun crime commis par une personne du même groupe ethnique, ou de toute autre caractéristique que laccusé". "La crédibilité des témoins, y compris tout motif quils pourraient avoir de donner de faux témoignage, est une évaluation qui doit être effectuée dans le cas de chacun deux pris individuellement" (§ 541). Sur un registre similaire, la Défense a également soutenu que la couverture médiatique préalable au procès a pu altérer la preuve testimoniale. Fidèle à lanalyse in concreto de chaque témoignage, le tribunal, après avoir rappelé quil sagit dune difficulté inhérente à tout procès, rappelle quil convient den tenir compte lors de lévaluation de la crédibilité du témoin à la suite de son audition et le cas échéant du contreinterrogatoire dont il a pu faire lobjet. La couverture médiatique est également à lorigine des difficultés rencontrées dans le cadre de lidentification de laccusé. Ce problème concerne moins les témoins dattestation qui connaissaient laccusé préalablement, que les témoins didentification qui le reconnaissent sur présentation de photographies et lors de laudience. La Défense a fait citer un expert qui, pour lessentiel, a validé le protocole didentification retenu par le tribunal même si il lui manquait une description préalable de lAccusé. La Défense a enfoncé le clou en invoquant la renonciation de lAccusation à sappuyer sur un témoignage dont il sétait avéré quil pourrait être faux, pour tenter de semer le trouble quant à la crédibilité des témoins de lAccusation qui naurait pas pris toutes les assurances nécessaires. Le tribunal a écarté dautant plus aisément cette affirmation qui relève de la suspicion généralisée que le témoin en question lavait été dans des conditions tout à fait particulières (seul témoin à avoir été offert comme témoin à laccusation par les Autorités de Bosnie Herzégovine qui en assurait alors la détention - § 554). Enfin, le tribunal, dans le cadre dune exception préjudicielle, avait admis la preuve par ouï dire. On ne peut pas dire que largumentation du tribunal en matière de preuve dissipe tout doute quant à la recevabilité des différents témoignages. Les Magistrats composant la Chambre de Première Instance ont revendiqué leur pouvoir inhérent basé sur lintime conviction et le "large pouvoir discrétionnaire assujetti à un nombre limité de restrictions" (§ 537). Dans la mesure du possible, le tribunal - comme pour tenter datténuer ce pouvoir discrétionnaire - appréciera, et même décrira, le comportement des témoins lors de laudience. VIII - LE STATUT DU T.P.I. Le Tribunal International est régi par son Statut adopté par le Conseil de Sécurité à la suite du rapport du Secrétaire Général de lONU le 3 Mai 1993. La procédure du tribunal est quant à elle régie également par le Règlement (règlement de procédure et de preuve) qui fût adopté par les juges du tribunal en Février 1994. LArticle 1er du Statut habilite le tribunal à juger les personnes présumées responsables de violations graves du Droit International Humanitaire commises sur le territoire de lexYougoslavie depuis 1991. Les Articles 2 à 5, on la vu, définissent les incriminations relevant de la compétence ratione materiae du tribunal. Enfin, lArticle 7 définit le concept de responsabilité pénale individuelle qui doit être établi pour se cumuler aux incriminations des articles précédents. Avant danalyser spécifiquement les Articles 2, 3 & 5 du Statut, il convient den définir les conditions générales. Il faut dune part établir lexistence dun conflit armé durant la période considérée sur les territoires de Bosnie Herzégovine et, dautre part, que les actes de laccusé aient été commis dans le contexte de ce conflit armé. A vrai dire, cette double condition ne pose guère de difficultés. IX - LES INFRACTIONS GRAVES (aux Conventions de Genève) LArticle 2 du Statut renvoie au régime des infractions graves aux Conventions de GENÈVE qui ne sapplique quau conflit armé dun caractère international et aux crimes commis contre des personnes et des biens considérés comme "protégés", et en particulier les civils qui, à un moment quelconque, et de quelque manière que ce soit, se trouvent, en cas de conflit doccupation, au pouvoir dune partie au conflit ou dune puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes (§ 578). Le statut de "personne protégée" des victimes ne peut être établi que dans la mesure où ces conditions sont remplies et le tribunal va sattacher dans le détail à analyser la nature du conflit pour apprécier la réalisation des trois critères de cette définition, soit: - au pouvoir dune partie, - dune partie au conflit ou dune puissance occupante, - ne pas en être ressortissant. La question est de déterminer le moment précis où une partie exerce un contrôle effectif sur un territoire. Pour apprécier cette notion deffectivité du contrôle, le tribunal sinspire de la décision rendue en 1986 par la Cour Internationale de Justice dans laffaire dite "Nicaragua" opposant le Gouvernement Nicaraguayen à celui des Etats Unis dAmérique accusé davoir violé les règles de Droit International Humanitaire en soutenant les contras dans leur guerilla contre le Gouvernement. La CIJ a fixé un seuil particulièrement élevé comme critère pour décider du degré de contrôle requis de la part des Etats Unis: (...) même prépondérante ou décisive, la participation des Etats Unis à lorganisation, la formation, Iéquipement, le financement et lapprovisionnement des contras, la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et la planification de toutes leurs opérations, demeure insuffisante en elle-même (...) pour que puissent être attribués aux Etats Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua. (le contrôle général exercé ne signifierait pas en lui-même) que les Etats Unis aient ordonné ou imposé la perpétration dactes contraires au Droit de lHomme ou au Droit Humanitaire allégués par lEtat demandeur. (...) "Pour que la responsabilité juridique de celui-ci soit engagée, il devrait en principe être établi quil avait le contrôle effectif des opérations militaires et para-militaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites" (§ 585). Cest dans ces conditions que la Chambre de Première Instance du T.P.I. sinterroge sur le degré de contrôle de la République Fédérale de Yougoslavie, et son armée la V.J., sur les actes de la V.R.S., larmée de la Républika Srpska. Il convient en effet de rappeler, que suite à la résolution 752 du Conseil de Sécurité, à compter du 15 Mai 1992, lancienne armée fédérale JNA avait été dissoute ce qui conduit le tribunal à apprécier dans le détail le fonctionnement de la V.R.S. par rapport à la V.J., et notamment entre lEtat Major Général de la V.R.S. et le commandement de BELGRADE. LAccusation a versé aux débats une pièce à conviction établissant la coordination des opérations mais le tribunal relève que la coordination na pas la même signification que direction et commandement (§ 598). LAccusation estime que le degré de contrôle est suffisamment établi par le fait que les anciens officiers de la JNA se sont retrouvés au poste de commandement de la V.R.S. et que, surtout, la R.F.Y. (Belgrade) assurait la continuation du paiement des soldes. Pour autant, sappuyant sur larrêt de la CIJ, le tribunal, qui ne conteste pas la dépendance de la V.R.S. à légard du ravitaillement en matériel par la V.J., ni que la R.F.Y. "avait la capacité dexercer une influence considérable et peut être même un contrôle sur la V.R.S, aucun élément de preuve ne luipermet de conclure que la R.F. Y. et la V.J. ont jamais dirigé ou, pour cette raison, jamais ressenti la nécessité dessayer de diriger les opérations militaires effectives de la V.R.S., ou dinfluencer ses opérations au delà de ce qui aurait découlé naturellement de la coordination des objectifs et activités militaires par la V.R.S. et la V.J. aux échelons supérieurs" (§ 605). Cest dans ces conditions que le tribunal, à la majorité, après avoir admis la complémentarité entre les armées dont lobjectif commun était la réalisation de la Grande Serbie, conclut quaprès le 19 Mai 1992 (date du retrait effectif des troupes de la JNA) les forces armées de la Républika Srpska ne pouvaient pas être considérées comme des organes ou des agents de facto du Gouvernement de la République Fédérale de Yougoslavie - Serbie et Montenegro et quen conséquence les victimes ne peuvent être considérées comme des personnes "protégées" au sens des Conventions de GENÈVE, lAccusé devant alors nécessairement être déclaré non coupable de lensemble des chefs qui se fondent sur lArticle 2 du Statut (chefs 2, 5, 8, 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27, 29 et 32). En annexe au jugement, lopinion dissidente de la Présidente du tribunal est jointe. On est soulagé dapprendre quil existe une opinion dissidente car la position majoritaire du tribunal apparaît tout à fait critiquable. On pourrait même sinterroger sur la dimension politique de la décision qui de fait, épargne BELGRADE. Il ne semble pas que tel soit le cas, la folie criminelle Serbe étant suffisamment établie tout au long du jugement. Il sagit plutôt dun juridicisme pointilleux qui, encore plus que dans laffaire Nicaragua et pour dautres motivations juridiques, fait prévaloir le lien matériel à la commune intention des parties. Sur lapplicabilité de lArticle 2 du Statut, le tribunal a fait preuve dune exigence particulière que lon na pas toujours rencontrée lors de laudition de certains témoignages relatifs au déroulement des faits. Force est de constater le caractère tout à fait artificiel de la création de la V.J. et de la V.R.S. sur les structures de lancienne JNA condamnées par la résolution n°52 de lONU. Ce que le tribunal appelle la simple coordination entre les deux unités militaires savère être une véritable symbiose qui exclut toute autonomie de laction de la V.R.S. qui na partagé "lidéal dune Grande Serbie" quaprès que ce projet eut été mis en uvre par BELGRADE. Ce ne sont pas les prétendus simulacres délection en Bosnie Herzégovine qui ont fait disparaître le lien intellectuel originel entre partisans dune même cause. Cest peut être dans lanalyse du degré de contrôle, surtout à la lecture de larrêt Nicaragua où elle revêt une pertinence certaine, que le tribunal sest fourvoyé. En effet, plutôt que danalyser le comment de ce contrôle, on pourrait sinterroger sur le pourquoi du contrôle dune armée qui fait "spontanément" ce que lon attend delle. La Présidente de la Chambre de Première Instance a fait savoir quelle était en désaccord avec lopinion majoritaire du tribunal et que les conditions dapplicabilité de lArticle 2 du Statut étaient bien remplies en lespèce. Elle estime que la création de la V.R.S. est une fiction juridique, dont le Conseil de Sécurité na dailleurs pas été dupe puisque dans sa résolution n° 757 il "déplorait" que les exigences formulées dans la résolution n° 752 naient pas été satisfaites. Le changement de dénomination et dinsigne de larmée ne pouvait cacher quil sagissait des mêmes hommes, des mêmes armes, des mêmes infrastructures et des mêmes objectifs, lEtat Major Général de la V.R.S. entretenant des communications directes avec lEtat Major Général de la V.J. par lintermédiaire dune liaison émanant de BELGRADE. Enfin, si les preuves formelles du contrôle effectif sont rares, il faut voir dans lattaque de KOZARAC exécutée par la V.R.S. alors que la JNA lavait planifiée, une démonstration de son existence. Dans ces conditions, la Présidente conclut, fort logiquement, quen retenant les critères posés par la CIJ dans la décision Nicaragua, le degré de preuve requis pour établir la qualité dagent de facto a bien été rempli puisquil y a contrôle effectif. Mais la Présidente va plus loin en estimant que le critère de contrôle effectif est inadéquat pour déterminer la qualité dagent dans la présente espèce qui ne peut sapprécier au regard de la jurisprudence Nicaragua. Pour que les actes de la V.R.S. soient assimilés, à des fins juridiques, à des actes du Gouvernement de la R.F.Y., la V.R.S. étant alors un organe ou un agent de facto de ce gouvernement, lopinion majoritaire du tribunal a recherché lexistence dun contrôle effectif définit dans Nicaragua comme le double lien entre la dépendance dune part, et lautorité dautre part. Concernant le procès TADIC, où il sagit détablir la responsabilité dun individu à la suite de la violation de règles de Droit International et non pas la violation par un Etat de ces mêmes règles dans le but de voir consacrer sa responsabilité à des fins indemnitaires, il fallait ignorer le critère formel de la structure militaire (contrôle effectif) pour simplement apprécier la dépendance de la V.R.S. à légard de la R.F.Y., de sorte que larmée considérée a agi en qualité dagent de la République Fédérale de Yougoslavie. Cest la conclusion à laquelle arrive la Présidente Mac DONALD qui estime que les victimes étaient bel et bien des personnes protégées au sens de la Convention de GENÈVE. X - LA VIOLATION DES LOIS & COUTUMES DE LA GUERRE LArticle 3 du Statut dirige la Chambre de Première Instance vers les sources du Droit International Humanitaire coutumier qui constitue "les lois et coutumes de la guerre" et vise les violations des dispositions de lArticle 3 commun aux Conventions de GENÈVE applicable au conflit armé ne présentant pas un caractère international, en tant que considération élémentaire dhumanité, applicable aux conflits armés en général (§ 559 et 609). Les critères dapplicabilité du Statut sont les suivants: - la violation doit porter atteinte à une règle de Droit International Humanitaire, - la règle doit être de caractère coutumier ou, si elle relève du droit conventionnel, les conditions requises doivent être remplies, - les violations doivent emporter de graves conséquences pour la victime, - la violation doit entraîner la responsabilité pénale individuelle de son auteur. Il faut en outre, pour satisfaire aux conditions posées par lArticle 3 commun des Conventions de GENÈVE, que soit établi que lacte: - est commis dans le cadre dun conflit armé, - à un lien étroit avec le conflit armé, - est commis contre des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. Lensemble de ces conditions ne pose pas de difficultés particulières et le tribunal estime quen lespèce ces conditions sont remplies. XI - LES CRIMES CONTRE LHUMANITE LArticle 5 du Statut renvoie aux crimes contre lhumanité prohibés par le Droit International Humanitaire coutumier. La notion de crime contre lhumanité en tant que concept juridique indépendant a été reconnu pour la première fois par le Statut du Tribunal de Nuremberg même si la notion existait déjà dans le préambule de la Convention de La Haye de 1907. Le caractère coutumier du Statut de Nuremberg et, partant, de limputation de la responsabilité pénale individuelle pour la perpétration de crimes contre lhumanité, a été rappelé par lONU (§ 622). Pour lAccusation, les éléments constitutifs du crime contre lHumanité sont: - que laccusé ait commis lun des actes énumérés (dans laffaire TADIC trois chefs daccusation pour meurtre, un pour persécution pour raisons politiques raciales et/ou religieuses, et sept pour actes inhumains), - que les actes aient été commis au cours dun conflit armé, - alors quexistait une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, - que laccusé savait quil participait à lattaque contre cette population. La Défense accepte pour lessentiel ces éléments constitutifs mais estime que les crimes doivent être commis dans un conflit armé et que par ailleurs lattaque doit être généralisée et systématique. Le tribunal retient que les actes doivent être commis au cours dun conflit armé ce qui nécessite dune part lexistence dun conflit armé et, dautre part, dun lien entre lacte et ce conflit. Afin décarter les actes isolés, le tribunal apprécie le caractère généralisé ou systématique de lattaque, en estimant que ces conditions sont alternatives comme le prévoit dailleurs le projet de code de la CDI (projet de Code des crimes contre la Paix et la Sécurité de lHumanité - § 647). Le tribunal définit ensuite une conception large du terme "civil" qui englobe fort logiquement les non combattants mais également les personnes engagées dans un mouvement de résistance comme dans le cadre dune décision rendue par le tribunal le 3 Avril 1996, "les patients dun hôpital, civils ou résistants, qui avaient déposé les armes, ont été considéré comme des victimes de crime contre lHumanité" ("hôpital de Vukovar" - § 643). Pour développer cette argumentation, le tribunal sest notamment appuyé sur laffaire Barbie dans laquelle la Chambre dAc cusation de Lyon avait ordonné quun acte daccusation pour crime contre lHumanité soit émis à son encontre pour des "persécutions contre des Juifs innocents" avant que, fort heureusement, la Chambre Criminelle ne casse la décision en estimant que les membres de la Résistance pouvaient également être victimes de tels crimes. (§ 641). Le tribunal, à la suite du Secrétaire Général de lONU, a ajouté une condition supplémentaire de discrimination qui ne figurait pas dans le Statut de Nuremberg. Bien que cette condition ne soit pas prévue au Statut du TPI, ni même au projet de code de la CDI, le tribunal a adopté la condition dintention discriminatoire pour des raisons nationales, politiques, ethniques, raciales ou religieuses, pour tous les crimes contre lhumanité. Enfin, lauteur de linfraction doit avoir conscience du contexte élargi dans lequel ces actes sont commis, cest-à-dire que nest pas incriminé lacte commis dans un dessein purement personnel. Cest dans ces conditions que la Chambre de Première Instance a conclu quun conflit armé existait sur le territoire de lOpstina PRIJEDOR durant la période considérée et que ce conflit était le résultat dune politique consistant à commettre des actes inhumains contre la population civile du territoire, en particulier la population non Serbe, en vue de créer une Grande Serbie. A lappui de cette politique, des actes inhumains ont été commis contre de nombreuses victimes et conformément à un plan reconnaissable. "Les actes ont été dirigés contre une population civile sur la base de raisons discriminatoires, ils ont été commis de manière à la fois généralisée et systématique en application dune politique préconçue et ils lont été dans le contexte dun conflit armé et en étant lié audit conflit" (§ 660). XII - LA RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE LArticle 7 du Statut du TPI définit ce concept en stipulant que "quiconque a planifié, incité à commettre, ordonner, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux Articles 2 à 5 du présent Statut, est individuellement responsable dudit crime" (§ 661). Le concept pour quun acteur individuel puisse être tenu personnellement responsable et puni pour les violations du Droit International Humanitaire a été énoncé pour la première fois lors du procès de Nuremberg dont il est "le legs durable qui donne un sens à linterdiction des crimes de Droit Intemational en prévoyant que les individus qui commettent de tels crimes encourent une responsabilité et sont passibles de châtiment, ce principe est la pierre angulaire du Droit Pénal International" (§ 665). Sont visés par ce principe de responsabilité: - lauteur principal, - le complice ou celui qui avait ordonné ou encouragé ledit crime, - celui qui y a participé en toute connaissance de cause, - celui qui est lié au plan ou entreprise engagé dans sa perpétration, - le membre de toute organisation ou groupe lié à la perpétration de ce crime. LAccusation estime quil faut dabord privilégier le principe de la responsabilité avant, dans un second temps, dapprécier le degré relatif de cette culpabilité qui relève lui de la sentence. Sappuyant sur le procès du "camp de concentration de Mauthausen", lAccusation soutient que toute assistance, soit-elle aussi limitée que la participation au fonctionnement dun camp suffit pour retenir la responsabilité pénale de lindividu. Ainsi, pour les faits de persécution, la simple présence de lAccusé vu sous langle des événements environnants suffit pour conclure quil a contribué aux divers actes illicites étant donné que celle-ci, "en tant que membre dun groupe qui poursuit la persécution des non Serbes contribue et encourage certainement ce crime" (§ 670). Concernant les autres chefs daccusation, IAccusation soutient que lAccusé est pénalement responsable quil ait commis ou non directement les actes répréhensibles ou seulement aidé et encouragé, au sens large, leur perpétration. Pour la Défense, la participation "de quelque manière que ce soit", telle quelle est visée dans lacte dAccusation, ne peut être retenue. Pour la Défense, on ne peut être responsable que si on participe en planifiant, en incitant à commettre, commettant ou aidant et encourageant lexécution. "La présence physique sans action conceffée ne vaut pas complicité" et il faut établir lexistence dun lien causal entre la perpétration du crime et la présence de laccusé pour rechercher sa responsabilité. Le tribunal ne partage pas cette analyse et adopte une conception souple du niveau minimal de participation, sappuyant sur la jurisprudence développée à la suite de la Seconde Guerre Mondiale ou, par exemple, la responsabilité du chauffeur resté dans lautomobile pour éviter que dautres personnes ne viennent perturber ceux qui exécutaient les victimes a été retenue (§ 685). Le tribunal estime que "aider et encourager couvre tous actes dassistance, sous forme verbale ou matérielle, qui prête encouragement ou soutien, aussi longtemps quexiste lintention requise (...) la seule présence ne suffit pas (mais) lorsquelle a lieu en connaissance de cause et exerce un effet direct et substantiel sur la perpétration de lacte illégal", permettant détablir la participation et, partant, la culpabilité pénale (§ 689). XIII - LES CONCLUSIONS JURIDIQUES Après avoir analysé les incriminations telles quelles ressortent des différents articles du Statut, le tribunal apprécie pour chaque fait imputé à TADIC leur applicabilité. Concernant le premier chef daccusation relatif aux faits de persécution, le tribunal doit préalablement définir la notion. Pour lAccusation, les éléments constitutifs de la persécution sont dune part que lAccusé ait commis un acte ou une omission spécifique contre la victime, dautre part quil entendait que lacte ou lomission harcèle, cause des souffrances ou discrimine de toute autre manière la victime pour des raisons politiques, raciales ou religieuses. La Défense ne conteste pas cette analyse mais sest montrée préoccupée par labsence de définition des actes spécifiques ce qui pose la question de savoir si sont également visés les actes relevant dautres incriminations du Statut. Pour lAccusation, le crime de persécution englobe les actes inhumains de toute sorte dirigés contre une population civile quant ils sont commis avec une intention discriminatoire pour des motifs spécifiques (§ 699). Il sagit alors dune élément additionnel de culpabilité quand ces actes sont commis avec une intention discriminatoire. Le tribunal, et dans la mesure où lintention discriminatoire est requise pour tous les crimes contre lHumanité, estime que la question soulevée par la Défense ne peut concerner que les articles autres que lArticle5 du Statut. En fait, se référant toujours sur le précédent historique qua constitué le tribunal de Nuremberg, mais également sur le projet de code de 1996 qui définit la persécution comme lacte "dont le dénominateur commun est le refus de reconnaître les droits de lHomme et Ies libertés fondamentales auxquels chacun peut prétendre sans distinction" (§ 703), le tribunal estime que le crime de persécution englobe des actes de divers degré de gravité allant du meurtre aux voies de fait ou au vol, ou encore à la limitation des professions que peuvent exercer les membres du groupe ciblé. Le Statut du TPI limite les raisons de discrimination aux persécutions commises pour des raisons raciales, religieuses ou politiques. Cependant, si en Droit International coutumier, elles ont un caractère alternatif, le Statut semble indiquer que la discrimination doit être fondée sur les trois motifs concurremment. Le tribunal, qui nexclut pas que le Statut sécarte du Droit International coutumier, estime néanmoins que dans lesprit de la coutume lun seulement des motifs constitue en soi une base suffisante pour fonder la persécution. De lensemble de ces considérations, le tribunal estime TADIC coupable du crime de persécution constitutif du premier chef daccusation. Pour les autres chefs daccusation, le tribunal estime quil constitue une violation des lois et coutumes de la guerre et crimes contre lHumanité, sauf en ce qui concerne les sévices infligés à des détenus non dénommés au camp dOMARSKA fin juin 1992 ainsi que les meurtres commis au camp dOMARSKA, à KOZARAC et encore à JASKICI et SIVCI dont il napparaît pas, au delà de tout doute raisonnable, quils puissent être imputés à lAccusé. Dusko TADIC est ainsi reconnu coupable de 11 des chefs daccusation (dont 2 partiellement), le prononcé de la peine étant renvoyé à une audience ultérieure. XIV - LA PEINE Bien que TADIC ait interjeté appel de la décision, tout comme lAccusation dailleurs, Iaudience sentencielle sest tenue le 14 Juillet 1997. TADIC a été condamné à une peine de 20 années de prison étant rappelé que le Statut ne prévoit pas la peine de mort. Il faut sans doute comparer cette peine à celle qui a déjà été prononcé par le TPI en Novembre 1996 à lencontre dun simple soldat exécutant qui avait été condamné à 10 années demprisonnement pour avoir participé à une exécution massive de civils musulmans. Si dans labsolu, on peut estimer la peine de 20 années comme modérée au regard des faits imputés à TADIC dont le rôle dans le nettoyage ethnique revêtait une autre ampleur, on peut aussi estimer quau regard de certains individus encore à juger, et surtout à arrêter, on se trouve dans une proportion qui laisse à croire que le tribunal nentend pas renoncer à juger prochainement les hauts dirigeants Serbes. Benoît VANDERMAESEN A propos du Tribunal Pénal International de La Haye DOCUMENT Mémoire dAmicus Curiae soumis à la Chambre de première instance II par M. le professeur Alain Pellet et "Juristes Sans Frontieres" Affaire IT-95-14-PT, le Procureur C.Tihomir Blaskic Nous reproduisons le texte du deuxième mémoire présenté au nom de lAssociation. Il a été rédigé par Alain PELLET. Cette copie ne comporte pas, à raison de leur nombre, les références darticles, chroniques, jurisprudences et ouvrages auxquelles ce texte renvoie. Nous les tenons à la disposition de nos lecteurs. 1/ Le présent mémoire est soumis en réponse à linvitation faite par lOrdonnance du juge Gabrielle Kirk McDONALD en date du 14 mars 1997 ("Order Submitting the Matter to Trail Chamber II and Invinting Amicus Curiae", Case N° IT-95-14-PT, The Prosecutor v. Tihomir Blaskic). Cette demande sinscrit dans le cadre de linstruction par le Procureur de laffaire Blaskic et de lémission par le Juge ayant confirmé lacte daccusation de deux actes qualifiés de "supna duces tecum" adressés dune part à la Croatie et dautre part à la Bosnie-Herzégovine et à M. Ante Jelavic, Ministre de la Défense, successeur du conservateur des Archives centrales de lancien Ministère de la Défense de la Communauté croate dHerceg Bosna. Ces "supnae duces tecum" du 15 janvier 1997 visaient à obtenir des informations et des documents relatifs aux faits reprochés à M. Tihomir BLASKIC. En raison de leur inexécution, le Juge McDonald a émis, le 14 février 1995, deux ordonnances destinées à en assurer le respect. Alors que la Bosnie-Herzégovine sefforçait de mettre en uvre les demandes qui lui étaient adressées, la Croatie a mis très directement en cause la validité de cette procédure, en conséquence de quoi le "supna duces tecum" émis à son encontre a été suspendu le 20 février 1997. Par ailleurs, le Juge a constaté le 7 mars 1997 le non-respect dun "supna duces tecum" par M. Ante Jelavic. Par son ordonnance du 14 mars 1997, le Juge McDonald a décidé de saisir la Chambre quelle préside de lensemble des problèmes juridiques soulevés et a invité des amicus curiae à demander lautorisation dintervenir sur les points suivants: le pouvoir dun Juge ou dune Chambre de première instance du Tribunal démettre un "supna duces tecum" à lencontre dun Etat souverain ; le pouvoir dun Juge ou dune Chambre de première instance du Tribunal dadresser une demande à un haut fonctionnaire gouvernemental ou démettre un "supna duces tecum" à son encontre ; les suites à donner en cas dinexécution dun "supna duces tecum" ou dune demande émise par un Juge ou une Chambre de première instance du Tribunal ; toute question connexe. 2/ Liminairement, deux points doivent être éclaircis : la nature de la procédure dite "supna duces tecum" et la compétence du Tribunal pour se prononcer sur la validité de cette procédure. Un "supna duces tecum" est un acte juridique revêtu de lautorité juridictionnelle qui vise à la comparution devant un tribunal du destinataire de lacte afin de présenter certains documents ou, à défaut, dexpliquer pourquoi il nest pas en mesure de le faire. En cas de non-comparution et de non-présentation des documents demandés, le destinataire de lacte se rend coupable dobstruction - de délit dentrave (contempt of court) - et encourt une sanction pénale. Lexpression latine utilisée en droit anglo-saxon et reproduite dans larticle 54 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal a été traduite dans la version française par "assignation". Cette procédure est prévue, parmi dautres actes émis par un Juge ou une Chambre de première instance, dans le cadre de lenquête menée par le Procureur. 3/ Lors de laudience publique du mercredi 19 février 1997, la Croatie a fait valoir, par la voix de son représentant, M. lAmbassadeur SALAJ, que "the issue whether subpnas can be issued to sovereign states should be brought up before the Security Council of the United Nations". Une telle thèse se heurte à de graves objections.Il va de soi que le Conseil de sécurité est libre de modifier pour lavenir le Statut du Tribunal sil le juge nécessaire; mais aussi longtemps quil ne la pas fait, cest à celui-ci quil appartient dappliquer et dinterpréter les textes qui régissent sa compétence. Pour paraphraser la Cour internationale de Justice, "en créant le Tribunal, le Conseil de sécurité na pas délégué ses propres fonctions; il a exercé ses propres pouvoirs, quil tenait de la Charte : la responsabilité principale qui lui incombe en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.[...] Certes, le Tribunal est subordonné en ce sens que le Conseil de sécurité peut labolir en supprimant son Statut [...]. Mais lexamen des termes du Statut démontre que le Conseil de sécurité a voulu créer un corps judiciaire; au surplus, il tenait de la Charte la capacité de le faire." Dès lors, le Tribunal a le pouvoir et le devoir de sacquitter de lintégralité de ses prérogatives judiciaires, et, comme la Chambre dappel la rappelé à bon droit dans sa décision du 2 octobre 1995 dans laffaire Dusko Tadic, comme toute juridiction, il dispose de la compétence de sa compétence, à moins dindication expresse en sens contraire. Qui plus est, il revient à un organe juridictionnel et non à un organe politique de se prononcer sur des questions juridiques. 4/ Il résulte de ces remarques préliminaires que cest à bon droit que la Chambre de première instance II a été saisie de manière à se prononcer sur la validité et les effets juridiques des assignations. La Chambre de première instance I ne pouvait lêtre puisquelle devra juger laffaire et ne peut donc pas se prononcer dans le cadre de lenquête.Dans lespoir daider la Chambre de première instance II à répondre aux questions posées par lordonnance du Juge McDONALD, le soussigné examinera successivement, tant en son nom de "Juristes sans Frontières" quen son nom personnel, la question de la validité dune assignation ("supna duces tecum") adressée à un Etat que celle du pouvoir dun Juge ou dune Chambre de première instance dadresser une assignation de ce type à une personne physique (fut-elle membre dun gouvernement). En ce qui concerne le premier point, il apparaît que les Etats ont lobligation absolue de coopérer avec le Tribunal, mais que les assignations "supnae" ne constituent pas une forme appropriée pour mettre en uvre cette obligation (I). En revanche, le Tribunal peut sans aucun doute émettre de telles assignations à lencontre dindividus, même si ceux-ci sont investis de fonctions officielles, mais à condition quelles leur soient adressées à titre personnel (II). I - La validité contestable des subpnae duces tecum adressés à un Etat 5/ Lobligation des Etats de coopérer avec le Tribunal est particulièrement étendue et absolue (A). Elle trouve cependant ses limites dans le nécessaire respect par le Tribunal de la compétence que lui assigne son Statut (B). Il nen reste pas moins que, si la validité dassignations adressées à un Etat sous la menace de sanctions pénales est contestable, un Juge ou une Chambre de première instance peuvent lui adresser des demandes et tirer les conséquences dun refus de coopération (C). A- Les états ont lobligation absolue de coopérer avec le Tribunal 6/ Le TPI a été créé par les résolutions 808 (1993) et 827 (1993) du Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Aux termes du paragraphe 4 de la résolution 827, le Conseil a décidé : "que tous les Etats apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au statut du Tribunal et que tous les Etats prendront toutes mesures nécessaires en vertu de leur droit interne pour mettre en application les dispositions de la présente résolution et du statut, y compris lobligation des Etats de se conformer aux demandes dassistance et aux ordonnances émanant dune chambre de première instance en application de larticle 29 du statut." Ces obligations simposent aux Etats en vertu notamment des articles 2 et 5, 25 et 41 de la Charte. De plus, la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la République croate, la Républika Srpska et la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ont réitéré leur engagement de coopérer avec le TPI dans les accords de Dayton-Paris. A larticle IX de lAccord-cadre, les Parties ont reconnu leur "obligation (...) de coopérer aux enquêtes et aux poursuites pour crimes de guerre et autres violations du droit humanitaire international". De même, à larticle X de lAnnexe 1-A, elles se sont engagées à "coopérer intégralement avec toutes les Entités (...) qui seraient normalement habilitées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment, le Tribunal international pour lex-Yougoslavie". Par ailleurs, la Bosnie-Herzégovine a organisé les modalités de sa coopération avec le Tribunal en signant avec lui un mémorandum daccord à cette fin le 3 décembre 1994, et lActe constitutionnel croate de coopération entre la République de Croatie et le TPI vise une fin identique. 7/ Tenant compte de lensemble de ces éléments et agissant à nouveau dans le cadre du Chapitre VII, le Conseil de sécurité a, par sa résolution 1031 (1995), parfaitement résumé les obligations pesant sur lensemble des Etats. Au paragraphe 4, le Conseil de sécurité : "réaffirme ses résolutions relatives au respect du droit international humanitaire dans lex-Yougoslavie, réaffirme aussi que tous les Etats doivent apporter leur pleine coopération au Tribunal international pour lex-Yougoslavie et à ses organes conformément aux dispositions de sa résolution 827 (1993) du 25 mai 1993 et du statut du Tribunal international, et se conformer aux demandes dassistance et aux ordonnances émanant dune chambre de première instance en application de larticle 29 du statut, et leur demande de permettre la création de bureaux du Tribunal". Il existe donc une indiscutable obligation pour les Etats de coopérer avec le TPI. 8/ De cette obligation générale découle notamment une obligation spécifique qui est de se conformer aux demandes dassistance et aux ordonnances émanant dune Cham bre de première instance. Cette obligation résulte du reste expressément de larticle 29 du Statut du Tribunal : "Les Etats répondent sans retard à toute demande dassistance ou à toute ordonnance émanant dune Chambre de première instance et concernant, sans sy limiter : a/ Lidentification et la recherche des personnes; b/ La réunion des témoignages et la production des preuves ; c/ Lexpédition des documents ; d/ Larrestation et la détention des personnes; e/ Le transfert ou la traduction de laccusé devant le Tribunal". Toutes les ordonnances émanant dune Chambre de première instance doivent donc être considérées comme juridiquement contraignantes pour les Etats en vertu des règles du droit international et plus particulièrement des dispositions de la Charte des Nations Unies. 9/ Dans ses lettres du 10 février et du 28 mars 1997, comme dans la déclaration lue par son représentant lors de laudience publique du 19 février 1997, la Croatie se prévaut des dispositions spécifiques de lActe constitutionnel de coopération entre la République de Croatie et le Tribunal pénal international. Un tel raisonnement revient à remettre en cause, sinon lexistence de celui-ci, du moins la nature judiciaire de ses fonctions. De toutes manières, cet instrument interne croate ne peut être opposé au Tribunal. Il faut rappeler à cet égard quun Etat ne saurait invoquer les dispositions de son droit interne pour refuser de remplir ses obligations internationales. Comme le précise larticle 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités : "Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution dun traité". Cette disposition reflète une pratique bien établie, consacrée par une jurisprudence constante. Il en va ainsi quelle que soit la place de la règle nationale invoquée dans la hiérarchie des normes internes, et même si elle a valeur constitutionnelle : "... un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis dun autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur". Ce raisonnement simpose dautant plus en lespèce que lobligation des Etats de coopérer avec le Tribunal trouve son fondement dans la Charte des Nations Unies à laquelle les Etats membres ont conféré, dans larticle 103, une valeur supérieure à celle des traités ordinaires, comme la rappelé la CIJ. B - La spécificité des "supna duces tecum" exclut leur utilisation à lencontre dun état. 10/ Lors de laudience publique du 19 février 1997, le Juge McDonald a semblé considérer que larticle 54 du Règlement de procédure et de preuve constituait une base juridique suffisante à la compétence dun Juge ou dune Chambre de première instance pour émettre une "assignation" ("supna duces tecum"). Avec tout le respect dû à la Présidente de la Chambre de première instance II, ceci ne constitue pas une justification suffisante: encore faut-il que cette disposition soit conforme au Statut du Tribunal et quelle ait bien la signification que les ordonnances contestées lui prêtent implicitement. Cest dailleurs le cur même du problème auquel les amicus curiae sont appelés à répondre. Et sil nest pas douteux quil appartient bien au Tribunal (et non au Conseil de sécurité) de se prononcer sur ce point, il nest pas moins certain quil a le devoir de le faire. Dans sa décision dans laffaire Tadic, la Chambre dappel a estimé "que le Tribunal international est compétent pour examiner lexception dincompétence le concernant fondée sur lillégalité de sa création par le Conseil de sécurité". Il lest a fortiori pour se prononcer, par la voie de lexception dillégalité, sur la conformité de son propre Règlement à son Statut. Or cest précisément ce à quoi visent les objections de la Croatie. 11/ Lexamen de cette question soulève essentiellement deux problèmes dimportance inégale : 1°- larticle 54 du Règlement est-il fondé à déléguer à un Juge compétence pour délivrer des assignations ? 2°- une telle assignation peut-elle être adressée à un Etat sous la menace de sanctions pénales ? 12/ Etant donné que larticle 54 du Règlement accorde le pouvoir démettre des assignations indifféremment à "un Juge ou une Chambre de première instance" et que, en lespèce, les ordonnances contestées émanent dun Juge unique, le premier point à éclaircir est celui de savoir si lémission par un Juge dune assignation à un Etat peut être rattachée à la catégorie des "ordonnances émanant dune Chambre de première instance" au sens de larticle 29 précité (n°7). Une interprétation littérale du Statut paraît lexclure. On peut toutefois considérer que, dans le cadre de sa fonction de contrôle des actes nécessaires à lenquête, le Juge est en fait rattaché à une Chambre de première instance et que les actes pris "émanent" donc de la Chambre au sens de larticle 29 du Statut. Cette interprétation est confortée par larticle 19, paragraphe 2, du Statut qui dispose : "... le juge saisi, sur réquisitions du Procureur, décerne les ordonnances et mandats darrêt, de détention, damener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès". Les termes très généraux de la mention soulignée donnent à penser que le Juge saisi bénéficie dune compétence très large pour adopter toutes les ordonnances nécessaires et que celles-ci peuvent être adressées aux Etats eux-mêmes (tel est dailleurs, en fait, le cas des "mandats" expressément mentionnés par cette disposition). Du reste, commentant larticle 29, le Secrétaire général a bien précisé que lobligation de coopération des Etats sétendait aux mandats damener, qui relèvent de la compétence du Juge unique aux termes du second paragraphe de larticle 19. 13/ Le second problème spécifique posé par les subpnae adressés aux Etats tient à la nature même de lassignation qui, en toute logique, conduit, en cas de non-respect, au délit dentrave ou dobstruction ou doutrage au Tribunal (contempt of court). Le terme même, repris du latin par les systèmes juridiques anglo-saxons, "subpna", suppose la menace dune sanction pénale; cette institution juridique, que les droits romano-germaniques ne connaissent pas sous cette appellation, ni, semble-t-il, exactement sous cette forme, se singularise par le fait que le commandement est adressé au destinataire "sub pna". Or, ni en vertu de son Statut, ni en vertu du droit international général, le Tribunal ne peut infliger de "peines" aux Etats au sens du droit pénal. 14/ Dans son Mémoire du 1er avril 1997, dans lequel il défend la thèse contraire, le Procureur écrit : "Notwithstanding the particular terminology used in different legal systems a "supna duces tecum" is simply a legal instrument by which a judicial organ may compel the production of evidence". Cette définition appelle deux remarques: en premier lieu, on peut avoir des doutes sur ladéquation dune conception aussi large au cas en examen; en second lieu et de toutes manières, pour neutre quelle paraisse, cette définition nen pose pas moins un problème dès lors que le subpna ainsi défini est adressé à un Etat. Les doutes que lon peut nourrir à légard de lexactitude, en lespèce, de la définition très vague et générale proposée par le Procureur tiennent à ce que la notion de "supna duces tecum" a été introduite récemment (en 1996) dans larticle 54 du Règlement du Tribunal. Lexposant ignore évidemment pour quelles raisons précises et dans quelles conditions il a été procédé à cette modification; il lui apparaît néanmoins quil sen déduit nécessairement que les "assignations" ("supnae duces tecum") se distinguent des autres instruments juridiques quénumérait déjà larticle 54 : "ordonnances" ("orders"), "citations à comparaître" ("summonses"), "mandats" ("warrants") et "ordres de transferts" ("transfers orders"). Même si lon peut admettre, avec le Procureur, que le régime juridique spécifique des "supnae duces tecum" en vigueur dans les droits des Etats-Unis ou du Royaume-Uni na pas été transposé ipso facto dans la procédure du Tribunal, il apparaît néanmoins que cest bien cette institution juridique qui a été adoptée. Or, dune part, elle est propre aux droits de common law et, dautre part, elle se caractérise bien par la menace de contrainte pénale dont elle est assortie. 15/ Il est significatif à cet égard que, dans son Mémoire, le Procureur invoque à lappui de la définition quil retient des règles en vigueur dans divers Etats, qui nont, en réalité quun rapport lointain avec les "supnae" de la common law. Ainsi par exemple, le premier alinéa de larticle 283 du Code français de procédure pénale dispose : "Le président [de la Cour dassises], si linstruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés depuis sa clôture, peut ordonner tous actes dinformation quil estime utiles". On est loin ici de toute idée de décision "sub pna" (même si une peine pour non respect de telles ordonnances nest pas exclue - cf. larticle 413-11 du Code pénal; mais il ne sagit pas là dune conséquence inhérente au concept d"acte dinformation"). 16/ Quoi quil en soit, il résulte de toutes manières de la définition donnée par le Procureur que la caractéristique première des "supna duces tecum" tient à la contrainte qui peut être exercée pour les faire exécuter ("... a legal instrument by which a judicial organ may compel the production of evidence".) Ceci ne pose pas de problème particulier lorsque lassignation est adressée à une personne physique; mais il nen va pas de même vis-à-vis dun Etat. En effet, alors que loutrage au tribunal (contempt of court) est prévu à larticle 77 du Règlement de procédure et de preuve, il ne concerne que des personnes physiques, témoins ou individus faisant pression sur des témoins, et lon nimagine pas sa transposition à un Etat, que le Tribunal ne peut nécessairement pas condamner à une amende (dont le montant maximal, fixé à 10.000 dollars des Etats-Unis, serait au surplus peu significatif dune entité étatique), et, moins encore à une peine de prison... 17/ Aucune disposition du Règlement, ni du Statut, ne permet au Tribunal de se prononcer sur la responsabilité pénale de lEtat, ni même sur la responsabilité étatique en général; comme le relève un commentaire autorisé, "the International Tribunal is not authorized to impose any penalties on States for non-compliance, in contrast with individuals". Ceci est parfaitement cohérent avec la mission générale du Tribunal qui est de mettre en uvre la responsabilité des individus et non une quelconque forme de responsabilité collective. Plus généralement, ceci est conforme au mécanisme général de la responsabilité internationale de lEtat, que lon rapproche parfois de la responsabilité civile - à tort selon lexposant- mais qui na certainement aucun caractère pénal. Il suffit de relever à cet égard que si larticle 19 du projet darticle de la C.D.I. sur la responsabilité des Etats opère une distinction entre les "crimes" de lEtat et les simples "délits", il est très généralement admis que ce vocabulaire pénaliste est inadapté en ce quil a une connotation pénaliste incompatible avec les caractères de la responsabilité de lEtat au regard du droit international. Du reste, les conséquences que tire la C.D.I. de la notion de "crime international de lEtat" ne lapparentent nullement à celles quen tirent les droits nationaux et excluent toute sanction de caractère proprement pénal. 18/ Ainsi, que lon examine la question sous langle des compétences conférées au Tribunal par son Statut ou sous celui du droit international général, il apparaît clairement que le TPI ne peut prononcer de sanction à lencontre dun Etat pour non-respect dun acte ou dune demande émanant de lui. Ceci, de lavis de lamicus curiae, exclut la possibilité dadresser à un Etat une demande "sub pna" : le Tribunal ne peut tirer du refus dun Etat de se plier à un ordre de ce genre une conséquence de nature pénale. C - Les solutions possibles 19/ Si lon admet le bien-fondé des deux conclusions partielles exposées ci-dessus, à savoir : 1°/ que les Etats ont lobligation absolue de coopérer avec le Tribunal, mais 2°/ que celui-ci ne peut leur adresser "dassignations" sub pna, la question se pose de déterminer de quelle(s) solution(s) de rechange dispose le Juge ou la Chambre de première instance saisis pour mettre en uvre et faire respecter larticle 29 du Statut. 20/ Un premier point paraît ne faire aucun doute : quil sagisse de la Chambre ou dun Juge unique, rien nexclut la possibilité dadresser des demandes aux Etats, dans le cadre de la conduite du procès, et ces de man des ont, pour leur(s) destinataire(s), un caractère rigoureusement obligatoire. La seule impossibilité est démettre des demandes - qui ont le caractère de commandements- sous la menace de sanctions pénales. En dautres termes, le Juge ou la Chambre peuvent adopter des "ordonnances" ("orders"), sans restrictions, et pour toutes les fins nécessaires à la procédure. Il est, à cet égard, révélateur que lénumération figurant à larticle 29 du Statut ne soit expressément, pas limitative. Ils peuvent donc agir dans le cadre de larticle 54 du Règlement, et la Chambre de première instance peut également se fonder sur larticle 98. Dans le cas présent, le seul reproche juridique qui puisse être adressé aux ordonnances initiales du Juge McDONALD ne tient pas à leur contenu mais à la forme retenue, "sub pna", alors que le Tribunal ne peut infliger aucune sanction pénale aux Etats destinataires en cas de non-exécution. 21/ La solution raisonnable paraît donc être que la Chambre de première instance I rapporte les ordonnances du 15 janvier et du 14 février 1997 et, si elle estime les mesures ordonnées utiles, quelle adopte une nouvelle ordonnance demandant la transmission des documents en question. La Croatie sera alors dans lobligation de coopérer avec le Tribunal et de transmettre les documents demandés. La situation actuelle, après la suspension du "supna duces tecum" par lordonnance du Juge McDONALD du 20 février 1997 qui a relancé la coopération avec la Croatie, paraît dailleurs sinscrire assez nettement dans ce schéma. Un peu plus difficile apparaît, dans cette perspective, la situation de la Bosnie-Herzégovine, qui na jamais contesté le bien-fondé de lassignation qui lui a été adressée. Néanmoins, lamicus curiae suggère respectueusement que, dans le souci de régulariser la procédure, il serait sans doute préférable de procéder de la même manière à son égard. 22/ Dans lun comme dans lautre cas, la question ne sen pose pas moins de déterminer la conduite à tenir dans lhypothèse où les Etats destinataires ne respecteraient pas les termes de ces nouvelles ordonnances, au contenu assez proche du "supna duces tecum" mais vidé de la menace immédiate, que le Tribunal ne peut pas prononcer. Il semble que, dans une telle hypothèse, rien nempêcherait la Chambre de première instance II ou sa Présidente dinviter lEtat en cause à sexpliquer de son manquement à lobligation de coopération qui lui incombe (comme du reste le Juge McDonald la fait dans les phases précédentes de laffaire); celui-ci se verrait contraint de déférer à cette demande. Mais il lui appartiendrait alors de déterminer lui-même quels seront ses représentants car il sagit dun acte adressé à une collectivité en tant que telle et non à un individu spécifique. Si la Chambre de première instance ou le Juge saisi ne sont pas satisfaits des explications, ils ne disposent daucun pouvoir dexécution forcée à lencontre de lEtat en cause et ne peuvent que se limiter à constater le défaut de coopération et à le porter à la connaissance du Conseil de sécurité, par lintermédiaire du Président du Tribunal. 23/ Certes, une telle issue nest prévue par aucune disposition expresse du Statut. Elle est cependant conforme à son esprit et aux relations qui existent entre le Tribunal et son "créateur", le Conseil de sécurité, et aux responsabilités globales conférées à celui-ci. Le Tribunal a été créé par le conseil de sécurité en tant quorgane subsidiaire conformément à larticle 29 de la Charte, sur le fondement du chapitre VII de la Charte. Mais, comme ceci a été souligné ci-dessus, il nen résulte pas que, ce faisant, le Conseil ait délégué ses propres fonctions : il demeure, seul, investi de sa "responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales" et du pouvoir de sanction que lui confère le chapitre VII. Cest donc à lui quil appartient dadopter les mesures qui simposent pour permettre au Tribunal dassurer effectivement la mission qui lui a été confiée dans le cadre de la responsabilité plus générale du Conseil. Cest du reste sans doute sur la base dun raisonnement de ce type que le Tribunal a expressément prévu quil lui était loisible de saisir le Conseil de sécurité de certains manquements spécifiques des Etats à leur obligation de coopération. Il en va ainsi de : non-respect dune demande officielle de dessaisissement (article 11) refus de se plier à une ordonnance adoptée en vue dassurer le respect du principe non bis in idem (article 13) non-exécution dun mandat darrêt ou dun ordre de transfert (articles 59B), ou défaut de signification dun acte daccusation (article 61E) Il est significatif que, dans cette dernière hypothèse, le Règlement se fonde expressément sur larticle 69 du Statut. 24/ On peut, il est vrai, sinterroger sur la faculté du Tribunal de saisir le Conseil de sécurité en labsence dune disposition expresse du Règlement. Lobjection ne paraît cependant pas dirimante. Dune part en effet, aux termes de larticle 15 du Statut, cest au Tribunal lui-même quil appartient dadopter (et, par suite, de modifier) son Règlement et il na pas hésité à y insérer des dispositions de ce type. Dautre part, en tant quorgane subsidiaire du Conseil, il paraît légitime que le Tribunal puisse saisir celui-ci chaque fois quil en ressent le besoin; en vertu de larticle 34 du Statut, le Président du Tribunal est du reste tenu de présenter chaque année un rapport annuel au Conseil de sécurité (et à lAssemblée générale). 25/ Il va de soi que cest à la Chambre de première instance ou au Juge saisis de déterminer si le comportement de lEtat justifie ou non la saisine du Conseil de sécurité et, pour cela, il leur appartient de prendre en considération les circonstances particulières à chaque espèce. En la présente occurrence, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie invoquent chacune des motifs différents pour justifier la non-exécution des mesures ordonnées par le Juge McDONALD. Lamicus curiae nentend pas prendre parti sur leur bien-fondé dans le cas particulier et se bornera seulement à de brèves remarques de caractère général. 26/ La Croatie se place sur trois terrains différents pour refuser de donner effet à lassignation "sub pna" qui lui a été adressée : en premier lieu, elle conteste la licéité même dune mesure de ce genre; sur ce point lamicus curiae estime que sa position est juridiquement fondée; mais il peut y être remédié si la Chambre de première instance II reprend une procédure correcte. en deuxième lieu, ce pays considère que certains des documents requis ne sont pas pertinents; il appartient au Juge saisi ou au Tribunal dapprécier ces allégations souverainement; en troisième lieu et enfin, les autorités croates estiment que lobligation de coopération avec le Tribunal pesant sur les Etats sarrête là où commencent les intérêts de la sécurité nationale. Dans son Mémoire du 1er avril 1997, le Procureur discute longuement cette allégation. Lamicus curiae partage généralement ces positions tout en pensant que des conclusions plus fermes pourraient être tirées de largumentation : a/ lintérêt national dun Etat peut légitimement limiter lobligation de celui-ci de coopérer avec le Tribunal sur des points déterminés; b/ le Tribunal est seul juge de la légitimité de telles prétentions, dont lEtat en cause doit sexpliquer devant lui de manière précise et motivée; c/ il semble raisonnable que ces explications soient données à huis clos; d/ si lEtat refuse de sexpliquer sur ce point ou de donner effet à une décision de la Chambre de première instance ou du Juge saisi écartant son objection, il agit à ses risques et périls et il appartient au Tribunal de tirer les conséquences de ce refus, e/ y compris en saisissant, le cas échéant, le Conseil de sécurité. 27/ Pour sa part la Bosnie-Herzégovine - qui ne conteste pas la compétence dun Juge pour adresser des "assignations" à un Etat - semble sêtre acquittée de son obligation de coopération à la satisfaction du Juge saisi, nen est pas moins dans lincapacité de fournir au Tribunal les documents requis. Juridiquement, la responsabilité dun Etat se trouvant dans une telle situation ne paraît pas pouvoir être engagée : dune part, lobligation de coopération qui pèse sur tous les Etats à légard du Tribunal est une obligation de comportement et non une obligation de résultat; dautre part et en tout état de cause, "à limpossible, nul nest tenu" et la force majeure constitue, en droit international comme en droit interne, une "cause exonératoire de responsabilité" ou, probablement de manière plus exacte, une "circonstance excluant lillicéité", étant entendu que cest à lEtat den apporter la preuve. Il nen résulte dailleurs pas forcément que le Juge saisi ou la Chambre de première instance soient, dans un cas de ce genre, forcément empêchés de saisir le Conseil de sécurité par lintermédiaire du Président du Tribunal. Il semble au contraire quil soit loisible à ce dernier dagir pour attirer lattention du Conseil sur les causes qui rendent impossibles pour lEtat de donner effet aux ordonnances qui lui ont été adressées. Encore une fois, il nest pas attendu du Conseil quil exerce ses pouvoirs de fonctions judiciaires, mais, ce qui est tout différent, quil exerce ses pouvoirs de crcition en vue de permettre au Tribunal de sacquitter de sa mission et, pour cela, il peut, bien sûr, prendre des sanctions contre un ou plusieurs Etats, mais il lui est également loisible dagir à légard de toute "partie intéressée". Ainsi, durant la crise yougoslave (et en dautres occasions), il ne sest, en effet, pas privé de sadresser directement à des entités non étatiques, de leur enjoindre dadopter un comportement déterminé et même dadopter des mesures contraignantes à leur encontre. En dautres termes, la saisine du Conseil de sécurité pourrait être un moyen pour le Tribunal de tenter dobtenir que le Conseil exerce des pressions non seulement sur un Etat qui refuse de coopérer mais aussi sur une entité non étatique quelconque, voire même sur un individu, qui, par son attitude tient en échec la bonne volonté de lEtat requis et empêche celui-ci dapporter son aide au Tribunal. Ceci conduit à examiner la questions des assignations adressées à une personne physique. II- La validité incontestable des subpnae duces tecum adressés à une personne physique, même investie de fonctions officielles 28/ Autant le principe même dune assignation "sub pna" à un Etat semble discutable, autant rien ne paraît sopposer à ce quune personne physique soit le destinataire direct dun "subpna duces tecum" (A), même lorsque cette personne est investie de fonctions officielles, si, du moins, celles-ci ne sont pas la cause de la demande du Tribunal (B). Ici encore, la question se pose de la conduite à tenir si lintéressé, quil soit ou non investi de telles fonctions, ne respecte pas lassignation dont il est destinataire (C). A - Le Tribunal peut adresser un subpna duces tecum à un individu 29/ Comme lavait relevé le Tribunal militaire international de Nuremberg, "ce sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent des crimes dont la sanction simpose, comme sanction du Droit international". Il nest pas exagéré de considérer que ce principe est à la base même de lexistence du TPI et constitue le fondement de ses compétences. Cest pour punir des hommes, de chair et de sang auteurs de crimes qui révoltent la conscience de lhumanité toute entière et dont la répression intéresse la communauté internationale dans son ensemble quil a été créé. De la même manière, la non-communication déléments nécessaires à lenquête est le fait dhommes et non dentités abstraites. Ces hommes ne commettent pas directement lun des crimes du droit des gens, mais ils empêchent la répression de ceux-ci. Il est donc logique que le Tribunal, le cas échéant, constate et sanctionne une telle attitude, ce qui relève de ses compétences implicites et est conforme à lexercice de la fonction juridictionnelle par les tribunaux pénaux dans tous les ordres juridiques. 30/ Du reste, bien que le Statut ne comporte aucune disposition expresse en ce sens, plusieurs dispositions du Règlement de procédure et de preuve envisagent la possibilité dadresser des commandements exprès à des personnes physiques. Tel est le cas de toutes les dispositions qui sadressent directement aux suspects, aux accusés, aux condamnés, aux conseils ou aux témoins. Ceci ne pose pas de problème particulier et est conforme au principe dégagé dès 1928 par la Cour permanente de Justice internationale selon lequel : "on ne saurait contester que lobjet même dun accord international, dans lintention des parties contractantes, puisse être ladoption par les parties de règles déterminées créant des droits et des obligations pour les individus". 31/ Lémission dune assignation à lencontre dun individu repose sur larticle 54 du Règlement de procédure et de preuve. Celui-ci précise et développe les dispositions de larticle 19, paragraphe 2, du Statut : "Sil confirme lacte daccusation, le juge saisi, sur réquisition du Procureur, décerne les ordonnances et mandats darrêt, de détention, damener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès." Sans doute, ni lune, ni lautre de ces dispositions ne précisent-elles expressément que ces actes peuvent être adressés à des personnes physiques, mais lexpression "nécessaires pour la conduite du procès" a été interprétée de façon large comme signifiant "nécessaires aux fins de lenquête, de la préparation ou de la conduite du procès" (formulation de larticle 54 du Règlement) et, dans les deux cas, on a toujours considéré que les individus pouvaient être et étaient directement visés. On peut dailleurs relever que, dans le cas présent, ni la Bosmie-Herzégovine, ni la Croatie nont contesté la possibilité pour le Tribunal - quil sagisse dune Chambre de première instance ou dun Juge unique - dadresser des ordonnances de toutes natures à des personnes physiques, et de le faire "sub pna". Davantage même : dans sa lettre du 28 mars 1997, la Croatie sappuie expressément sur le fait que le Règlement de procédure et de preuve prévoit des sanctions pénales à lencontre des individus et non des Etats pour dénier au Tribunal la possibilité dadresser des subpnae duces tecum à ces derniers; du même coup, elle reconnaît, implicitement mais nécessairement, la validité des sanctions pénales prévues à larticle 77 du Règlement à lencontre des premiers en cas de non-exécution des mesures ordonnées en vertu de larticle 54. B - Les personnes physiques ne peuvent invoquer leurs fonctions officielles pour se soustraire à un subpna duces tecum 32/ Selon la Croatie cependant, la compétence dune Chambre de première instance ou dun Juge unique dadresser des assignations sous la menace de sanctions pénales (" sub pna ") ne sétendrait pas aux individus investis de fonctions officielles. Reconnaissant lobligation des Etats de coopérer avec le Tribunal, elle admet que " the assistance request can be directed to a state ", mais elle ajoute : " but not to a specifically named high government official to appear to behalf of the state ". Elle précise en outre dans sa lettre du 28 mars 1997 : "A State has the right to act independently in designating the authority or the individual who will cooperate with the Tribunal which stipulates that this cooperation is incumbent upon the Government of Croatia and not upon individuals". 33/ Cette argumentation appelle deux remarques. En premier lieu, largument fondé sur la loi constitutionnelle croate nest pas recevable en droit international public, ainsi que ceci a été rappelé ci-dessus. En outre et en second lieu, lamicus curiae a la conviction que le problème nest pas convenablement posé de cette manière : certes, si le Tribunal adresse une ordonnance à un Etat, cest à celui-ci de déterminer les moyens propres à sacquitter de lobligation générale lui incombant. Mais ce nest pas le cas lorsque la demande (quelle que soit sa forme) est adressée à une personne physique nommément désignée. Dans une telle hypothèse, le Tribunal - Chambre de première instance ou Juge unique - estime que cest la collaboration de cette personne qui est nécessaire "pour la conduite du procès" ou "aux fins de lenquête, de la préparation ou de la conduite du procès". Cette détermination relève de la compétence du Tribunal, et il nappartient pas à un Etat, quel quil soit, de contester cette décision. 34/ Il y a cependant lieu de distinguer deux hypothèses bien distinctes : - en premier lieu, il peut se faire que le Juge ou la Chambre de première instance soient intéressées par la collaboration dun individu en particulier, dont il se trouve quil exerce des fonctions officielles, gouvernementales ou non; - mais, en second lieu, il peut arriver également que la Chambre ou le Juge saisis ne sintéressent à cette personne quà raison des fonctions quelle exerce. Cette distinction nest probablement pas toujours aisée en pratique, mais elle ne paraît guère discutable conceptuellement et elle a sans aucun doute des conséquences sur le plan juridique. Dans la seconde hypothèse (collaboration en tant quorgane et représentant de lEtat), dune part, la demande survit à un éventuel changement du titulaire de la fonction : ce nest pas M.X ou M.Y qui est en cause, mais le Ministre titulaire de tel ou tel poste ministériel ou le chef de tel ou tel service; et, dautre part et surtout, le raisonnement développé ci-dessus à propos de lEtat lui-même, paraît pleinement transposable : lintéressé a, sans aucun doute, lobligation de répondre avec diligence et complètement à la demande du Juge ou de la Chambre, mais celle-ci ne peut lui être adressée sub pna: dans lexercice de ses fonctions, il représente lEtat et ne peut être considéré comme une personne privée. Il en va différemment dans la première hypothèse, celle dans laquelle ce nest pas le Ministre, ou le chef de service, mais bien M.X ou M.Y, dont il se trouve quil est investi de fonctions officielles. 35/ Dans ce cas, le seul véritable problème - mais il nest, curieusement, soulevé, au moins directement, ni par la Croatie ni par M. Ante JCLAVIC - est de savoir si un membre du gouvernement ou, plus généralement, toute personne investie de fonctions officielles, civiles ou militaires, ne pourrait exciper de celles-ci pour se soustraire à une injonction dun organe du Tribunal et bénéficier, en quelque sorte "par contamination" des immunités de lEtat souverain et si, comme dans lautre hypothèse, le raisonnement applicable à lEtat lui-même ne devrait pas être étendu à ces personnes. Il est certain quun tel argument trouve quelque fondement dans les règles du droit international général. On peut en particulier remarquer quau regard du droit de la responsabilité internationale de lEtat, "est considéré comme un fait de lEtat daprès le droit international le comportement de tout organe de lEtat ayant ce statut daprès le droit interne de cet Etat, pour autant que, en loccurrence, il ait agi en cette qualité". "Le comportement dun organe de lEtat est considéré comme un fait de cet Etat daprès le droit international, que cet Etat appartienne au pouvoir constituant, législatif, judiciaire ou autre, que ses fonctions aient un caractère international ou interne, et que sa position dans le cadre de lorganisation de lEtat soit supérieure ou subordonnée". De même, en labsence de faute lourde, les immunités de lEtat, de juridiction ou dexécution, sétendent à lensemble des organes de lEtat, en tout cas lorsque ceux-ci exercent des prérogatives de puissance publique. 36/ Toutefois, tout bien considéré, il ne sagit pas, ici non plus, dobjections décisives: - en premier lieu, ces règles ne sont applicables que si la personne considérée agit "en qualité dorgane de lEtat"; ceci nest pas, en principe, le cas lorsque le Tribunal fait appel à leur coopération en les désignant nommément; - en second lieu et surtout, elles ne présentent pas un caractère absolu; supplétives de volonté, elles cessent dêtre applicables en présence de normes contraires dérogatoires. Tel est le cas dans le cadre du TPI dont la compétence repose sur lidée de "voile étatique", dont larticle 7, paragraphe 2, du Statut constitue la traduction la plus frappante, dans la droite ligne des dispositions généralement applicables devant les juridictions pénales internationales. Sans doute, cette disposition concerne-t-elle la compétence ratione personae du Tribunal et les personnes appelées à collaborer avec lui ne sont-elles pas, en principe, justiciables deavnt lui. Toutefois, ce principe nest pas absolu, comme en témoignent les articles 77 et 91 du Règlement et il ne serait pas conforme à lesprit du Statut dadmettre une inégalité entre ces personnes selon quelles sont, ou non, investies de fonctions officielles. Ceci constitue probablement un principe central de la responsabilité individuelle en droit international : les individus ne peuvent se retrancher derrière leur fonction, derrière des ordres supérieurs, derrière des dispositions légales internes ou derrière la souveraineté étatique pour sexonérer de leurs obligations en vertu du droit international. Dès lors, à partir du moment où il est bien clair que les assignations ne leur sont pas adressées en tant que représentants de lEtat mais en tant quindividus, cest à dire que leur responsabilité individuelle est engagée, il ny a aucune raison de distinguer entre une personne "purement" privée et une autre, investie de fonctions officielles. 37/ La Croatie semble considérer quune telle interprétation permet au Tribunal de singérer dans ses affaires intérieures et porte atteinte à lexclusivité de juridiction des Etats sur leur ressortissants qui, selon une partie de la doctrine, constituerait le cur même de la notion de "domaine réservé", notion consacrée par larticle 2, paragraphe 7 de la Charte. Cette notion est essentiellement relative et son étendue paut varier en fonction des engagements contractés par les Etats. Selon la CPJI : "La question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif de lEtat est une question essentiellement relative : elle dépend du développement des rapports internationaux. (...) Il se peut très bien que, dans une matière qui (...) nest pas, en principe, réglée par le droit international, la liberté de lEtat de disposer à son gré soit néanmoins restreinte par des engagements quil aurait pris envers dautres Etats". De tels engagements se trouvent dans la Charte elle-même : si elle fait de la non-intervention dans les affaires intérieures dun Etat un principe essentiel, elle a prévu une exception, dans larticle 2, paragraphe 7, lui-même, en ce quil concerne la mise en uvre du Chapitre VII : "Aucune disposition de la présente Charte nautorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale dun Etat ni noblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte : toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à lapplication des mesures de crcition prévues au Chapitre VII ". Or la création du TPI et ses pouvoirs reposent sur les résolutions 808 (1993) et 827 (1993) adoptées par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Dans ce cadre, les Etats ne peuvent pas invoquer le principe de non-intervention dans leurs affaires intérieures ni la notion de domaine réservé ou de "compétence nationale". Dès lors, le TPI peut sadresser aux individus, même lorsquils sont investis de fonctions officielles, et émettre des actes directement contraignants à leur égard, indépendamment de lacquiescement étatique. C - Les solutions possibles 38/ Dès lors que la Chambre de première instance ou le Juge saisis ont compétence pour adresser des "assignations" à toute personne physique, sans égard pour ses éventuelles fonctions officielles, le problème des mesures à prendre en cas dinexécution se pose - théoriquement au moins - dans les mêmes termes que lintéressé exerce ou non de telles fonctions. On peut donc considérer que, dans les deux cas, le non respect dun "subpna duces tecum" peut conduire à une sanction infligée par la Chambre de première instance dont la décision naura pas été exécutée. Toutefois, si le principe ne suscite pas dobjection particulière, sa mise en uvre risque de se heurter à de grandes difficultés. 39/ Certes, on pourrait songer à faire application des dispositions de larticle 77 du Règlement de procédure et de preuve, mais : - dune part celui-ci nest applicable, si on linterprète à la lettre, quaux refus de témoignages; or le non-respect des "assignations" prévues à larticle 54 peut sapparenter à cette forme doutrage au Tribunal, mais ce ne sera, dévidence, pas toujours le cas; il semble donc opportun de modifier la rédaction de larticle 77 pour étendre le champ dapplication; ceci paraît dautant plus nécessaire que son utilisation dans des hypothèses non expressément prévues pourrait susciter des objections, sans doute justifiées, fondées sur le principe fondamental du droit pénal nulla pna sine lege; - dautre part, larticle 77 a visiblement été conçu pour sappliquer dans les hypothèses où le témoin est physiquement présent dans la salle daudience, ce qui simplifie - sans les résoudre forcément- les problèmes liés à son arrestation éventuelle; mais quid des personnes qui, comme cest le cas dans laffaire qui a suscité lappel à amicus curiae, se trouvent sur le territoire dun Etat qui soit refuse de coopérer avec le Tribunal, soit ne dispose pas dune autorité suffisante pour répondre à ses demandes? Assurément la Chambre de première instance pourrait se fonder sur les termes très larges de larticle 19, paragraphe 2, du Statut du Tribunal pour décerner un mandat damener qui lui paraîtrait "nécessaire pour la conduite du procès" et ceci pourrait sans doute se justifier lorsque des problèmes de principe sont en jeu. Mais, en pratique, une telle décision risque de se heurter à de sérieuses difficultés, surtout si lintéressé agit avec la complicité de son Etat (ce qui sera souvent le cas lorsquil est investi de fonctions officielles) ou sil est protégé par un statut qui, de fait, lui confère limmunité (protection de communautés ethniques, particulièrement à craindre dans lex-Yougoslavie). 40/ Il apparaît clairement que, lorsque tel est le cas, le TPI se trouve "désarmé", au sens propre, comme au sens figuré. Ses décisions sont certes obligatoires et simposent en principe à lEtat sur le territoire duquel lindividu se trouve; mais leur exécution dépend entièrement de la bonne volonté ou des capacités dagir effectives de lEtat territorial. Le Tribunal, pour sa part, ne dispose daucun moyen de contrainte, ni pour faire exécuter lui-même ses décisions, ni pour obliger lEtat à sy plier. Face à une demande de coopération infructueuse, la première réaction du Juge ou de la Chambre de première instance devrait sans doute consister à sinterroger sur les raisons réelles de cette situation : impuissance ou mauvaise volonté de lEtat? Pour réponde à cette question, il paraît logique et nécessaire que lEtat en cause soit amené à sexpliquer. Larticle 19 du Statut confère au Juge saisi ou à la Chambre de première instance les pouvoirs nécessaires pour convoquer des représentants des Etats à venir sexpliquer devant lui ou devant elle. Cest du reste ainsi qua procédé le Juge McDONALD dans laffaire en examen. Un tel débat devait permettre de déterminer si la carence constatée relève ou non de la responsabilité de lEtat territorial. Dans lune comme dans lautre des hypothèses envisagées ci-dessus (complicité ou impuissance de lEtat), la seule ressource dont dispose le Tribunal est donc de sadresser au Conseil de sécurité par lintermédiaire de son Président. Il appartient donc au Juge ou à la Chambre de première instance saisis de constater que lindividu auquel un "subpna duces tecum" a été adressé ne sy est pas soumis au terme dun délai raisonnable et, le cas échéant, que cette carence engage la responsabilité de lEtat dont il est un officiel ou qui exerce son contrôle sur lui, et de prier le Président du TPI den informer le Conseil. Comme lamicus curiae croit lavoir établi, rien nexclut de procéder ainsi, même dans le cas où rien ne peut être reproché à lEtat sur le territoire duquel lintéressé se trouve, la compétence du Conseil de sécurité ne se limitant pas au pouvoir de sanctionner des Etats. En effet, dans lexercice de sa "responsabilité principale", le Conseil peut prendre toutes les mesures propres à assurer le maintien de paix et la sécurité internationales à légard de toutes les "parties intéressées". La question évidemment essentielle in concreto de savoir si et comment il le fera ne relève ni du Tribunal, ni, plus généralement, des juristes ... 41/ Aux termes de cet examen, il apparaît à "Juristes sans Frontières" et au soussigné que 1° Un Juge ou une Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour lex-Yougoslavie nont pas compétence pour adresser une "assignation" ("subpna duces tecum") à un Etat souverain; mais quil peuvent en revanche lui adresser toute ordonnance visant aux mêmes fins, à la condition que ce ne soit pas sous la menace de sanctions, que le Tribunal na pas compétence pour infliger à un Etat. 2° Un Juge ou une Chambre de première instance ont compétence pour adresser une demande ou une "assignation" ("subpna duces tecum") à une personne physique quelle quelle soit, fût-elle investie de fonctions officielles, y compris un membre du gouvernement, et que, dans ce cas, cette personne agit en son nom propre et non en tant que représentante de lEtat et quelle ne peut exciper de ses fonctions officielles pour refuser de donner suite à cette demande ou à cette assignation. 3° Si un Etat ne donne pas suite à une demande qui lui est adressée, par ordonnance, par un Juge ou une Chambre de première instance, celui-ci ou celle-ci peuvent prier le Président du Tribunal dinformer le Conseil de sécurité de ce manquement à lobligation absolue quont les Etats de coopérer avec le TPI; il en va de même si une personne physique, quelle soit investi ou non de fonctions officielles, ne défère pas à une demande ou une assignation. En outre, dans cette hypothèse, cette personne sexpose à des sanctions pénales. 4° Bien que des modifications trop fréquentes du Règlement ne semblent pas être de nature à renforcer la crédibilité du Tribunal, il serait probablement opportun que celui-ci procède à certaines modifications pour faire face plus commodément à des situations de ce genre. Dune façon plus générale, il pourrait nêtre pas inutile dexaminer le Règlement dans une perspective moins exclusivement pénaliste (et plus "internationaliste") que celle dans laquelle il a été rédigé et dy apporter les compléments qui simposent pour tenir compte de sa nature de Tribunal pénal international. Je soussigné, certifie que le présent Mémoire correspond à ma conviction sincère et véritable et a éte rédigé en toute indépendance, en collaboration avec M.Hervé Ascensio, Attaché temporaire denseignement et de recherche à lUniversité de Paris X-Nanterre, et en liaison avec Mme le Professeur Marie-Luce Pavia, Présidente de "Juristes sans Frontières". Fait à Garches le 5 avril 1997, pour servir et valoir ce que de droit, Alain PELLET Professeur à lUniversité de Paris X-Nanterre et à lInstitut dEtudes politiques de Paris, Membre de la Commission du Droit international des Nations Unies. Réflexion Lutte contre limpunité, justice internationale et implication citoyenne La Revue Coopération internationale pour la Démocratie (c/o SOLAGRAL, 3191 Route de Mende, BP 5056, 34033 Montpellier Cedex 1) a publié dans son numéro 7/8, daté de juin-juillet 1997, un dossier très fourni (380 pages !) entièrement consacré à la région des Grands Lacs africains. Sous la direction de Marcel Marloie, les différents contributeurs (parmi lesquels on relève les noms de Michel Rocard, Amany Toumani Toure, Jean-Pierre Getti, André Guichaoua ...) sattachent notamment à formuler "des propositions pour laction". Philippe Ryfman, membre parisien de JSF, figure au nombre des auteurs. Avec laimable autorisation de la Direction de la Revue, nous reproduisons ci-après des extraits de son article. Nous ne pouvons quinciter de toute façon les lecteurs de la Lettre à se procurer ce numéro, encore une fois passionnant, directement en écrivant à ladresse sus-indiquée, au prix de 90F + frais de transport (16F). "Le fait de refuser la légitimation du meurtre nest pas plus utopique que les attitudes réalistes daujourdhui". (A. Camus, in Ni victimes, ni bourreaux, Actuelles I, Paris (1977), Gallimard, édition La Pléiade, p.335) (...) Nombre dobservateurs saccordent pour souligner que labsence de véritable enclenchement dun processus de jugement des principaux concepteurs et auteurs présumés du génocide davril 1994 au Rwanda, trois années après sa commission(1), peut-être considérée comme lune des causes de lembrasement de lEst Zaïre, aujourdhui République Démocratique du Congo, depuis novembre 1996. La question de limpunité est par conséquent ici centrale. Quelle nait guère à ce jour trouvé de réponse(s) satisfaisante(s) ninterdit pas (dans une optique de résolution des crises et de prévention de conflits futurs) de sinterroger sur quelques points saillants à son propos (...). Nous proposons den éclairer la thématique à travers des exemples de combats similaires et en considérant dabord plus particulièrement certaines des fonctions qui pourraient être les siennes dans lapaisement des crises. A partir de modèles élaborés ailleurs, on verra aussi que cette bataille peut parfaitement trouver une traduction hors du terrain judiciaire où on la situe presque trop classiquement. Quant à celui-ci la question demeure du jugement par la justice du pays concerné et/ou par une juridiction internationale peut-être permanente, mais aussi, alors, de larticulation de cette dernière avec dautres justices nationales. Elle ne saurait enfin faire léconomie dune réflexion sur la part que des citoyens de pays du Nord peuvent prendre à un combat ni théorique, ni ésotérique mais recouvrant des enjeux très concrets. La lutte contre limpunité comme facteur de réconciliation des sociétés et de prévention des conflits futurs. Il nest pas le lieu ici délaborer un paradigme des multiples raisons de poursuivre et de faire comparaître les responsables et auteurs de violations massives des Droits de lHomme et datrocités en tous genres. Mais on peut constater en cette fin dun siècle (qui malheureusement de ce point de vue fut "exemplaire" dans le mauvais sens du terme...), quémerge en pareille circonstance, et de plus en plus, une exigence forte de cessation de limpunité dont ils bénéficient le plus souvent. Et ce, non seulement, comme on pourrait sy attendre, à linitiative des survivants ainsi que des familles des victimes, mais, (et cest un facteur nouveau), à la fois au sein des sociétés elles-mêmes des pays concernés, et de la part de ce quon a coutume de dénommer aujourdhui la "communauté internationale". (...) Outre celles auxquelles on pense spontanément (valeur déportée universelle, Droits de lHomme, respect de la personne humaine, éthique...), il nous paraît judicieux dinsister aussi, brièvement, sur quelques autres éléments à notre sens encore insuffisamment soulignés en la matière, et qui mériteraient pourtant dêtre approfondis dans les années à venir. (...) A quels facteurs donc attribuer ce commencement de diffusion planétaire de ce qui pourrait bien devenir un nouvel impératif ? (...) Le premier de ces facteurs est quil faut aussi lutter contre limpunité des auteurs de crimes ainsi que de leurs instigateurs parce que les sanctionner recèle une vertu "pédagogique", en contribuant à la résolution des conflits en cours et à la prévention des conflits futurs. La dimension daide à la sortie de crises du refus de limpunité se vérifie ainsi à travers lexemple très récent du Guatemala. A la fin de lannée 1996, un accord mettant fin à un conflit long (36 ans...) et sanglant (au moins 100 000 morts) y est intervenu entre la guérilla et le gouvernement. Des violations massives des Droits de lHomme avaient été commises durant la guerre civile par les deux protagonistes. Or, sous la pression conjointe dONG locales et internationales de défense des Droits de lHomme, dautres organisations de la société et des associations de familles de victimes, cette convention a prévu que leurs auteurs, à quelque bord quils appartenaient, seront recherchés, ou en tout cas ne seront pas automatiquement amnistiés, sans quils aient été au moins formellement identifiés et, dune manière ou dune autre, poursuivis. Le refus de limpunité constitue donc un facteur important de clôture du conflit. Cest aussi le cas de lAfrique du Sud post-apartheid avec la Commission Vérité et Réconciliation, présidée par lex-archevêque anglican du Cap et prix Nobel de la Paix, Desmond Tutu. Créée par une loi votée en mai 1995, très exactement une année donc après laccession au pouvoir de Nelson Mandela, et compétente pour la période 1960/1993, cette commission sinspire de celle mise en place au Chili en 1990(2). Devant achever ses travaux dans un délai maximum de 24 mois, elle présente un certain nombre de caracté ristiques originales qui méritent dêtre relevées. La première tient à ce que (contrai rement à son homologue chilienne), elle nentend pas que les victimes, mais aussi les auteurs présumés de crimes, et surtout que ceux-ci ont la faculté de demander deux-mêmes à comparaître devant elle. Ensuite, ces mêmes auteurs doivent reconnaître leur responsabilité, confesser leurs fautes et ne peuvent se contenter dinvoquer lobéissance aux ordres supérieurs. En outre, les audiences de cette commission sont naturellement publi ques, mais surtout leur médiatisation est très forte, ses débats sont retransmis quasi intégralement en direct sur plusieurs chaînes de télévision et de radio. Ils font lobjet de larges reprises dans les journaux radio, télévisés, ainsi que dans la presse écrite. Il ne faut évidemment pas se méprendre sur ce processus. Il ne sagit pas "dactes de contrition" publics(3) mais de débats contradictoires au cours desquels sont évoqués non seulement les faits, mais les conditions dans lesquelles ils se sont déroulés, voire le contexte politique et historique de lépoque... Enfin, la comparution devant la Commission na évidemment pas pour objet dobtenir on ne sait quelle absolution ou pardon, mais dassumer les crimes commis sous le régime de lapartheid. Néanmoins, la reconnaissance par les comparants des fautes commises, de leur responsabilité, un repentir sincère peuvent entraîner ipso facto, sur un plan légal, larrêt de toutes poursuites ultérieures devant les tribunaux, soit sur plaintes des autorités, soit sur celles des familles des victimes. Certes ce pouvoir damnistie na pas de caractère automatique. La loi précise que lamnistie sera refusée à toute personne qui aurait agi par "intérêt personnel" ou qui aurait commis "un acte jugé disproportionné par rapport à la cause". Mais les critères restent assez vagues. Si au début de son fonctionnement (avril 1996) les "repentis" étaient peu nombreux, à la fin du mois de novembre 1996, la Commission avait déjà reçu plus de 3500 demandes damnistie(4). Il sera intéressant à lissue de ses travaux de comparer le nombre quelle en aura finalement accordé avec celui des refus. Parmi les principaux objectifs visés, outre donc celui de non-impunité, il y a aussi, et à lévidence, la volonté de forger une histoire, une mémoire communes et à travers elles, de faciliter la réconciliation de la société davec elle-même, ainsi que des différentes communautés sud-africaine entre elles. Ensuite, de faire émerger au grand jour, notamment pour les familles des victimes, le sort qui fut réservé à leurs père, frère, sur, mari, femme ... de reconstituer leur "histoire personnelle" en quelque sorte. De révéler enfin lampleur véritable des exactions. Mais de casser aussi dans une certaine mesure les processus didentification selon lesquels tous les fonctionnaires du régime de lapartheid auraient été des criminels, et tous les membres de lANC des combattants de la liberté et inversement. Il y a là certainement un exemple à méditer à la fois pour la résolution, mais aussi la prévention, de conflits actuels et futurs. Certes, le contexte sud-africain est naturellement bien particulier. Ne serait-ce que parce que la sortie de crise sest faite non pas par un renversement de type révolutionnaire, mais par une négociation entre une partie de lélite au pouvoir et ses successeurs. Mais aussi de par la prégnance incontestable du facteur religieux. Dans une culture dessence principalement anglo-saxonne, le recours aux références bibliques est à la fois, comme aux Etats-Unis, fréquent et intériorisé par les différentes composantes de la nation. Le fait que la présidence de la Commission soit assurée par un homme déglise nest certainement pas de ce point de vue un hasard... De toute façon, cest en puisant dans sa culture propre que chaque société, confrontée à une question aussi dramatique que limpunité, doit élaborer sa gamme de réponses y compris par le recours aux moyens traditionnels. Ainsi dans le contexte rwandais, il se pourrait que, parmi celles-ci, on assiste dans les collines à un retour aux procédures anciennes par léchange, entre familles, de vaches, dons et aides matérielles(5). Ces quelques aperçus montrent néanmoins quil est donc non seulement envisageable, mais aussi profitable pour des sociétés soit à lissue dun cycle de violences inouïes, soit pour y mettre fin, de sortir de "lalternative" manichéenne entre représailles et contre-représailles infinies. A travers tout particulièrement la mise en place dun processus interdisant ou au moins limitant limpunité des auteurs dexactions, mais sans pour autant systématiquement privilégier la voie judiciaire, ne serait-ce aussi que parce que des considérations politiques, géopolitiques, socio-culturelles locales propres limitent la praticabilité dune telle option. En arrière-plan demeure présente lidée que labsolution automatique (sans évocation même des atrocités commises ou en déplaçant le débat), une démarche doccultation donc, pour mieux "tourner la page" comme on le disait autrefois, et qui aboutirait à faire comme si le problème était effacé, ne résout rien. Au contraire, il faut obliger la société à se regarder elle-même, et des commissions de ce type peuvent remplir cette fonction de catharsis. Mutatis mutandis, on mesure le chemin parcouru, lorsque lon songe par exemple à la situation de la France après la Libération. Si lépuration y fut réelle, les actions judiciaires engagées contre les collaborateurs et les acteurs français de la solution finale ne le furent jamais pour ce crime, mais du chef "dintelligence avec lennemi" ou de "trahison" au profit de la puissance occupante. Les minutes du procès de René Bousquet, Secrétaire général (autrement dit Ministre) de la Police sous le régime de Vichy, montrent ainsi que la persécution et larrestation des Juifs par des policiers et gendarmes français ny furent jamais évoquées... Lamnistie générale promulguée à la fin de la guerre dAlgérie a elle aussi induit un effet de "blocage" à propos des exactions commises durant cette période, et qui rend encore aujourdhui difficile pour les citoyens français den appréhender lexacte dimension. Alors quil faut au contraire pour une société (comme lavait pressenti dès 1945, le philosophe allemand Karl Jaspers) reconnaître en pareille circonstance une forme de culpabilité(6). Ou à tout le moins assumer sa "responsabilité historique", ainsi que le souligne pour sa part le philosophe italien Enzo Traverso(7) qui ajoute : "Le fait que les comptes avec le passé ne soient pas réglés a aussi des répercussions très concrètes sur la façon dont aujourdhui en Europe on traite le problème brûlant de limmigration, du racisme, de la xénophobie..." Un second élément ensuite à ne pas négliger tient à ce que lon qualifiera "deffet de prévention". On peut essayer de lévaluer à partir de quelques uns des enseignements tirés des crimes contre lhumanité commis tout au long de ce XXème siècle. Cest notamment le cas à propos de ceux perpétrés par les nazis, puisquils ont le plus été étudiés. Or, la proportion de brutes sadiques et de psychopathes criminels tant chez les concepteurs que chez les exécutants y semble loin davoir été dominante. Ce qui est à la fois logique et guère rassurant. Ces atrocités qui ont été à linverse perpétrées majoritairement, comme lont montré divers historiens qui en ont renouvelé lapproche historiographique, par des gens "ordinaires"(8), des pères de famille, souvent pas spécialement "préparés" à assumer la "fonction" de bourreau. Mais ces actes nont pas pour autant bien sûr été "spontanés". Ils ont nécessité une organisation, des ordres, une structure laquelle a suscité une certaine forme dadhésion, plus en vérité que recouru à la crcition. Un débat resurgit dailleurs actuellement à ce propos en Allemagne et dans dautres pays, à la suite des travaux dun chercheur américain(9) qui repose la question du degré de responsabilité de la population allemande dans la perpétration de ces crimes. Il reste que ces bourreaux "ordinaires" ont rarement rendu compte de leurs actes devant une Cour de Justice. Au de là de la réflexion sur le concept de "banalité du mal" élaboré par Hannah Arendt, on est naturellement conduit à poser la question suivante: quelle influence la lutte contre limpunité peut-elle exercer sur le comportement de pareils exécutants "ordinaires"? La réponse est somme toute plus simple quon ne le supposerait : si lon identifie, si lon poursuit et si lon fait comparaître, voire si lon exécute les sentences à lencontre au moins des instigateurs et des auteurs principaux de tels crimes, on peut formuler lhypothèse, qui semble solide, que le vieil effet de dissuasion de la sanction pénale pourrait en partie alors jouer. Au moins dans un certain nombre de cas vis-à-vis des candidats massacreurs "de base". Autrement dit, si on arrive par exemple véritablement à déférer devant le Tribunal Pénal International de La Haye un nombre significatif de responsables des violations massives en Bosnie(10), ceux qui seraient tentés duser à nouveau de la terreur et de la purification ethnique lors dune future crise dans les Balkans (ou ailleurs) auront peut-être beaucoup plus de mal à lavenir à recruter des tueurs pour mettre leurs sinistres projets à exécution... Il est en effet à peu près démontré que dans ce type dappareil génocidaire ou de massacres à grande échelle, il existe une possibilité pour les exécutants, à divers niveaux, de refuser dobéir aux ordres. Il faut dès lors leur "faciliter" lusage de largument selon lequel leur supérieur ne peut pas leur garantir quils ne seront pas poursuivis plus tard ! De proche en proche, un effet non négligeable de prévention pourrait ainsi émerger(11), alimenté par la crainte du châtiment futur des coupables, y compris dun niveau peu élevé. Si les tortionnaires sont recherchés sur toute la surface de la planète, si nulle part ils ne trouvent abri, lexigence de non-impunité bien sûr y trouvera son compte. Mais leurs potentielles émules futures, aussi probablement moins dauxiliaires zélés... Enfin, troisième facteur, cet impératif est nécessaire pour le reconstruction des victimes et de leurs proches au plan de leur personnalité. La victime, lorsquelle a survécu, a besoin que la faute, les atrocités, les outrages, les tortures quelle a subis soient reconnus, et leurs auteurs au moins identifiés comme responsables. Sa famille, en cas de mort ou de disparition, doit pouvoir accomplir un travail de deuil. Cest à travers ce processus détablissement des faits, et, si possible de reconnaissance de leurs fautes par les bourreaux, que les survivants et les familles des victimes acquerront le sentiment quelles ne sont pas oubliées, que leurs souffrances nont pas été vaines, et le cas échéant donneront une sépulture réelle ou symbolique aux morts. Beaucoup penseront peut-être que les conditions qui prédominent aujourdhui dans la région des Grands Lacs y rendent peu probable lapplication opératoire de ce qui précède, et plus vraisemblable une poursuite du cycle infernal des représailles et des contre -représailles. Le retour au Rwanda dune partie des réfugiés des camps zaïrois et tanzaniens à la fin de lannée 1996 pensaient certains, serait peut-être loccasion damorcer une réconciliation durable de la société avec elle-même, à travers notamment la satisfaction de la demande de cessation de limpunité. Sil est malaisé à ce stade encore de se prononcer, les atrocités qui semblent avoir été commises à lencontre de ceux demeurés dans lex-Zaïre, puis fuyant lavance des troupes de Laurent Désiré Kabila, nincitent guère à loptimisme. On notera en tout cas que loption choisie au moins "publiquement" tant par les autorités rwandaises que par la communauté internationale a privilégié lapproche judiciaire du traitement de limpunité, cest-à-dire le défèrement devant les tribunaux de présumés coupables, sous la réserve ci-dessus mentionnée dun recours à des procédures "traditionnelles". Dès lors, si on accepte de considérer la lutte contre limpunité comme un objectif prioritaire (et non ainsi que ce fut le plus souvent le cas jusquà aujourdhui comme un thème vaguement secondaire, réservé à la discussion de seuls juristes spécialisés, volontiers tenus pour de dangereux utopistes) il faut derechef soumettre à un examen critique les instruments de réalisation dun tel dessein, en essayant là aussi de les replacer dans une approche globale. Dautant que lon a pendant très longtemps, en ce domaine, plutôt privilégié une démarche sattachant avant tout à linsertion de dispositions juridiques dans des conventions et des traités internationaux, ainsi quà leur potentielle mise en uvre. Or, il nous paraît quil faudrait plutôt, (sans négliger pour autant bien sûr la réflexion sur cette approche classique) examiner avant tout la fiabilité des outils existants ou potentiels susceptibles de traduire en actes la non impunité. (...) Justice nationale / Justice internationale Sur le continent africain, et hormis lAfrique du Sud, le seul cas notable de mise en place dune institution (ici judiciaire) en charge de la lutte contre limpunité est celui de lEthiopie. Le régime qui a succédé à la dictature de Mengistu Haïle Mariam a souhaité (ce dernier sétant pour sa part réfugié au Zimbabwe) que soient jugés les organisateurs ainsi quun certain nombre dexécutants de niveau moyen de la politique dite de "Terreur rouge". Le premier procès sest ouvert cinq ans après la chute de Mengistu à lété 1996. Il concerne 46 accusés environ sur 3000 prévenus. Les juges éthiopiens semblent animés de la volonté de ne pas exercer (ou pas seulement) une "justice de vainqueurs", mais de permettre surtout à la société de bien comprendre les enjeux de la remise en cause dune impunité, traditionnellement admise jusqualors. Il restera à voir quel sera le résultat au bout du compte. Quant au Rwanda, le jugement dans le pays même des présumés coupables semble rencontrer bien des difficultés. Les premiers procès nont ainsi commencé quà la fin de lannée 1996, et leur nombre ne dépasse guère la centaine à ce jour(12). Alors que lon estime à plus de 80.000 le nombre de détenus. Le fonctionnement de la justice rwandaise suscite donc encore des interrogations, même sil a fallu la reconstruire de zéro après le génocide et la victoire du FPR. Surtout le choix de la doctrine de poursuites criminelles napparaît pas très clairement. Peut-on poursuivre, en dehors des instigateurs et des concepteurs de haut niveau, tous les exécutants? Et sinon lesquels le seront ou ne le seront pas? Et sur quelles bases? Enfin, une instrumentalisation politique de la lutte contre limpunité est redoutée par certains observateurs. Un auteur aussi peu suspect de complaisance à légard des tenants du "Hutu power" que D. Franche se demande ainsi si lactuel "régime ne freine pas lui-même la justice par intérêt politique sil nutilise pas le génocide pour culpabiliser lensemble des Hutus, sil nutilise pas, lui aussi, la peur pour mieux asseoir son pouvoir(13)" . Une telle situation renforce lanalyse de ceux qui considèrent quen tout état de cause, en pareille circonstance, la nature des crimes ne saurait conduire à enfermer leur répression dans les seules bornes du pays concerné (...). Doù la nécessité de disposer dune instance judiciaire internationale (...). Dautant, et on ne le souligne pas assez, que lexistence actuellement du Tribunal Pénal International pour lex-Yougoslavie et de celui pour le Rwanda (voire à lavenir dune Cour Criminelle internationale permanente) pourrait ultérieurement avoir une capacité dentraînement en quelque sorte au plan interne, particulièrement sur le territoire de lex-Bosnie... Les procès de criminels nazis devant les tribunaux ouest-allemands à partir des années 1960 ne se seraient peut-être pas tenus si Nuremberg navait pas préexisté... Sur le territoire de la République Fédérale davant la réunification et jusquen 1990, 6 487 condamnations furent ainsi finalement prononcées. Pendant longtemps, la balance sembla pencher en faveur de lex-RDA mais là aussi, la chute du Mur et louverture des archives de la Stasi contribuent à relativiser pour le moins une telle appréciation(14). Ce chiffre nest de toute façon pas négligeable, même si le niveau réel des sentences fût fréquemment faible. (...) En tout état de cause si lexistence dune juridiction pénale internationale (quelle que soit la formule finalement retenue) représente une étape indispensable dans le processus de répression et de prévention dactes aussi abominables, elle nen constitue pas pour autant la panacée. Outre quelle nest pas contradictoire avec lexistence dautres instruments aux mêmes visées, elle ne saurait de toute façon décharger ni les autres Etats de leurs obligations, ni les sociétés civiles dun nécessaire engagement dans laction à lencontre de limpunité. (...) A ce dernier point de vue, se pose la question de limplication citoyenne dans la lutte contre limpunité. Des initiatives ont été engagées sur ce plan, par exemple en France par diverses associations dont précisément Juristes sans Frontières à légard de présumés auteurs dexactions réfugiés sur notre territoire. Autre exemple en Europe celui de la Suisse. Dans ce pays, cest la justice militaire qui est compétente pour ce type de crimes, même perpétrés en territoire étranger. Plusieurs présumés criminels ont déjà été arrêtés et lun dentre eux(15) pourrait être livré prochainement au Tribunal dArusha. Cest une ONG, lAssociation pour la justice internationale au Rwanda (AJIR), composée de juristes suisses et rwandais, qui est à lorigine des poursuites. En se basant sur le principe de la compétence universelle et en collaborant avec la justice militaire suisse, cette association a pu identifier de présumés "génocidaires" réfugiés en Suisse et provoquer lengagement de procédures à leur encontre(16). Des initiatives dun même ordre sont aussi envisagées dans plusieurs pays par diverses associations de juristes. Mais limplication citoyenne devrait en la circonstance dépasser la communauté des juristes et les groupements ad hoc afin à travers divers relais, particulièrement celui des Organisations de Solidarité Internationale(17) diffuser largement dans les sociétés des pays du Nord. Vers une implication citoyenne ? Individus, groupements, associations en leur sein sont pourtant légitimement en droit, ne serait-ce quau nom des valeurs démocratiques, de poser aux gouvernants dabord quelques questions dans ce domaine de la lutte contre limpunité. Ainsi pour notre pays, celle de savoir dabord si la France soutient, comme elle le devrait, laction du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Les gouvernements successifs donnent parfois limpression en même temps de ne pas être hostiles au Tribunal dArusha mais aussi de ne pas manifester un excès denthousiasme à son propos. La question est certes compliquée du fait du "passé" de la France dans la région. Mais linterrogation demeure par exemple au plan du soutien financier ainsi que de la communication au Parquet du TPR de documents que les administrations françaises pourraient éventuellement détenir sur la période du régime Habyarimana. A défaut de pouvoir mettre des enquêteurs à la disposition du Bureau du Procureur, les autorités rwandaises ne souhaitant pas manifestement la présence de ressortissants français au sein de celui-ci, installé à Kigali... (...) La France nest certes pas le seul pays où lexaltation dun passé glorieux prime souvent sur lexamen objectif de périodes plus douloureuses. Mais, il sy surajoute la persistance, de manière récurrente, dune vieille tradition de la raison dEtat qui rend difficilement compréhensible par exemple un processus du type sud-africain, aussi bien de la part des élites que des simples citoyens. Aussi, les uns et les autres ont-ils peut-être trop tendance à penser que les atteintes aux Droits de lHomme et au Droit International Humanitaire, au-delà grosso modo des frontières de lEurope occidentale, (Etats-Unis et Canada mis à part), sont certes tout à fait regrettables, mais relèvent plus de lordre du politique que de celui du droit... Ils ont dès lors des difficultés à percevoir les enjeux et les moyens dactions en la matière, et encore plus à déterminer comment ils sont individuellement concernés et peuvent agir. Les citoyens devraient néanmoins être plus conscients du fait quils sont précisément concernés par la politique internationale menée, comme dans tout pays démocratique, en leur nom. Certes, lAfrique est de plus en plus occultée dans les médias depuis le début des années 1980. Et la manière dont ces derniers, et particulièrement la télévision, ont traité en 1994 du conflit des Grands Lacs uniquement sous langle humanitaire(18), ne favorise guère lidentification des possibilités daction. Lappui des gouvernements successifs au régime Habyarimana dans la période précédant les évènements de 1994 devrait pourtant requérir une analyse approfondie. La solution de facilité constituerait bien sûr à se désintéresser de la zone des Grands Lacs, à la fois parce que la France aurait eu le tort de soutenir un régime qui sest ensuite rendu responsable de pareil forfait, et parceque son long soutien au régime du maréchal Mobutu au Zaïre entraînerait, avec lécroulement de celui-ci, son exclusion de facto de la région. Mais il en existe une autre, plus conforme à ses traditions républicaines et démocratiques. Elle conduirait à tirer les conséquences de ce qui fut un génocide, à travers un engagement massif et résolu de toutes les institutions dans la lutte contre limpunité, sans faire naturellement preuve non plus de complaisance à légard déventuelles exactions des pouvoirs aujourdhui, ou demain, en place au Rwanda, au Burundi et au Zaïre/Congo. La société civile aurait quant à elle dans ce contexte plusieurs rôles à jouer. Dabord celui de conservation de la mémoire et aussi dorgane permanent de rappel, de pression. Il faut reconnaître quun nombre non négligeable de ses constituants sy sont déjà investis. Les chercheurs spécialisés sur la région des Grands Lacs ont ainsi beaucoup publié depuis 1994, en sefforçant de ne pas se cantonner au seul cadre scientifique. Des ONG se sont mobilisées alliant démarche propre et action commune. Ainsi, il nétait pas évident quune loi dadaptation soit aisément votée par le Parlement. Dès lautomne 1995 une coalition dONG sest donc formée avec comme objectif son adoption(19). Cette action commune, peu spectaculaire mais efficace, sest poursuivie jusquau printemps 1996. Elle fut relayée par Coordination Sud, instance qui regroupe les trois collectifs dOSI françaises. Son étape ultime fut linvitation à lépoque à Paris de Richard Goldstone, alors procureur des Tribunaux Pénaux Internationaux. Cest à lissue de cette visite que ladoption du projet de loi connut une accélération décisive. Beaucoup reste cependant à faire, et même au sein de la communauté des ONG. La lutte contre limpunité ne figure guère en effet (même si on le comprend) au rang de leurs préoccupations essentielles, en tout cas de la majorité. Il faut aussi y inclure dailleurs dorénavant le combat contre limpunité des assassins de volontaires expatriés, ainsi que des personnels locaux des organisations humanitaires. Après lassassinat en décembre 1996 de volontaires du Comité International de la Croix Rouge (CICR), en Tchétchénie, le meurtre tout aussi prémédité et froidement exécuté de trois volontaires espagnols de Médecins du Monde au Rwanda en janvier 1997, laisse à penser quune politique de terreur délibérée à lencontre des personnels ONG est dorénavant menée par certaines factions dans des régions "sensibles". On peut aussi imaginer une implication "opérationnelle" de groupes de citoyens et dONG qui sattacheraient en France et dans dautres pays (à travers des réseaux internationaux) à rechercher et identifier de présumés criminels, à constituer des dossiers, à susciter des poursuites pénales... Juristes, historiens, chercheurs en sciences politiques et sociales, médecins, membres dassociations humanitaires, enseignants, non spécialistes mais concernés par les rapports internationaux... en feraient partie. De tels groupes, résultant donc dinitiatives purement privées, pourraient dailleurs sinspirer de lexpérience accumulée après la Seconde Guerre mondiale par des "chasseurs de nazis", comme Beate et Serge Klarsfeld ou Simon Wiesenthal. La tâche est donc dampleur, et paraîtra à beaucoup vaine. Il faut de ce point de vue incontestablement faire preuve de modestie, et surtout sattacher à passer du stade de la dénonciation, du discours à celui dactions de terrain. Afin de créer et de multiplier les situations concrètes où limpunité dorénavant ne prévaudrait plus. Sans verser dans lexhortation, on peut rappeler à cet égard un vieux postulat en matière de droit pénal qui veut que lorsquun individu a connaissance dun crime ou, dun délit, son devoir est de le signaler aux autorités, et de leur fournir les informations quil détient... Dans notre conception de la démocratie, chaque citoyen peut légitimement se considérer comme investi dune responsabilité propre. En dépit des contingences politiques de la situation dans la zone des Grands Lacs, il faudrait donc dorénavant sefforcer dériger la lutte contre limpunité dans cette région (et ailleurs sur la planète...) en principe directeur et semployer effectivement à y contribuer. Si ce nest pas la seule, elle est incontestablement une des clés de linterruption du cycle sanglant quelle connaît depuis plus de trente ans. Ce principe, au-delà de la zone pourrait aussi constituer une autre des bases dun renouveau de la coopération Nord-Sud au prochain siècle. Sauf à accepter, comme seule "alternative" à limpunité lapurement des "comptes" par le fer et par le sang dans les profondeurs de la forêt équatoriale de lex-Zaïre, comme des informations de plus en plus précises le donnent malheureusement à penser... Après la publication début mars 1997 du témoignage, contesté, dun Occidental de retour de la région, la "disparition" fin avril 1997 de quelques 85 000 réfugiés dans la région de Kisangani conduisait le secrétaire général desNations-Unis à évoquer une politique "dextermination lente", les porte-parole du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de Médecins Sans Frontières (MSF) parlant eux de "solution finale" et de "politique de liquidation"(20). Les rapporteurs de la mission denquête de lONU sur la situation des Droits de lhomme dans lex-Zaïre dite "mission Garrenton" considèrent quant à eux que "le concept de crime contre lhumanité pourrait sappliquer à la situation qui a régné et qui continue à régner dans la République démocratique du Congo". Ils précisent même que les futurs enquêteurs de lONU appelés à se rendre sur le terrain devront déterminer "si un génocide a été planifié, et mis à luvre" dans lex-Zaire(21). Dès lors, leurs auteurs et inspirateurs (si les faits étaient définitivement avérés) ne sauraient, eux non plus, invoquer un quelconque "bénéfice" à limpunité. Mais on voit mieux ainsi combien une des conditions de la cessation de ce scandale quelle constitue réside aussi (au-delà de ce que font ou non les Etats et les organisations internationales) et comme le souligne le philosophe allemand Jurgen HABERMAS(22) dans lémergence (dès maintenant et sans attendre le prochain millénaire...) dune forme de citoyenneté universelle qui, concrètement, travaillerait à "développer énergiquement des capacités daction politique au niveau supranational". Philippe RYFMAN Avocat et Consultant auprès dONG - Enseignant à lUniversité PARIS I (1) Cet article a été rédigé en mars, avril 1997 et retouché légèrement en juillet 1997. (2) C. FEUILLATRE et I. BRIS, Introspection sud-africaine, Le Monde Diplomatique, juillet 1996. V. aussi D. BRONKHORST Truth and Reconciliation, Obstacles and opportunities for human rights, Amsterdam (1995), Amnesty international, section néerlandaise, 170 p. (3) Comme dans les "procès" staliniens ou de la période maoïste en Chine. (4) Le Monde du 28/11/1996. (5) Cité par D. FRANCHE, p.74, in Rwanda, généalogie dun génocide PARIS (1997) Editions Mille et Une Nuits, 95 p. Lauteur ajoute "Cest aussi de cette manière, en apaisant le conflit par les moyens rwandais, et non pas seulement par une justice à la logique européenne, étrangère, que lon peut espérer en finir avec la guerre civile raciste". (6) JASPERS employait le terme de "culpabilité allemande", Schuldfrage. (7) in le n°10, décembre 1994 de la revue "République des lettres", Dernier ouvrage publié, Lhistoire déchirée, Essai sur AUSWITCH et les intellectuels - PARIS (1997), Cerf et Passages. (8) C. BROWNING, Des hommes ordinaires, PARIS (1994) Editions Les Belles Lettres 250 p., et PARIS (1996) Bibliothèque 10/18, 284 p., préface de P. VIDAL-NAQUET. (9) D.J. GOLDHAGEN, Les bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et lHolocauste, PARIS (1997), Seuil, 580 p. On pourra consulter sur la "controverse GOLDHAGEN" les dossiers des revues Le Débat n°93, janvier, février 1997 et Les Temps Modernes n°592, février, mars 1997. (10) Hauts responsables, décideurs politiques et militaires, exécutants aux échelons moyens. (11) Cest lune des raisons dailleurs qui a conduit à léchelon politique dans un pays comme lArgentine à promulguer, sous leur pression, une loi damnistie pour les militaires, dite "Punto Final" (point final). Au moment du retour de la démocratie, ceux-ci redoutaient une sorte de "procès de Nuremberg" à léchelle nationale où les principaux responsables des exactions, ainsi que les exécutants à divers échelons des forces armées argentines auraient été poursuivis. Or, une des principales craintes des chefs militaires était de voir alors aux échelons inférieurs de la hiérarchie senclencher un cycle massif de dénonciations, si les cadres intermédiaires auxquels ils avaient garanti limpunité pour lever les "hésitations" de certains, se mettaient à parler. Du fait de cette loi, nont été jugés et condamnés que les seuls dirigeants ayant occupé des fonctions politiques dans les juntes successives... (12) A la mi-juillet 1997, 142 procès, incluant 60 condamnations à mort avaient eu lieu. Le Monde des 20, 21/07/1997. (13) Op. cit. p. 70 (14) J. DANYEL, Linfluence du procès de NUREMBERG sur lanalyse juridique du passé national, socialiste dans les deux Etats allemands, in A. WIEVIORKA (sous la dir. de) Les procès de NUREMBERG et de TOKYO, BRUXELLES (1996) Editions Complexe et Mémorial de CAEN, 329 p. (15) Alfred MUSEMA, Le Nouveau Quotidien du 31/12/1996 (16) La justice militaire suisse enquête aussi sur le cas de Fulgence NIANTEZE, qui se trouve en détention préventive depuis août 1996. Cest sur la même base quun Tribunal militaire de Lausanne a eu à connaître du cas dun bosno-serbe accusé de crimes de guerre en ex-Yougoslavie et finalement acquitté, fautes de preuves (Libération du 24/04/1997). (17) O.S.I. Autre nom donné en France aux O.N.G. ayant une action de coopération internationale au Sud et à lEst. (18) Puis depuis novembre 1996, presque exclusivement sous langle politique... (19) On peut citer, sans aucune hiérarchie et de manière non-exhaustive, Médecins du Monde (MDM), Action contre la Faim (ACF), Handicap International (HI) et Action Nord-Sud (ANS), Juristes sans Frontières (JSF), la Fédération Internationale des Ligues des Droits de lHomme (FIDH), Survie, Agir Ici, Aide et Action, le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), la CIMADE... (20) Libération du 10/03/1997, Le Monde des 27, 28/04/1997 et Libération du 28/04/1997. (21) Le Monde des 13, 14/07/1997 (22) Entretien avec J. POULAIN in Le Monde des Livres du 10/01/1997, HABERMAS met lui aussi en exergue que "les crimes les plus monstrueux commis au XXème siècle lont été par des gouvernements et par leurs fonctionnaires. Chaque gouvernement qui porte atteinte aux droits de lHomme se trouve de ce fait même en état de guerre avec sa propre population". Dernier ouvrage paru Droit et Démocratie entre Faits et Normes, PARIS (1997) Gallimard, 560 p. ANALYSE Action humanitaire, développement, droit, urgence? Voilà quelques mois, Xavier DHONTE, Président dAmnesty International France et membre actif de JSF, suggérait dengager une réflexion commune à laquelle devait également être associé MDM, sur le rôle du juriste dans le champ de laction humanitaire. Cette initiative était à ce moment là particulièrement intéressante non seulement parce que cétait là loccasion pour JSF de souvrir après avoir trouvé son indépendance, mais aussi parce que lon pouvait y voir un moyen de sortir de la crise didentité que lassociation traversait alors. La perturbation sétait muée en tempête lors du séminaire de Marseille au mois doctobre 1996... La difficulté de concilier les thèses en présence était dailleurs surprenante aux yeux de ceux qui, occupant une position intermédiaire, pensaient que les actions visant strictement la lutte contre limpunité (la poursuite, le jugement et le châtiment des auteurs de violations du droit international humanitaire) nétaient pas incompatibles avec les actions visant plus largement le développement et la promotion des droits de lhomme au plan international (expertises, formation, etc.). Faut-il choisir pour paraître cohérent ou peut-on articuler ces deux terrains dintervention de manière intelligente tout en évitant le double emploi par rapport à dautres organisations humanitaires tout en conservant la spécificité de JSF? Et sil fallait choisir (soit pour se distinguer dautres ONG, soit parce que le manque de moyens matériels et humains ne permet pas de tout faire), quel terrain daction devrait être privilégié ? Lobligation de préparer la première réunion nécessitait de formuler des idées claires et de présenter des pistes de réflexion pertinentes. Pour cela, il a été demandé aux membres de lassociation de réfléchir sur le sujet "ACTION HUMANITAIRE, DEVELOPPEMENT, DROIT, URGENCE ?". Des contributions ont été rédigées, un effort de synthèse entrepris. Certes, seules les opinions qui se sont manifestées à cette occasion ont pu être exploitées. Il nen demeure pas moins quune tendance forte sest dégagée, même si certaines questions méritent encore une réflexion plus approfondie. Le sujet posé conduisait à sinterroger sur la spécificité du juriste en général, et de JSF en particulier, dans le cadre de laction humanitaire, sur léthique et la politique de lassociation et enfin sur ses choix de terrains dintervention. Le traitement quelque peu "égocentrique" du sujet proposé, envisageant à peine le travail en complémentarité avec dautres ONG, sexplique probablement par le besoin de chacun de déterminer avant tout les limites dintervention du professionnel du droit. Il a ainsi fallu définir des divers thèmes: URGENCE ET DEVELOPPEMENT Laction humanitaire, pour la plupart, est étroitement liée à lurgence, certains assimilant même ces deux termes. "Létat de nécessité" permet dagir dans la seule logique de ces deux sphères dans des situations que le droit des circonstances ordinaires ne peut résoudre. Laction humanitaire doit se passer du "droit dagir" lorsque le "devoir dagir" prime. Elle est mise en uvre lorsque lordre juridique ou international ne remplit plus sa fonction dorganisation des secours (et/ou de protection) auprès des personnes. Laction humanitaire intervient en fait "hors le droit", bien que le droit humanitaire international se soit forgé à travers les actions menées par les ONG dans le cadre dactions classiques (soins, nourriture, etc.), comme les notions de droit dingérence, clauses humanitaires, couloir humanitaire, de droit à la santé, à une saine nourriture, etc. En même temps, lintervention humanitaire recouvre les actions nécessaires et préalables à la mise en place dactions de développement. La notion de temps est présente pour opposer laction humanitaire au développement qui constitue la phase "post urgence" permettant un travail auprès des victimes (réparations, relais locaux dinformation et de soutien, etc.) et un travail de fond en vue de la construction ou du rétablissement des institutions démocratiques et judiciaires. Lon peut envisager la mission du juriste avant (élaborer des standards du droit à la vie, à la santé, la démocratie etc.), pendant (apporter un soutien logistique et juridique incluant lappui aux actions juridictionnelles éventuelles nationales ou internationale, à travers des actions de formation, voire de représentation et dinformation des victimes) et après lurgence (assurer la reconnaissance des victimes, la réparation et plus largement les droits dans la durée). Lidée détablir un rythme des programmes en fonction des priorités semble une piste intéressante (urgence relative, développement accéléré, coopération, actions mêlées). Lintervention du juriste a été qualifiée de "deuxième souffle pour laction humanitaire durgence à dominante nutritionnelle". Il y a convergence entre laction des juristes et celle des humanitaires "classiques" au niveau des principes. Le juriste est utile dans un monde changé dans lequel le droit des gens simpose comme essentiel (et non plus seulement le droit entre Etats). COMMENT INTERVENIR? Si lintervention du juriste ne souffre guère plus de contestation, des questions restent posées aussi bien en cas dintervention en situation durgence humanitaire quen cas de mission durable. Ces problèmes sont dune part liés à la spécificité de laction du juriste dans la mesure où le droit nest jamais neutre et dautre part à la difficulté au regard des moyens, a fortiori en ce qui concerne une petite structure comme JSF. Il est admis que le juriste peut intervenir en situation durgence et ce dans de nombreux cas (constater, dénoncer, qualifier, soutenir les victimes sur les lieux où sont commises les atteintes aux droits de lhomme, relever immédiatement les indices, témoignages, apporter le soutien logistique et juridique pour permettre aux victimes de sorganiser en association ou en tout autre groupement destiné à défendre leurs droits, etc.). Un rôle plus actif, plus direct encore dans la constitution des dossiers et la conduite des enquêtes (recensement le plus tôt possible des faits, des preuves, des victimes et des criminels, en formant des équipes dinvestigation) a été envisagé. Lon peut cependant se demander quels sont les moyens matériels et humains de lassociation JSF pour conduire officiellement, cest-à-dire dûment mandatée par les instances internationales ou reconnue par elles, de telles interventions, alors que même lONU se heurte aux plus grandes difficultés. INDEPENDANCE ET TRANSPARENCE En même temps, il ne semble pas envisageable que JSF mène des actions clandestines. Les terrains dactions en cas durgence humanitaire ne manquent pas en théorie. Mais, outre les obstacles matériels, se pose le problème de la neutralité minimale compte tenu des éventuelles actions futures revêtant obligatoirement un aspect institutionnel. Labsence dun cadre institutionnel stable constitue également un obstacle majeur à lintervention du juriste en tant que tel et lon peut se demander si laction sur le terrain ne relève pas plutôt des citoyens éclairés et militants des droits de lhomme en général, et des militants dautres ONG expatriés en particulier, qui souvent ont les compétences requises (A.I. par exemple, compte tenu de nombreux juristes parmi ses membres). Il convient de vérifier si ce terrain est effectivement investi par dautres ONG. EFFICACITE Dans lensemble, lon peut donc dire que laction du juriste dans des situations durgence humanitaire se heurte à de nombreux obstacles. Il faut éviter le spectaculaire, stérile, et la précipitation, dangereuse. En même temps, il faut agir vite, ce qui nécessite des moyens considérables, mobilisables très rapidement, ou bien un travail très étroit avec des structures disposant de ces moyens là. Tout ceci nempêche pas que certaines actions qui ont pu être qualifiées dactions "durgence relative" (ex: fiche décrou, Programme Prison) sont tout à fait réalisables et dès maintenant à la portée de JSF. Pour le reste, la coopération avec dautres ONG peut faire avancer les choses. Si laction durgence requiert neutalité, le travail sur le terrain, lurgence passée, dans le cadre de programmes de développement, suppose en revanche une prise de position dans la mesure où il implique nécessairement lacceptation dun partenariat avec un gouvernement et cela même lorsque toutes les garanties de respect des droits de lhomme ne sont pas acquises préalablement. Il y a cependant le problème du seuil entre coopération et collaboration/compromission. Lassociation conserve toujours sa liberté dinterrompre un programme et exerce la "clause de conscience" dans lhypothèse dun désaccord profond avec les dirigeants du pays avec lequel elle collabore. Les contours de ce libre arbitre sinscrivent dans le respect des principes fondamentaux (exemple des procès équitables non tenus au Rwanda fin 1996). Une liaison plus étroite avec les autres associations de droits de lhomme ou médicales reste enfin à imaginer. Lidée de la création dune cellule de veille inter-associative pour apprécier la pertinence et la possibilité dune intervention durgence humanitaire, regroupant moyens et compétences, recueille de nombreux suffrages. JSF est une trop légère organisation pour mener seule des actions de type dur gence. Sa vocation première nest semble-t-il pas là. Néanmoins, ces actions dites durgence préfigurent parfois un travail de fond, sinscrivant dans la durée. Cette forme dintervention serait privilégiée. Cest en définitive une question de choix. Silvia GEELHAAR Adhésion Si JSF métait "compté"... Pourquoi JSF? Lorsque Philippe Expert ma demandé de rédiger un article sur les raisons de ma volonté deffectuer un stage dans cette association, je nai pas hésité une seconde. Cest que mon engagement dans la défense des droits de lhomme est le fruit de presque chacun de mes 22 printemps... Dès lâge de 7 ans, comme beaucoup de petites filles, je voulais me dévouer corps et âme à sauver des enfants dAfrique de la famine, vêtue bien entendu du sage habit noir de nonne. Jusque là, rien dinquiètant. Puis, le mariage avec le Très Haut me semblant trop austère, le Dieu "Droit" fit son apparition dans ma vie. Dès la classe de sixième, ma voie me semblait tracée: je désirais étudier cette matière dans ses moindres rouages, en connaître chacune de ses règles et astuces, jusque dans ses plus infimes détails. Limage qui le symbolisait alors était celle de lavocate plaidant au Barreau et sauvant, "in extremis", laccusé dune mort certaine par un habile et surprenant montage juridique auquel personne naurait pensé. En effet, jétais alors surtout révoltée par lhermétisme du Droit, réservé à une élite de professionnels, et qui nécessitait, aux dires de tous, tant defforts et dabnégation (vision qui sest confirmée dailleurs). Ma première idée restait latente, puique je me destinais à défendre les enfants. Mon âge explique sans doute cet intérêt particulier. Le moment tant attendu eut lieu à 17 ans, lorsque je franchis, émue, les portes de la Faculté de Droit. Voulant toujours tout connaître de cette matière, je choisis à dessein au titre de mes deux disciplines sujettes à travaux dirigés, lune en droit privé, lautre en droit public. Ce fût la Révélation en deuxième année, lorsque mapparut...lEtat. Que ce géant fût doté de pouvoirs "exceptionnels", "exorbitants", daccord, puisquil était investi de la légitimité populaire (dans le meilleur des cas), et que cétait au nom de "lintérêt général". Mais pas daccord, quand il détournait à des fins illégales ces mêmes prérogatives contre celui-là même au nom duquel il était censé agir, lêtre humain, au point de le faire disparaître physiquement. Aussi, mon "champ daction" sélargit, et je revins à mes premières amours, refoulées car trop sublimes: sauver le monde entier ! Cétait à portée de main, puisque jétudiais mes futures armes. Pourquoi, alors, JSF ? Parce quà mes yeux, le Droit est linstrument à la fois le plus fort et le plus faible pour atteindre, ou tenter du moins,ce but. Le plus fort puisque gravé dans des textes ou des mémoires, donc opposable à tous et sanctionnable. Mais le plus faible aussi : fait et défait par des hommes, il en a toutes les qualités et les travers, et même les maladies. On pourrait presque parler de "Syndrome dImmuno-Déficience juridique", lorsque l on voit les signataires utiliser les textes à lencontre de leur propre application. Cest contre cela que je veux me battre, afin de ne jamais oublier ce qui constitue la raison dêtre des règles juridiques, cest-à-dire lêtre humain. Daucuns me traiteront didéaliste puérile, me soupçonnant de nêtre pas encore tout à fait guérie de la période dadolescence que lon sait désastreuse. A ceux-là, jinverserai les rôles lespace dun instant et prendrai comme avocate la sagesse populaire et ses adages rap pe lant : "Qui ne tente rien na rien" et encore "Lespoir fait vivre". Stéphanie DURAND Association et Centre Primo Levi: Première bougie! 1996 marque la première année de plein fonctionnement de lAssociation et du Centre créés en 1995 sous limpulsion conjointe de cinq ONG (Amnesty International, MDM, ACAT, TREVE et JSF). Rappelons simplement pour mémoire que cette structure vise principalement à assister les victimes de tortures et de violences politiques ainsi que les volontaires expatriés de retour de mission. Son champ daction sétend tant au domaine purement médical quà laide sociale et juridique, et est à ce titre couvert par une équipe pluridisciplinaire. Alors, Primo Lévi, quel bilan? Concernant tout dabord lactivité du Centre, 170 victimes de tortures ont été soignées depuis sa création. Trois mille consultations ont été dispensées entre avril 1996 et avril 1997 (la présence de deux membres du personnel pendant une seule consultation comptant pour deux visites). La durée moyenne dune prise en charge est dune année, même sil existe de fortes disparités selon les cas. Le coût total est estimé à 10 000F (assuré entièrement par le Centre). Lorigine des victimes se répartit actuellement comme suit: sur les 87 patients présents, 33% sont dorigine turque, 20% dAfrique sub-saharienne et 15% dAlgérie. Les autres personnes proviennent dAmérique latine, dex-Yougoslavie, du Sri Lanka, dInde et dIran. 40% dentre eux ont le statut de réfugié, un tiers sont demandeurs dasile en attente, le reste relevant de multiples régimes (double nationalité, étudiants algériens, bosniaques ou déboutés du droit dasile non reconduits). La proportion de femmes a nettement augmenté puis quelles représentent plus de 40% du total des patients. Lorganisation du Centre sest vue quant à elle renforcée. Le Centre est ouvert cinq jours par semaine. Il est doté dun secrétariat fonctionnant en permanence. Quant à léquipe soignante même, elle se compose comme suit : deux médecins généralistes, un psychiatre (bénévole), trois psychothérapeutes, un psychosociologue interprète franco-turc, un interprète bosniaque, un kinésithérapeute, une assistante sociale, un stagiaire psychologue, une secrétaire comptable, une documentaliste et une aide-pharmacienne (toutes deux bénévoles). La qualité du service est assurée grâce à lexpérience de chacun ainsi que par des échanges constants entre eux, matérialisés par des réunions mensuelles de supervision. Cette équipe est complétée par un réseau de médecins spécialisés assurant gratuitement des consultations. Les médicaments et le matériel médical sont délivrés également gracieusement (principalement par lassociation Pharmaciens sans Frontières et la ville de Paris). Les principales tortures subies par les victimes sont lenfermement, les coups, les chocs électriques, la suffocation, la suspension, la sodomie, le viol et la privation de sommeil, de lumière et de nourriture. Elles entraînent bien sûr des troubles physiques (pathologies rhumatologiques diverses, cardiaques, crises dépilepsie, problèmes dentaires), mais aussi psychologiques (troubles du sommeil, état danxiété permanent, asthénie, hallucinations, syndrome dépressif...). Lexil majore les diffi cultés dinsertion des victimes (barrière de la langue, structures administratives complexes). La prise en charge du patient seffectue donc à plusieurs niveaux. Sur le plan médical, le suivi consiste bien entendu à soigner les séquelles physiques mais également à en restituer la chronologie, afin de leur redonner du sens. La prise en charge psychologique, basée sur un rapport de confiance et de compréhension, vise quant à elle à aider le patient à dépasser ses traumatismes afin denvisager un avenir dans le pays daccueil. Ces soins sont complétés par la kinésithérapie et linterprétariat: la première vise à faire exprimer au patient ce quil na pu mettre en mots. Quant au second, il offre un moyen de médiation culturelle et donc loccasion pour le patient de se restituer dans son passé et de le revaloriser. Sur les plans social et juridique, le Centre travaille dabord à mobiliser le patient autour dune appropriation pertinente des mécanismes de fonctionnement de la société daccueil. Dautre part, le suivi juridique consiste, avec dautres associations, à assister et accompagner les demandeurs dasile et/ou du statut politique devant les instances compétentes, même si le Centre se refuse à endosser le rôle dexpert. Aussi, la forte augmentation de lactivité du Centre en 1996 ainsi que limportance des besoins (les conventions contre la torture restant largement ignorées) laissent prévoir pour lannée en cours un maintien de la demande. Et ce dautant plus quun réseau daccueil spécifique permet une connaissance accrue des possibilités de soins spécialisés de Primo Lévi. Abordons à présent lactivité de lassociation à létranger. Lannée 1996 fut riche en rencontres avec des ONG agissant dans le domaine de la lutte contre la torture et pour laide aux victimes. Citons à titre dexemples lIRCT de Copenhague (International Council For Torture Victims), lOMCT de Genève (Organisation Mondiale Contre La Torture), Human Rights Watch... Lassociation a également développé des contacts avec plusieurs centres de réhabilitation, envisageant même des actions coordonnées avec certains dentre eux (dAllemagne, de Turquie, du Maroc...). Enfin, elle a participé à plusieurs rencontres internationales sur les droits de lhomme (à Athènes, Casablanca, et Stockholm). Au titre de son statut de consultant, le Centre a aussi pour tâche deffectuer un "transfert de compétence" au profit dun certain nombre de centres. Ainsi, à la demande de lONG marseillaise Santé sud, Primo Lévi participe à la création dun centre de réhabilitation pour des anciens combattants russes de la guerre dAfghanistan situé à Perm. Le soutien, technique et fonctionnel, consiste également à la formation de thérapeutes. Les consultations, conjointes, ont débuté en mars 1997 et satisfont grandement lensemble des partenaires. De plus, Primo Lévi assiste techniquement une mission de MDM à Haïti apportant des soins aux victimes de la violence, omniprésente sur cette île. Dautre part, le Centre a reçu de nombreux étrangers gérant ou désirant créer des centres similaires. Parmi les plus fructueux, il convient de citer: la venue du docteur Amar Jesani, principal animateur du "Centre de Bombay" daide aux victimes de la violence politique, sociale et familiale, au cours de laquelle a été évoquée une éventuelle contribution de Primo Lévi à louverture dun centre dans cette ville. des contacts réguliers avec une équipe marocaine de juristes et de médecins militants de droits de lhomme ont abouti à une réflexion quant à la création dun réseau daide aux victimes de la répression mais aussi de la violence politique. avec Amnesty international, des relations suivies ont été établies avec plusieurs membres de la fondation des Droits de lHomme en Turquie. Celle-ci a déjà créé 4 centres daide aux victimes de la torture qui ont accueilli 2500 patients. Par conséquent, si la priorité de Primo Lévi demeure lactivité du Centre de lavenue Parmentier, le développement de structures similaires sur les lieux des atteintes aux droits de lhomme retient bien sûr toute lattention du Conseil dadministration. Cependant, lassociation privilégie lactivité de conseil et de formation plutôt que lassistance directe aux victimes, tâche trop lourde à gérer. Concernant plus spécifiquement la transmission de ses compétences par le Centre, cette mission est considérée comme essentielle par Primo Lévi. En effet, une démarche cohérente et réfléchie est particulièrement requise pour faire face à lensemble des problèmes auxquels sont confrontés les patients. Les intervenants du Centre ont donc pour tâche de sensibiliser les professionnels de la santé en contact avec des réfugiés politiques afin de déceler parmi eux les victimes de traitements inhumains, cruels ou dégradants. Ils visent ainsi à transmettre leur savoir-faire et leur pratique. Trois types dactions ont dores et déjà pu être menées en 1996 : la formation de stagiaires psychologues intégrés complètement dans léquipe du Centre. la préparation de cours (notamment à Paris 8) et de conférences dont certaines ont donné lieu à des publications dans des revues scientifiques. la participation à des rencontres organisées par des services ou réseaux de droit commun (Amnesty International, ACAT, réseaux de professionnels...). Cependant, cette activité représente une lourde charge car concentrée sur un nombre limité dintervenants devant posséder lexpérience nécessaire pour dispenser une intervention de qualité. Ce fait a été accentué par des contraintes budgétaires (voir infra) qui ont obligé le Centre à favoriser le traitement des victimes dans son enceinte au détriment de ce type dactivité. Mais une subvention complémentaire du FAS (Fonds dAction Sociale) allouée le 31 décembre dernier pour financer ce type de travaux permet daborder lannée 1997 sous de meilleurs auspices. Evoquons enfin laccroissement de lactivité de "debriefing" des expatriés de retour de mission. Toujours en collaboration avec MDM, une lettre dinformation pour les volontaires en partance et/ou de retour vers/de létranger a été élaborée. Plusieurs dentre eux ont déjà pu bénéficier dun espace découte approprié au Centre. De même, une demi-journée a été consacrée à la mission MDM Rwanda suite à lassassinat de plusieurs membres de cette ONG dans ce pays. Enfin, un échange de vues sur les méthodes suivies a eu lieu entre autres avec ACF et MSF. Citons pour terminer quelques chiffres relatifs au rapport financier de 1996. Le montant total des recettes sélève à 1.514.232,84F. Il se décompose de la façon suivante : 71% proviennent de subventions, dont 83% dinstitutions, à savoir lONU et lEtat français (versements inférieurs aux prévisions), la Commission européenne (pour la première fois) et le FAS. les dons représentent 13% du total (le double des prévisions initiales). Ils ont deux origines : les associations (notamment AI Allemagne) et ceux collectés suite au premier appel aux particuliers effectué par Primo Lévi. les différents matériels, fournis gratuitement, sont estimés à un montant de 50 870F. Sur les 1 509 025F dépensés, 69% ont été consacrés au paiement des salaires, charges en découlant et aux honoraires liées aux soins. Les frais afférents aux locaux absorbent, quant à eux, 15% du total, les autres frais de fonctionnement, 8,5%, laide aux patients 4% et les voyages et colloques 1,5%. Lannonce, au cours du deuxième semestre 1996, de la réduction de certaines subventions a entraîné la réduction de certains engagements de dépenses (voir supra). La volonté de diversification des sources de financements ainsi que leffort de transparence de lexercice 1996 sont à poursuivre en 1997. Il en est de même concernant laffectation des coûts et recettes déjà engagée durant cette même période pour faciliter la compréhension des dépenses et le choix des priorités. En conclusion, lassociation a été très sensible tant au renouvellement des subventions institutionnelles quà ses nouveaux partenaires financiers. La décision, prise fin 1996 au nom du Ministre du Travail, dagréer le Centre Primo Levi comme "centre de santé médical" devrait, à terme, faciliter le financement de lactivité de soins proprement dite. Les compétences de Primo Lévi sont fortement sollicitées, au vu de lintensité des drames de lactualité et de limmobilisme, dans le meilleur des cas, des Etats. Des arbitrages devront donc être effectués entre ses principaux domaines dactivités : centre de réhabilitation, transfert de compétence et assistance technique. Stéphanie DURAND daprès les comptes-rendus de Philippe RYFMAN La place des ONG dans le monde Le respect des Droits de lHomme est une lutte sans cesse renouvelée. Les organisations dites non gouvernementales, conscientes que ce combat ne connaîtra pas de fin, trouvent dans le monde bouleversé daujourdhui un rôle nouveau, plus ample que par le passé, mais cependant non sans risques sur le terrain de léthique. La Déclaration Universelle est souvent encore ressentie comme le credo des bien-pensants occidentaux, irréaliste pour les uns, vade mecum dun colonialisme moderne pour les autres. Ici et là, on oppose ou revendique les "spécificités culturelles ou religieuses" qui justifieraient que lon sen affranchisse. A lintérieur de nos frontières il subsiste des esprits chagrins pour ironiser sur lutopie de vouloir instaurer la démocratie ou promouvoir les libertés individuelles - luxe impossible - pour des peuples dun autre âge. En terres plus ou moins lointaines, des idéologues stigmatisent la volonté dune partie du monde duniformiser le reste de la planète aux prétendues valeurs occidentales, hégémoniques et destructrices des traditions ancestrales. La victoire de Nelson Mandela contre lapartheid, la résistance des femmes de pays dIslam et dAfrique à lintolérance et à la violence, lopposition militante à loppression régissant le quotidien dEtats totalitaires représentent somme toute la meilleure des réponses aux sceptiques, aux archaïques et autres intégristes. Quasiment aucune violation caractérisée, a fortiori lorsquelle est massive, des Droits de lHomme ne peut se commettre sans que la communauté internationale nen soit informée, donc témoin. Une prise de position devient alors inéluctable, le silence en toute hypothèse sapparentant à de la complicité. Trop souvent impuissante, cette communauté internationale réagit ainsi politiquement, économiquement ou militairement avec une efficacité parfois contestable et en ce cas largement critiquée. Et pour la première fois depuis Nuremberg, alors quaucun "Grand" des Nations Unies na été directement atteint, la réaction prend une forme judiciaire. Or, en ce domaine, lindépendance du juge - et il le prouve - laisse augurer davantage de constance et de détermination. Le Tribunal de La Haye nest pas le gadget décrié il y a cinq ans par certains et ceux qui alors auraient eu la tentation de laffirmer seraient maintenant démentis par les initiatives et procédures entreprises par la juridiction ad hoc. La Cour permanente nest pas créée que sélèvent des voix pour instruire le procès de Pol Pot à linstar du jugement des criminels de lex-Yougoslavie ou du Rwanda. La justice, consécration de lessentiel quand lirréparable a été perpétré, répond aux aspirations de tous les opprimés et victimes. Luniversalité du Droit - entendons des textes fondamentaux - constitue bien une réalité cheminant lentement. Les progrès saccompagnent malheureusement de reculs dans des pays aussi bien en voie de développement que plus prospères, avec parfois la complaisance économico-politique des grandes puissances. La vigilance des mouvements des Droits de lHomme doit donc demeurer omniprésente et leurs champs daction être toujours élargis. Le rôle des ONG sest accru considérablement. Mieux reconnues et valorisées par les instances onusiennes et particulièrement lors des dernières grandes conférences (par exemple Vienne et Pékin), elles se voient dotées (tout au moins les associations européennes) de moyens financiers leur conférant linfrastructure de réels opérateurs. Le pas vers le professionnalisme a été franchi. Dimportants budgets attribués par les Etats ou les institutions internationales en font des partenaires liés par un véritable contrat - des sous-traitants parfois. Les sujets dintervention relèvent tout à la fois de lurgence et du développement dont nous savons que la démarcation ne simpose pas delle-même. Dans ce contexte, existe ce quil est désormais convenu de nommer une "instrumentalisation" des ONG. Elle présente le risque, par la tentation économique, de la facilité dont le corollaire pourrait être la perte dindépendance. Le phénomène apparut nettement lors des évènements non davril 1994 mais de lété suivant au Rwanda. Ce danger de linstrumentalisation en induit un second. Lorganisation humanitaire dans une action à long terme va, avec le plein aval de lEtat laccueillant, agir en ses lieu et place dans des domaines nétant pas toujours prioritaires pour les autorités locales. Ces secteurs tels que la santé, léducation, la prise en charge des enfants des rues et pourquoi pas la matière juridique ou judicaire et dautres encore représentent les thèmes privilégiés dintervention des ONG, semble-t-il à des échelles de plus en plus importantes. Les bailleurs de fonds (Direction Générale du Développement de lUnion Européenne, ministères de la coopération de différents pays, organisations internationales...), nous le savons, financent les missions de cette nature de manière assez large. Le pays bénéficiaire des ces conventions tripartites - lEtat, lorganisme "payeur", lONG - en est à plus dun titre preneur. Outre la prestation fournie, généralement de qualité, il en perçoit les retombées financières, largent investi et celui versé sur place. LEtat concentre parallèlement son effort, et le Rwanda depuis de nombreux mois en est une fois encore une illustration, sur la sécurité intérieure et la défense ce qui, à lépreuve des faits, ne se révèle pas une caution pour la démocratie. Cet écueil du mandat institutionnalisé, autrement dit sous le contrôle de lEtat, et des effets pervers quil engendre en certaines occasions mérite réflexion. Lidée, mais elle nest pas nouvelle, de renforcer le rapprochement avec la Société Civile au sens large, en travaillant directement avec elle et pour elle, gagnerait à être réinventée Lengagement des associations telles que la nôtre doit avanttout demeurer au service de lindividu. Philippe EXPERT Choses dites Action! JSF parait en attente, le pas suspendu, entre un retrait du Rwanda et une reprise vers dautres actions, entre des choix dorientations et la recherche des crédits correspondants. Face aux actions et attentes de JSF, la résistance à lapplication des principes fondamentaux du droit humanitaire reste évidente. En ce qui concerne le TPI de La Haye, Antonio CASSESE rappelle que sur la mise en accusation de 74 personnes pour des crimes commis en ex-Yougoslavie, sept sont incarcérées, que la Croatie comme la Serbie ont opposé de manière abusive leur compétence nationale ou la non-extradition de leurs ressortissants, que lONU, les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou la France participent à cette résistance à laction du Tribunal. Larrestation récente par la SFOR est-elle lindice de la mise en uvre de la politique pénale cohérente avec la création de ce TPI? On ne parlait quasiment plus du TPI dArusha mais larrestation à la demande de ce Tribunal de sept rwandais à Nairobi peut-elle laisser espérer que lautorité de la juridiction va réduire la résistance du Kenya comme celle dautres Etats qui hébergent des personnes impliquées dans le génocide de 1994 ? Au gré des événements, le regard sest déplacé du Rwanda vers le Zaïre puis le Congo, en laissant en chemin les victimes, en oubliant les génocideurs. Des accusations sont lancées contre les équipes au pouvoir mais il nest que rarement évoqué la nécessité de désarmer les criminels et autres milices encadrant les réfugiés. Si le dernier rapport de lONU sur les agressions subies par les actuels réfugiés au Congo-Zaïre évoque des responsabilités croisées, la non-application du droit résulte dun refus obstiné de faire le travail de police. Antonio Cassese rappelle que face à ces difficultés, la démission est un luxe et une injure aux victimes. Il en serait de même pour les ONG. Les articles de cette lettre sur les débats au sein de JSF quant aux choix des actions (urgence, humanitaire, développement), sur la poursuite du travail auprès des TPI (amicus curiae), sur les actions en cours (Tempus, prix et concours, travail universitaire) montrent que de manière obstinée laction continue. Le questionnaire devrait permettre de connaître mieux les raisons de lengagement de nos membres et peut-être de comprendre les limites des soutiens que nous attendons. Au delà du papillonnage imposé par les feux de lactualité, la mémoire et la constance dans laction seront les gages de notre efficacité. Lassemblée générale des 4 et 5 septembre 1997 à Marseille sera loccasion de préciser les orientations de JSF. Francis CARLE Assemblée générale 1997 les 5 et 6 septembre Maison des Avocats - 56, rue Montgrand - Marseille 6e - (proche du Palais de Justice) Vendredi 05/09 14h30 Rapport Moral Rapport financier Discussion des rapports: - bilan des activités et perspectives - association, finances et organisation Organisation des éléctions Samedi 06/09 09h30 Intervention dun invité. Thème de la matinée: "Développement, urgence et Droits de lhomme" Table ronde Débat Déjeuner 14h30 Vote des orientations Choix des projets 1998 Elections du Conseil dAdministration 17h00 fin des travaux EXPRESSION LIBRE Un génocide ne doit pas en cacher un autre Printemps 1994: sous le regard passif de la France et du commandement de la MINUAR, les Interhamwe et larmée du régime en déroute exterminent méthodiquement tous ceux qui refusent le "Hutu Power". Pour la diaspora tutsie, légitimée par un génocide vécu par procuration, la reconquête va commencer. Printemps 1997: avec le soutien des Etats Unis, grâce à la logique du nouveau pouvoir rwandais, malgré les lamentations de la France et des Nations Unis, Kabila et ses acolytes règlent à leur manière le problème des réfugiés hutus incrustés dans lEst du Zaïre depuis la victoire du FPR. Pour larmée et lEtat rwandais, obsédés par la consolidation de leurs acquis militaires et territoriaux, fortement mis en quarantaine par lUnion européenne pour ne rien avoir donné de sérieux sur le terrain démocratique en échange dune interminable perfusion financière, lheure des comptes a sonné. Aujourdhui, les comparaisons comptables des charniers sont hors de mise. Sous couvert de liquider les miliciens qui encadraient les populations réfugiées, ce sont bien des milliers de vieillards, femmes et enfants qui ont été aveuglément chassés, affamés, tués. Il ny a malheureusement aucun doute sur le caractère prémédité de cette opération, dont KABILA assume la première responsabilité politique, mais que seule limplication militaire rwandaise déterminante a rendue possible. Cela sappelle un génocide. Depuis des mois, Juristes Sans Frontières avait perçu, de missions en missions, le durcissement politico-militaire rwandais, aspiré au-delà des apparences dun double discours de plus en plus visible, dans un profond repli nationaliste et aristocratique. Nos relations institutionnelles au Rwanda étaient devenues étouffantes. Lorsque nos programmes européens se sont achevés, à lautomne 1996, le Rwanda était devenu, graduellement, au moyen dinstruments de tutelle et de contrôle de plus en plus contraignants, irrespirable. Nous en avons tiré les conséquences et sommes partis, silencieusement, pour ne faire courir aucun risque inutile à celles et ceux qui liquidaient nos infrastructures. La suite des évènements a malheureusement confirmé, au plan politique, comme au regard des difficultés rencontrées par les autres ONG et lONU sur le terrain, que cette décision était la plus responsable. Alors, quel bilan tirer de ces deux années de présence continue au Rwanda, de ces programmes dont la finalité était de participer à la reconstruction dun Etat de droit, dans lequel nous avons jeté avec enthousiasme lessentiel de nos forces ? Dans limmédiat, le constat est clair: lEtat de droit nest pas restauré au Rwanda, la société civile qui sexprime à Kigali est étroitement contrôlée par le pouvoir, laspiration démocratique du peuple reste faible et en tous cas couverte par le discours sécuritaire. En outre, lEtat et la population rwandaise ont essentiellement privilégié le parti économique quils pouvaient tirer de laide internationale et de sa face immergée sur place, la nébuleuse des ONG, et lintérêt la vite emporté sur la solidarité et lamitié. De ce point de vue, il est clair que lévolution actuelle du Rwanda na pas répondu à nos attentes, et que nous avions sous-estimé lampleur de notre instrumentalisation, ici et là-bas, par des partenaires dont nous étions devenus otages. A moyen terme, le diagnostic est évidemment plus optimiste: nous avons, avec dautres, côtoyé jour après jour des gens formidables, humanistes, généreux, justes, mais isolés. Nous savons quils existent, quils sont lavenir de ce pays, et que notre soutien passé, présent et futur leur est indispensable. Quitter le Rwanda sans abandonner les démocrates rwandais, dénoncer tous les crimes, exiger quils soient également jugés, une page est tournée, mais elle nest certainement pas refermée. A Arusha, en France, notre combat pour la Justice continue. A Kigali, il reste légitime hors des sentiers officiels. Faire fructifier le travail accompli, rester à lécoute du Rwanda progressiste, collaborer avec lui pour faire bouger les choses: il nous reste à être dynamiques et inventifs, le combat que nous menons nest jamais achevé ! Alain OTTAN MAISON DES AVOCATS - 14, RUE MARCEL DE SERRES - 34000 MONTPELLIER - FRANCE TEL: 04 67 61 72 87 - FAX: 04 67 41 03 04 _________________________________________________________________ Association titulaire d'un compte à la FONDATION DE FRANCE - n° 60 0924 _________________________________________________________________ Association régie par la loi française du 1er Juillet 1901 [12][10202336581?page=juristessansfrontieres.org] [13]Présentation | [14]La Lettre | [15]En bref | [16]Archives | [17]Participer | [18]nous écrire References 1. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm 2. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=pres.htm 3. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=ac_jsf.cfm 4. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=lettre.htm 5. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=arc.cfm 6. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=part.cfm 7. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=ecrire.cfm 8. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?Activedoc=aide.htm 9. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=links.htm 10. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/user/ 11. http://home.netscape.com/fr/comprod/mirror/index.html 12. http://www.estat.com/getstats?serial=10202336581 13. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=pres.htm 14. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=lettre.htm 15. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=ac_jsf.cfm 16. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=arc.cfm 17. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=part.cfm 18. file://localhost/home/Marc/projet_barrage/barrage_routier/wget_barrage_routier/index.cfm?ActiveDoc=ecrire.cfm