En amorce de ce mémoire, je tiens à adresser personnellement et particulièrement de sincères remerciements à des personnes sans qui ce travail n'aurait jamais trouvé cette forme d'aboutissement : ? M. Michel TOZZI pour ses conseils avisés et sa ferveur à l'engagement pédagogique ; ? Le groupe « chamPIgnon de Montpellier » auprès de qui les pratiques coopératives prennent du volume ; ? Les « pidapistes » dont la principale mission est d'allier recherche et action ; ? Mme Martine AZAïS pour sa très précieuse relecture ; ? Mon épouse et ma famille pour leur soutien au quotidien ; ? Tous les pédagogues et apprentis pédagogues qui m'ont permis dans la rencontre de parfaire mes conceptions éducatives. Je dédie ce travail à ma grand-mère Madeleine qui n'a pas eu la possibilité d'en parcourir les lignes. « L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation. Il n'est que ce que l'éducation fait de lui. Il faut bien remarquer que l'homme n'est éduqué que par des hommes qui ont également été éduqués.. […] Si seulement un être de nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce qu'on peut faire de l'homme. » E. KANT « Ne rien dire que nous n'ayons fait » - F. OURY Sommaire « LA DISCUSSION PHILOSOPHIQUE COMME INSTITUTION DES PEDAGOGIES COOPERATIVES ? » TOME 1 : DISPOSITIF ET PROCESSUS DE LA RECHERCHE A - Introduction 1 - Motivations personnelles et professionnelles p 6 2 - Les enjeux p 12 B - Première partie : de la thématique à une problématique 1 - Les pédagogies coopératives : historique et finalités des Techniques Freinet et Pédagogies Institutionnelles p 15 2 - L'éducation par la philosophie a) La philosophie comme réponse à des manques p 34 b) Cinq approches pour philosopher avec un groupe d'enfants p 44 3 - L'institution discussion philosophique p 50 4 – Les hypothèses de recherche p 64 C – Deuxième partie : la méthodologie 1 – Le terrain d'expérimentation : « Gianni chez des coopérateurs » p 66 2 – Le fonctionnement des séances de discussions philosophiques a) Présentation technique des discussions p 85 b) Les responsabilités p 87 c) Les maîtres mots p 89 d) Une ceinture de philosophe p 107 e) Les thèmes de la discussion p 122 f) Les fiches d'observation p 124 3 - Les outils de la méthodologie a) Les scripts p 127 b) Les grilles d'analyse des scripts p 131 c) Le questionnaire p 134 d) Les entretiens p 135 D – Troisième partie : recueil et analyse des données 1 – Analyse des scripts p 136 a) Pour l'ensemble du groupe-classe p 136 b) Pour Michael, Chris et Hussein p 143 c) Comparaison avec les scripts de classes « non-coopératives » p 147 2 – Traitement et analyse des questionnaires p 150 3 – Analyse des entretiens p 157 4 – Etude comparative entre une discussion philosophique et un conseil de coopérative p 161 5 – Vérification des hypothèses p 167 E – Conclusion 1 – Aboutissement de la recherche : intérêts et limites p 172 2 – Analyse et critique de la recherche p 175 3 – Perspectives de poursuites p 176 F – Bibliographie p 179 G – Annexes 1 – Vers une institution de la pensée ? p 184 2 – Nos élèves sont-ils philosophes ? p 191 3 – Un enfant coopérateur peut-il philosopher ? p 194 TOME 2 : DONNEES DE LA RECHERCHE 1 – Scripts issus du terrain d'expérimentation 2 – Scripts issus de classes « non-coopératives » 3 – Tableau des fiches-bilan de discussions philosophiques. A – Introduction 1 – MOTIVATIONS PERSONNELLES ET PROFESSIONNELLES Le nous de cette recherche se veut bien plus qu'une forme rhétorique. La construction des phrases appartient bien à l'auteur de ce mémoire mais les idées présentées et développées sont la résultante d'une longue acculturation éducative nourrie de plusieurs pensées. Il serait inopportun d'user d'un « je » ne correspondant qu'à la dangereuse illusion de la créativité pédagogique. En conséquence, le fruit de cette étude n'est rien d'autre que l'aboutissement logique de rencontres fortuites et se veut humblement au service de l'évolution des engagements de l'humanité autour de la question éducative. Ainsi, plutôt que de dresser une liste de visées personnelles, nous proposons d'indiquer les sources à l'origine de ce travail. Celles-ci reflètent une histoire de vie débutant par l'Education Populaire et se poursuivant actuellement par l'enseignement en école élémentaire. E. MOUNIER et J. DEWEY peuvent être considérés comme les deux grands piliers des motivations d'aujourd'hui. L'éthique de cette recherche et du parcours qui l'a précédée s'appuie et se réfère au Personnalisme communautaire d'Emmanuel MOUNIER (1905 - 1950) . Nous nous intéressons à la démarche de l'homme plus qu'à son histoire. D'origine grenobloise, en raison de problèmes de santé, il est amené à conduire des études de philosophie et fut l'élève de J. CHEVALIER. Rapidement, sa démarche fut de mettre ses réflexions à l'épreuve du réel, l'action étant l'épaisseur de la pensée. Le Personnalisme devient pour lui la pensée qu'il a sur le Monde et sur l'Homme. Il s'agit d'une philosophie en action et non d'une philosophie de l'action. Il réussit avec brio son agrégation de philosophie à la Sorbonne où il vit difficilement l'isolement collectif de la vie parisienne. Pendant la guerre de 14/18 sa rencontre avec C. PEGUY lui fait dire qu'il est plus attiré par les errances que par les erreurs. Prisonnier, il se réfugie en France Libre où il crée un regroupement d'amis en recherche sur l'Homme. Ce groupe est à la source de la revue Esprit dont le premier numéro paraît en 1932. Il intervient par la suite au château d'Uriage que dirige le Général DUNOYER DE SEGONZAC. Rapidement, il se rend compte que cette formation de cadres est à la solde du régime de Vichy et intègre la résistance. Pour lui, il ne s'agit pas de mettre l'Homme au dessus de tout (NIETZSCHE) ni de positionner la société au dessus de l'Homme (MARX). Il tend plutôt vers une troisième voie qui se veut un intermédiaire de ces deux alternatives. Charles RENOUVIER dira plus tard du Personnalisme que son essence est de « Faire, et en faisant, se faire ». L'Homme vit dans la société, pour la société, avec la société mais aussi pour se grandir soi-même. La visée est de dégager le spirituel de l'Homme afin que soient mises à l'épreuve les pensées et les valeurs qu'il porte. C'est à Emmanuel MOUNIER que l'on doit l'essor d'un personnalisme affirmant que la personne a de l'importance dans tous ses actes . Le Personnalisme n'est pas une théorie philosophique, c'est avant tout un mouvement d'intellectuels, le cri de révolte de jeunes hommes contre l'individualisme bourgeois (d'où la diffusion de la revue Esprit, véritable canal de communication sur l'extérieur). Pour eux, la primauté du spirituel doit être à l'intérieur du combat politique. Ce mouvement personnaliste a conduit à une série de prises de positions, toutes au service de la liberté et la dignité de l'être humain. Le Personnalisme définit la personne sous trois angles : ? « La personne est libre et créatrice. » Elle prend le Monde comme problème et le construit comme destin. La personne se choisit en posant des actes en affirmant son « moi-je ». ? La personne est communion avec une autre. Dans la relation, elle est capable de dire « nous » tout en considérant l'autre comme différent. Elle reconnaît le schéma relationnel comme tripartite : imitation - opposition – collaboration. Il s'agit de vouloir que l'autre existe afin qu'ensemble, on construise l'humanité. ? La personne est adhésion à des valeurs qui la dépassent. Le Personnalisme prend la défense de la personne contre les excès, en la plaçant au centre des préoccupations. Elle ne peut s'exprimer qu'en fonction d'une communauté concrète. Il s'agit d'être avec. L'essence n'existe pas : c'est la « com-essence » qui favorise l'épanouissement spirituel . L'Homme en soi ne peut pas vivre : il doit être l'homme-monde car l'homme est dans le monde comme le monde est dans l'homme. De ce fait, le Personnalisme n'a pas de position propre sur le plan doctrinal : il reste compatible avec la plupart des systèmes. Il affirme que l'homme est riche de par ses relations qui construisent la personne. Cependant, celle-ci se doit de conquérir des valeurs spirituelles, comportant des exigences de gratuité, de courage, d'ouverture et de don de soi. L'attitude personnaliste ne peut ni ne doit aboutir à une doctrine aux règles immuables. Elle est d'abord mouvement : elle est « une » et « avec ». Elle se trouve puis se cherche à nouveau dans un esprit pluraliste et par l'affrontement. Le Personnaliste ne sera jamais satisfait. Son exigence est un idéal dont on se rapproche ou dont on s'éloigne, mais que l'on n'atteint jamais. Ainsi, MOUNIER invite tout homme à un choix éthique : la formation dans l'authenticité. Former, c'est s'opposer aux sectarismes, s'exposer avec lucidité en acceptant d'être utile avant d'être plaisant, savoir être insécurisé par l'autre, haïr l'erreur mais aimer les errants. Pour lui, la personne a de l'importance dans tous ses actes. Il convient donc de l'appréhender dans son histoire car rien n'est jamais terminé. L'arrêt sur image devient enfermement, condamnation ; il faut abattre ses préjugés et croire à l'évolution. Ainsi, comprendre et appliquer le personnalisme au quotidien, c'est accepter l'affrontement. Le Personnalisme communautaire ne se résume pas à une question de méthode. C'est avant tout un regard sur la personne et la conviction qu'elle est source de richesse et d'évolution. J. DEWEY ne semble avoir aucun lien avec MOUNIER. Pourtant, la pédagogie progressive qu'il développe apparaît complémentaire au Personnalisme communautaire. J. DEWEY (1859-1952) est un philosophe, psychologue et pédagogue américain. C'est l'initiateur des méthodes actives en pédagogie, notamment de la pédagogie du projet. Il réfute tous les dispositifs pédagogiques où un enseignant contraint des élèves à subir des leçons descendantes, purement théoriques et sans lien direct avec la vie et refuse d'imposer aux enfants des préoccupations d'adultes. Cependant, DEWEY n'a jamais présenté ni favorisé l'utilisation d'une méthode particulière. « Sa philosophie repose sur une philosophie de l'expérience qui a pour principe le principe de continuité et pour méthode issue de ce principe l'expérimentation. » A la lumière de ce principe, il préconise que ce soit chaque enseignant, en équipe, qui définisse les déterminants de sa forme d'enseignement. De manière un peu plus précise, DEWEY défend les méthodes actives qui conduisent l'élève à apprendre tout en faisant (« learning by doing »). Il pense que l'éducation est une expérience continue et transactionnelle, c'est à dire permettant une constante relation entre l'école et la vie, la théorie et la pratique, les sens et la raison. L'école a pour vocation de favoriser le lien social et de permettre d'étroites relations avec la cité, la vie familiale et le monde du travail par exemple. Ce ne sont pas les activités simples qui sont favorisées, DEWEY reconnaissant que ce n'est pas parce que l'enfant est occupé qu'il apprend. C'est pourtant dans l'action que les élèves grandissent, dans la mesure où ce qu'ils font revêt un sens explicite. Par exemple, le travail manuel ne conduit pas à l'apprentissage de la lecture mais à celui de l'usage de ses sens et des outils qui prolongent le corps humain. Pour DEWEY, l'école doit être avant tout une vie, le lieu où les enfants apprennent à apprendre au-delà de l'école. Parce que la connaissance et la culture ne sont pas des fins en soi, l'éducation a pour visée de permettre à quiconque la fréquente d'apprendre à s'éduquer afin qu'il puisse poursuivre les apprentissages une fois libre et autonome . Le recours aux activités qu'il préconise ne se justifie que parce qu'il permettra l'accès à la liberté, la liberté étant considérée comme l'acceptation raisonnée des déterminants sociaux. « Il est essentiel, pour comprendre la position de DEWEY sur l'éducation, de ne jamais oublier que le développement de la personne passe par le développement de la société et vice versa. » Des idées présentées, celle-ci est la dernière qui peut caractériser l'œuvre de DEWEY. Il se définit comme un ardent défenseur de la démocratie et milite pour que l'école soit le principal lieu de son apprentissage. D'ailleurs, pendant sept ans, il dirigea une petite école élémentaire dont le fonctionnement peut être comparé à une démocratie en miniature. Les élèves y apprenaient par l'engagement et le débat démocratique. L'œuvre de DEWEY a été reprise par divers pédagogues dont FREINET, OURY et LIMPAN. Elle a, de plus, largement influencé de nombreuses politiques éducatives, en particulier les américaines avant d'être sérieusement accusée de l'échec relatif de la lutte pour une meilleure compétitivité (entre autres celle pour la conquête de l'espace). Néanmoins, cette critique confortait DEWEY qui restait en cohérence avec le projet éducatif de promotion des valeurs d'authenticité et d'entraide dans le travail. Ce qui fait l'objet de cette double présentation, celles du Personnalisme Communautaire et de la pédagogie progressive correspond aux motivations qui guident l'auteur de ce mémoire. MOUNIER indique une forte considération de la Personne entendue comme étant un être originel, essentiellement libre et capable d'engagements. La personne se construit par étapes, grâce à l'exercice de sa liberté. Dans toutes les dimensions de son quotidien, elle réalise et optimise sa créativité. Celle-ci ne peut-être développée qu'à travers l'appartenance à un groupe à la fois mode de transfert des codes culturels et support d'imprégnation des singularités. Le groupe domestique et affranchit, son appartenance est à la base de l'acte éducatif. Ces conceptions conduisent à la recherche de valeurs de promotion de la Personne, de respect des minorités dans le pluralisme et de liberté des engagements. A tout ceci, DEWEY apporte à la fois la dimension citoyenne de l'acte éducatif et la nature de l'activité scolaire. C'est pourquoi nous pensons que l'école se doit d'être un lieu d'apprentissage de la condition future de citoyen, ceci non pas dans l'imposition mais par l'activité, véritable moteur de la durabilité des acquisitions. Elle tend à développer des savoirs-être mais aussi des savoirs-faire et des savoirs, ces derniers se voulant constitutifs des précédents. C'est au travers de ce qui suit que nous pourrons envisager les visées pratiques de telles motivations. 2 – LES ENJEUX DE CETTE RECHERCHE Sans vouloir prétendre à l'unicité pédagogique, nous récusons les formes auxquelles se réfère majoritairement l'enseignement français en école élémentaire. Qu'il soit traditionnel ou directement inspiré de travaux en didactique par l'intermédiaire de manuels, l'école aujourd'hui ne semble pas encore adaptée à l'accueil des élèves, surtout dans la gestion de leur hétérogénéité et la prise en compte de leur futur rôle de citoyen démocrate . Nous espérons, militons et développons des dispositifs pédagogiques qui fassent de l'école non pas un lieu de compétition mais d'émulation, de l'évaluation un repère des évolutions plutôt qu'un mode de classement, de l'enseignant un guide plutôt qu'un tuteur ou un maître, du groupe de pairs un soutien potentiel plutôt qu'une norme castratrice. Quelles sont les raisons qui fondent dans l'éducation la comparaison des apprentissages ? Leur principe n'est-il pas qu'ils dépendent plus de l'apprenant et moins de l'enseignant et qu'ils sont d'autant mieux favorisés que les erreurs sont permises ? Nous pensons que l'école ne pourra assumer sa fonction que lorsque les élèves s'y rendront volontairement et généreusement, prêts à fournir des efforts qui seront récompensés par des apprentissages et attendant de leurs erreurs qu'elles soient un tremplin aux réussites. Dans une telle école, l'adulte sera reconnu pour son expérience et non son pouvoir et aura la charge, avec d'autres, de créer un environnement favorisant les rencontres et les échanges. Les classes deviendront alors des lieux de vie, sources d'enrichissements et véritables terrains d'expériences pour l'exercice des futures citoyennetés. Pour cela, nous nous appuyons sur l'apport des pédagogies actives qui semblent tout à fait adaptées pour l'acceptation et la reconnaissance de la personne dans sa complexité. FREINET, OURY et les autres ont élaboré une plate-forme sur laquelle il est opportun de s'appuyer pour poursuivre la construction de l'école de demain. Pourtant, leur travail n'est pas achevé et ceci autour de deux pôles. Le premier concerne les dispositifs et la recherche d'une adéquation entre la maîtrise d'une poïésis et la recherche d'une praxis éducative. « La poïésis est la fabrication d'une œuvre, elle a pour caractéristique d'être extérieure à l'agent producteur. Le faire poïétique est atteint lorsque l'œuvre est finie. […] La praxis, au contraire, n'a pas d'autre fin qu'elle même : elle n'est autre que l'usage et l'exercice même de l'action, d'où il résulte un perfectionnement de l'agent. La praxis demeure toute entière dans le sujet et dure aussi longtemps que lui. » Il s'agit ici de rechercher l'accord entre les techniques utilisées et l'emploi qui en sera fait par les enseignants et les enfants. Le second pôle qui mérite attention concerne la diffusion de ces conceptions pédagogiques, avec la constante précaution de ne pas en faire une doctrine relevant de recettes. Nous affirmons que si peu d'enseignants se réfèrent aux pratiques coopératives c'est d'abord parce qu'eux-mêmes ne sont pas allés à l'école dans ces conditions et donc développent une montagne d'angoisses à entrer dans l'aventure, laisser de la place à l'inconnu et à la Personne, faute de points de sûretés suffisants. Cette recherche ne prétend en aucun cas combler ces manques, l'acharnement de plusieurs vies n'y suffirait certainement pas. Elle n'a pas non plus la prétention de s'intéresser à toute l'étendue de ce problème. Elle propose toutefois de poser une pierre supplémentaire au balisage du chemin et espère la venue d'autres marcheurs qui, eux aussi, parviendront à parfaire l'état de la route. Fernand OURY a développé le concept d'institution qu'il considère comme étant un dispositif pédagogique support à la symbolique des échanges. Lui et d'autres ont déjà apporté plusieurs exemples d'institutions, à commencer par le conseil de coopérative, véritable clé de voûte des systèmes coopératifs. Depuis quelques années et sous l'influence de nombreux praticiens et théoriciens de l'éducation, le fait de restreindre l'enseignement de la philosophie à la classe terminale est questionné. L'apprentissage du penser par soi-même est- il réservé à une élite ou ne peut-il être envisageable qu'à partir d'un niveau d'instruction minimal ? Certains répondent à ces questions en prétendant pouvoir et même devoir envisager le philosopher dès les classes maternelles. Quelques expériences dans le domaine ont été réalisées et ont attiré notre attention. Le très humble apport que nous nous permettons d'envisager à travers cette recherche consiste en un rapprochement entre les pédagogies coopératives et ces pratiques d'exercice du philosopher. Nous avançons l'hypothèse qu'une telle synergie devient intéressante pour les pratiques coopératives dans la mesure où elle optimise un impact éducatif déjà conséquent et pour les discussions philosophiques parce qu'elles deviennent alors plus aisées à mettre en place. L'objet de cette recherche sera de tester la validité de ces deux affirmations. Nous proposons d'y entrer d'abord en approfondissant la problématique étudiée, ensuite en présentant les conditions de la recherche et enfin en analysant les données recueillies. B – De la thématique à une problématique 1 - HISTORIQUE ET FINALITES DES TECHNIQUES FREINET ET DES PEDAGOGIES INSTITUTIONNELLES « L'école coopérative c'est, au lieu de l'école assise, vivant dans le bourdonnement des vaines paroles, l'école active … C'est une école transformée politiquement où les enfants qui n'étaient rien sont devenus quelque chose, c'est l'école passée de la monarchie absolue à la république et où les enfants apprennent le jeu de nos institutions et s'exercent à la pratique de la liberté. L'école coopérative c'est enfin l'école où l'instruction n'est plus le but exclusif, mais celle où l'on vise à former l'être pensant, qui sait écouter la voix de la raison, l'être moral et conscient et responsable, l'être social attaché tout autant à l'accomplissement de ses devoirs qu'à la revendication de ses droits. » Une pédagogie coopérative peut se définir comme une forme d'enseignement dont les apprentissages sont possibles par la coopération entre les personnes qui composent le groupe. Nous entendons par coopération toutes les situations où des individus ont la possibilité de s'entraider par et dans la rencontre éducative. A ce jour, deux groupements se reconnaissent de ce courant pédagogique : la pédagogie Freinet, aujourd'hui représentée par l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne , et les pédagogies institutionnelles. Elles sont le fruit de l'engagement de vie de deux hommes français : Célestin FREINET puis Fernand OURY. « Le 1er janvier 1920, FREINET était nommé instituteur adjoint dans une école à deux classes, à Bar-sur-Loup (Alpes Maritimes). » FREINET naquit en 1896 dans la petite commune de Gars dans les Alpes Maritimes. Il était allé à l'école du peuple, reconnut même plus tard ne pas en avoir trop souffert. Après avoir suivi deux années d'école normale, il fut appelé à s'engager dans la guerre des tranchées et à y côtoyer la rudesse des combats et la mort de camarades. Pour les avoir vécues au front, il retira de cette période les idées de solidarité et d'entraide . Lui-même reçut une importante blessure. « La recherche de pratiques pédagogiques alternatives est aussi une urgence personnelle pour lui, car les séquelles de sa blessure de guerre au poumon lui rendent difficile la pratique de la classe organisée autour de la parole du maître . » Pour que les horreurs de la guerre cessent et convaincu qu'il est plus opportun de s'intéresser à l'éducation du peuple, FREINET se lance dans l'éducation des enfants du peuple. FREINET ne peut pas être considéré comme l'inventeur d'une nouvelle pédagogie. Il réutilise selon ses besoins les grandes innovations internationales qui se développent dans le domaine de la coopération et le sens donné aux apprentissages. « L'enfant ne doit plus être une machine qui apprend, mais un être qui réfléchit . » Pour cela, il multiplie les rencontres et les lectures, se rend en Suisse, en Allemagne et en URSS. Il découvre ainsi les travaux d'Adolphe FERRIERE et en particulier un livre qui deviendra sa « bible » : « L'école active. » FERRIERE est un pédagogue suisse qui, atteint de surdité, devint malgré tout un pionnier de l'éducation nouvelle, un des fondateurs de l'institut Jean Jacques ROUSSEAU à Genève et un farouche partisan du concept de « self-gouvernment » : « Système d'organisation scolaire qui revient à confier aux élèves la responsabilité de la discipline dans l'établissement. » FREINET s'intéresse aussi de près aux recherches de pédagogues étrangers telles que celles de Maria MONTESSORI (pédagogue italienne ayant développé un dispositif d'éducation des enfants dits arriérés et dont le principe était d'utiliser un matériel créé pour faire agir et éveiller les sens. Ce dispositif a ensuite été étendu aux enfants normaux de maternelle.), Anton MAKARENKO (pédagogue soviétique ayant développé l'idée d'éducation par le travail et utilisé des techniques comme la délibération en assemblée générale ou la rotation des responsabilités dans un groupe), Francisco FERRER (pédagogue libertaire catalan ayant défendu les idées d'autodiscipline, d'autonomie et de liberté de l'enfant jusqu'à en être fusillé) ou Ovide DECROLY (pédagogue belge ayant développé le concept d'intérêt de l'enfant. Il fut l'inventeur de la méthode globale de lecture). En France, un seul pédagogue attire l'intérêt de FREINET : il s'agit de Roger COUSINET, un instituteur devenu inspecteur, premier partisan de la démarche expérimentale. Pour lui, l'enfant est capable de meilleurs apprentissages lorsqu'il est attiré par du concret, source de motivations. COUSINET est également l'inventeur du travail en groupe afin que les enfants puissent eux-mêmes entrer dans une dynamique de socialisation. Il semble difficile de mesurer l'impact de tous ces travaux sur ceux effectués par FREINET. Ce qui est certain, c'est qu'il a su, à chaque fois, puiser ce qui l'intéressait dans les formes pédagogiques qu'il a rencontrées. Par exemple, de sa rencontre avec COUSINET, il retiendra ce qui a été présenté plus haut mais s'opposera à l'idée que le jeu est un facteur d'apprentissage pour l'enfant. « Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, mais le travail. » La plupart de ces réflexions ont été menées par FREINET pendant sa période de convalescence. Ce qu'il reprochait le plus aux pensées qu'il avait pu rencontrer, c'est qu'elles ne correspondaient pas au contexte dans lequel il évoluait : une école rurale, avec des enfants d'âges divers et très peu de moyens. Il dut donc s'atteler à la création d'un dispositif qui tienne compte de ces contraintes, ce qui fut, avec son handicap physique, les deux facteurs sources de ses innovations. « Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n'a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l'appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail. » Pour point de départ aux désirs d'apprendre, il utilisa la vie des élèves, leur quotidien et leur environnement. « Il est arrivé que des gens du village aient dit : mais on vous voit plus souvent dans les champs ou sur les routes que dans votre classe ! Tous les jours nous sortions. On allait à la découverte. Au port j'avais des amis, des pêcheurs, parce que je les fréquentais beaucoup. Pour moi, il n'y avait pas de séparation entre l'école et la vie. Je fréquentais, je communiquais aussi bien avec les enfants, qu'avec toutes les professions et lorsqu'il y avait quelque chose de nouveau au port, on m'appelait. » Il suscita le sens donné aux apprentissages et ainsi développa le travail scolaire. « Le texte libre est un texte que l'on écrit non pour faire un devoir ou pour répondre à une nécessité scolaire mais pour répondre à une nécessité humaine et intime. Nous faisons des textes libres parce que nous avons envie d'écrire. Pour avoir envie d'écrire, il faut qu'il y ait un but. On n'écrit pas comme ça simplement parce qu'on nous dit d'écrire. Il faut que l'enfant éprouve ce besoin d'écrire. Pour trouver ce besoin, nous avons mis au point un certain nombre d'outils et de réalisations qui sont le journal scolaire, l'imprimerie ou les deux à la fois. L'enfant imprime non pas pour que le devoir soit corrigé mais pour que son texte soit mis dans le journal, soit communiqué aux parents ou amis de l'école, envoyé à leurs correspondants. Les enfants éprouvent alors le besoin d'écrire. Dans nos classes tous les enfants font spontanément des textes libres. Pour cela, il suffit qu'il y ait de la motivation. Tous les matins, vous êtes sûrs qu'il y a 10, 15, 20, 30 textes. Ça, c'est régulier. Il y a toujours largement de quoi lire, parfois même trop parce que les enfants éprouvent le besoin d'écrire. » L'imprimerie fut le principal matériel qu'il utilisa. Elle permettait aux élèves un accès finalisé à un écrit relatant les diverses sorties que pouvait faire la classe. De là débouchèrent les techniques de correspondances interscolaires (Avec l'instituteur breton René DANIEL) et de journal de classe (« La Gerbe » à partir de 1927). « Nous recevions la production journalière d'une classe correspondante et tous les 15 jours le journal de 6 à 8 correspondants. C'était une mine de renseignements et d'enseignements. Ils faisaient de la géographie, de l'histoire sans le savoir. Le choix des correspondants se faisait de manière à couvrir l'hexagone. On tachait d'avoir une école de montagne, une autre école d'un littoral différent du nôtre. » De manière un peu plus générale, il est possible de considérer la pédagogie FREINET comme étant celle du tâtonnement expérimental. « La source naissante soumise à la pesanteur doit se frayer un chemin entre les pierres. […] L'eau coule inévitablement vers la pente et d'autant plus vivement que celle-ci est plus forte. L'obstacle refoule le flot naissant, dont le niveau s'élève pour partir à la recherche de nouvelles failles. » FREINET explique qu'il en est de même pour l'enfant quant à ses apprentissages, qu'il fonctionne par essais et erreurs et passe du tâtonnement mécanique au tâtonnement intelligent. C'est ce qu'il appelle la perméabilité à l'expérience. Parallèlement à cette mise en place pédagogique, FREINET participe à de nombreux rassemblements d'enseignants et rédige pour plusieurs périodiques. C'est ainsi que la Coopérative de l'Enseignement Laïc (la CEL) est créée. Elle deviendra l'organe à travers laquelle les textes et les outils de FREINET vont être diffusés en France entière et même à l'étranger. Des mouvements frères naissent en Belgique et en Espagne. En 1932, alors instituteur à l'école de Saint Paul de Vence, FREINET doit faire face à une situation de crise à laquelle ses appartenances politiques ne sont pas étrangères. Amené à accueillir 49 élèves dans une école construite pour 27 et devant le refus de la municipalité à débloquer la situation, il en appelle plusieurs fois à ses supérieurs. Ceux-ci obligent la mairie à engager les travaux nécessaires, ce qui conduit à un fort refroidissement des relations avec l'instituteur. Après quelques autres histoires de ce type, des habitants du village aidés par une municipalité d'extrême droite déclenchent des manifestations hostiles à FREINET, dénonçant ses méthodes et ses idées. Des pétitions contre lui se multiplient tout comme des lettres de soutien. Les tensions montent rapidement et conduisent le 24 avril 1933 150 parents protestataires à se réunir devant l'école et exiger le départ de FREINET. « Face à l'excitation de la foule et pour protéger les quatorze élèves qu'il a dans la classe, celui-ci réagit en s'approchant des manifestants, revolver au point. L'issu de l'affrontement aurait pu être plus dramatique, mais la menace de l'arme à feu a permis de contenir une certaine violence, jusqu'à la venue de la gendarmerie. L'inspecteur d'académie qualifie ce geste de maladroit et peu courageux. » FREINET est déplacé d'office et se fait ainsi connaître de toute la France. Il est étiqueté communiste et devient la cible de toute une partie de la population. De cette aventure naîtra le projet pour FREINET et sa femme Elise de créer leur propre école. Cette histoire est aussi précurseur de ce que va vivre par la suite le mouvement FREINET dans ses relations avec les notables locaux et les inspecteurs hostiles. La célèbre école de Vence vit donc le jour. Elle ne fut pas reconnue par le ministère de l'Education nationale et accueillit en premier temps des enfants de parents militants puis ceux de réfugiés espagnols. FREINET put alors mettre en place un dispositif de travail individualisé à l'aide d'un document faisant office de contrat entre lui et chacun de ses élèves : le plan de travail. Les enfants naviguaient dans la classe entre des activités individuelles (guidées par des fichiers autocorrectifs) et des activités de groupe autour d'un objectif précis, l'imprimerie du journal par exemple. Il s'initia également à ce qu'il nomma le conseil de coopérative, directement inspiré de ce qu'il avait pu voir en URSS. C'est une école du travail où les enfants participent activement à toutes les activités, que ce soient les travaux de construction ou le jardinage dans le potager avec Freinet lui-même. Naturisme et vie au grand air, bains dans la piscine en toute saison, sont le garant d'une solide santé. Le travail intellectuel y est associé avec les travaux manuels. Le régime alimentaire est végétarien avec un fort apport en fruits. Pendant la seconde guerre mondiale, l'école fut fermée et FREINET conduit dans un camp puis placé en résidence surveillée (de par son appartenance au parti communiste français). Il en profita pour rédiger ses premiers ouvrages. Au cours de cette période, il entra en résistance, cette vie au maquis lui permettant d'approfondir les valeurs de dévouement, de solidarité, de compréhension et d'entraide dont il s'était doté lors de la première guerre. A la libération, L'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne fut créée. FREINET s'associa à la réflexion concernant la réforme de l'enseignement, aux côtés de WALLON et LANGEVIN mais ses idées ne furent pas retenues. Quelques années plus tard, il quitta le parti communiste français en raison de violentes attaques contre lui et son mouvement. Certains intellectuels du parti lui reprochèrent sa pédagogie et la qualifièrent d'utopiste et de bourgeoise. En fait, ils enrageaient de ne pouvoir peser sur un mouvement pédagogique populaire en expansion et surtout de ne pouvoir contrôler l'entreprise coopérative de la CEL. Parallèlement à ce qui se passe en France, FREINET se fait connaître à l'étranger et un peu partout dans le monde se créent des mouvements équivalents à l'ICEM. Lors des rassemblements, FREINET insistait pour que ses techniques ne soient pas copiées mais adaptées à la culture et aux traditions des pays. « Le texte libre a une certaine portée. Lorsque nous émettons des idées qui apparaissent comme révolutionnaires, nous disons que l'enfant devrait avoir des outils de travail, l'enfant devrait être libre de s'exprimer, enfin tout ce que les pédagogues peuvent dire. Il se trouve que maintenant des instituteurs font passer ces idées à la réalité. Nous sommes heureux de voir, de dire et de montrer aux autres que nos rêves deviennent maintenant réalité. Nous tachons de faire passer dans la réalité de nos classes les rêves des pédagogues. Non pas que nous nous abstenions de rêver nous aussi, mais nous faisons ce travail très précis : faire passer dans la réalité de nos classes les affirmations et les grandes idées des meilleurs pédagogues de l'humanité. Nous prenons notre miel où nous le trouvons. » « « La simple règle qui permet à dix gosses d'utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution » dit Fernand OURY. Mais pour que cette règle existe, encore faut-il qu'il y ait du savon ! » C'est de cette idée que partirent au seuil des années 1940 le Docteur François TOSQUELLES et un de ses internes Jean OURY pour développer le désaliénisme. Il s'agissait d'une réforme de l'institution psychiatrique qui consistait à ne plus considérer l'aliéné comme tel mais comme une personne capable de se construire dans la relation et non dans l'enfermement. « Le milieu thérapeutique doit permettre aux malades de pouvoir communiquer avec les autres patients, avec les membres de l'équipe soignante, d'exprimer ainsi leurs fantasmes, leurs désirs, leurs angoisses, dans un champ symbolique excluant les passages à l'acte en instituant des médiations. » FREINET et l'ICEM avaient pris l'habitude de régulièrement se réunir en congrès. Ils avaient pour vocation d'accueillir des partisans mais aussi des proches dans les valeurs à défendre. C'est ainsi que lors du congrès de 1958 sur l'expression libre, Jean OURY, fondateur de la clinique de La Borde et praticien de la psychothérapie institutionnelle, fit une intervention durant laquelle il présenta le concept de « pédagogie institutionnelle. » Il entendait par là la forme d'enseignement directement inspirée de ce qu'il pratiquait dans un but thérapeutique et reprise par un certain nombre d'instituteurs membres de l'ICEM dont son frère Fernand OURY. Ce dernier devint rapidement le fer de lance de cette nouvelle pédagogie. Fernand OURY, né en 1920, devint instituteur non normalien et donc complètement inexpérimenté. S'appuyant naturellement sur les formes d'enseignement qu'il avait lui-même subies mais évoluant dans des grosses écoles urbaines, il mesura rapidement l'ampleur des limites de ses pratiques. Ses interrogations le conduisirent à participer en 1949, à un stage organisé par la CEL et où il rencontra FREINET. Ce fut une révélation qui lui permit de revisiter ses pratiques même si déjà il regrettait le manque d'applicabilité de certains de ces outils à son contexte parisien. Parallèlement et avec son frère Jean, il expérimenta son projet lors de l'encadrement de colonies de vacances à Herbault d'où les fondements de la pédagogie institutionnelle allaient naître. Sa carrière d'instituteur et de pédagogue le conduisit à fédérer autour de lui de nombreux partisans grâce entre autres aux ouvrages qu'il a co-écrits. Plus que FREINET, il usait d'un style facile d'accès en rédigeant de courtes histoires d'enfants présentant un aspect bien précis de la PI : les monographies. Il conseilla d'ailleurs plus tard cette forme d'écriture pour guider les formations d'enseignants. Dans sa réserve émise aux théories de FREINET, OURY n'a pas été le seul à se retirer de l'ICEM. Avec lui sont également partis d'autres théoriciens tels que M. LOBROT, R. LOURAU, J. ARDOINO, R. HESS, R. FONVIEILLE et G. LAPASSADE. En 1964, ces derniers se démarquèrent de la direction que prit OURY et fondèrent un second courant de même nom. Les Pédagogies Institutionnelles venaient de naître. Alors qu'OURY s'efforçait de changer la classe en y introduisant des éléments de la psychanalyse et de la psychosociologie, les membres du second courant souhaitaient changer l'école en adoptant des directions autogestionnaires et libertaires. Ils se sont davantage inspirés de la sociologie tout en écartant la psychanalyse et ont agrandi leur champ d'application aux formations d'adultes. Ce collectif a, par la suite, développé l'Analyse institutionnelle et la pédagogie institutionnelle autogestionnaire. Leurs visées étaient bien plus politiques et sociologiques que celles d'OURY à qui ils reprochèrent sa frilosité devant les réformes et le fait que son discours se limite à la classe. En ce qui concerne l'enseignement dans le premier degré, ce second courant a eu peu d'impact. En conséquence, lorsque nous parlerons de pédagogie institutionnelle dans la suite de ce texte, nous le ferons en référence aux travaux d'OURY et de ses collaborateurs. La pédagogie institutionnelle reprenait les techniques FREINET et les enrichissait des apports de la psychosociologie américaine et de l'inconscient de la psychanalyse. Cet amalgame constitua le « trépied de la PI » : les techniques, le groupe et l'inconscient. Les techniques sont directement issues des outils développés par FREINET. Elles favorisent « la participation la production, la diversité des formes de travail, l'organisation, la remise en question, l'élaboration de lois communes, la définition des rôles et des statuts, le passage à la parole, la création d'institutions instituantes telles que le conseil de coopérative, la libération de nouveaux dynamismes. » Avec elles, l'enfant est en mesure de se trouver une place dans la classe à travers des engagements et la prise de responsabilités. OURY reprochera à FREINET d'en être resté là et de ne pas avoir cherché à dépasser son image figée dans l'innocence de l'enfant. « On peut fort bien être sensible à la fraîcheur, à la spontanéité, au charme et à l'authenticité de l'enfant, sans pour cela vouer un culte à l'enfance, voire dans un souci artistique, cultiver l'infantilisme poétique et favoriser les régressions affectives. » Lors du congrès de 1962, les proches de la pédagogie institutionnelle se retireront de l'ICEM pour fonder un Groupe des Techniques Educatives indépendant. La seconde raison qui poussa OURY et ses collaborateurs à s'écarter de FREINET fut qu'ils s'intéressaient plus à la pédagogie des villes et moins à celle des champs du fait qu'ils étaient confrontés à l'enseignement dans ce qu'ils nommèrent les « écoles casernes ». L'école caserne, c'est le royaume d'Ubu. « Chaque fois que surchargé, incompétent ou épuisé, l'homme se réfugie dans un rôle, chaque fois que l'éducateur s'efface devant le fonctionnaire, chaque fois apparaît le robot : Ubu aux multiples visages. Fort de sa seule inertie, n'existant que par sa légalité, logique et invraisemblable, indiscutable, imperméable, inabordable, ridicule mais réel, contagieux et dangereux. Qui est Ubu ? Moi, quand je renonce à être moi, quand je siffle, quand je gesticule. Toi, quand tu fais aligner. Lui, quand il moralise. Nous, quand nous fonctionnons. Eux, quand ils bénissent le tout. Vous, quand vous ne riez pas et quand vous trouvez tout cela normal. Ubu apparaît sitôt qu'il y a impossibilité de communication, absence de langage, interdiction d'échanges. » L'école caserne prend deux aspects : l'un architectural, l'autre structural. Une école caserne est d'abord un bâtiment, géant, droit, aligné et démesuré en comparaison de l'échelle humaine. C'est résolument géométrique mais tout sauf rond. C'est un outil-usine au service de la massification. Une école caserne c'est aussi une structure : le lieu de dominance d'une hiérarchie enracinée dans les fondations, le lieu d'exercice de la rigidité qui se propage tel un virus auprès de tous ceux qui ne sont pas immunisés ou qui ne peuvent être « porteurs sains ». L'individu n'y a de place que s'il accepte de se soustraire à l'ordre, aux bonnes idées, aux bons comportements, à ne pas exister en tant que tel. En somme, l'école caserne, c'est l'arme du conservatisme social, de la reproduction d'une société figée sur elle-même et refusant toute avancée. OURY trouve insuffisants les apports de FREINET pour enseigner dans de telles écoles. Il se tourne donc vers les recherches américaines, en particulier vers celles de J. DEWEY (qui d'ailleurs avaient aussi été utilisées par FREINET) puis vers les travaux des psychosociologues K. LEWIN et J.L. MORENO. Il y découvre l'importance des phénomènes de groupe et des interactions entre les personnes qui déterminent nombre de leurs comportements. Il en retirera par exemple le sociogramme express, un outil qui permet la constitution des équipes de travail et l'établissement d'une photographie des relations dans le groupe . Ainsi, la pédagogie institutionnelle permet un regard sur la socialisation des élèves et ainsi conduit à une meilleure orientation vers la coopération. Enfin, OURY et les défenseurs de la PI s'intéressent à l'inconscient, ce sans quoi le trépied est instable. « En entrant dans la classe, on ne laisse pas son inconscient au porte-manteau. » Tout en refusant de faire de l'enseignant un apprenti thérapeute, OURY souhaite mesurer l'impact de ces phénomènes plutôt que les ignorer, ceci bien sûr afin de parfaire les conditions d'apprentissages des élèves. « Utiliser des notions psychanalytiques pour éclaircir, expliquer ce qui se passe dans une classe, ce qui suppose d'abord une reformulation des notions psychanalytiques en termes de groupe. » Dans le concret, la référence à la psychanalyse se traduit dans les classes PI par l'intérêt porté aux phénomènes de transfert et de contre-transferts , par une libération de la parole au travers de lieux prévus à cet effet (le conseil de coopérative, le Quoi de Neuf ou les causettes) et par la considération médiatisante des institutions. « Lorsque l'instituteur parvient à saisir derrière les symptômes quelque chose qui n'apparaît pas à première vue, qui était caché, incompris, il a fait un progrès énorme vers une compréhension des enfants. » Toutes les institutions se veulent des instruments de médiation entre les personnes du groupe. Au lieu de devoir vivre des face à face de personne à personne, chacun a la possibilité de se référer à un objet (matériel ou pas) qui symbolisera les échanges. Du fait qu'il s'agit d'une pédagogie coopérative, les relations sont favorisées et les dangers qui y correspondent sont décuplés : phénomènes de séduction, d'agression, de manipulation, de domination ou autres. « La mise en place d'un système de médiations évite le heurt des individualités au profit d'un travail collectif. » Ainsi, tout dans la classe institutionnalisée est source de médiations : les objets et les activités communes qui permettent de parler à propos de quelque chose, les institutions (on sait qui parle, à qui et depuis quel statut) et même le groupe qui existe en tant que sujet, surtout au travers du conseil de coopérative. Pour terminer cette présentation de la pédagogie institutionnelle, apportons, en complément du trépied, le concept des « 4 L » (Lieu, Limite, Loi, Langage) qui agit de manière transversale dans une journée coopérative. L'une des principales conséquences des finalités de la PI demeure l'expression des désirs des enfants dans la classe. Ils sont suscités mais aussi canalisés afin que les libertés individuelles ne soient pas tronquées par celles de quelques uns, que l'expression des « je » ne puisse se faire dans la toute puissance. Les « 4 L » sont les instruments aux travers desquels cette expression devient possible tout en sachant qu'elle ne peut être omnipotente. Des lieux de langage sont proposés en même temps que les limites de la loi sont présentées. Par l'acceptation de la loi, chacun se donne le moyen de rencontrer l'autre en lui permettant à son tour l'expression de sa singularité. Transgresser la loi, c'est risquer de se mettre en marge du groupe puisque c'est elle qui en est le principal fédérateur. Ainsi, les « 4 L » permettent aussi bien à chacun et au groupe d'exister. Si nous terminions notre présentation des pédagogies coopératives ainsi, nous conserverions l'idée qu'elles sont la résultante d'une fantastique réunion d'histoires de praticiens militant pour les mêmes valeurs. Nous pourrions même dire que les frontières entre pays n'ont pas empêché la construction de cette pédagogie de l'humain. Nous serions enfin étonnés par le fait qu'aujourd'hui peu nombreux sont les éducateurs qui s'en inspirent ou s'y reconnaissent. La réalité de ce fait devient même troublante lorsqu'on s'intéresse au paysage éducatif français qui, dans les classes, applique majoritairement la pédagogie des Jésuites et dans les organes de formation initiale et continue, diffuse très peu les idées coopératives. Jusqu'à récemment, parler de tâtonnement expérimental dans les IUFM était encore tabou. Pourtant, à relire les dernières instructions officielles du ministère, on se croirait plus d'une fois plongé dans les écrits de FREINET. Quelles sont les raisons de cette méconnaissance ? Comment se fait-il que FREINET n'a pu être entendu au sortir de la seconde guerre mondiale alors qu'il collaborait aux côtés des décideurs de cette époque en matière de réforme éducative ? Nous terminerons donc cette présentation en indiquant les principales critiques qui « freinent » encore aujourd'hui ce courant pédagogique et parfois même le placent sous la vindicte populaire. La première et principale raison qui conduit à ce que les pédagogies coopératives soient majoritairement ignorées concerne les traditions françaises de l'enseignement. La plupart des parents, parce qu'ils ont reçu une éducation différente et parce que la pédagogie ne revêt pas à leurs yeux le caractère éducatif qu'elle peut avoir pour des pédagogues, attendent de l'école qu'elle soit plus un lieu d'instruction que d'éducation. Ce qui importe semble encore être la note plutôt que les évolutions. Les enseignants sont considérés comme étant plus des sources de connaissances que des éducateurs. Seule une preuve flagrante que le système éducatif n'est plus adapté pour l'accueil de l'enfance française pourrait modifier cette « inconscience » collective. Le débat autour de la violence à l'école aboutira peut-être bientôt à un tel constat. En conséquence, ce qui est également souvent reproché aux pédagogies FREINET et institutionnelle provient de l'idée que de tels dispositifs tendent à favoriser plus les structures (besoins sociaux) que les contenus (besoins cognitifs) et les attachements (besoins affectifs). Ce serait plutôt l'inverse que, par tradition, l'école devrait défendre. A la base de cette critique se trouvent certainement des situations où des enfants apprennent à écrire en même temps que lire, se voient conduit à résoudre leurs différends par eux-mêmes ou à choisir leur travail scolaire plutôt qu'à appliquer des directives d'adultes. Tout comme pour la pédagogie libertaire de NEILL, les partisans de FREINET et OURY semblent encore être considérés par leurs pairs comme des acharnés de travail voués à leur métier et en faisant l'objet de toute une vie. Ils sont souvent affublés de qualités innées surhumaines leur permettant d'accomplir des prouesses éducatives hors normes. Il est ici question de la personnalité des enseignants souvent taxés soit de charisme soit d'acharnement au travail. Se lancer dans de telles pratiques quand on est enseignant nécessite une part de risques que les organes de formation ne tentent pas de sécuriser par de l'information ou du soutien. L'absence d'outils faciles d'accès (styles manuels) aidant au démarrage semble être un frein important. Il est également possible de trouver philosophiquement des critiques à cette forme pédagogique. Elle s'appuie sur un fonctionnement démocratique au sein d'une démocratie ce qui crée le paradoxe suivant : la pratique de la démocratie et de la liberté peut-elle convenir aux enfants quels qu'ils soient ? Les valeurs de l'enseignant sont-elles bien en accord avec celles de l'enfant et de sa famille ? Par exemple, dans une culture où la femme n'a pas la même place que l'homme, comment un enseignant peut-il justifier à la fois le respect des singularités et la possible accession de tous aux responsabilités de la classe ? De manière un peu plus technique, permettre la coopération en tant qu'enseignant, c'est rechercher et être obligé d'obtenir un subtil équilibre entre l'organisation collective de la classe et l'expression des désirs de chacun . Même si c'est le premier qui rend possible le second, « il est clair que l'articulation de ces deux modes de fonctionnement requiert, de la part du maître, lucidité et équilibre. » Cette contrainte ne s'obtient qu'au travers de moments de co- formation entre enseignants apportant chacun leur regard et leur expérience. On peut très difficilement se lancer dans la coopération isolément. Pour toutes ces raisons, mettre en place un dispositif pédagogique ne va pas de soi. Cela contraint souvent l'enseignant à innover ou tout du moins à s'innover, ne serait-ce que par le dépassement de barrières personnelles. Pourtant, permettre à des élèves de grandir par la coopération, c'est les considérer comme la mesure de leurs apprentissages et les inscrire dans un enseignement différencié. La mission de tout éducateur n'est-elle pas de permettre à tous les élèves, qu'ils soient bons ou pas, de poursuivre une partie du chemin qui les conduira vers l'âge adulte ? FREINET, OURY et leurs successeurs, plus que des militants, ont su proposer aux générations futures d'enseignants une plate-forme axiologique capable d'accueillir la complexité de l'humain. LES "INVARIANTS PEDAGOGIQUES" DE FREINET Invariant 1 L'enfant est de la même nature que nous. Invariant 2 Etre plus grand ne signifie pas forcément être au dessus des autres. Invariant 3 Le comportement scolaire d'un enfant est fonction de son état physiologique, organique et constitutionnel. Invariant 4 Nul - l'enfant pas plus que l'adulte - n'aime être commandé d'autorité. Invariant 5 Nul n'aime s'aligner, parce que s'aligner, c'est obéir passivement à un ordre extérieur. Invariant 6 Nul n'aime être contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante. Invariant 7 Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n'est pas avantageux. Invariant 8 Nul n'aime tourner à vide, agir en robot, c'est à dire faire des actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans des mécaniques auxquelles il ne participe pas. Invariant 9 Il nous faut motiver le travail. Invariant 10 Plus de scolastique. Inv. 10 bis Tout individu veut réussir. L'échec est inhibiteur, destructeur de l'allant et de l'enthousiasme. Inv. 10 ter Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, mais le travail. Invariant 11 La voie normale de l'acquisition n'est nullement l'observation, l'explication et la démonstration, processus essentiel de l'école, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle. Invariant 12 La mémoire, dont l'école fait tant de cas, n'est valable et précieuse que lorsqu'elle est au service de la vie. Invariant 13 Les acquisitions ne se font pas comme l'on croît parfois, par l'étude des règles et des lois, mais par l'expérience. Etudier d'abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c'est placer la charrue avant les bœufs. Invariant 14 L'intelligence n'est pas, comme l'enseigne la scolastique, une faculté spécifique fonctionnant comme en circuit fermé, indépendamment des autres éléments vitaux de l'individu. Invariant 15 L'école ne cultive qu'une forme abstraite d'intelligence, qui agit, hors de la réalité vivante, par le truchement de mots et d'idées fixés par la mémoire. Invariant 16 L'enfant n'aime pas écouter une leçon ex-cathedra. Invariant 17 L'enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel. Invariant 18 Personne, ni enfant ni adulte, n'aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu'ils s'exercent en public. Invariant 19 Les notes et classements sont toujours une erreur. Invariant 20 Parlez le moins possible. Invariant 21 L'enfant n'aime pas le travail de troupeau auquel l'enfant doit se plier comme un robot. Il aime le travail individuel ou le travail d'équipe au sein d'une communauté coopérative. Invariant 22 L'ordre et la discipline sont nécessaires en classe. Invariant 23 Les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n'aboutissent jamais au but recherché. Elles sont tout au plus un pis-aller. Invariant 24 La vie nouvelle de l'école suppose la coopération scolaire, c'est à dire la gestion par les usagers, l'éducateur compris, de la vie et du travail scolaire. Invariant 25 La surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique. Invariant 26 La conception actuelle des grands ensembles scolaires aboutit à l'anonymat des maîtres et des élèves. Elle est, de ce fait, toujours une erreur et une entrave. Invariant 27 On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'école. Un régime autoritaire à l'école ne saurait être formateur de citoyens et de démocrates. Invariant 28 On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux- ci devant respecter leurs maîtres, est une des premières conditions de la rénovation de l'école. Invariant 29 L'opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique, est aussi un invariant avec lequel nous aurons hélas ! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l'éviter où le corriger. Invariant 30 Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c'est l'optimiste espoir en la vie. 2 – L'EDUCATION PAR LA PHILOSOPHIE a) LA PHILOSOPHIE COMME REPONSE A DES MANQUES Il semblerait que Socrate, le philosophe par qui la philosophie s'est développée, n'a jamais rien écrit de son existence ou tout du moins qu'aucun de ses écrits ne soient restés. Platon, Xénophon, Aristote et même ses opposants comme Aristophane prétendent qu'installé sur l'Agora, il était un philosophe de la parole et que la maïeutique était la forme de sa rhétorique. « Socrate n'a vécu que dans et par le dialogue, que dans et par le contact avec un disciple duquel il recevait tout autant que le disciple pouvait recevoir de lui. » A cette époque, Socrate n'était pas le seul à philosopher oralement puisque c'était également la corne d'abondance des sophistes avec qui il s'affronta souvent. On peut donc dire qu'à l'Antiquité, l'écrit philosophique n'était pas prépondérant par rapport à l'oral, équilibre qui s'est rompu par la suite. Au Moyen Age, période durant laquelle les philosophes devaient accorder leurs pensées avec les Ecritures, l'oral philosophique disparût complètement, hormis au travers une partie de l'enseignement de la rhétorique concernant la disputatio (ou controverse ou cause) au cours desquelles deux orateurs défendaient des thèses opposées (Voir la controverse de Valladolid). Au XVIIIème, l'oral retrouva une place dans quelques cercles fermés comme les salons littéraires et philosophiques où Kant comptait se servir publiquement de son entendement. L'oral en philosophie, quand il existait, n'était plus considéré comme l'échange citoyen mais comme le mode de transmission des connaissances entre le maître et ses disciples (Hegel mais aussi Kant, Nietzsche, et d'autres). En France, les écoles de philosophie ont presque toutes disparu pour ne réapparaître qu'au XIXème siècle grâce à l'éclectisme de Victor COUSIN. « Dans l'enseignement philosophique tel qu'il a été constitué en France à partir de 1830, la parole de l'élève est introuvable en ce sens qu'elle n'apparaît jamais de façon directe en dehors des textes qui règlent l'organisation de l'oral au baccalauréat. » C'est au travers d'un débat bien différent que la question de l'oral en philosophie autre que celle du baccalauréat semble être réapparue. Dans les années 1970, aux Etats Unis, un disciple de J. DEWEY, Matthew LIPMAN s'est intéressé à l'enseignement. Sa préoccupation première semblait de répondre à un questionnement concernant l'école et son avenir. « Lorsqu'on observe de très jeunes enfants, on constate souvent qu'à leur entrée à l'école maternelle ils sont vivants, curieux, pleins d'imagination et avides de connaître. Pendant un temps, ils gardent ces traits merveilleux et petit à petit ils deviennent passifs en même temps que ces qualités s'estompent. […] Ce n'est sans doute pas dans la famille que l'on trouvera les causes de cette perte de curiosité et d'imagination. Il faut plus vraisemblablement les chercher dans l'école elle-même. » LIPMAN attribue une fonction précise à l'école : celle de faire des enfants de futurs adultes raisonnables, c'est à dire capables de produire des jugements nuancés entre ce qui apparaît comme logique et ce que montre le réel. Il en vient tout naturellement à la philosophie. « Que faire pour que l'éducation devienne plus critique, plus créative, plus encline à améliorer sans cesse ses méthodes ? Je conseillerais pour commencer, que l'on intègre la philosophie dans les programmes du primaire et du secondaire. » Il envisage donc sa pratique le plus tôt possible, c'est à dire dès l'âge de trois ans. Plus que faire passer l'idée qu'il est possible de philosopher par la discussion, il a dû faire accepter celle qui soutenait la possibilité d'exprimer une pensée philosophique sans être suffisamment âgé. Ce fut une nouvelle révolution copernicienne. « Quand on a les sommets pour norme et l'âge du penser comme interdit, il est fatal que l'enseignement de la philosophie passe systématiquement à côté ou en deçà des tonalités suprêmes du bien-penser. » Par ses hypothèses, LIPMAN transgresse ici deux principes qui ont guidé presque toute l'histoire de la philosophie. La plus évidente annonce que cette discipline n'est pas que pour les mûrs. « Philosopher, c'est penser et cela commence à tout âge, quand commence le fait de penser. » la seconde insiste sur le fait que la philosophie n'est pas que solitaire méditation ; elle est surtout un dialogue entre la pensée et la vie. LIPMAN élabore alors le concept de « communauté de recherche. » Il s'agit d'une classe « dans laquelle les élèves s'écoutent mutuellement avec respect, s'empruntent des idées les uns aux autres, s'encouragent l'un l'autre à justifier leurs positions qui, sans cela, seraient sans fondement, s'entraident pour tirer des conclusions de ce qui a été dit et essaient de comprendre leurs camarades. » LIPMAN défend l'idée que l'éducation se doit de permettre aux enfants de développer en eux une pensée d'excellence. Il entend par là une pensée qui allie les trois traits suivants : richesse, cohérence et curiosité, sans pour autant que l'absence de l'une de ces caractéristiques ôte la qualité d'excellence à la pensée émise. Pour y parvenir, il indique que la pensée d'excellence doit être la résultante d'une rencontre entre une pensée critique qui s'appuie sur la rationalité et la logique de ses fondements et une pensée créative relative à des valeurs et s'intéressant aux résultats. « Par pensée d'excellence, j'entends la combinaison de la pensée critique et de la pensée créative. Par pensée critique, j'entends une pensée autocorrective, attentive au contexte, guidée par des critères et qui aboutit au jugement. Les deux piliers de la pensée créative sont le raisonnement et le jugement. […] La créativité est le principe qui oriente des pratiques sensibles au contexte, celles qui trouvent leur sens dans les résultats de procédures bien menées et qui mettent l'accent sur l'ajustement innovateur entre parties et touts. » Cette réflexion conduit LIPMAN à l'élaboration d'un programme d'enseignement de la philosophie qui sera détaillé dans un prochain chapitre. Ces outils ont été largement répandus dans le monde et sont utilisés par de nombreux éducateurs. C'est le cas entre autres au Québec, en Belgique , au Brésil (pays dans lequel cette pratique est développée pour asseoir l'idée de démocratie) ou en Autriche : « Avec le financement du Ministère fédéral autrichien des Sciences et de la Recherche le Centre de Mme Camhy a mis au point une stratégie contre le racisme et la xénophobie. Il a développé une instruction fondée sur le dialogue et l'argumentation, qui conduit l'enfant à corriger progressivement ses vues dans le sens de la tolérance de l'autre. » En France, le programme de philosophie pour enfants de LIPMAN n'a pas été accepté par tous. Nombreux sont ceux qui pointent du doigt et critiquent le pragmatisme de ce dispositif et tentent d'en expérimenter de nouveaux. Ces innovations trouvent pour la plupart leurs sources dans les travaux de J. LEVINE et M. TOZZI. J. LEVINE, psychanalyste, ainsi qu'A. PAUTARD et D. SENORE ont créé en 1997 le groupe des « ateliers – philosophie » dont le but était de provoquer, dans le débat, chez l'enfant la découverte qu'il est capable d'émettre des pensées sur les grands problèmes de l'humanité. Ils ont mis en pratique un dispositif appelé « protocole Lévine » et décrit dans le prochain chapitre. M. TOZZI s'est intéressé à la didactisation de la philosophie, notamment sur l'approche discursive et ses constituants philosophiques. Il a d'abord interrogé la pratique de l'oral au quotidien dans une classe de philosophie et a posé comme postulat que les discussions méritaient le titre de forme d'expression philosophique tout en regrettant qu'elles soient secondaires dans l'enseignement de la philosophie. De là, il a approfondi l'idée suivante : à partir de quand peut-on dire qu'une discussion est philosophique et à partir de quels dispositifs ? Ses recherches l'ont conduit à mettre en évidence le triptyque du philosopher. Pour qu'une discussion revête un caractère philosophique, il faut que les interventions des participants prouvent le respect d'exigences intellectuelles, pas nécessairement exclusives mais au moins récurrentes. L'articulation de ces trois processus de pensée se présente ainsi : o Conceptualiser, tenter de définir les termes que l'on utilise où auxquels on se réfère afin d'en préciser le ou les sens et de minimiser les écarts d'interprétation. Conceptualiser, c'est définir les mots qui expriment les notions, en repérer les champs d'application, définir une notion par les attributs de son concept et redéfinir un terme après mise en question de sa représentation initiale. o Problématiser, rechercher et formuler ce qui crée le doute dans les affirmations développées, tenter de présenter la ou les questions à la source des interrogations. Problématiser c'est rendre problématique par le soupçon et le doute une affirmation, une proposition, une conception en interrogeant son évidence, en mettant en question sa validité. C'est se demander si ce qui est dit est vrai. o Argumenter, expliciter par la raison ce qui prouve la véracité ou l'inexactitude des thèses défendues ou apportées, rechercher l'universalité. L'argumentation est soit questionnante, elle met alors en doute les opinions et les définitions, soit probatoire et elle présente les raisons fondatrices d'une réponse aux problèmes soulevés par l'affirmation ou la négation, l'accord ou le désaccord. Il paraît évident que philosopher consiste non pas seulement à se référer linéairement à chacune de ces exigences mais les entendre de manière systémique, c'est à dire en perpétuelles interdépendances mutuelles. « Pour conceptualiser une notion, il faut problématiser sa représentation donc argumenter son doute. » Juxtaposées, les recherches de M. LIPMAN et celles de M. TOZZI apparaissent comme complémentaires. M. LIPMAN attend de la philosophie qu'elle réponde à un manque de l'école quant à l'éducation du futur citoyen. Il propose le concept de communauté de recherche à travers lequel pourront s'exercer et se développer différentes compétences intellectuelles et relationnelles. M. TOZZI apporte aux sceptiques de la philosophie ailleurs qu'en classe de terminale des raisons d'espérer que leur discipline est préservée, voire même consolidée. En réponse au flou suscité par la notion de pensée d'excellence dans le concret, il propose un solide support didactique à la recherche du philosopher dans les discussions. Si l'on pense que philosopher c'est agir démocratiquement et penser réflexivement, ces deux recherches abondent dans ce sens. LES INTENTIONS EDUCATIVES DE LA DISCUSSION PHILOSOPHIQUE La pratique de la philosophie en école élémentaire s'étend par delà les frontières et ainsi, revêt différentes appellations. Certains la nomment « philosophie pour enfants », d'autres « philosophie avec des enfants », « ateliers de philosophie » ou « discussions philosophiques ». Difficile de s'entendre sur un terme commun tant les visées divergent et les conceptions de la philosophie aussi. Pour notre part, nous utilisons le terme « d'éducation par la philosophie. » Ce choix s'explique par le fait que ce serait abuser de considérer cette pratique comme étant un véritable enseignement de la philosophie et incomplet de simplement la nommer initiation. Ce qui est recherché au travers de ces séances répétées est de l'ordre des évolutions personnelles, surtout quant aux compétences relatives à la pensée réflexive et au dialogue pluriel. Si comme O. REBOUL, nous entendons l'éducation comme étant l'ensemble des processus et des procédés qui permettent à l'enfant humain d'accéder progressivement à la culture et la combinaison des verbes élever, enseigner et former, alors ces pratiques sont bien d'ordre éducatif. Elles développent chez les enfants des capacités pouvant l'être tout autant dans la famille, à l'école et dans les organismes de formation puisqu'elles tendent vers « l'être pensant. » La philosophie intervient ici comme une fin (la pensée d'excellence étant une pensée philosophique) mais aussi comme un moyen puisque c'est dans sa recherche que les élèves y puiseront toutes les richesses attendues. Tout éducateur est avant tout un pédagogue et c'est pour cette raison qu'il est en droit d'user de philosophie pour permettre les apprentissages. Afin d'illustrer ces propos, nous présentons ici une série ordonnée d'objectifs développés au travers des discussions philosophiques pratiquées en école primaire. Notons en amorce que certains objectifs ont la particularité de pouvoir se retrouver dans plusieurs catégories. Ces intentions ne sont pas toutes explicitement recherchées en même temps et partout mais le recours à la philosophie au travers de communautés de recherches tend à toutes les développer. Les discussions philosophiques tendent à permettre à l'élève de … A – PENSER PAR SOI-MEME a) Faire des expériences de pensées (A. DELSOL ) ; b) Adopter un geste mental (A. DELSOL) ; c) Transformer ses affirmations en questions ; d) Développer les facultés de la problématisation, de la conceptualisation et de l'argumentation (M. TOZZI ) ; e) Se prévenir des dérives doxologiques (se contenter d'exprimer ses opinions sans exigence de validation rationnelle) et sophistiques (chercher à convaincre l'autre plutôt qu'à se convaincre soi-même) (M. TOZZI ) ; f) Accéder à l'exercice autonome de la réflexion (nouveaux programmes de la philosophie en terminale) . B – SE PREPARER A LA CITOYENNETE a) Comprendre le monde ; b) Réfléchir aux responsabilités qu'impliquent la vie de la cité et le souci du bien commun (nouveaux programmes de la philosophie en terminale) ; c) S'interroger sur le sens et les principes de l'existence individuelle et collective (nouveaux programmes de la philosophie en terminale). C – DEVELOPPER L'IMAGE DE SOI a) Stimuler la curiosité (M. LIPMAN) ; b) Répondre au désir de connaissance (M. TOZZI) ; c) Répondre au désir de se connaître (M. TOZZI) ; d) S'épanouir personnellement dans la reconnaissance de sa singularité et de sa personnalité (M. OLLIER ) ; e) Découvrir la capacité d'émettre des pensées personnelles sur les grands problèmes de l'humanité (J. LEVINE ). D – TRAVAILLER A PLUSIEURS a) Se confronter à divers avis ; b) Contredire les idées des autres ; c) Entendre les opinions de l'Autre ; d) Accepter la critique comme une opportunité de mieux fonder sa pensée (M. TOZZI) ; e) Participer à un partage de responsabilités pour une œuvre collective. E – OPTIMISER LES ACQUISITIONS SCOLAIRES a) Développer la maîtrise de la langue (Vocabulaire et oralité) (M. OLLIER) ; b) Se référer à des raisonnements logiques (M. OLLIER). F – SE PREPARER A L'EPREUVE DE DISSERTATION DU BACCALAUREAT b) CINQ APPROCHES POUR PHILOSOPHER AVEC DES ENFANTS En France, la pratique de la philosophie en école élémentaire reste encore une innovation et sa référence est sporadique. Pourtant, et certainement parce qu'ailleurs de telles pratiques sont plus répandues (Québec, Brésil, Belgique, etc.), les quelques praticiens ne se reconnaissent pas de la même école. Tous sont d'accord pour aborder la question philosophique par la discussion mais les repères sont différents sans jamais être farouchement opposés. Chaque méthode présente un dispositif, non pas opposé aux autres mais complémentaire. Ainsi, une saine comparaison permet au lecteur le choix, principal outil de l'artisan pédagogique. Voici en résumé, quelques caractéristiques de ces principales méthodes utilisées. Nous tenterons d'en présenter les rouages mais également les intentions. Comme réserve, tout de même, la réalité que les enseignants ou responsables d'ateliers philosophiques pour enfants ne se protègent pas sectairement derrière telle ou telle manière de faire. C'est certainement au détour de rencontres ou de lectures que les alternatives et des choix se sont présentés et que leurs pratiques se sont affinées. L'ordre de présentation suivant est aléatoire et n'indique en aucun cas une quelconque hiérarchie. LA METHODE LIPMAN Matthew Lipman, outre toute sa réflexion sur la possibilité de faire entrer des enfants dans le philosopher, a proposé un dispositif qui s'appuie sur l'utilisation de sept romans philosophiques pour déclencher les discussions. Chaque roman a été pensé pour qu'il corresponde à un âge bien précis. Ainsi, Elfie est prévu pour les plus jeunes alors que Mark l'est pour les plus âgés. Pour Lipman et ses collaborateurs, les enfants se posent naturellement des questions philosophiques. C'est de plus pour eux un passage obligé vers leur vie d'adulte que d'apprendre à penser par eux-mêmes et être en mesure de porter une critique sur leur environnement. L'objectif de leur méthode est de stimuler la pensée de l'élève et de leur permettre de la confronter dans le dialogue à celle des autres. La méthode Lipman se décompose en cinq parties . La première consiste à faire lire à haute voix par les élèves des extraits de romans philosophiques. C'est la présentation du texte. Dans la deuxième partie, l'étblissement d'un ordre du jour, l'adulte note les réactions ou les questions des enfants regroupés dans ce que Lipman appelle « la communauté de recherche ». « Une communauté de recherche est un groupe de discussion engagé dans une pensée d'excellence, » la pensée d'excellence étant ce que développe le philosophe. Une fois les grands thèmes reconnus, ils sont ordonnés afin de déterminer un ordre du jour. La troisième partie peut débuter : elle consiste à renforcer la cohésion de la communauté. Il s'agit d'une discussion suivant ce qui vient d'être posé et où la communauté de recherche opère. Les enfants prennent la parole en se manifestant (doigt levé, bâton de parole, etc.), le but pour eux n'étant pas de chercher la bonne réponse mais plutôt la solidarité du groupe dans une recherche dialogique. L'enseignant se doit alors de permettre aux enfants une clarification du sens des choses, de provoquer chez eux un nouvel élan vers la critique, le raisonnement cohérent dans l'élaboration d'une réponse acceptable. Souvent, ces séances se poursuivent par la quatrième partie où sont proposés des exercices d'application, en lien direct avec les romans et ce qui a été débattu par les enfants. C'est l'appel à des exercices et de plans de discussion. Enfin, Le dispositif se termine par la cinquième partie : l'encouragement à d'autres réponses et l'ouverture vers d'autres sujets. Ces séances de philosophie durent généralement une heure, deux fois par semaine, la fréquence des situations permettant l'évolution des enfants dans la maîtrise de la pensée d'excellence. LE PROTOCOLE « JE EST UN AUTRE » La méthode pensée par Jacques Lévine et le groupe AGSAS s'appuie sur les avancées de la psychanalyse. De manière générale, nous pouvons souligner l'idée force qu'ici les enfants sont beaucoup moins qu'ailleurs guidés par l'adulte. « L'accent est mis en priorité sur une pensée qui se construit en écho, et qui alimentée autant par le langage interne (les pensées intimes de chacun), que par le discours explicite. » Les enfants sont considérés comme « co-penseurs, habitants de la Terre engagés dans l'aventure humaine. » Les ateliers philosophie permettent ici la découverte de sa propre pensée, de l'appartenance à une pensée groupale, des étapes conditionnant la formation rigoureuse des concepts, du débat d'idée impliquant la considération de l'altérité. Au démarrage de l'atelier, une seule question. La suite est alors scindée en deux parties. La première de dix minutes, consiste en ce que les enfants échangent entre eux, en ce que l'adulte reste silencieux et en ce que le tout soit filmé ou enregistré. Pendant les dix minutes suivantes, le groupe écoute ou regarde l'enregistrement, l'adulte l'aidant à en exploiter les ressources. LES ATELIERS DE PHILOSOPHIE D'ANNE LALANNE La méthode développée par Anne Lalanne est également appelée « atelier de groupe » en raison de la place importante qu'elle donne à l'adulte. Il s'agit en quelque sorte de situations où les enfants apprennent à philosopher en suivant trois directions : la technique (celle du débat), les valeurs démocratiques (droits égaux vis à vis de la parole, respect de l'écoute, etc.) et les exigences intellectuelles de la philosophie (la conceptualisation, la problématisation et l'argumentation ). Ces « savoirs à enseigner » le sont par l'intermédiaire de l'adulte. Concernant les compétences philosophiques, son attitude reprend de manière globale l'attitude socratique de la maïeutique qui consiste, dans l'échange, à ce que celui qui questionne (l'adulte) permette à l'enfant de trouver ses propres réponses. Du point de vue de la gestion du débat, l'adulte est garant du respect des règles de fonctionnement connues de tous et relatives au respect de la parole de l'autre. Ces ateliers sont hebdomadaires et durent entre trente et quarante-cinq minutes. Les objectifs de cette méthodes sont triples : ? Permettre à l'enfant d'exprimer une pensée qui est sienne et d'identifier la source des représentations ; ? Questionner la validité de ces sources ; ? Valider son discours grâce à un dialogue avec les autres. On retrouve ici le concept de communauté de recherche cher à Lipman. LE DISPOSITIF DELSOL Le travail proposé par Alain Delsol est la résultante d'une longue série d'adaptations pour que les discussions philosophiques deviennent les plus riches possibles du point de vue de la gestion du nombre de participants. Le but de telles discussions est « d'amener les élèves à faire des expériences de pensée, à effectuer des opérations intellectuelles où ils puissent penser par eux-mêmes. […] Les élèves sont invités à adopter un geste mental qui favorise une pensée réflexive. » Ce qui fait la particularité de ce dispositif, c'est d'abord la scission du groupe d'élèves en deux, ce qui permet dans un premier temps une plus grande place pour la parole de ceux à qui on la demande. Les enfants qui ne participent pas procèdent à des observations du discutant qu'ils remplaceront la fois prochaine. Ces observations s'intéressent aux comportements dans le débat mais aussi à la nature des prises de parole, plus sur la forme de pensée que le sens des idées. Ensuite, ces situations donnent la possibilité à certains élèves de prendre des responsabilités dans l'animation des discussions. Un enfant est président et gère le débat, un autre est reformulateur et reprend à sa façon ce qui vient d'être dit et un dernier est synthétiseur et régulièrement fait le point des arguments et questions présentés. L'adulte est un discutant qui peut également intervenir en tant qu'animateur. Sa parole n'a pas pour but de canaliser celle des enfants. LA METHODE DE L'INTERVENANT La cinquième des approches de la philosophie pour enfants trouve sa spécificité dans le fait qu'une personne reconnue comme philosophe vient rencontrer une « communauté de recherche ». L'enseignant de la classe n'a pas alors de fonction précise, sauf celle qu'il peut éventuellement se donner (participant, secrétaire, observateur, etc.) Le principe de fonctionnement est qu'autour d'un thème central, un débat collectif s'installe entre les élèves. Le « philosophe » est une sorte de médiateur qui peut intervenir ou être sollicité à tout moment. Il représente également un « modèle à pensées » dans le sens où le travail sur le questionnement philosophique et les exigences intellectuelles à susciter est possible par imitation – distanciation. Le philosophe n'est ni un copain (et donc ce qu'il dit est autre), ni un enseignant (parce qu'on n'attend pas de lui une vérité) mais quelqu'un reconnu comme étant capable d'user de pensée d'excellence. C'est une sorte d'exemple vivant qu'on ne peut pas copier mais dont on peut simplement s'inspirer. 3 – L'INSTITUTION DISCUSSION PHILOSOPHIQUE Du fait que nous nous interrogeons sur l'éventualité de considérer la discussion philosophique comme une institution pédagogique, deux réflexions préliminaires restent à considérer avant l'entame d'un travail plus approfondi. Il s'agit dans un premier temps de se demander en quoi (sur quels domaines) il peut y avoir des interactions entre la DP et les institutions pédagogiques : qu'est-ce qui rend possible un rapprochement entre ces deux concepts ? Dans un second temps, nous devons nous questionner sur ce qui fait de la DP une institution : en est-ce vraiment une ? Si oui, en quoi et pourquoi ? Le simple fait qu'un enseignant pratique une pédagogie coopérative et propose à ses élèves d'entrer dans des discussions philosophiques ne suffit pas pour légitimer le rapprochement. Nous devons chercher en quoi la DP possède du commun avec une institution pédagogique telle que nous l'avons définie précédemment. L'activité de l'enfant pendant la discussion philosophique Comme une institution a pour vocation d'être un outil symbolique visant l'engagement de l'enfant, demandons-nous ce que fait un élève pendant une DP. Pendant une discussion philosophique, l'enfant 1 – Appartient à une communauté de recherche, telle que la définit M. Lipman . 2 – Emet des idées personnelles. 3 – Est confronté au réel et à la raison. 4 – Doit respecter des règles de fonctionnement dans le discours (Argumenter, Conceptualiser et Problématiser) et dans la forme (les responsabilités, les étapes, la prise de parole, etc.) 5 – Effectue son métier d'élève : se prépare à devenir un adulte citoyen. 6 – Assume des responsabilités. Reprenons plus dans les détails cette présentation de l'activité de l'enfant et voyons en quoi il y a écho dans quelques unes des institutions d'une classe coopérative (en occurrence celle de notre terrain d'expérience). 1 - L'enfant appartient à une communauté de recherche M. LIPMAN insiste sur l'existence de communautés de recherche comme support des libertés individuelles enrichies des expériences sociales. Pour philosopher, l'enfant doit appartenir à un groupe, une communauté, une équipe de pairs dans lesquels les échanges vont garantir les progressions mutuelles. Dans notre classe coopérative, deux institutions sont images de cette exigence. Ces institutions font appel à deux entités différentes : les équipes et le groupe- classe. Ce dernier existe par le fait du conseil de classe qui se veut « la clé de voûte » de son développement. La fonction première du conseil est de permettre au groupe de vivre, ce qui passe par des phases de reconnaissance de cette existence (note de la classe, félicitations, etc.), des phases de gestion des conflits (tout ce qui concerne les critiques) et des phases d'organisation de divers projets (ce qui est abordé lors des émissions de propositions). Ainsi, grâce au conseil et aux expériences qu'il suscite, le groupe classe trouve raison d'exister et les élèves grandissent dans l'appartenance à un groupe. La seconde institution proposée aux élèves qui répond à l'exigence de travailler philosophiquement en communauté de recherche correspond aux équipes de travail. A la différence du groupe, l'équipe est finalisée, elle a une mission et même existe pour cette mission. Ainsi, dans la coopération, les élèves doivent modifier leur comportement pour permettre à la raison d'exister d'aboutir : on ne peut pas dans une équipe ne pas échanger avec ses équipiers. C'est donc une forme plus complexe de communauté de recherche avec laquelle les enfants doivent compter et agir. Le partage des responsabilités et l'acceptation des idées d'autrui pour un enrichissement mutuel sont les principaux apprentissages développés. 2 – L'enfant émet des idées personnelles. Parler c'est exister mais l'existence précède la parole. On ne peut pas ne pas être amené à exister dans une classe coopérative. Il s'agit justement d'une organisation pédagogique basée sur l'expression des singularités existentielles et qui vise à cette expression même. Les institutions sont d'ailleurs identifiées comme étant des dispositifs engageant les enfants dans la promotion de leur être. Ainsi, émettre des idées, parler, équivalent à fournir une pensée personnelle, certes pas toujours achevée mais se voulant au moins un support aux évolutions. Lors du « Quoi de Neuf ? », du choix de texte, du bilan météo, des conseils, des messages clairs, et bien d'autres lieux de parole, les enfants travaillent et développent des compétences langagières ; mais aussi et surtout ils présentent devant d'autres une pensée personnelle, un vécu qui leur est propre et auquel ils apportent un regard qui est le leur. Rien n'encourage le « plagia des pensées », on ne parle pas pour « paraître » mais pour exister au travers de l'acte qui vise à communiquer une pensée personnelle. Il en est de même pour des institutions qui ne font pas appel à la parole. Lorsqu'un élève remplit son plan de travail, lorsqu'il rédige un texte libre, lorsqu'il s'entraîne pour une ceinture, lorsqu'il correspond avec une autre classe et dans bien d'autres situations encore, il fournit obligatoirement des efforts personnels, pense par lui-même et agit nécessairement pour lui. En conséquence, lorsqu'un enfant se voit proposer d'entrer dans un débat philosophique, ce ne sont pas les freins liés à l'émission d'idées personnelles qui vont parasiter son engagement. 3 – L'enfant est confronté au réel et à la raison. « La vie est ce qu'elle est ; nous devons construire avec elle et par elle » . Dans une classe coopérative, le réel est au centre de tous les enseignements et donc, pour l'élève, au cœur de ses apprentissages : il apprend parce qu'il cherche à répondre à des questions issues de son environnement c'est à dire du réel. Ce sont les projets de classe qui confèrent un tel sens aux apprentissages scolaires : le journal, la correspondance, la gestion financière de la coopérative et les diverses actions à organiser, à conduire et à analyser pour les communiquer. La vie de classe procure suffisamment de situations où il est possible de puiser des travaux pouvant être effectués par des élèves ou des équipes, le but bien sûr n'étant pas de produire mais de chercher à produire. Dans la continuité de ceci, lorsque la confrontation au réel place des enfants devant des choix, ceux-ci doivent nécessairement s'appuyer sur la raison considérée comme la recherche maximale de l'universalité. Lorsqu'une dépense est demandée par une équipe d'enfants, le conseil de coopérative décide de son bien fondé à partir de la somme qu'il reste sur le compte de la classe et en fonction des besoins financiers d'autres projets. Lorsque le président du choix de texte doit décider si un texte élu par la classe peut paraître dans le journal, il s'intéresse à la portée de son message : les lecteurs ne vont ils pas être choqués ? Ne risque-t-on pas de tomber dans de la diffamation ? L'article aura- t-il de l'intérêt pour quelqu'un d'extérieur à la classe ? Etc. C'est pour toutes ces raisons, qu'une classe coopérative propose et s'appuie sur le réel de la vie de la classe mais ne favorise pas pour autant l'irrationnel : on ne peut pas dire et faire n'importe quoi, l'intérêt et la sécurité de chacun passe avant tout. 4 – L'enfant doit respecter des règles de fonctionnement dans le discours (Argumenter, Conceptualiser et Problématiser) et dans la forme (les responsabilités, les étapes, la prise de parole, etc.) Agir de manière coopérative nécessite un apprentissage parfois long parce que, contrairement à la recherche de maîtrise de certaines techniques, le travail avec d'autres et l'entraide sont un lieu de réunion de plusieurs personnalités. Lorsque les avis et modes de fonctionnement divergent et qu'il faut tout de même produire quelque chose ensemble, la négociation est un passage obligé. Chacun est donc dans un premier temps contraint à revenir sur un certain nombre de ses positions sans pour autant pervertir ses volontés premières. Ainsi, travailler en équipe apporte à chacun des équipiers la recherche de ce subtil équilibre entre les réalités individuelles et la recherche d'un consensus partagé. C'est dans ce contexte que les règlements sont entendus. La loi se conçoit pour permettre à chacun d'exister dans le groupe, l'existence étant considérée par le travail. De manière à ce qu'elles soient comprises puis admises par une majorité, les lois sont dans un premier temps élaborées collectivement, dans un deuxième appliquées à tout le groupe (quels que soient les statuts) puis enfin révisées en conseil à partir des demandes d'adaptation formulées. Dans cet esprit, les règlements constituent la base des échanges et du travail ce qui implique pour tous les élèves coopérateurs d'abord une éducation à son existence et ensuite une acceptation des coercitions engendrées. Ainsi, lorsque l'élève entre dans la discussion philosophique, les règles de fonctionnement qu'il doit accepter et respecter ne constituent pas pour lui une nouveauté. Du côté des contraintes de fonctionnement, il s'agit même d'acquis travaillés ailleurs : conseil, quoi de neuf, bilan météo, etc. Dans ces institutions, les élèves ont appris à prendre la parole, à respecter les diverses responsabilités et à permettre à chacun une expression aussi libre que la sienne. En revanche, en ce qui concerne les règles du discours, la discussion philosophique enrichit indéniablement les élèves qui acceptent de s'y engager. Certes, comme nous l'avons vu plus haut, tout ce qui est fait en classe coopérative est soumis à la raison, mais très peu de situations demandent aux enfants une rigueur de raisonnement. Conceptualiser, argumenter et problématiser sont propres à la philosophie et devoir s'y soumettre est un guide supplémentaire mais nouveau pour « grandir ». 5 – L'enfant effectue son métier d'élève : se prépare à devenir un adulte citoyen. Pour de jeunes coopérateurs, être élève est un métier. Il s'agit d'un travail avec ses joies et ses peines, ses rétributions et ses obligations. Lorsqu'un élève entre en classe, il pénètre dans son lieu de travail, qui n'est pas un endroit de jeu mais d'engagements et de responsabilités. L'essentiel de ce métier d'élève consiste à travailler pour apprendre, la visée principale de ces apprentissages étant la future vie citoyenne. Travailler se résume donc à s'entraîner pour devenir adulte, ce qui implique acquérir les bases de la connaissance et de la culture (savoirs scolaires) ainsi que les manières d'agir dans cette société : les comportements citoyens. Les ceintures disciplinaires, le plan de travail et la monnaie de classe suscitent tout ce qui est du domaine de l'acquisition des connaissances. Les institutions d'échanges telles que le conseil préparent l'enfant à agir en tant que citoyen dans une société démocratique. Au lieu de crier, d'insulter ou de taper, on critique, on propose, on amende, on vote, le principe étant que la loi de la raison et de la majorité devient celle de tous. Lorsque intervient la discussion philosophique, à long terme les finalités sont les mêmes : le pédagogue cherche à préparer l'enfant à devenir citoyen. Dans une classe coopérative, l'élève maîtrise le fonctionnement démocratique (les lois et les votes) mais n'entre pas toujours dans une vie démocratique entière. On s'interroge et on légifère sur la vie du groupe mais on s'intéresse peu au sens de la vie de ce groupe. Et pourtant, dans le quotidien du citoyen, ces questions lui sont posées, ne serait-ce qu'au travers de formes apparentes de la démocratie telles que le vote : lorsqu'il s'agit de décider quel candidat on va choisir, même si on est rarement amené à énoncer ses idées personnelles sur la politique, l'éducation ou la défense nationale, on doit au moins s'y référer pour estimer l'écart avec le programme électoral proposé. Ainsi, proposer une formation « à la vie citoyenne » c'est d'abord permettre d'en saisir le fonctionnement mais aussi contribuer à ce que chacun puisse se construire un champ d'idées support de ses engagements voire de son militantisme. 6 – L'enfant assume des responsabilités. Nous l'avons vu, être élève coopérateur c'est avoir un métier et des responsabilités. Celles-ci se concrétisent d'abord par une centration de l'enfant sur son activité (il travaille par et pour lui) et ensuite par une attitude de l'adulte qui consiste à déléguer à des élèves toutes les petites responsabilités dont traditionnellement il a la charge. C'est ce que nous appelons les « métiers », une institution qui regroupe toutes ces responsabilités de vie du groupe et qui sont confiées pour un certain temps à des élèves volontaires. Il existe des métiers techniques (allumer les ordinateurs, ouvrir les rideaux, descendre les chaises, nourrir les poussins, etc.) et des métiers plus « fonctionnels » : président du choix de texte, responsable des articles de journaux, tuteur, etc. Au fil des années scolaires, les enfants « voyagent » entre ces métiers et, dans l'action, apprennent. C'est pourquoi, lorsqu'intervient la discussion philosophique et que sont proposées les diverses responsabilités qui s'y réfèrent, les élèves ne paraissent pas surpris et même ont une tendance à se précipiter pour les assumer. C'est d'ailleurs une raison pour laquelle n'importe qui ne peut pas obtenir n'importe quel métier : certains nécessitent un niveau précis de ceinture (en comportement, écrivain ou philosophe). Devant cet ensemble d'arguments, la discussion philosophique apparaît comme « naturelle » dans un fonctionnement coopératif, d'abord parce qu'elle entre bien en phase avec l'esprit des institutions et le pourquoi elles sont mises en place et ensuite par qu'elle poursuit les finalités attendues lorsqu'on espère la formation future de citoyen. Dans ce contexte, la philosophie attribue davantage de « puissance » au pédagogue qui projette l'enfant vers son avenir. Pourtant, même si nous venons d'avancer sur la question du rapprochement de la philosophie et des pédagogies coopératives, rien ne nous dit encore que l'on puisse considérer la discussion philosophique comme une institution (ce qui alors justifierait complètement ce rapprochement). Pour cela, nous devons indiquer les caractéristiques d'une institution pédagogique puis nous interroger sur l'éventualité que la DP puisse être considérée comme telle. Qu'est-ce donc qu'une institution ? « Le mot « institution » désignait l'ensemble des lois qui régissent une cité : la manière dont les pouvoirs publics et privés s'y trouvent répartis, les sanctions et les ressorts qui mettent en œuvre leur exercice régulier. » Voici en résumé le sens général que l'on donne à ce terme, bien qu'il ait évolué de par l'étendue des réflexions des sociologues à son sujet. Ils insistent d'abord pour souligner que les institutions doivent être traitées comme des choses , c'est à dire qu'elles doivent faire l'objet de constats et non d'interprétations. E. DURKHEIM reconnaît l'institution à son caractère contraignant , contrainte qui s'exprime au travers de deux attributs : son respect et l'autonomie qu'elle impose. Du point de vue pédagogique, le terme institution ne semble avoir été développé que par les penseurs des Pédagogies Institutionnelles. « Qu'entendons-nous par institution ? La simple règle qui permet d'utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution. L'ensemble des règles qui déterminent « ce qui se fait et ce qui ne se fait pas » en tel lieu, à tel moment, ce que nous appelons les lois de la classe, en sont une autre. Mais nous appelons aussi institution ce que nous instituons : la définition des lieux, des moments des statuts de chacun suivant son niveau (services, postes, responsabilités), les rôles (présidence, secrétariat), les diverses réunions (chefs d'équipe, classe de niveau, etc.), les rites qui en assurent l'efficacité, etc. » Pour exemple d'institution, le conseil. Régulièrement, en un lieu et en un moment connus de tous, sous une forme permettant à la fois l'engagement et les habitudes de chacun, il regroupe les membres du groupe pour lequel il existe. Répondant à des codes de fonctionnement récurrents, il propose un déroulement dont la logique est au service de ses intentions : la gestion des joies et des peines, la planification des lois et des projets. Ainsi, et de manière plus large, une institution apparaît comme une organisation humaine, matérielle, temporelle, spatiale et organisationnelle dont la visée est de susciter les engagements et dont la conséquence est de créer de la symbolique dans les relations. Nous entendons par symbolique tous les codes sociaux créés par l'institution et pouvant être utilisés par le groupe ou les partenaires périphériques. Ces symboles internes au groupe permettent à chacun un fonctionnement optimisé de son réseau de relations. Le non isolement des institutions et l'obligation de leurs interactions conduisent les individus à médiatiser leurs engagements et ainsi à les rendre moins latents donc moins conflictuels. Le postulat de départ est que les émotions mises en mots et communiquées deviennent plus faciles à réguler qu'intériorisées et cachées. Une institution est donc un médium des relations sociales au service des membres d'un même groupe. Pourtant, sa visée à long terme consiste moins à s'institutionnaliser qu'à disparaître, dans la mesure où les individus auront appris à vivre la rencontre sans le parasite d'une organisation artificielle. Le meilleur fonctionnement institutionnel est un fonctionnement sans institutions parce qu'elles n'ont plus raison d'exister. En conséquence et dans ce contexte, le travail de l'éducateur est de guider, grâce à des institutions, vers des engagements libres et citoyens sans institution. Ainsi, les pédagogies institutionnelles visent à médiatiser les apprentissages par des institutions. « La pédagogie institutionnelle peut se définir d'un point de vue statique comme la somme des moyens employés pour assurer les activités et les échanges de tous ordres dans et hors de la classe et d'un point de vue dynamique, comme un courant de transformation du travail à l'intérieur de l'école. Les changements techniques, les relations interindividuelles et de groupe à des niveaux conscients et inconscients, la structuration du milieu, créent des situations qui, grâce à des institutions variées et variables favorisent la communication et les échanges. […] Ce nouveau milieu favorise, outre les apprentissages scolaires, l'évolution affective et le développement intellectuel des enfants et des adultes. » C'est entre autres au travers de la parole que cette évolution devient possible. Guidé par une organisation symbolique au service de ses engagements, l'élève avance naturellement vers une expression de son être, de son existence et de ses idées. LA DISCUSSION PHILOSOPHIQUE : UNE INSTITUTION AU CŒUR D'UN RESEAU La discussion philosophique a pour fonctions fondamentales la formation à la citoyenneté, le débat étant constitutif de la démocratie, et le développement de la pensée réflexive. En s'appuyant sur des fonctions (présidence, animateur, journalisme, synthétiseur, reformulateur, etc.), sur des structures (introduction, organisation des tours de parole, synthèse, etc.) et sur des constructions mentales liées aux idées (argumenter, conceptualiser, problématiser), la discussion philosophique tend à préparer le futur citoyen à assumer son avenir social. Il l'initie aux rapports aux savoirs et à la loi et crée un lien entre ces deux entités. Une institution est un médium des relations sociales au service d'intentions éducatives. C'est une organisation pédagogique dont l'objectif est d'optimiser certains apprentissages pour qui elle est conçue. Artifice pédagogique au service d'intentions éducatives, support s'inscrivant dans l'histoire sociale du groupe, la discussion philosophique se présente comme une institution à part entière. Lieu, espace, forme, organisation, fonctionnement devenus ritualisés, les membres du groupe peuvent alors s'y engager et par l'action faire et se faire. Cependant, un débat autour d'une question philosophique sous une forme démocratique ne prouve pas qu'il s'agisse d'une discussion philosophique. Un certain nombre de capacités de base du philosopher doivent apparaître dans les échanges sous peine de pervertir les intentions attendues : les élèves doivent être conduits à conceptualiser (définir, faire des distinctions conceptuelles), problématiser (questionner) et argumenter rationnellement les idées qu'ils souhaitent exploiter. La discussion philosophique ne va donc pas de soi dans un système coopératif de la classe. Pourtant, dans ses intentions comme dans son déroulement, le débat philosophique complète les institutions issues des pédagogies coopératives. Il ne peut répondre réellement à ses visées que dans la mesure où il s'inscrit dans un dispositif pédagogique en cohérence avec ses valeurs. A contrario, un tel débat serait une gageure dans un fonctionnement pédagogique unilatéral, où l'enseignant fait prédominer son statut et ses savoirs au détriment de l'expression des apprenants. En conséquence, il apparaît que les pédagogies institutionnelles optimisent les effets qualitatifs du débat philosophique en raison de la multiplicité des situations où les individus ont à penser et agir par eux-mêmes, assumer leurs engagements. Le débat philosophique y devient plus facile à organiser, la parole des enfants moins difficile à développer et soutenir, la portée pédagogique des échanges plus importante. Les élèves peuvent donc se consacrer plus intensément qu'ailleurs (parce dégagés de tous les autres parasites) aux rigueurs de la pensée réflexive. Ainsi, et pour résumer, d'un côté il est connu que la discussion philosophique, pour être possible dans une classe d'enfants, nécessite un appui sur les formes démocratiques du débat, sans pour autant que cette condition soit suffisante. D'un autre côté, il apparaît que la médiation d'institutions pédagogiques dans un fonctionnement coopératif tend, par sa multiplicité, à faciliter la mise en place de la discussion philosophique, aisance provenant des capacités cultivées chez l'enfant de penser et d'agir individuellement par lui- même. C'est donc sur cette double tension que s'appuie ce projet de recherche qui, en raison des nombreuses études prouvant la nécessité de la forme démocratique du débat, veut davantage approfondir l'impact des pédagogies coopératives sur l'enfant philosophant. C'est en considérant la discussion philosophique comme étant une institution inscrite dans un réseau que nous faisons l'hypothèse qu'elle en devient plus facile à mettre en place, que la qualité des échanges est optimisée, et que les capacités des enfants à penser par eux- mêmes sont développées plus rapidement. 4 – LES HYPOTHESES DE RECHERCHE Nous venons de l'approfondir, cette recherche vise à rapprocher la discussion philosophique des fonctionnements coopératifs, en particulier ceux relatifs aux pédagogies institutionnelles. Elle vise à montrer le double intérêt d'un tel rapprochement, à la fois pour le développement de la philosophie en école primaire mais aussi pour l'enrichissement éducatif que proposent les fonctionnements issus de FREINET et OURY. Nous tenterons donc de guider cette étude à partir de deux hypothèses correspondant à une équivalence dans la rencontre entre ces deux dispositifs. Hypothèse 1 : La classe coopérative facilite et optimise la mise en place de discussions philosophiques en cycle III d'école primaire. o Pour l'enseignant parce qu'il peut directement axer son attention d'éducateur sur la présentation, le développement et l'évaluation des exigences intellectuelles du philosopher (argumenter, conceptualiser, problématiser) ; o Pour l'élève parce que le fonctionnement coopératif lui a déjà permis de s'engager en tant qu'individu et d'entrer en relation avec ses pairs. La demande d'expression de ses opinions devient moins un barrage que dans d'autres pratiques pédagogiques ; o Pour le groupe classe parce que déjà constitué autour d'une histoire commune en lien avec les activités coopératives. Hypothèse 2 : Les situations d'apprentissage de la pensée réflexive définies au travers de discussions philosophiques complètent l'impact éducatif des fonctionnements coopératifs. o La discussion philosophique poursuit la référence démocratique ailleurs que pour les institutions de parole (Conseil de coopérative, Quoi de Neuf ?, …) ; o Elle développe le sens du débat citoyen et ainsi complète l'image des fonctionnements démocratiques ; o Elle apporte un regard plus large sur le rapport à la vérité par la recherche de l'universalité ; o Elle permet une meilleure connaissance de soi par l'interrogation de sa condition humaine dans la cité ; o Elle suscite la coopération dans le dialogue, prévient certains phénomènes de groupe et d' éventuelles situations de violences. C – La méthodologie 1 – LE TERRAIN D'EXPERIMENTATION a) LA CUISINE ET LA JOAILLERIE En pédagogie coopérative, nombreuses sont les techniques et nombreuses peuvent en être les interprétations et donc les utilisations. Pourtant, lorsque certaines conditions sont réunies, ces outils conduisent à des résultats contraires à l'épanouissement de l'enfant et ainsi pervertissent les raisons qui ont conduit à leur établissement. Proposer un projet de classe coopérative à des enfants, c'est avant tout adhérer soi-même à un certain nombre de valeurs, faire fi le plus souvent des méthodes qui ont guidé nos propres enseignements, accepter de ne plus se mettre au centre de la classe : c'est ce qu'on appelle « l'esprit de la machine ». En voici les principales lignes : ? Il est préférable de discuter plutôt que de taper : c'est le fondement de la société civile . Le principal rôle de l'adulte est de diffuser cette idée. ? L'enfant n'est pas un être du manque et de l'imperfection : il évolue dans un environnement qui lui appartient, y vit avec un regard personnel sur le monde et les choses et y grandit à partir de son être-là et vers une image de soi qu'il s'est construite. ? L'adulte ne peut pas être la clé de voûte des apprentissages de l'enfant ; d'abord parce que seul l'enfant peut construire ses connaissances ; ensuite parce que les pairs sont autant que l'adulte des vecteurs de connaissances et de crédibilité ; enfin, parce que c'est l'existence même de l'enfant qui donne sens à ses apprentissages. ? La liberté individuelle est la conséquence de l'acceptation des codes de fonctionnement de sa société d'appartenance. Se donner les moyens de discuter, construire, modifier et faire respecter les règles du groupe, c'est permettre à l'enfant d'accéder à la liberté du citoyen. ? L'enfant se construit par étapes et aspire à l'étape supérieure de son développement. Les régressions sont toujours possibles mais ne sont jamais définitives. ? Les outils qui permettent aux enfants d'agir en coopération ne sont pas des fins en soi. Ils conduisent à la création de symboles sur lesquels chacun peut s'appuyer pour aider l'enfant à grandir. ? C'est en faisant que les enfants se font. C'est par l'action qu'ils s'approprient le monde extérieur, qu'ils l'intègrent à ce qu'ils savent déjà et qu'ils atteignent un état de mieux être. Oublier cet esprit, c'est risquer de faire une cuisine aléatoire et de la mauvaise joaillerie. Pour cuisiner, on est obligé d'avoir fait les courses. Il y a trois familles. Les avertis savent ce qu'ils veulent servir à manger, par exemple une Macaronade. Ils achètent des macaronis, de l'huile d'olive, de la viande de bœuf, des tomates, des épices et tout ce qu'il faut pour cuisiner une bonne Macaronade. Il y a une deuxième famille, ceux des pressés. Ceux-ci achètent du précuit, du cuisiné par d'autres. Ils n'ont pas besoin d'avoir pensé à l'avance ce qu'ils vont servir, un choix large leur est offert. La troisième famille, les opportunistes, met dans son chariot ce qui lui plaît et tente ensuite d'en constituer un plat. Le succès n'est pas toujours garanti. En pédagogie, encore plus en pédagogie coopérative, il est aussi possible de faire son marché et de confectionner un plat à sa guise. Les pressés puisent dans les manuels des méthodes toutes faites avec des progressions irréprochables et se donnent la douteuse assurance que leur classe est constituée d'enfants de niveau homogène. Pour un temps … Les opportunistes aboutissent à une pédagogie « patchwork », constituée d'outils pas forcément pensés pour vivre ensemble. Soit le résultat est heureux et à ce moment-là les opportunistes sont considérés comme des génies, soit il est dysharmonieux et ce sont les enfants qui en subissent les conséquences : parasitage didactique, conflits récurrents dans la classe, frustration de l'enseignant … Les avertis savent où ils veulent aller, quelles sont leurs intentions pédagogiques et éducatives, quel est leur projet personnel d'enseignant. Les valeurs qu'ils défendent ne sont d'ailleurs pas forcément celles prônées par Freinet, Oury et leurs successeurs. Pourtant, ils obtiennent une sauce qui se tient avec un goût plaisant et apprécié par tous. La cuisine n'est pas d'emblée parfaite, ce ne sont que les répétitions qui conduisent à terme à l'aboutissement d'un faire qui correspond à son vouloir. Faire son marché pédagogique sans s'être demandé à l'avance quel plat on voulait préparer, c'est également essayer de confectionner un beau collier avec les plus belles pierres que l'on ait trouvées mais en ayant oublié le fil le long duquel on va faire coulisser ces perles. Sur le papier, l'œuvre est belle mais dès qu'on essaye de la porter, elle s'effondre. Il manque le fil. C'est pourquoi faire de la cuisine aléatoire c'est aussi faire de la mauvaise joaillerie. On ne demande pas aux éducateurs d'être des génies et on leur interdit de faire n'importe quoi. Avant de ficeler un fonctionnement de classe à partir de « techniques qui plaisent », une des principales rigueurs à respecter pourrait être de savoir où on veut aller et quelles sont les finalités que l'on poursuit. b) GIANNI CHEZ DES COOPERATEURS Avertissement : présenter synthétiquement le fonctionnement d'une classe coopérative, c'est se confronter à deux dangers : l'effet catalogue et la superficialité. Fernand OURY a plusieurs fois précisé que les pédagogies institutionnelles s'appuyaient sur un trépied : le groupe, l'inconscient et des techniques. Le groupe dépend des membres qui le composent. Seule la psychologie sociale s'est permis d'indiquer quelques déterminants de création et fonctionnement du groupe . L'inconscient est l'affaire de la psychanalyse et quelques pages de présentation ne seraient que réduction . Seules restent les techniques, souvent issues des pédagogies Freinet. Pourtant, restreindre la présentation des fonctionnements coopératifs aux techniques, c'est risquer de monter un catalogue et de tomber dans les dérives décrites plus haut. A l'opposé, il serait envisageable de ne présenter que les idées générales de cette forme pédagogique. Il serait alors facile d'obtenir un beau et lisse discours mais sans possible ouverture à d'éventuels praticiens. Nous tentons pourtant dans les quelques pages qui suivent de présenter sommairement le fonctionnement d'une classe coopérative, celle du terrain d'expérience de cette recherche. Nous avons choisi comme médium de présentation une forme rhétorique inspirée de deux auteurs en pédagogie. René LAFFITTE a construit tout un ouvrage autour d'un vécu de journée . Le lecteur y suit une classe du matin au soir et, au passage, en découvre les mécanismes. Philippe MEIRIEU a choisi de suivre un enfant, Gianni, dans un voyage virtuel autour des principaux lieux de ressourcement pédagogique . Nous reprenons le personnage de Gianni et lui permettons d'entrer le temps de deux journées dans une classe coopérative … « L'Histoire de Gianni ne s'arrête pas là et il n'a pas fini d'en voir de toutes les couleurs. » Gianni, cet exclu des systèmes éducatifs, celui pour qui ses parents se font les plus grands soucis, venait une nouvelle fois de quitter une école. Il avait pourtant eu la chance d'en côtoyer beaucoup, chacune véhiculant des conceptions de l'éducation bien différentes. Même s'il était arrivé à effectuer quelques bribes d'apprentissages, même s'il n'oubliera jamais des personnes comme Rogers ou les sociologues, le constat demeure : il est de nouveau seul, livré à lui même. Son périple pédagogique lui aura tout de même appris une chose, c'est que l'éducation doit faire face à une tension, celle qui consiste à privilégier soit les acquisitions scolaires soit le développement des personnalités. Alors, d'un élan neuf, il accepta de suivre sa mère qui souhaitait l'accompagner dans une nouvelle école. Quand il arriva, il constata que celle-ci n'avait rien d'extraordinaire. Il s'agissait d'une école ni trop vieille, ni trop neuve, ni trop pauvre, ni trop riche, certainement une école comme la fréquente la plupart des enfants français. C'était huit heures et demi et il fut surpris de voir les élèves rejoindre leurs classes sans passer par le très traditionnel rang. En plus, ils semblaient tous sereins. Gianni en demanda alors les raisons au directeur de l'école qui venait de les accueillir. « Vois-tu, mon cher Gianni, il n'y a aucune force qui nous pousse en tant qu'adulte à imposer un règlement contraignant à des élèves. Certes nous avons nos impératifs mais la plupart des règles de vie de cette école peuvent être co-construites par l'ensemble des personnes qui la composent, c'est à dire les enfants mais aussi les enseignants et les autres adultes. Ici, c'est un conseil de coordination qui s'occupe de tout ça. Il regroupe une fois par mois les délégués de chaque classe et les délégués adultes. C'est à ce petit comité qu'incombe la tâche de mettre en place un règlement de vie correspondant au mieux à l'ensemble. Donc, lorsque tu vois les élèves monter seuls dans leurs classes, c'est que tu constates dans le réel l'application d'une partie de ce règlement. Nous sommes d'ailleurs dans une phase d'essai et le prochain conseil de coordination devra décider de son éventuelle mise en place définitive. Bon, je m'arrête de parler, le mieux maintenant est que tu rejoignes ta classe, tes copains t'attendent. » Gianni fut surpris par cet accueil. Il se dit qu'ici au moins les choses étaient discutées mais n'alla pas plus loin dans ses réflexions, le directeur le laissant devant l'entrée d'une classe. La porte était ouverte. La salle était gaiement colorée avec beaucoup de dessins d'enfants. Un seul mur de la classe regroupait des tableaux remplis d'inscriptions. Les élèves qui étaient arrivés s'affairaient à diverses activités autour de petites tables réunies. Certains discutaient, d'autres lisaient et les derniers écrivaient. Dès qu'elle le vit, l'enseignante se leva et vint à sa rencontre. Après un petit bonjour d'accueil, elle lui expliqua très brièvement que dans cette classe on ne travaillait pas comme partout mais que c'était une classe « normale ». Gianni fut de suite soulagé de ne pas se retrouver dans une classe de transition . « Ici, lui dit-elle, tu n'as pas le droit de souffrir et si cela t'arrivait, tu peux le dire : à moi si c'est urgent sinon à ton chef d'équipe ou au conseil de classe qui se réunit une fois par semaine. » Elle le fit approcher d'une table, le présenta avant de lui dire : « Voici ton équipe et Thomas en est le référent, c'est le chef d'équipe. Il n'est pas là pour commander mais pour aider son groupe à ce que tout se passe bien pour tout le monde, dans le travail et dans les relations. Quand j'ai expliqué ta venue lors du dernier conseil, cette équipe s'est tout de suite proposée pour t'accueillir et t'aider à vite t'intégrer. Je te laisse, il t'expliquera. Ah, j'oubliais, il faudra que tu viennes me voir pour recevoir ton salaire de nouveau dans la classe. Bonne journée ! » Thomas présenta à Gianni ses voisins et voisines. Ils avaient l'air sympa mais Gianni ne savait pas ce qu'il devrait faire avec eux. Il eut juste le temps de ranger ses affaires dans son casier qu'une petite fille s'exclama : « Le Quoi de Neuf est ouvert, qui veut parler ? » Aussitôt, une dizaine de doigts se levèrent. Thomas expliqua à Gianni que le Quoi de neuf était un moment où on pouvait raconter ce qu'on voulait à la classe. Trois garçons parlèrent d'un match de foot dans la rue qui avait dû laisser des traces, une fille raconta sa chute de cheval et une autre une dispute entre ses parents et ses voisins. A chaque fois, l'orateur devait répondre à des questions qui suivaient sa présentation. « Le quoi de neuf est terminé, lança la présidente, prise de température de la présidence ». Tous les bras se levèrent, certaines mains ouvertes vers le haut, d'autres vers le bas et les dernières fermant le poing. Gianni comprit à retardement qu'il s'agissait de dire si on était satisfait ou pas de la présidence. Thomas se tourna vers son équipe pour lui indiquer qu'il fallait passer en « plan de travail français ». Tous les voisins de Gianni sortirent un document, le regardèrent puis se mirent au travail. Certains se levèrent pour aller fouiller dans de grands classeurs, d'autres se mirent à travailler seul à l'aide d'une fiche. Quelques uns se retrouvèrent par deux. Gianni s'aperçut qu'à chaque fois que de tels regroupements se faisaient, un élève expliquait à un autre quelque chose qu'il ne comprenait pas. « Tu vois Gianni, lui dit l'enseignante, tu te trouves dans une classe coopérative. Les élèves sont ici pour travailler et apprendre mais ils ont le droit de s'aider. Nous utilisons la démarche PIDAPI . A partir de ce que tu sais déjà, elle te permet de travailler ce que tu es capable de réussir juste après. Comme au judo, on utilise des ceintures de couleur. Si tu es vert, tu t'entraînes pour obtenir ta ceinture bleue et quand tu l'obtiens, tu tentes la ceinture marron. Il existe plusieurs ceintures. En Français, ce matin, tu peux en travailler quatre : grammaire, orthographe, conjugaison et vocabulaire. Tout à l'heure, en mathématiques, tu pourras aussi en travailler d'autres : celles de numération, opération, géométrie et calcul. Dans chaque ceinture se trouvent plusieurs compétences. Pour t'entraîner, tu peux utiliser des fiches avec une petite leçon et des exercices que tu corrigeras toi-même. C'est sur ton plan de travail que tu as prévu ce que tu dois travailler. C'est pour ça que tu vois tous les élèves le regarder et chercher les fiches dont ils ont besoin. Est-ce que tu suis jusque là ? » Gianni mit un court moment avant de faire un oui de la tête mais cela lui rappela le maître qui écrivait les objectifs au tableau . « Comment je fais si je ne comprends pas ce qui est écrit sur une fiche ? » « Plusieurs propositions s'offrent alors à toi, lui répondit l'enseignante. D'abord tu peux relire le document. Ensuite, tu peux demander de l'aide à un autre élève de la classe, soit à quelqu'un de ton équipe, soit à quelqu'un de plus grand que toi dans la ceinture que tu travailles. Regarde là-bas, ce tableau avec toutes ces punaises de couleurs te permettra de trouver quelqu'un qui pourra t'aider parce qu'il a déjà réussi ce que tu es en train de faire. Enfin, si tu ne comprends toujours pas, tu peux me demander de l'aide. Le problème est que vous êtes nombreux dans la classe et que je ne peux pas aider tout le monde en même temps. En plus, quand je décide d'aider quelqu'un, il faut que je l'aide vraiment et je ne peux pas m'occuper du restant de la classe. D'ailleurs, viens avec moi ! » Gianni suivit l'enseignante dans un coin de la salle où se trouvait son bureau et elle lui remit un morceau de carton où elle venait d'inscrire son prénom. « Voici ton passeport, si tu as besoin de moi et que je suis occupée, il te suffit de le poser à mes côtés et dès que je serai disponible, je t'appellerai. En attendant, tu n'auras qu'à travailler autre chose. Ah j'oubliais, ton salaire, deux tissous … Tu iras demander à Thomas ce que c'est… » Elle sortit de son tiroir une caisse d'où elle tira deux petits billets jaunes qu'elle lui remit. Intrigué par ce manège, Gianni alla trouver son chef d'équipe et lui demanda ce que c'était que ces deux tissous. « C'est ton salaire de départ, lui répondit-il. Dans cette classe, quand tu travailles, tu es payé, comme tes parents. On ne te demande pas de réussir les exercices mais simplement d'essayer des les faire. La maîtresse nous dit toujours que c'est l'effort qui est payé et pas si tu as juste ou faux. » « Mais c'est pas du vrai argent, c'est du faux s'exclama Gianni. A quoi ça sert ? » Thomas le regarda avec un sourire et lui expliqua qu'avec cet argent de classe, il pouvait acheter ses stylos, ses gommes, sa règle et tout ce dont il avait besoin en classe et aussi qu'il pouvait participer à un marché de classe qui avait lieu une fois par semaine. « C'est comme le marché aux puces, chacun vend de petits jouets ou objets personnels à des enfants qui veulent les acheter. Tu verras, c'est super ! Et puis aussi, avec l'argent, tu payes tes amendes, j'espère que tu n'en auras pas beaucoup. Bon ça, je t'expliquerai plus tard, essaye de remplir ton premier plan de travail. » A peine Gianni avait-il terminé sa réflexion que l'enseignante passa pour consigne de se regrouper par ceinture de Français. Les élèves se levèrent tous et regagnèrent chacun une nouvelle place. « Tu vois, dit Thomas à Gianni, maintenant on va tous faire un travail en Français. On va dans un groupe où tout le monde a la même ceinture. Comme t'es nouveau, viens avec moi, je suis orange, ça devrait aller. » La maîtresse écrivit un texte au tableau. C'était celui de Nissrine, un texte imaginaire qui avait été élu la veille et qui parlait d'un combat entre un chien-girafe et une souris-taureau. « Dites tout ce que vous avez envie de dire sur ce texte pour l'améliorer » fut la consigne passée. Gianni accepta d'être le secrétaire de son groupe. Les idées fusaient de toutes parts. Certains critiquaient la ponctuation, d'autres l'orthographe ou la conjugaison. Gianni se permit de faire une remarque sur une phrase qui lui semblait incohérente avec ce qui était écrit au début. Au bout d'un moment, la maîtresse arrêta les échanges et nota au tableau les propositions des équipes. Les élèves ne devaient pas répéter ce que venait de dire une autre équipe, les groupes de « petits » passaient avant ceux des « grands » et chaque fois, Nissrine disait si elle était d'accord ou pas avec l'idée émise. A la fin, Gianni ne savait plus si le texte qui était écrit au tableau ressemblait beaucoup à celui du départ. Bref, peu importe, c'était la récréation. Gianni en avait vraiment besoin, non pas parce qu'il était fatigué mais parce que toutes ces informations reçues et cette énergie au travail déployée par les élèves de cette classe lui donnaient le tournis. Ici, tant de schémas scolaires étaient inversés qu'il ne savait plus quoi faire. Par exemple, on venait de lui expliquer que c'était lui qui devait corriger ses exercices, alors pourquoi ne pas tricher, c'était si facile ! Comment se faisait-il que personne dans cette classe n'y avait pensé ? Etait-ce un miracle pédagogique ou le fruit d'une très longue adaptation au fonctionnement ? Le directeur de l'école s'approcha de lui et demanda comment il se sentait. Gianni lui fit part de sa perplexité. « Vois-tu, dans cette école, j'espère que tu te sentiras considéré comme une personne. Notre but d'enseignant n'est pas de faire la classe mais plutôt que chacun d'entre vous puissiez apprendre quelque chose. Peu importe si vous vous trompez, si vous mettez du temps, le principal est que vous grandissiez. Les adultes font confiance aux enfants et ils espèrent la même chose en retour. Ce climat que nous pensons favorable aux apprentissages conduit chacun à l'authenticité. En début d'année, surtout pour les nouveaux comme toi, nombreux sont ceux qui trichent et qui recopient sur leurs cahiers les réponses aux exercices qu'ils doivent faire. Nous ne nous apercevons pas de tout, loin de là, mais ce n'est pas grave simplement parce que devant une ceinture, on est seul face à soi-même et si l'on a triché pour apprendre à faire les soustractions, on n'a pas réellement appris. Ce ne sont que les efforts personnels qui conduisent aux réussites et chez nous, elles sont nombreuses. La tricherie à l'école est la preuve que les élèves se trouvent dans un système où on ne travaille pas pour soi mais pour un autre auprès de qui il suffit de paraître pour réussir. C'est surtout dommage parce que ce sont des efforts et du temps gaspillés pour peu. » Quand la cloche sonna et que les élèves disparurent dans les classes, Gianni commençait à comprendre le sens de cette ferveur. Thomas expliqua à Gianni qu'il pouvait passer en plan de travail mathématiques et que c'était pareil que pour le Français. Il décida de travailler les pourcentages et s'aida de la fiche qui y correspondait. Elle proposait un court exercice pour déterminer ce qu'il savait déjà sur cette compétence puis le conduisait vers des exercices d'entraînement qui lui permettraient de combler ses manques. Une courte leçon appelée « conseil » présentait l'essentiel de ce qu'il avait à apprendre. Gianni réussit le premier exercice mais pas le second. Il essaya de le refaire mais ça ne marchait toujours pas. Il demanda de l'aide à Thomas qui, occupé à résoudre des problèmes avec des décimaux, l'invita à aller trouver quelqu'un d'autre. Gianni était vert en numération, il lui fallait donc trouver quelqu'un de bleu. Sur le tableau des ceintures, il trouva Romain qui, en plus de refuser de l'aider, se moqua de lui devant tout le monde parce qu'il avait de vieux pantalons. L'enseignante ne s'aperçut de rien. Caroline, témoin de la scène, expliqua à Gianni que Romain était blanc en comportement et accepta de l'aider. Gianni s'aperçut qu'en fait il ne lui manquait pas grand chose pour réussir sa fiche, remercia sa tutrice et retourna à sa place pas très satisfait du tour que venait de lui jouer Romain. Cette mésaventure lui permit de comprendre que dans cette classe, tout n'était pas aussi beau qu'il y paraissait. La maîtresse mobilisa pour la deuxième fois la classe dans son ensemble pour lancer un travail en mathématiques. Comme pour le Français, chacun se retrouva dans un groupe de même ceinture. L'enseignante sortit d'une boîte à « textes libres mathématiques » deux papiers. Sur le premier était inscrite une question : « Combien font 100 000 x 1 000 000 ? » Sur le second, Adrien présentait une création mathématique. Il s'agissait d'une sorte de rosace et on devait trouver comment il l'avait réalisée. La classe vota pour la création d'Adrien. Gianni n'arriva pas au même résultat mais ce qu'il fit avec son compas le satisfit. A chaque fois qu'un groupe présentait ses réflexions, Adrien donnait son avis et l'enseignante insistait sur des petits points. Ce que Gianni en retint, c'est qu'un triangle inscrit dans un cercle et dont l'hypoténuse est un diamètre est un triangle rectangle. Il fallut quelques instants à Gianni pour réaliser que le bruit de la cloche signifiait la fin de la matinée tant elle avait été riche. La première partie de l'après midi était réservée à de l'histoire. Stéphane et Driss se présentèrent devant la classe et firent un exposé sur la Révolution Française. Ce n'était pas la première fois que l'histoire était abordée ainsi parce que chaque équipe s'efforçait de noter un maximum d'informations et de poser une foule de questions. Quand les deux orateurs ne savaient pas répondre, la maîtresse les aidait. Thomas expliqua qu'il allait y avoir un jeu la semaine suivante, que Stéphane et Driss poseraient dix questions et que les équipes devraient avoir un maximum de points. Le record de la classe était de 67 points. Gianni comprit de suite d'où venait ce farouche intérêt autour de la Révolution Française. Il se dit qu'au moins, pour une fois, il aurait compris quelque chose en histoire et que ça le changeait vraiment des longs monologues ennuyeux des professeurs qu'il avait rencontrés précédemment. Pendant la récréation, Gianni s'aperçut de quelque chose qu'il n'avait pu voir le matin. Des enfants, qui s'amusaient avec d'autres dans un coin de la cour, portaient un brassard vert avec un « M » cousu dessus. Mis à part ce signe distinctif particulier, rien ne les différenciait des autres. Gianni demanda à un plus petit que lui qui étaient ces élèves. Il répondit qu'il s'agissait de médiateurs et qu'ils étaient à la disposition de tout le monde pour aider à régler un conflit. Le petit était en plein jeu et il ne voulut pas en dire plus. Gianni interrogea un enseignant qui se trouvait dans la cour. Celui-ci sortit un document. « Ceci est un permis à points et ici tu peux lire le règlement de cour qui a été écrit en début d'année par le conseil de coordination de l'école. Il a été pensé pour que chacun profite de ce temps de récréation, qu'il puisse s'y amuser, se détendre et avoir le moins de problèmes possible.» L'homme prit un stylo et écrivit le prénom Gianni sur le haut d'un permis. « Voilà, toi aussi tu as un permis et tu disposes de dix points. Si tu ne respectes pas les lois de la cour, tu risques de perdre des points. Tu peux bien sûr en récupérer en signant un contrat avec un adulte dans lequel tu t'engages à rendre service à l'école. C'est à toi de trouver comment. Si quelqu'un t'embête ou te fait mal, au lieu de te défendre, tu peux réclamer un retrait de points. Si tu es en conflit avec un copain et avant qu'un adulte ne soit obligé de vous sanctionner tous les deux parce que vous vous êtes insultés ou battus, tu peux demander de l'aide aux médiateurs. Ils vous conduiront dans une salle et vous aideront à trouver des solutions. » Gianni remercia l'homme et s'éloigna. Il aurait préféré être aussi libre qu'avant sans avoir ce permis et ces points. Pourtant, en y réfléchissant, comme tout le monde en avait un comme lui et qu'on n'était pas obligé de faire des corvées pour récupérer des points, il trouvait ce système assez rassurant. Il devait respecter les lois mais les autres aussi et avant d'avoir envie de taper sur quelqu'un, chacun avait la possibilité de mesurer les risques, de se pencher sur son sort et donc de retenir la main qui allait partir. Quant aux médiateurs, ce devait être une fabuleuse expérience pour eux que de pouvoir aider des copains à résoudre des conflits. Et ils devaient tant apprendre sur eux … De retour dans la classe, Gianni eut la surprise de la voir complètement changée : les tables étaient poussées contre les murs et les chaises placées en cercle. Caroline invita tout le monde à s'asseoir, la maîtresse rappela à la moitié de la classe qu'ils étaient observateurs et elle lui indiqua qu'ils allaient faire une discussion philosophique. « C'est comme un débat, dit-elle, sauf qu'en plus de trouver des idées, tu dois essayer de donner la définition des mots que tu utilises, poser des questions ou t'en poser et y répondre en essayant d'expliquer pourquoi ce dont tu parles est vrai ou faux. » Caroline prit la parole, expliqua qu'elle était présidente et dit : « Le thème de la discussion d'aujourd'hui est : qu'est-ce que la liberté ? » Très rapidement, beaucoup d'enfants prirent la parole, ceux qui le faisaient sans l'accord de la présidente étaient déclarés gêneurs. Certains donnaient leur avis sur la liberté en fournissant des exemples, d'autres en essayant de définir ce mot. Rapidement, un garçon demanda à quoi ça sert d'être libre ? Gianni voulut dire ce qu'il avait appris de Rogers mais un autre avait levé la main avant lui et quand ce fut son tour il avait oublié ce qu'il voulait dire. Ainsi, le groupe avançait de questions en questions, certains enfants avaient pour fonction de reformuler ce qui venait d'être dit, l'enseignante se contentant de donner son opinion et parfois de faire une synthèse. Gianni trouva que la récréation avait été riche et il demanda au groupe si les lois avaient un rapport avec les libertés. Malheureusement, Caroline déclara la séance terminée, permit quelques dernières interventions et cette question ne trouva pas de réponse. Mais peu importait, Gianni venait de vivre un moment très étrange : c'était la première fois que dans une école il s'était senti au même niveau que tout le monde, des adultes surtout. Ses paroles et pensées pouvaient être erronées ou imparfaites mais elles apportaient à chaque fois une pierre supplémentaire à la construction collective. Chacun avait le droit d'avoir son opinion mais le fait de se poser ensemble la question permettait à tous de s'enrichir. C'était aussi la première fois qu'il rencontrait dans une école une situation où on ne donnait pas réponse à une question formulée. Une fois la classe remise en état, un nouvel élève prit la parole pour le « Bilan Météo. » Thomas expliqua à Gianni que c'était comme un quoi de neuf mais en fin de journée et uniquement sur ce qui s'y était passé. Chacun fit une prise de température de la journée et quelques uns en donnèrent les raisons. L'enseignante leur dit au revoir et Gianni se retrouva chez lui sans qu'il s'en soit aperçu tellement ce qu'il avait vécu le tracassait. Il avait pris quelques fiches de travail avec lui et termina sa journée en les remplissant, histoire de gagner un peu d'argent pour le marché du lendemain… La seconde journée dans cette école débuta avec encore plus d'appréhensions pour Gianni que la veille parce qu'il redoutait les surprises qu'elle allait lui apporter. Après le Quoi de Neuf ? du matin, comme la veille, la classe se mit au travail en Français. Il choisit de faire un peu d'orthographe et en particulier de parfaire sa compréhension de l'accord du participe. Cette fois-ci, il n'eut pas de mal à comprendre et à réussir les exercices d'entraînement. A la place du temps de réécriture d'un texte élu, l'enseignante lança un temps de rédaction des articles. Thomas expliqua qu'en effet dans la classe paraissait un journal hebdomadairement : « le canard sans patte ». Chaque élève était libre d'y proposer un texte et c'était le moment de la semaine réservé à cet effet. Thomas parla aussi des correspondants avec qui ils échangeaient assez régulièrement des lettres collectives et individuelles. « Mon correspondant s'appelle Tony, il a mon âge et adore faire du cheval. Peut-être qu'on se verra lors de la classe de découverte que nous allons faire ensemble en fin d'année. Quand nous enverrons nos prochains courriers, pense bien à te faire connaître, je crois que dans leur classe ils sont plus que nous. » Gianni se lança dans l'écriture d'un poème intitulé « Les ailes du Monde ». L'enseignante le lui corrigea et l'invita à reprendre quelques unes des erreurs commises avec l'aide de documents. Ce texte paraîtrait sûrement dans le prochain journal. Pendant la récréation, Romain choisit à nouveau pour cible Gianni en le ridiculisant devant tous les autres. Cette fois-ci, il avait décidé de se moquer de sa coiffure et prenait à témoin les quatre garçons qui traînaient toujours avec lui. Comme il était nouveau dans l'école, il n'osa pas aller trouver les médiateurs mais décida d'en parler à Thomas. Celui-ci lui répondit la même chose que Caroline : « T'en fais pas, c'est normal, il est comme ça avec tout le monde, c'est pour ça que c'est un blanc en comportement ! » Il expliqua que cette ceinture était comme celles de Français ou de mathématiques mais concernait le comportement. « La maîtresse nous dit toujours qu'il ne s'agit pas d'être sage pour obtenir une ceinture. Il s'agit plutôt d'avoir un comportement respectueux des autres et de la vie du groupe. Plus tu es grand en comportement, plus tu as de libertés. Par exemple, quand tu es orange, tu peux descendre en récréation sans faire le rang, parce que tout le monde sait que tu ne t'amuseras pas à bousculer les autres dans les escaliers. C'est au conseil qu'on attribue les ceintures, tu verras cet après-midi. » Pas du tout convaincu par l'argument de la fatalité et opposé à subir les flèches lancées par Romain, Gianni renchérit : « Mais qu'est-ce que je peux faire pour me protéger de Romain sans avoir à en parler à l'enseignante ? » Thomas lui parla du message clair . Il consistait à aller discuter avec la personne qui a causé la souffrance, de lui décrire la situation dans laquelle elle s'est produite et d'énoncer les sentiments qu'elle a engendrée. « Le message clair, c'est pas toujours facile mais quand celui qui t'a fait souffrir entend les émotions qu'il a suscitées, souvent, il comprend pourquoi il faut qu'il arrête. Si le message clair ne suffit pas et que Romain s'en moque ou continue, critique-le au conseil et on en parlera. » Gianni réconforté par ces propositions, décida d'aller faire un message clair à Romain et Hussein, un de ses copains, celui qui venait de se moquer de lui une nouvelle fois. Gianni reconnut dans le regard d'Hussein qu'il avait compris, surtout lorsque celui-ci lui demanda de l'excuser. Romain, lui, se mit à rire et disparut dans la cour en se moquant de plus belle. Le conseil de l'après-midi fut présidé par Stéphane. On y parla d'une proposition qui consistait à disposer d'une poubelle par équipe, d'une sortie que devaient préparer deux enfants de la classe, des difficultés de Driss à réussir des ceintures de Français, du souhait de Virginie d'échanger son métier contre celui de Cindy et de la critique de Gianni sur Romain. Romain put de suite se défendre mais préféra ne rien dire. Virginie demanda à Gianni s'il avait fait un message clair. Le conseil vota 5 tissous d'amende à Romain et l'invita à une réparation . Ce dernier accepta et s'engagea à en parler lors du prochain conseil. Avant de terminer, Stéphane demanda qui souhaitait changer de ceinture de comportement. Trois enfants se manifestèrent et après un débat concernant chacun d'eux et une décision finale réservée à l'enseignante, seuls deux d'entre eux l'obtinrent mais d'abord à l'essai pour quinze jours. Comme il restait suffisamment de temps avant la fin de journée, l'enseignante lanca le marché de classe. Gianni y dépensa tout l'argent qu'il avait reçu dans la journée pour tout le travail qu'il avait effectué. Il nota même que certains qui avaient peu travaillé arrivaient à s'enrichir ; comme ça, ils pourront payer leurs amendes, pensa-t-il en regardant Romain … Décidément, cette classe interrogeait fortement Gianni. Il avait trouvé enfin un espace éducatif où il pouvait concilier ses apprentissages scolaires et le respect de la construction de son individualité. Il venait de trouver un lieu où la parole libérée était guidée par des lois et des limites. L'idée de coopération lui semblait tout à fait adaptée à tout cela. Contrairement à ce qu'il avait pu voir à Summerhill , le charisme de l'enseignante ne semblait pas être la clé de voûte du système : elle était une « institution » parmi d'autres, avec des responsabilités de gestion du fonctionnement et n'imposait pas sa personnalité plus qu'elle n'aurait dû le faire. Pourtant, quelque chose le perturbait et il ne réussit pas tout de suite à l'identifier. Romain n'y était certes pas étranger. Dans les quelques jours qui suivirent, il recommença plusieurs fois à prendre Gianni pour cible, le conseil n'avait fait que repousser les assauts. Ce conseil justement s'était une nouvelle fois interrogé et de nouvelles sanctions étaient tombées, mais aucune mesure n'avait jamais fait progresser la situation. Romain était étiqueté par le groupe comme « la ceinture blanche » et rien ne semblait pouvoir lui enlever cette image qui le caractérisait. Alors pourquoi, se demandait Gianni ? Fallait-il que même ici le groupe ait besoin de son bouc émissaire pour vivre ? Etait-il nécessaire qu'à chaque fois que des individus se regroupent ils éprouvent le besoin d'en exclure un ? Ce qui le gênait le plus, c'est que même l'enseignante n'arrivait pas à sortir de ce schéma et que le groupe paraissait embourbé pour l'éternité dans la gestion des déviances de Romain. Ce fonctionnement n'arriverait certainement pas à l'empêcher de terminer son parcours scolaire dans ces fameuses classes de transition où les avenirs s'assombrissent. S'agissait-il encore, comme le soulignait les sociologues, d'une école qui favorise toujours les mêmes ? Quinze jours plus tard, les parents de Gianni annoncèrent au directeur de l'école qu'ils devaient déménager. Gianni fit ses adieux à la classe lors d'un conseil et retourna chez lui. 2 – LE FONCTIONNEMENT DES SEANCES DE DISCUSSIONS PHILOSOPHIQUES a) PRESENTATION TECHNIQUE DES DISCUSSIONS ? Public concerné : classe de cycle III ? Lieu de la discussion : la salle de classe. ? Durée de la discussion : 30 minutes de discussion + 10 minutes d'analyse ? Fréquence des discussions : 1 fois par semaine avec permutation des discutants et observateurs. ? Disposition générale : deux cercles concentriques : celui du centre est réservé aux discutants et celui de l'extérieur aux observateurs. ? Choix des thèmes : les thèmes sont choisis en conseil à partir d'une liste proposée (Cf. document des thèmes) ou à partir de propositions d'enfants. ? Etapes de la discussion : 5' 0 – Installation des discutants et des observateurs. 1 – Ouverture de la discussion par le président. 2 – Désignation des reformulateurs et du synthétiseur (en fonction des ceintures de philosophe). 3 – Enoncé des règles de fonctionnement. 4 – Présentation du thème par l'animateur. 2 0' 5 – Succession des prises de paroles avec interventions éventuelles des reformulateurs et du synthétiseur (sur demande de l'animateur) 5' 6 – « Dernière intervention » 5 minutes avant la fin : ceux qui souhaitent exprimer une dernière idée prennent la parole. 7 – Synthèse du synthétiseur. 8 – Désignation du prochain président et du prochain animateur (en fonction des ceintures de philosophe). 9 – Fermeture de la discussion. 1 0' 10 – Prise de parole de chaque discutant. 11 – Prise de parole de chaque observateur. 12 – Echanges. ? Exploitation de la discussion : Les articles de la discussion paraissent dans le journal de classe. Chaque discutant est amené à poser par écrit ce qu'il a retenu de cette discussion (Fiche Bilan de DP) b) LES RESPONSABILITES Le président Nombre : 1 Rôle : Fonction : ? Place les enfants en cercle. ? Distribue les responsabilités. ? Distribue la parole. ? Indique le temps qui reste. ? Prévient puis sanctionne les gêneurs. ? Participe à la discussion. Anime la forme de la discussion et en garantit le bon déroulement. Ceinture de comportement : Orange au moins Ceinture de philosophe : Jaune au moins L'animateur Nombre : 1 Rôle : Fonction : ? Présente le sujet. ? Quand il le faut, recentre le débat. ? Quand il le faut, relance le débat. ? Fait intervenir le reformulateur et le synthétiseur. ? Participe à la discussion. Anime le fond de la discussion et donne vie au débat. Ceinture de comportement : Orange au moins Ceinture de philosophe : Bleue au moins Le Journaliste Nombre : 2 Rôle : Fonction : ? Note ce qui est dit d'important pendant la discussion. ? Résume par écrit sous forme d'article ce qui est ressorti de la discussion. ? Participe à la discussion. Communique dans le journal de classe ce qui a été dit lors de la discussion philosophique. Ceinture d'écrivain : Orange au moins Ceinture de philosophe : Jaune au moins Le synthétiseur Nombre : 1 Rôle : Fonction : ? Résume ce que a été dit pendant la séance. ? Sépare les grandes idées qui ressortent du débat. ? Participe à la discussion. Quand l'animateur le lui demande, fait la synthèse de ce qui a été dit. Ceinture de comportement : Aucune Ceinture de philosophe : Verte au moins Le reformulateur Nombre : 2 Rôle : Fonction : ? Note les principales idées. ? Répète à sa façon ce qui vient d'être dit. ? Répète avec ses mots ce qui a été dit précédemment. ? Participe à la discussion. Quand l'animateur le lui demande, reformule une idée énoncée. Ceinture de comportement : Aucune. Ceinture de philosophe : Jaune au moins c) LES MAITRES-MOTS DE LA DISCUSSION PHILOSOPHIQUE Au niveau de la société et heureusement pour chacun d'entre nous (sinon on serait en permanence en train de se demander ce qu'on doit faire), Pierre Bourdieu a identifié le concept d'habitus qu'il définit de la sorte : « Système de dispositions durables et transposables, structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante, c'est à dire en tant que principe générateur et organisateur de pratiques et de représentations. » L'habitus est issu de l'histoire de notre groupe d'appartenance (la société à laquelle on appartient, le clan où l'on vit, la famille) et de notre propre vécu personnel. Il se crée avec l'expérience, nous permet de dépasser des questions primaires et d'atteindre directement ce qui peut faire l'objet de découvertes et d'apprentissages. Dans une classe coopérative, lorsque commence le conseil, le président, qu'il soit enfant ou adulte, guide ses interventions au travers de maîtres-mots. Un maître-mot a pour fonction, tout comme l'habitus de Bourdieu mais réduit à un contexte bien moins étendu, de permettre aux personnes à qui il est destiné (les membres du conseil mais aussi ses responsables) de produire plus rapidement, d'entrer directement dans la problématique à aborder et ainsi de passer sur toutes les questions d'organisation que nécessite le débat. Un maître- mot est un guide du discours qui a toujours fait l'objet d'une présentation lors de sa première utilisation. Ainsi, lorsque le président prononce « le conseil est ouvert », cela signifie bien sûr que cette réunion va débuter mais aussi qu'il faut se mettre en cercle, que l'on doit respecter la parole de l'autre, que c'est à partir de maintenant que certains éléments vont être abordés, etc. Lorsque le président du « Quoi de Neuf ? » lance « Xavier, gêneur ! », cela signifie que ce dernier ne respecte pas une règle du QDN mais aussi qu'il s'agit d'un avertissement et que s'il continue ou recommence, il sera exclu. On peut résumer tout ceci en disant qu'un maître-mot est un raccourci facilitateur des échanges. Il permet en un minimum de temps et d'énergie de gérer un groupe en situation de coopération. Connu de tous, il peut être utilisé par tous, à condition bien sûr que ce soit une des prérogatives des utilisateurs. La seconde fonction du maître-mot, c'est que, rattaché aux autres, il permet de préciser un déroulement de séance. Grâce à lui, le président ou l'animateur passe d'étape en étape, défile le déroulé de la réunion, sans avoir à rappeler ce dont il va être question. Les maîtres-mots permettent donc de penser un déroulement de réunion qui soit à la fois efficace et efficient : il est possible de tout aborder et de le faire grâce à une certaine logique. Lorsqu'on s'interroge sur un rapprochement entre la discussion philosophique et les pratiques de l'institutionnel en classe, on sait déjà que les élèves maîtrisent cet outil des maîtres-mots. C'est depuis ce point de départ que nous nous sommes interrogés sur le bien fondé puis l'élaboration de maîtres mots qui puissent être utilisés par un président et un animateur de DP, afin que cette dernière en soit soutenue. Pour cela, nous avons été bien aidés par les travaux réalisés par Gérard AUGUET dans son mémoire de D.E.A de Sciences de l'Education intitulé : « Approche linguistique de la philosophie pour enfant ». Son hypothèse de départ est qu'il existe, dans les discussions philosophiques, une textualisation du discours, c'est à dire l'élaboration « d'un énoncé collectif manifestant une structuration interne orientée vers une fin, et des attitudes énonciatives conformes à un genre socialement validé . » Ainsi, tout comme dans les conseils et les QDN, il existe « naturellement » dans les discussions philosophiques des « maîtres-mots sauvages » utilisés à bon escient par l'animateur, qu'il soit enfant ou adulte. Ce serait donc le genre du débat qui créerait ces passages obligés. Dans son étude, Gérard AUGUET a repéré deux types de textualisation. Il identifie d'une part ce qui concerne les mots utilisés, les formes de phrases récurrentes, et, d'autre part, une certaine logique de déroulement de la discussion. Cette logique lui fait dire qu'il existe une série de déterminants pour que la discussion se passe mieux, pour que la parole de chacun soit davantage encouragée, etc. Il a donc ainsi identifié les principales phases d'une discussion philosophique et a élaboré une liste de « conseils » pour que son animation en permette l'essence. C'est donc à partir de ces travaux que nous proposons de créer la fiche des maîtres-mots du président de DP et celle de l'animateur (Cf. liste des responsabilités de la DP). Nous reprendrons chacune des conclusions auxquelles il est arrivé et nous tenterons de formuler des maîtres-mots qui correspondent au mieux à la DP. Avant de présenter ce travail, nous pouvons avancer que la rédaction d'un maître-mot est un choix et donc, de ce fait, n'englobe pas toutes les richesses possibles. Les séquences phatiques « Toute interaction verbale suppose une activité initiale de mise en place d'une séquence phatique d'ouverture plus ou moins ritualisée selon la situation de communication, ainsi que d'une séquence de clôture. » Séquence phatique d'ouverture 1 – Le locuteur est celui qui est chargé d'animer le débat : Maître, maîtresse, animateur, animatrice, enfant ou adulte. 2 – L'acte de langage qu'il produit est un acte à visée illocutoire qui, même s'il prend la forme d'une tournure interrogative, est de l'ordre de l'injonction à dire. 3 – Dans l'énoncé est sémantiquement manifestée l'ouverture du débat. 4 – L'énoncé légitime chaque participant comme acteur potentiel du débat. 5 – L'énoncé se clôt par un acte d'attribution de parole qui valide le premier locuteur comme intervenant légitime. 6 – L'énoncé comprend une annonce du thème. 7 - L'énoncé comprend une annonce ou un rappel des règles et des procédures de discussion. Maître-mot du président : « La discussion philosophique est ouverte. Les deux journalistes devront écrire un article pour le journal qui explique ce qui a été dit pendant la discussion. Les deux reformulateurs doivent pouvoir répéter ce qui vient d'être dit par un participant. Le synthétiseur doit résumer ce qui a été dit en séparant les idées. Qui veut être Journaliste ? Reformulateur ? Synthétiseur ? On demande la parole en levant la main. Les gêneurs trois fois seront exclus de la discussion. » Maître-mot de l'animateur : « Le thème de la discussion d'aujourd'hui est : … » L'animateur énonce le thème. « Qui veut prendre la parole ? » Séquence phatique de clôture 1 – Celui qui énonce la clôture est celui qui est en charge du débat. 2 – Elle peut prendre la forme d'un résumé qui synthétise tout ce qui a été dit en rappelant la démarche suivie. 3 – Elle peut prendre la forme d'un renvoi aux élèves de ce que l'animateur a entendu, de façon subjective. 4 – Elle peut comporter une offre ultime de parole. 5 – Elle peut comporter la marque explicite de la clôture définitive sous la forme d'un énoncé performatif. Maîtres-mots du président : « Il reste 5 minutes. On passe à la dernière intervention. » Après l'intervention du synthétiseur : « Qui sera animateur la prochaine fois ? Qui sera le président ? La discussion philosophique est terminée. Prise de température de l'animation… Prise de température de la présidence… » Maîtres-mots de l'animateur : 5 minutes avant la fin : « Qui veut dire une dernière chose ? » L'animateur donne la parole une seule fois à ceux qui lèvent la main. « Synthétiseur, tu as la parole. » Les microséquences d'ouverture et de clôture ou séquences transitionnelles Ces microséquences interviennent lorsqu'apparaît un thème second, plus ou moins lié au thème principal du débat. 1 – Un engagement implicite de l'animateur marqué par un emploi de la première personne avec renforcement éventuel par thématisation du sujet. 2 – L'usage de modalisateurs, qu'ils soient sémantiques « j'aimerais », temporels, « je voudrais » (usage du conditionnel), ou adverbiaux « bien », qui ont pour fonction de maintenir l'échange dans le cadre d'une légale dignité qui n'exclut pas la dissymétrie des rôles. 3 – L'introduction du thème sous forme d'une mise en projet, « je voudrais qu'on revienne », d'une question, ou d'un ordre. 4 – L'apport éventuel d'informations ou la proposition de pistes de recherche. 5 – Une annonce des procédures qui seront suivies si elles diffèrent des précédentes et, si cela s'avère nécessaire, un rappel de celles-ci. 6 – Une explicitation de la règle de progression, s'il le faut, afin d'assurer la progression du débat. Maître-mot de l'animateur : Quand un participant parle de quelque chose qui n'est pas vraiment dans le sujet : « Je voudrais qu'on revienne au sujet » L'animateur répète le sujet. Les ruptures illégitimes 1 – Les ruptures illégitimes sont toujours le fait de l'élève participant. 2 – Elles peuvent être une rupture thématique franche par introduction d'un thème allogène, menaçant alors le principe de répétition qui contribue à la cohésion d'un discours collectif. 3 – Elles peuvent consister en une confusion entre concepts proches qui va menacer de remettre en cause les finalités du débat. 4 – Elles peuvent aussi être de l'ordre d'une rupture fonctionnelle qui met en péril la fonction même de la séquence d'échange. 5 – Elles peuvent enfin être une rupture régressive par réitération d'un énoncé antérieur, venant de la sorte mettre en cause le principe de progression du discours collectif. 6 – La gestion de ces ruptures conduit souvent l'animateur à réactualiser une séquence transitionnelle destinée à recentrer le débat sur le plan thématique et/ou fonctionnel. Maîtres-mots de l'animateur : Quand un participant ne parle pas du sujet : « On ne parle pas de ça. On parle de … » L'animateur répète le thème et donne la parole à quelqu'un d'autre. Quand un participant ne répond pas à la consigne : « Tu n'as pas écouté. La consigne était … » L'animateur répète la consigne et donne la parole à quelqu'un d'autre. Quand un participant répète quelque chose de déjà dit : « Déjà dit, on passe. » L'animateur donne la parole à quelqu'un d'autre. Maîtres-mots du président : Quand un participant gêne les autres ou la discussion : « Untel, gêneur une fois ! » « Untel, gêneur deux fois ! » « Untel, tu es exclu de la discussion ! » Le président demande à l'exclu de quitter le cercle des participants. Les ruptures légitimes 1 – Une rupture légitime est toujours une rupture légitimée par l'animateur sous la forme d'une intervention qui contribue à la valider. 2 – Elle peut être une rupture thématique, mais pour qu'elle soit validée, il est nécessaire qu'elle introduise un thème nouveau pouvant faire lien avec celui qui est l'objet de la séquence. 3 – Elle peut être une rupture fonctionnelle, mais pour être reçue, elle doit être argumentée, justifiée. 4 – Elle peut être une rupture régressive, mais pour être reçue, elle ne doit pas rompre la cohésion du discours. Maîtres-mots de l'animateur : Lorsque qu'un participant donne une nouvelle idée : « Untel a donné une nouvelle idée, qui veut compléter ? » Quand un participant redit une idée mais qu'elle est intéressante : « C'est déjà dit mais c'est intéressant. Qui veut compléter ? » Quand un participant ne répond pas à une consigne mais donne une idée intéressante : « Ce n'est pas la consigne mais je te donnerai la parole après. » Les situations de rupture/continuité 1 – Elles sont cogérées par l'élève et l'animateur : c'est l'animateur qui valide et valorise l'apport nouveau. 2 – L'apport de l'élève est valorisé par des modalisations d'ordre sémantique, adverbial, adjectival ou intonatif notamment. 3 - La part essentielle de l'énoncé de l'élève est reprise par l'animateur, à l'identique ou sous une autre forme. 4 – A partir de l'apport de l'élève, l'animateur renvoie au groupe un questionnement. 5 – Dans le cas où l'élève n'a pas explicitement formulé l'élément nouveau qu'il cherche à introduire, l'animateur, par des demandes d'explication, l'aide à l'énoncer. Maîtres-mots de l'animateur : Lorsqu'un participant donne un très bonne idée : « C'est une très bonne idée, est-ce qu'un reformulateur peut la répéter ? » « Qui veut dire quelque chose ? » Lorsqu'un participant n'explique pas bien son idée : « C'est une très bonne idée, est-ce qu'un reformulateur peut la répéter ? » Les reprises Une reprise participe à la construction de la cohésion du discours collectif. 1 – Il importe que l'élément repris le soit sous une forme explicite ou soit par la suite explicité dans l'énoncé de façon à réduire la part de coopération interprétative des interlocuteurs. 2 – Il importe que cet élément soit explicitement ancré dans la situation d'énonciation afin qu'il puisse être localisé sans trop de peine par les interlocuteurs. 3 – Il peut être utile d'utiliser des anaphores conceptuelles qui identifient l'acte de parole référent. 4 – Il peut être utile de procéder à des modalisations qui valident ou non l'élément référent : dire si ce qui est avancé est conforme ou pas. 5 – Une reprise élaborée prototypique pourrait se structurer de la sorte : désignation explicite ou explicitée du locuteur, reformulation totale ou partielle de son propos, ancrage dans le temps, évaluation et introduction d'un nouveau propos. Maîtres-mots du reformulateur : 1 - « Si j'ai bien compris, untel a dit ça : » Il répète avec ses mots ce qu'il a entendu et compris. 2 – « Tu as dit ça quand on parlait de … » 3 - « Je trouve que c'est … » intéressant ou pas intéressant « parce que … » Les progressions 1 – L'animateur peut user des moyens linguistiques les plus divers pour inciter à la prise de parole, pouvant aller jusqu'à une pause, donc au silence. Aucun de ces moyens, à l'exception d'énoncés sémantiquement explicites, n'est en soi identifiable comme un marqueur sûr ; il ne prend sa valeur qu'en contexte. 2 – On peut cependant distinguer les énoncés adressés à un locuteur particulier et ceux adressés au groupe ; on peut aussi mesurer le degré de contrainte dont est porteuse la formulation adoptée. Enfin, on peut porter une appréciation sur le degré d'autonomie accordé à l'interlocuteur. 3 – L'animateur se doit de vérifier la compréhension des énoncés produits, de la faciliter ou de la coconstruire, en veillant particulièrement à la levée des malentendus d'ordre lexico – sémantique et à ceux qui relèvent de la production d'un énoncé obscur, ambigu, incomplet ou porteur de trop d'implicite. 4 – La construction d'une référence encyclopédique commune participe à cette activité de facilitation. 5 – L'animateur peut contribuer à la progression du débat par des activités de recherche de définition, d'appel à l'expérience (exemplification) et en aidant à cerner plus finement certaines notions, notamment en favorisant la recherche d'attributs communs ou spécifiques, en aidant à définir le domaine de validité d'un concept, toujours en valorisant les apports antérieurs du groupe. 6 – L'animateur, lorsqu'un échange s'enlise, doit intervenir sous la forme d'une relance qui organise une rupture (questionnement nouveau) ; il peut, lorsque l'échange n'a pas encore produit toute sa richesse potentielle, opérer des relances sous forme d'encouragements. Maîtres-mots de l'animateur : Lorsqu'il pense que ce qui a été dit n'a pas été compris par tout le monde. : « Qui n'a pas compris ce que vient de dire Untel ? » Il peut donner la parole au reformulateur. Lorsqu'un nouveau mot est utilisé : « Qui veut expliquer ce que veut dire ce mot ? » Quand plusieurs participants ont donné une définition : « Bon, quelle définition on donne à ce mot ? » Il peut donner la parole au synthétiseur. Quand il y a trop d'idées et pas d'exemple : « Qui veut donner un exemple ? » Quand personne ne parle : « Je vous rappelle le sujet …, qui a quelque chose à dire ? » Il remercie celui qui parle en premier. La coconstruction d'un discours cohérent L'animateur, pour aider à passer d'une opinion à sa problématisation pourrait donc mettre en question une affirmation : 1 – en évoquant un contre exemple fourni par un participant ; 2 – en introduisant un exemple problématique ; 3 – en confrontant des arguments contradictoires apportés par les participants ; 4 – en formulant lui-même une objection ; 5 – en organisant la confrontation avec un savoir antérieur ; 6 – en demandant une prise de position franche ; 7 – en confrontant les participants à une alternative ; 8 – en les confrontant aux conséquences de leurs opinions ; 9 – en leur demandant de mettre au jour les présupposés qui sous-tendent leur opinion. Pour faciliter le processus de problématisation : 1 – inciter à fournir exemples et contre-exemples ; 2 – aider à formuler un concept à partir d'un ou plusieurs exemples ; 3 – dresser régulièrement une liste des attributs dégagés ; 4 – inciter à énoncer de nouveaux attributs ; 5 – inciter à opérer une discrimination fine entre deux concepts ; 6 – recourir à des définitions ; 7 – dresser un bilan au terme du débat. Maîtres-mots de l'animateur : Quand un participant ne réfléchit pas assez, l'animateur peut donner son avis, donner un exemple contraire à ce qui est dit, répéter l'idée de quelqu'un d'autre, demander de choisir entre deux idées différentes, demander pourquoi il dit ça, demander de définir un mot utilisé. FICHE DES MAITRES-MOTS POUR LA PRESIDENCE D'UNE DISCUSSION PHILOSOPHIQUE Début de la discussion ? « La discussion philosophique est ouverte. Les deux journalistes devront écrire un article pour le journal qui explique ce qui a été dit pendant la discussion. Les deux reformulateurs doivent pouvoir répéter ce qui vient d'être dit par un participant. Le synthétiseur doit résumer ce qui a été dit en séparant les idées. Qui veut être journaliste ? Qui veut être reformulateur ? Qui veut être synthétiseur ? On demande la parole en levant la main. Les gêneurs trois fois seront exclus de la discussion. » 5 minutes avant la fin ? « Il reste 5 minutes. On passe à la dernière intervention. » Fin de la discussion ? Après l'intervention du synthétiseur : « Qui sera animateur la prochaine fois ? Qui sera le président ? La discussion philosophique est terminée. Prise de température de l'animation… Prise de température de la présidence… » Les gêneurs ? Quand un participant gêne les autres ou la discussion : « Untel, gêneur une fois ! » « Untel, gêneur deux fois ! » « Untel, tu es exclu de la discussion ! » Le président demande à l'exclu de quitter le cercle des participants. FICHE DES MAITRES-MOTS DES REFORMULATEURS Quand l'animateur donne la parole ? 1 - « Si j'ai bien compris, untel a dit ça : » Il répète avec ses mots ce qu'il a entendu et compris. 2 – « Tu as dit ça quand on parlait de … » 3 - « Je trouve que c'est … » intéressant ou pas intéressant « parce que … » FICHE DES MAITRES-MOTS POUR L'ANIMATION D'UNE DISCUSSION PHILOSOPHIQUE Début de la discussion ? « Le thème de la discussion d'aujourd'hui est … » L'animateur énonce le thème. « Qui veut prendre la parole ? » Un participant parle de quelque chose qui n'est pas vraiment dans le sujet ? « Je voudrais qu'on revienne au sujet » L'animateur répète le sujet. Un participant ne parle pas du sujet ? « On ne parle pas de ça. On parle de … » L'animateur répète le thème et donne la parole à quelqu'un d'autre. Un participant ne répond pas à la consigne ? « Tu n'as pas écouté. La consigne était … » L'animateur répète la consigne et donne la parole à quelqu'un d'autre. Un participant répète quelque chose de déjà dit ? « Déjà dit, on passe. » L'animateur donne la parole à quelqu'un d'autre. Un participant donne une nouvelle idée ? « Untel a donné une nouvelle idée, qui veut compléter ? » Un participant redit une idée mais elle est intéressante ? « C'est déjà dit mais c'est intéressant. Qui veut compléter ? » Un participant ne répond pas à une consigne mais donne une idée intéressante ? « Ce n'est pas la consigne mais je te donnerai la parole après. » Un participant donne une très bonne idée ? « C'est une très bonne idée, est-ce qu'un reformulateur peut la répéter ? » « Qui veut dire quelque chose ? » Un participant n'explique pas bien son idée ? « C'est une très bonne idée, est-ce qu'un reformulateur peut la répéter ? » Beaucoup n'ont pas compris ? « Qui n'a pas compris ce que vient de dire Untel ? » Il peut donner la parole au reformulateur. Un nouveau mot est utilisé ? « Qui veut expliquer ce que veut dire ce mot ? » Plusieurs participants ont donné une définition ? « Bon, quelle définition on donne à ce mot ? » Il peut donner la parole au synthétiseur. Il y a trop d'idées et pas d'exemple ? « Qui veut donner un exemple ? » Personne ne parle ? « Je vous rappelle le sujet …, qui a quelque chose à dire ? » Il remercie celui qui parle en premier. Un participant ne réfléchit pas assez ? L'animateur peut donner son avis, donner un exemple contraire à ce qui est dit, répéter l'idée de quelqu'un d'autre, demander de choisir entre deux idées différentes, demander pourquoi il dit ça, demander de définir un mot utilisé. 5 minutes avant la fin ? « Qui veut dire une dernière chose ? » L'animateur donne la parole une seule fois à ceux qui lèvent la main. « Synthétiseur, tu as la parole. » Ouvertures … Au terme de cette rédaction de maîtres-mots, travail voué à l'inachèvement, quelques interrogations en ressortent. La plupart sont issues d'une correspondance avec Gérard AUGUET, lecteur avisé de cette proposition. L'usage des maîtres-mots serait-il pertinent dans le cas où des enfants éprouveraient des difficultés à décoder la situation d'interlocution ? Avec ces maîtres-mots, le fonctionnement du débat ne risque-t-il pas de primer au regard de la construction des compétences relatives entre autres aux exigences intellectuelles que requiert la philosophie ? Avec la référence de tels outils ritualisants, que devient alors l'objectif socialisant de la discussion philosophique ? Vers une pédagogie du « En gros … » « Au lieu de célébrer ici l'intuition, l'empathie et, bien sûr, le maître exceptionnel, nous signalons une possibilité d'entraînement : chaque fois qu'un enfant présente publiquement un texte libre, le président de séance (ou à défaut le maître), réagit par quelques mots. Une voix fait signe : « je t'ai entendu, tu n'es pas seul. » Seuls les textes de provocation, laissés sans réponse, tombent à plat. Quelqu'un a fait signe. L'hémorragie est stoppée. » Voici ce que disaient sur la question les « ouvreurs » en PI : les frères OURY et C. POCHET dans « Miloud ». « La classe coopérative, même si elle en réduit l'importance, ne supprimera jamais la relation directe enfant-adulte (et c'est fort heureux). » C'est dans cet esprit que se trouvent les réponses qu'ils apportent aux questions soulevées. Le maître-mot existe « en gros » pour manifester la reconnaissance de l'existence, pour prouver à l'élève qu'il n'est pas seul et qu'il est entendu dans son être par un tiers, enfant ou adulte. De plus, dans une classe coopérative voir institutionnalisée, les maîtres-mots sont une institution. Donc, ils n'opèrent pas uniquement lors des DP mais pendant des conseils, des QDN, des bilans météos et dans bien d'autres lieux où la parole est un support. L'un des piliers de notre recherche, qui consiste à valider l'idée que la DP fonctionne de manière plus optimale dans un système coopératif, est justement que ce qui en constitue le dispositif ne se retrouve pas isolé dans un ensemble étranger. Le maître-mot existe aussi pour proposer un chemin balisé au groupe constitué par l'ensemble des élèves, au sens systémique, c'est à dire considéré comme collection de ses individus et de toutes les relations qu'ils engagent potentiellement ou de fait. Donc, le maître-mot est socialisant. Pourtant, cette affirmation ne se veut pas triviale. : c'est plutôt ce que le maître-mot provoque qui devient socialisant. On pourrait dire qu'il s'agit d'une sorte de tremplin, d'un élan donné aux élèves qui en ont le plus besoin pour oser s'engager, oser tenter de se montrer et d'exister autrement que par la représentation qui, souvent, est le seul modèle proposé. Et ceci pour deux raisons. La première concerne les élèves qui entendent les maîtres-mots. Les répétitions qui créent de l'habitude conduisent chacun faisant partie de la « communauté » à passer directement au niveau supérieur, c'est à dire à des questions qui ne sont justement plus de l'ordre de l'adaptation à ce qui a causé l'énoncé du maître-mot. Lorsqu'un élève s'entend dire (ou même entend dire à un voisin) « Est-ce que c'est dans le sujet », il connaît l'esprit dans lequel cette question a été posée, sait par habitude ce qu'elle entend et sous-entend et de fait, en connaît le vrai sens (dans l'absolu bien sûr). Il peut donc dans ce cas là être convié à prévoir une nouvelle intervention qui, cette fois-ci, sera dans le sujet, ou à justifier sa prise de parole et alors donner de la valeur à sa pensée. Nous aurions pu utiliser comme lanceur de parole des objets matériels (par exemple le bâton de parole) mais nous avons préféré, justement pour préparer les élèves à l'échange vrai, nous référer à ce qu'ils utilisent naturellement : les mots. Voici donc une première situation où les engagements socialisants sont valorisés. La seconde raison qui fait du maître-mot un outil pour la promotion des échanges concerne celui qui les utilise, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant. Avec la grille des maîtres-mots (par exemple celle que nous avons donnée), celui qui hésite à s'engager comme président ou animateur se voit proposer des repères pour le faire, un guide sur lequel il va pouvoir s'appuyer. L'existence de ce support représente donc une solide réponse aux appréhensions naturelles des enfants qui n'osent pas complètement agir en tant qu'individu dans leur groupe d'appartenance. Chaque fois qu'il est possible qu'un élève soit responsable d'une fonction occupée traditionnellement par l'adulte, nous pensons que l'adulte éducateur a tout à gagner à s'effacer. C'est un choix qui se discute mais qui a le mérite de reconnaître une certaine valeur aux enfants. Il est donc clair que le maître-mot n'est pas socialisant en soi et qu'il tend même à éloigner les enfants qui s'y réfèrent de la maîtrise de compétences relatives aux engagements dans le discours. Pourtant nous pensons au contraire que c'est, entre autres, grâce à lui, qu'une aide solide sera apportée à ceux qui désirent mais n'osent pas encore agir par eux-mêmes et présenter à d'autres le fruit d'une pensée personnelle. « Faire et en faisant se faire » disaient J. DEWEY et E. MOUNNIER. Encore faut-il qu'ils aient la force de faire… Le maître-mot se veut également un bouclier contre ce que ROSENTHAL a appelé « l'effet Pygmalion », les phénomènes inconscients de l'enseignant à dicter dans ses relations la polarisation (positive ou négative) des élèves qu'il a en face de lui. Un maître-mot est le même pour tous, un « Gêneur ! » à un « copain » est le même qu'à un bouc émissaire, un « Hors sujet » à un élève en réussite se présente pareillement à un élève en difficulté, tout du moins dans les formes verbales, et c'est déjà ça ! Marcel POSTIC a présenté de manière très claire tous ces phénomènes de transferts et contre transferts pour ne pas s'en inquiéter lorsqu'il s'agit de la recherche de l'équité dans l'éducation. Le maître-mot a enfin pour vertu de donner sens au « en tant que », c'est à dire à toutes les responsabilités pour lesquelles les enfants s'exercent pendant les moments de classe, lors de ces instants où ils ont revêtu une fonction particulière, celle de président de Quoi de Neuf ?, de secrétaire de conseil ou même d'animateur de DP. « En tant que … » signifie aux autres ce qu'il est, ce qu'il doit, ce qu'il peut et donc lui confère ce que certains nomment autorité, ce que nous considérons comme étant l'outil de base pour qu'un élève puisse être reconnu dans ce qu'il fait coopérativement. Dans « Miloud », les auteurs font référence aux travaux de LACAN sur la communication : c'est le schéma dit « en L » ou « S a a' A » . Il explique que lorsqu'on souhaite communiquer, on croit parler authentiquement à l'autre, on désire faire entendre une parole vraie. En général on se leurre parce qu'on se heurte au piège des images de soi et des autres, à l'inconscient, à l'imaginaire. Renvoyer à un enfant un maître-mot de la famille du « en tant que », c'est le situer ailleurs que dans l'imaginaire puisqu'il y a réduction des champs d'interprétation. « C'est faire référence à un statut, à la loi du lieu. C'est déjà se dégager du jeu du miroir » . Nous militons ici pour une pédagogie du « en gros » tout simplement parce qu'il s'agit d'une pédagogie et donc qu'elle s'adresse à de l'humain et pas à des machines ou à des systèmes. Tout comme serait une gageure de tenter d'annihiler les relations enfants-adultes, nous pensons qu'il en est une tout autre que de vouloir systématiser de manière étendue des dispositifs qui, au départ, se présentent sous une forme mécanique mais, en fait, ne sont qu'une proposition à modeler par chacun. Les maîtres-mots sont à utiliser « en gros » c'est à dire dans « l'esprit » mais à sa façon, « comme on le sent » et avec ce que l'on est, ce que sont les élèves et le groupe qu'ils constituent. Bien sûr, on pourrait revoir, approfondir, critiquer, interroger et refondre mille fois ce qui a été posé mais la perfection des outils n'est pas la visée première de nos pratiques. Il s'agit dans un premier temps de les comprendre et ensuite et surtout de se les approprier ; pour faire une métaphore, il s'agit de comprendre à quoi sert le marteau, de savoir qu'il s'emploie du côté du manche et non le contraire, mais ensuite chacun a mission de rechercher la distance au bout et la façon de viser qui lui conviennent le mieux. Agir « en gros » c'est tenir compte dans sa façon de faire des personnes que l'on a en face de nous et, nous semble-t-il, cette vertu n'est pas incohérente ni très éloignée des desseins de FREINET et OURY. d) UNE CEINTURE DE PHILOSOPHE Au tout début, parlons judo … Dans l'ancien Japon, le but de tout judoka était de devenir ceinture noire. Son entraînement consistait donc à consacrer tout le temps et tous les efforts nécessaires à cette fin. La culture japonaise de l'époque glorifiait les valeurs de travail et de persévérance, contexte social qui ne nécessitait pas la médiation d'étapes intermédiaires. « Le grand mérite du maître Mikonosuke Kawaishi, arrivé à Paris avant la Seconde Guerre mondiale, fut d'imaginer la matérialisation, à travers des ceintures de couleur, des progrès du judoka, susceptible de passer en vingt-quatre mois de la ceinture blanche du débutant à la ceinture marron, après avoir ceint sa veste renforcée (judogi ) de jaune, d'orange, de vert, de bleu, puis de marron. Alors lui reste à franchir l'étape décisive, celle qui le mènera jusqu'à la fameuse ceinture noire, laquelle n'est pas en elle-même un aboutissement puisqu'elle s'assortit de l'obtention éventuelle de degrés supplémentaires, les dans , susceptibles d'aller du premier jusqu'au rarissime dixième dan . » Sont de mauvais éducateurs ceux qui ne privilégient que « les élèves au niveau » et délaissent « le reste », ceux qui sont placés au fond afin qu'on soit éloignés de leurs cris de détresse. Sont tout autant de mauvais éducateurs ceux qui ne s'intéressent qu'aux enfants en difficulté et qui ne permettent pas aux autres d'apprendre, même si, disent ils, ils peuvent « s'apprendre tout seuls ». A partir de ces deux constats, la pédagogique apparaît donc comme la recherche d'un subtil équilibre entre ces deux préoccupations et la mission du pédagogue est autre que de faire « exploser » une partie des élèves dont il a la responsabilité : il s'agit pour lui de permettre aux faibles, aux moyens et aux forts de poursuivre de leur chemin, de grandir chacun à son rythme et à sa façon. Sa mission est alors d'élaborer des stratégies pédagogiques qui lui permettent de répondre aux attentes de tous, de différencier ses enseignements bien sûr dans les niveaux mais aussi dans les profils d'apprentissages. L'esprit des ceintures … En pédagogie institutionnelle et en référence au judo, les praticiens ont recours à une institution que l'on nomme « ceinture ». Le but de cette recherche n'est pas bien sûr d'entraîner les enfants à « se défendre tout seuls » mais bien, au moins au travers de la ceinture de philosophe, d'arriver à ce « qu'ils pensent par eux-mêmes. » Les ceintures sont un outil, nous pourrions aussi dire un artifice, pensé dans un esprit éducatif et pour des visées pédagogiques précises, c'est à dire au service des enfants, ceci afin que chacun : 1 - connaisse parfaitement son niveau de maîtrise dans le domaine de la ceinture concernée en vue d'une autoévaluation ; 2 - détermine avec précision quels efforts et quel travail il doit fournir pour « grandir », c'est à dire obtenir une ceinture supérieure (on dit « plus foncée ») – connaître ce qu'on attend de lui ; 3 - lorsqu'il se reconnaît trop de difficultés face à un problème qu'il doit résoudre, s'appuie sur les compétences de ses pairs matérialisées par des punaises de couleurs affichées sur un tableau de ceintures. 4 - propose son aide aux enfants qui ont une ceinture « plus claire » et ainsi les incite à grandir. L'institution ceinture se présente alors comme au service des usagers (les élèves, les stagiaires, les apprenants, etc.) mais n'est pas une fin en soi. Cet outil pédagogique reste symbolique, comparable à une métaphore en littérature : la ceinture véhicule des intérêts mais en même temps des limites qui peuvent être tout autant mises en avant. C'est pourquoi, il importe à tout éducateur qui s'y réfère de douter de la légitimité de l'outil et surtout du contexte dans lequel il souhaite le mettre en place. Les limites du symbole ceinture Ainsi, la réalisation des visées présentées ci-dessus n'est possible que lorsqu'une série de pré-requis déontologiques est respectée : ? Une ceinture obtenue ne peut plus être retirée : ce n'est pas une « carotte », l'élève n'est pas un « mulet » et les éventuelles régressions ne sont que momentanées. ? Etre « vert » ne doit pas signifier que l'on est « plus fort que les oranges » : l'attribution d'une ceinture n'implique pas une augmentation des pouvoirs dans la classe ni une diminution de celui des autres mais simplement un niveau de maîtrise supérieur dans le domaine concerné (ce qui ne veut pas dire que ce niveau et cette progression soient de la même nature dans les autres domaines) ; ? La quête des ceintures est une affaire de défi face à soi-même et non pas de compétition dans le groupe classe. L'émulation entretenue par une volonté partagée de devenir « vert » ou « bleu » ne signifie en aucun cas une dévalorisation des « blancs » et des « jaunes ». Au contraire, chacun doit avoir le droit à l'école de travailler à partir de ce qu'il est, ne comptant uniquement les efforts qu'il fournit et les évolutions qui en découlent. Ainsi, un « vert » est attiré par les « bleus » mais se doit de tendre la main aux « oranges ». ? La décomposition en échelons proposée par le tableau des ceintures est davantage une indication qu'une ordonnance. Il serait très risqué de conférer aux critères d'obtention des ceintures une vertu logico-mathématique qui consisterait à les attribuer qu'à la condition exclusive de la parfaite maîtrise de toutes les compétences demandées. Sont ici pointées du doigt les dérives du comportementalisme : ce n'est pas uniquement parce qu'on sait passer les vitesses et tourner le volant qu'on sait conduire une voiture. C'est pourquoi, l'éducateur s'appuyant sur le symbole des ceintures doit conserver à l'esprit sa fonction première : permettre aux apprenants d'exister et ainsi ne pas être freiné dans leurs apprentissages par la lourdeur technocratique d'un dispositif pédagogique. Il n'est donc pas malhabile d'attribuer les ceintures « en gros », c'est à dire à partir d'un niveau de maîtrise global évalué en fonction des critères énoncés dans les tableaux. Ces critères gagneraient d'ailleurs à être appelés des indicateurs puisqu'il s'agit moins ici de « critérier » que d'indiquer. On le sait, l'évolution humaine n'est pas la résultante d'une fonction linéaire et prétendre le contraire au travers d'outils pédagogiques entraînerait la présence de parasites à l'acte d'apprendre. C'est pourquoi un « bleu » qui bloque sur un indicateur n'est plus un « vert ». Alors tant pis pour l'indicateur, sachant que cet enfant aura toutes les chances de maîtriser la compétence qui y correspond en tentant celles qui lui sont supérieures. De plus, dans une classe coopérative et parce qu'il s'agit d'un lieu où les engagements variés sont suscités, les situations d'apprentissages ne manquent pas. Aussi, il est très fréquent qu'une compétence non atteinte au travers d'exercices d'entraînements puisse le devenir grâce à l'étude ultérieure de situations naturelles que rencontre la classe quotidiennement. Par exemple, ne pas arriver tout de suite à conceptualiser lors des discussions philosophiques peut s'activer au travers d'un « Quoi de Neuf ? » où des enfants demandent d'expliciter un terme employé, d'une étude de texte libre ou d'un conseil. Il s'agit ici d'une vision différenciée des apprentissages ; ce qu'un enfant n'a pu apprendre dans une situation pourra certainement être appris dans une autre. Si l'on souhaite que des élèves travaillent par eux-mêmes (ce qui ne veut pas dire travailler seul), il serait déplacé en tant que pédagogue de se contenter de les inviter à « travailler ». A cet âge et au regard d'un passé scolaire qui malheureusement a dû être moins soutien que soumission, comment des élèves arriveraient-ils ne serait-ce qu'à penser l'idée de « travail scolaire pour soi » ? Où trouveraient-ils l'expérience enseignant l'acceptation des contraintes liées à l'effort ? Dans quelle mesure pourraient-ils faire prévaloir le travail scolaire sur une relation de jeu possible dans les fonctionnements coopératifs ? Permettre l'autonomie des enfants est impossible si on les laisse uniquement face à eux- mêmes. Vouloir que des élèves apprennent consiste d'abord à ce que leur désir d'apprendre existe et ensuite à ce qu'il soit relayé par un certain nombre d'outils au service de ces apprentissages en barrière aux congres qui risquent d'altérer et de pervertir les volontés de départ. Le symbole « ceintures » existe pour répondre en partie à cette attente. Les enfants grandissent trois fois avec la discussion philosophique Dans la discussion philosophique, les enfants peuvent tenter de grandir dans trois domaines bien distincts. Le premier est relatif à tout ce qui concerne les manifestations dans le débat, c'est à dire le respect des autres, de leur parole et de leurs éventuelles fonctions (Président, Secrétaire, Reformulateur…) Ils y apprennent à demander la parole, à ne pas perturber celle des autres, à les écouter et à suivre les demandes formulées par les responsables de la discussion. Dans une classe coopérative, tout ce qui concerne ce champ de compétences comportementales est exploité à travers plusieurs situations différentes : conseil de classe, bilan météo, quoi de neuf, choix de texte, etc. Ici, les élèves ont pour référence la ceinture de comportement construite à partir d'indicateurs d'attitudes responsables dans la classe. Le deuxième domaine est relatif aux capacités langagières qui sont suscitées, exploitées et développées lors des discussions philosophique. Même si dans cette étude nous considérons qu'un enfant qui ne parle pas peut tout de même faire évoluer ses pensées, la plupart de ses camarades est amenée à participer par le biais de la parole et du discours. Ils s'exercent et apprennent à communiquer leurs idées, à optimiser les moyens qu'ils ont pour transmettre par la parole un avis personnel. Ces compétences sont guidées par la ceinture d'orateur. Le troisième et dernier domaine est quant à lui spécifique à la discussion philosophique : il regroupe les attitudes singulières : les facultés à penser par soi-même, à être l'initiateur d'idées personnelles même si elles ne sont pas originales. Cette étude consiste entre autres à penser qu'une « ceinture de philosophe » est une aide précieuse proposée aux enfants pour qu'ils entrent plus facilement dans le travail qui leur est présenté et pour que les évolutions en soient proportionnelles. Une ceinture de philosophe ? Impossible ! De même que toutes les autres ceintures, celle de philosophe véhicule des intérêts (les mêmes que ceux présentés plus haut) mais aussi des limites (également les mêmes que ci-dessus). Nous venons de le voir, elle se veut au service des apprentissages en matière de pensée réflexive et non pas en matière de comportements dans le débat. Elle consiste à ce que chacun pointe correctement son niveau de maîtrise dans l'émission de pensées philosophiques, connaisse son Evolution (ce qu'il est capable de devenir en fonction de ce qu'on attend de lui) et que tout ceci soit médiatisé dans le groupe classe pour qu'à son tour l'enfant soit un référent dans les apprentissages. Sans se vouloir une préoccupation première, la ceinture de philosophe est un outil au service de ceux qui en tireront profit de manière à ce qu'ils deviennent un peu plus grand en matière de débat philosophique. Pourtant, la tâche qui semblait évidente est loin de l'être et confère aux limites de l'institution ceinture un pouvoir de parasiter bien supérieur qu'ailleurs. En effet, pour la plupart des autres ceintures, on ne s'intéresse qu'à ce qui est visible, c'est à dire le comportement. Par exemple, la ceinture d'orateur guide les compétences en pratique orale de la langue. Un élève n'obtient sa ceinture que lorsqu'il a montré un certain nombre de comportements qui correspondent à la globalité des indicateurs posés : réciter des poésies, résumer une histoire écoutée en parlant, mener une interview, etc. Or la ceinture de philosophe s'intéresse aux attitudes, c'est à dire ce qui se passe à l'intérieur de la personne et qui n'est perceptible par un tiers qu'au travers des comportements. Dans l'absolu et pour connaître le réel niveau de chaque élève, il faudrait disposer d'un « philosomètre » : un outil capable de mesurer le degré de pensées réflexives ! Plaisanterie à part, le but de ce travail est complexe parce que le simple relevé des comportements ne suffit pas. Le silence d'un élève pendant une discussion philosophique ne prouve en rien sa passivité et peut-être même qu'il aura su apprendre plus que ceux qui ont pris plusieurs fois la parole ! Notre visée est pourtant de tenter autre chose que de renoncer à résoudre ce problème : l'outil ceinture peut permettre à des enfants d'apprendre plus rapidement et mieux, simplement parce qu'il aiguise les désirs. Cependant, nous saurons tout au long de la recherche que le travail terminal sera insuffisant parce que forcément incomplet et ne pouvant pas répondre à toute l'étendue des façons de penser des élèves. C'est une frustration que nous acceptons et dont les raisons ne seront pas oubliées. Le contexte de vie de la ceinture de philosophe Les indicateurs de la ceinture de philosophe ne peuvent donc s'appuyer que sur des comportements, c'est à dire les attitudes manifestées de l'élève pendant ou après la discussion philosophique. Pour répondre en partie à la problématique posée par la mesure des acquis, nous nous appuyons sur trois domaines : A - les prises de parole de l'enfant pendant la discussion philosophique, B - la fiche bilan de la discussion philosophique remplie par écrit par tous les enfants y ayant participé, C - les éventuelles réponses orales à cette fiche bilan pour ne pas freiner les tentatives des enfants encore bloqués par le passage à l'écrit. Voici les questions que nous avons choisi de poser aux enfants qui viennent de participer à une DP. C'est ce que nous appelons la fiche « Bilan de la discussion philosophique » : ? Quelle est ma ceinture de philosophe ? ? Que dois-je faire pour avoir la ceinture d'après ? ? Quel était le sujet du débat d'aujourd'hui ? ? Quels sont les mots que nous avons utilisés ? ? Que veulent dire ces mots ? ? Quelle(s) question(s) nous nous sommes posée(s) ? ? Qu'est-ce que j'ai répondu à cette (ces) question(s) ? ? Qu'ai-je dit pour donner cette réponse ? ? Qu'est-ce que j'ai appris pendant cette discussion ? Les questions 1 et 2 visent à recentrer l'enfant sur lui-même et à s'évaluer quant à son implication pendant la DP. L'envie de « grandir » lui donne l'énergie nécessaire pour répondre à ces questions. Les questions 3 et 9 permettent de déterminer si l'enfant est entré dans la discussion ou pas : il arrive en effet que pour diverses raisons (problèmes personnels divers, non attirance pour le sujet, parasites langagiers trop importants, etc.) certains soient présents physiquement mais absents dans l'attention. La réponse à ces questions distinguent les élèves de ce profil de ceux dont la présence et les apprentissages se sont déroulés autrement que par la parole. Les questions 4 et 5 concernent l'aspect conceptualisant de la DP. Les élèves sont amenés à utiliser voire apprendre des mots et des concepts, les réponses ici données permettent d'en savoir davantage. La question 6 conduit l'enfant à identifier ce qui a fait l'objet d'une problématisation dans la DP. Les questions 7 et 8 l'amènent à pointer les éléments de sa réflexion et de ce qu'il en a retenu concernant l'argumentation. Même si ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit d'écrire seul et d'éviter de traduire les phrases de son voisin, il importe peu que l'enfant exprime dans cette fiche bilan uniquement ce qui vient de lui, faute de quoi il serait plus opportun de proposer ce travail en amont de la DP. En conséquence, la consigne est passée aux enfants qu'ils peuvent retranscrire ce qui a été avancé par d'autres. De plus, au terme des séances de discussion, chaque participant bénéficie des remarques et des commentaires d'un observateur. Ce dernier s'est attaché à observer ce qu'il a fait pendant ce temps mais aussi ce qu'il a dit. Il est en mesure de l'interroger sur le sens des idées qu'il a avancées mais aussi sur le respect des exigences intellectuelles qui fondent l'acte philosophique. Sur quoi nous avons choisi de nous appuyer pour établir des niveaux de pensée … Plusieurs recherches concernant le développement de la pensée réflexive chez l'enfant nous ont permis d'appuyer théoriquement les choix faits pour établir des niveaux de développement. Des travaux sur cette question ont été réalisés dans le cadre de ce que l'on nomme la psychologie développementale. Celle-ci a été développée par Piaget, l'école néo-génevoise (Perret-Clermont, Doise, Mugny, Cagurati) et Vigotski. La principale recherche approfondie dans le domaine est celle menée par Lawrence Köhlberg qui fait suite aux travaux de Piaget sur les stades de développement du jugement moral. Ce dernier avait déjà constaté que le jugement moral de l'enfant évoluait en fonction de son âge . L Köhlberg présente trois niveaux et six stades du développement moral de l'individu humain . Cependant, cette étude nous est d'une faible utilité d'une part parce que le jugement moral n'est qu'une petite partie de tout ce que recouvre la pensée réflexive et d'autre part parce que les critères énoncés ne sont en rapport qu'avec la construction de la loi chez l'homme. En conséquence et en attente de références à un support théorique plus large, nous présentons le découpage des ceintures de philosophe autour de deux critères. Le premier concerne la centration sur soi, les autres ou l'humanité. Le second correspond à la maîtrise des exigences intellectuelles pour atteindre le philosopher. Les ceintures blanches à oranges (les plus petites) concernent des enfants qui, dans la discussion philosophique, sont centrés sur eux-mêmes. Les blancs sont des enfants qui entrent « timidement » dans quelques discussions mais qui font peu d'efforts pour y évoluer et donner d'eux-mêmes. Les jaunes sont des élèves agissant dans l'immédiateté : ils participent mais tiennent difficilement compte de ce qui précède et surtout de l'avis des autres, sauf pour réagir de manière impulsive. Le registre des interventions de ces enfants-là est de l'ordre de l'approbation (je suis d'accord, je ne suis pas d'accord) et de l'exemple de vie. Les ceintures oranges à bleues symbolisent des enfants qui considèrent l'Autre dans la discussion et qui aboutissent progressivement à la maîtrise des trois exigences intellectuelles : argumenter, conceptualiser et problématiser. Ils arrivent à se mettre au second plan et à écouter ou tenir compte des avis d'autrui. Un orange médiatise ses interventions en donnant des exemples sans encore arriver à conceptualiser ou à argumenter autrement. Un vert parvient à argumenter par l'intermédiaire de contre-exemples et ainsi poursuit une idée amenée par un autre participant. Les ceintures bleues à noires se préoccupent fortement de l'universalité de leurs propos et ainsi sont centrées sur le collectif et même les hommes en général (ce qui d'ailleurs est le propre du philosophe). Ce sont des personnes qui maîtrisent les exigences et s'y réfèrent régulièrement lors de leurs interventions orales et écrites. Un bleu utilise la raison dans son argumentation et considère plus l'objectif que le subjectif. Un marron est un enfant capable de synthétiser divers points de vues, c'est à dire dépasser les thèses présentées pour les recouper en un niveau supérieur. Enfin, une ceinture noire de philosophe colore ses pensées de certaines idées amenées par des philosophes ou philosophies extérieurs à son existence. En évoluant de la ceinture blanche à la noire, l'enfant commence par se détacher de lui même, poursuit en considérant l'autre dans ses pensées et termine en se préoccupant du genre humain dans son entité. En parallèle avec ceci, il parvient à susciter le doute, à rechercher le sens et à tenter de prouver par la raison les thèses qu'il avance. Grille des ceintures de philosophe Enoncé théorique des indicateurs BLANC ? Accepter de participer à quelques discussions philosophiques. ? Répéter une idée émise par quelqu'un d'autre. JAUNE ? Dire son accord ou son désaccord. ? Présenter son opinion. ? Rester dans le sujet. ? Ne pas toujours se laisser influencer par le dernier qui a parlé. ? Mettre en doute le point de vue d'autrui. ORANGE ? Donner des exemples. ? Faire des objections. ? Ne pas se contredire. ? Rebondir sur une idée. ? Tenir compte des arguments autres que les siens. ? Accepter de se poser des questions / Dépasser et mettre en doute ses croyances. VERT ? Réfuter des objections. ? Donner des contre-exemples pour prouver qu'une assertion énoncée n'en est pas une. ? Interroger la problématique avant de tenter d'y répondre. ? Argumenter par preuves et questionnements. ? Conceptualiser. ? Poursuivre une idée en complétant l'argumentation. ? Reformuler le point de vue d'une partie des participants. ? Reconnaître ses erreurs : ne pas caricaturer sa position. BLEU ? Rechercher l'avis de tous, ne pas penser qu'à soi. ? Entrer en conflit cognitif avec soi-même. ? Trouver la problématique – Identifier en quoi il y a question. ? Trouver ou proposer des thèmes de discussions philosophiques. ? Donner des arguments rationnels. ? Reformuler les différentes opinions émises. ? Tenir compte des précédentes discussions philosophiques. MARRON ? Construire des synthèses. ? Conceptualiser sans exemple. ? Rechercher les différents champs d'application de la question. NOIR ? Se référer à des idées qui ne sont pas siennes. ? Retourner un argument par un autre de même nature. ? Produire plusieurs types d'argumentation (efficacité, rentabilité, scientifique, éthique, etc.) Grille des ceintures de philosophe Enoncé pour enfants des indicateurs BLANC ? Participer à quelques discussions philosophiques. ? Répéter ce qui vient d'être dit par quelqu'un d'autre. JAUNE ? Dire quand on est d'accord ou pas d'accord. ? Dire ce qu'on pense de la question ou du sujet. ? Ne pas parler d'autre chose. ? Etre d'accord avec soi et pas avec le plus fort, le copain ou le dernier qui a parlé. ORANGE ? Donner des exemples. ? Quand on n'est pas d'accord, dire pourquoi. ? Ne pas dire le contraire de ce qu'on vient de dire. ? Continuer à expliquer l'idée d'un autre. ? Ne pas penser qu'on a toujours raison. ? Accepter de ne pas toujours être d'accord avec ce qu'on a appris ailleurs. VERT ? Si quelqu'un n'est pas d'accord avec toi, essayer de lui répondre. ? Si tu n'es pas d'accord avec une idée, donner des exemples. ? Se poser des questions avant de répondre à la question posée. ? Expliquer ce que tu penses en donnant des preuves ou en posant des questions. ? Expliquer ce que veulent dire les mots que tu utilises souvent. ? Expliquer avec d'autres idées ce qui a été dit par quelqu'un. ? Répéter avec ses mots ce que disent une personne ou un groupe. ? Accepter de dire : « Je me suis trompé ». BLEU ? Donner des avis que tout le monde puisse accepter. ? Trouver ce qui est vrai et ce qui est faux dans ce que je pense. ? Trouver la grande question qu'on se pose. ? Proposer des idées de discussion philosophique. ? Se forcer à donner des idées vraies. ? Répéter avec ses mots ce que les autres ont dit, même s'ils ne sont pas d'accord. ? Utiliser ce qui a été déjà dit pendant les anciennes discussions philosophiques. MARRON ? Trouver des idées pour que tout le monde ait un peu raison. ? Donner des définitions sans donner d'exemple. ? Chercher tous les lieux et toutes les personnes pour qui ce qu'on se dit peut être intéressant. NOIR ? Connaître et utiliser ce que d'autres ont dit sur la question qu'on se pose. ? Répondre à quelqu'un en utilisant une idée qui ressemble à ce qu'il a dit. ? Donner plusieurs arguments différents. Attribution des ceintures de philosophe Etre titulaire d'une ceinture signifie qu'on ne peut la perdre en aucun cas, c'est son principe de fonctionnement. Pourtant, chacun a la possibilité d'en changer, de devenir titulaire d'une ceinture plus grande, d'évoluer. Lorsque les critères d'obtention d'une ceinture sont observables, les passations se simplifient. Il suffit que le candidat manifeste sa volonté de l'obtenir, il est alors mis en condition d'examen et le degré de réussite aux épreuves devient la sanction. En ce qui concerne la ceinture de philosophe, les déterminants diffèrent. Les critères ne sont pas observables parce qu'ils correspondent pour la plupart à des opérations mentales. Certes, leurs formulations s'appuient sur des éléments du discours émis mais il demeure impossible (ou alors très fastidieux) à quiconque d'en repérer systématiquement les manifestations. C'est pourquoi on se trouve toujours confronté à de la subjectivité lorsqu'on souhaite faire évoluer un élève dans sa ceinture de philosophe. Nous avons remarqué précédemment qu'ontologiquement une ceinture est moins mathématique que symbolique. Les processus d'attribution des ceintures de philosophe peuvent être multiples, l'idéal serait que chacun utilise celui qui convient le mieux à sa personnalité d'éducateur. A titre d'exemple, nous vous livrons celle que nous avons retenue. En début d'année, et après quelques séances de discussions philosophiques, la ceinture noire de la classe attribue à chaque élève une ceinture de départ qui correspond à son premier niveau. Par la suite, avant la discussion, les enfants souhaitant modifier leur ceinture en font part à l'adulte qui en prend note. Au terme du débat, et après que chacun ait rendu sa fiche bilan, la ceinture noire de la classe accorde ou refuse la demande d'accès et en explique les raisons (« Tu as trop donné d'exemples », « Essaye de définir les mots que tu utilises », « J'ai bien entendu ta volonté de mettre en doute tes propres arguments », etc.) S'il s'agit d'un refus, l'enfant repart avec des conseils pour réussir ultérieurement. Dans le cas d'une réussite, l'attribution est d'abord « à l'essai » et ne devient officielle qu'après la séance suivante. Cette précaution évite les grosses erreurs et les tentations de début d'année de paraître plutôt que d'être. e) LES THEMES DE LA DISCUSSION Si l'on entend la philosophie comme étant une « interrogation sur les principes, le sens et les valeurs qui fondent le rapport de l'homme au monde », on comprend aisément que s'interroger philosophiquement équivaut à se poser toutes sortes de questions. A contrario, ne s'en poser que d'un seul type peut-il être considéré comme du philosopher ? De notre point de vue, nous répondons par la négative à cette interrogation par souci d'optimiser cette « éducation par la philosophie » que nous tentons de susciter. Notre finalité d'éducateur est plus de favoriser la globalité que de développer un particularisme fécond. Il existe différents types de questions, et nous pensons intéressant de permettre aux enfants d'entrer dans toute cette diversité. Ainsi, comme Neil Turnbull , nous considérons qu'il existe quatre types de questions philosophiques et donc quatre types principaux de philosophes ? Les questions métaphysiques recherchent ce que sont et ce qui fait les choses. ? Les questions épistémologiques essaient d'expliquer comment on connaît ce qui existe. ? Les questions éthiques nous interrogent sur la façon dont on conduit notre propre vie. ? Les questions politiques recherchent les façons dont une société humaine devrait être organisée. QUESTIONS METAPHYSIQUES QUESTIONS ETHIQUES ? Pourquoi les enfants sont-ils pressés de grandir ? ? Qui est Dieu ? ? Est-ce que tout le monde est pareil ? ? Est-ce que j'existe ? ? Les animaux pensent-ils ? ? Qu'est-ce qu'un adulte ? ? Que se passe-t-il après la mort ? ? C'est quoi être vieux ? ? Pourquoi le Monde existe-t-il ? ? Ma religion est-elle meilleure que la tienne ? ? … ? Pourquoi ne doit-on pas être violent ? ? Que veut dire « être libre » ? ? A-t-on le droit de tout faire ? ? Qu'est-ce qu'être content ? ? Qu'est-ce qu'un ami ? ? Comment grandit-on ? ? Doit-on respecter ce que dit l'autre ? ? Comment choisir entre travail et jeu ? ? Doit-on toujours dire la vérité ? ? Qu'est ce que la méchanceté ? ? Qu'est-ce qu'un raciste ? ? … QUESTIONS EPISTEMOLOGIQUES QUESTIONS POLITIQUES ? Qu'est-ce qu'avoir raison ? ? Que veut dire « être bête » ? ? Qu'est-ce que le temps ? ? Qu'est-ce qui est beau ? ? Comment savoir qu'on ne rêve pas ? ? A quoi sert l'Histoire ? ? Qu'est-ce qui est vrai ? ? Qu'est-ce que la science ? ? Pourquoi faire de la philosophie ? ? … ? Pourquoi aider les pauvres ? ? Peut-on vivre seul ? ? A quoi devrait servir l'école ? ? A quoi devrait servir la famille ? ? Peut-on vivre sans police ? ? Comment faire des lois justes ? ? Les plus forts ont ils toujours raison ? ? Qu'est-ce qu'un étranger ? ? A quoi sert l'argent ? ? Quand peut-on faire une guerre ? ? … Remarquons en commentaire de cette liste que certains thèmes qui appartiennent à une catégorie peuvent tout autant être considérés comme appartenant à une autre. Cette liste de thèmes s'enrichit de propositions émanant des enfants, des adultes, des discussions philosophiques et de différents moments d'une classe coopérative. Un moment privilégié pour permettre l'émergence naturelle de thèmes reste le conseil de coopérative où, au travers d'une discussion formelle ou d'un débat annexe, des enfants peuvent proposer à l'ensemble de réfléchir philosophiquement à la question posée. f) LES FICHES D'OBSERVATION FICHE D'OBSERVATION DE L'ANIMATEUR ? Prénom de l'observateur : ………………………………………………………… ? Prénom de l'animateur : …………………………………………………………… ? Date de la discussion : ……………………………………………………………… ? Thème de la discussion : …………………………………………………………… ? Nombre de fois où l'animateur ? a demandé une reformulation : ? a arrêté ceux qui disaient n'importe quoi : ? a donné envie aux autres de parler : ? a été gêneur : ? L'animateur a-t-il bien présenté le thème ? Oui ? Non ? ? L'animateur a-t-il aidé des enfants à parler ? Oui ? Non ? ? L'animateur a-t-il bien mené le débat ? Oui ? Non ? ? Que penses-tu de ce qu'il a dit ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Que penses-tu de ce qu'il a fait ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Quel conseil veux-tu lui donner ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… FICHE D'OBSERVATION DES DISCUTANTS ? Prénom de l'observateur : ………………………………………………………… ? Prénom de l'observé : ………………………………………………………………… ? Ce que fait l'observé (coche ce qu'il fait) : Discutant ? Président ? Animateur ? Synthétiseur ? Reformulateur ? ? Date de la discussion : ……………………………………………………………… ? Thème de la discussion : …………………………………………………………… ? Nombre de fois où l'observé ? a donné la définition d'un mot : ? a posé une question : ? a répondu à une question : ? a été gêneur : ? a aidé les autres : ? Quelle(s) idée(s) a-t-il expliquées au groupe ? ………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Que penses-tu de ce qu'il a dit ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Que penses-tu de ce qu'il a fait ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Quel conseil veux-tu lui donner ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… FICHE D'OBSERVATION DU PRESIDENT ? Prénom de l'observateur : ………………………………………………………… ? Prénom du président : ……………………………………………………………… ? Date de la discussion : ……………………………………………………………… ? Thème de la discussion : …………………………………………………………… ? Nombre de fois où le président ? a parlé : ? a écrit un gêneur : ? a participé à la discussion : ? a été gêneur : ? Le président a-t-il bien formé cercle ? Oui ? Non ? ? Le président a-t-il bien distribué les responsabilités ? Oui ? Non ? ? Le président s'est-il bien occupé du temps ? Oui ? Non ? ? Le président s'est-il bien occupé des gêneurs ? Oui ? Non ? ? L'animateur a-t-il bien donné la parole ? Oui ? Non ? ? Que penses-tu de ce qu'il a dit ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Que penses-tu de ce qu'il a fait ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… ? Quel conseil veux-tu lui donner ? …………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………… 3 – LES OUTILS DE LA METHODOLOGIE Le terrain d'expérimentation est comparable à celui présenté dans le chapitre « Gianni chez des coopérateurs. » Les élèves évoluent dans un univers pédagogique similaire en tous points. Le groupe support est une classe de cycle III, c'est à dire une classe regroupant des enfants inscrits en CE2, CM1 et CM2 d'une école située en ZEP (Ecole Antoine Balard – Montpellier La Paillade). Une classe de cycle correspond à une volonté pédagogique de l'équipe d'enseignants de vouloir constituer des groupes hétérogènes en âges et niveaux afin de forcer la différenciation. Les élèves travaillent donc par la coopération et, à l'entrée dans le cycle, disposent de trois années pour s'entraîner à la maîtrise des compétences nécessaires pour accéder en 6ème. Cette classe est constituée de 23 élèves, dont 9 filles, 8 CE2 et 6 CM1. A partir du mois d'octobre, et chaque jeudi après-midi, la classe se réunissait pour participer à une discussion philosophique. A chaque fois, seule une moitié discutait alors que l'autre observait. La semaine suivante permettait une permutation entre ces deux groupes. Différents outils ont été pensés pour vérifier l'exactitude des hypothèses. a) LES SCRIPTS Toutes les séances des discussions philosophiques ont été enregistrées sur bande sonore. Ces enregistrements ont ensuite été retranscrits de manière très fidèle en respectant la convention de transcription de discussions philosophiques proposée par Gérard AUGUET. Seules les interventions des présidents consistant à nommer les personnes à qui ils donnaient la parole n'ont pas été mentionnées. CONVENTION DE TRANSCRIPTION DES DISCUSSIONS PHILOSOPHIQUES ? Chaque discussion possède son propre code : AA, AB, AC, … pour la première année, BA, BB, BC, … pour l'année suivante, etc. ? Les tours de parole sont numérotés. ? Chaque prise de parole est identifiée par le prénom de son auteur. ? Lorsque certains prénoms n'ont pu être déterminés et qu'une même voix a été reconnue, il en a été attribué arbitrairement un à l'élève. ? Les élèves non identifiés sont désignés par E, éventuellement E1, E2, E3 quand ils sont perçus comme différents. ? Lorsque trois élèves parlent en même temps, ils sont désignés par EEE. ? Lorsque le sexe de l'élève a pu être déterminé, on trouvera F(fille) ou G (garçon), éventuellement différenciée : F1, F2 … G1, G2 … ? Les chevauchements de parole sont signalés par des membres de phrase alignés en colonne et soulignés. ? Les propos de l'adulte sont en italiques. ? Entre crochets, les commentaires du transcripteur. ? + indique une pause, ++ une pause plus longue (l'évaluation de ces pauses est d'ailleurs difficile). ? xxxx – messages non audibles. ? Les mots prononcés avec plus de force sont en majuscules. ? Avec un point d'interrogation et entre parenthèse les mots peu audibles. ? En principe, les phrases ne sont pas délimitées par la ponctuation. ? La colonne la plus à gauche correspond à la catégorisation des interventions (A : argumentation, P : problématisation, C : conceptualisation, E : exemple) Nous obtenons au final une série de 22 scripts. A cette liste, nous en avons ajouté quelques autres afin d'envisager une comparaison entre les discussions du terrain d'expérimentation et celles d'autres horizons dont la particularité commune est de ne pas être des classes coopératives. LISTE DES SCRIPTS CODE THEME DATE NOMBRE DE PARTICIPANTS 1 AA Qui est dieu ? 09/11/00 7 2 AB Qui est dieu ? 16/11/00 7 3 AC Qu'est-ce qu'un raciste ? 21/11/00 8 4 AD Qu'est-ce qu'un raciste ? 28/11/00 9 5 AE Peut-on vivre sans police ? 07/12/00 12 6 AF Peut-on vivre sans police ? 12/12/00 10 7 AG Que veut dire être bête ? 11/01/01 11 8 AH Que veut dire être bête ? 18/01/01 10 9 AI Ma religion est-elle meilleure que la tienne ? 01/02/01 11 10 AJ Ma religion est-elle meilleure que la tienne ? 22/02/01 10 11 AK Qu'est-ce qu'un ami ? 01/03/01 9 12 AL Qu'est-ce qu'un ami ? 08/03/01 8 13 AM A quoi sert l'argent ? 15/03/01 11 14 AN A quoi sert l'argent ? 22/03/01 12 15 AO A quoi sert l'école ? 29/03/01 11 16 AP A quoi sert l'école ? 19/04/01 11 17 AQ Qu'est-ce qui est beau ? 03/05/01 11 18 AR Qu'est-ce qui est beau ? 10/05/01 9 19 AS Qu'est-ce qu'il y après la mort ? 17/05/01 11 20 AT Qu'est-ce qu'il y après la mort ? 29/05/01 12 21 AU Qu'est-ce que la liberté ? 06/06/01 11 22 AV Qu'est-ce que la liberté ? 21/06/01 11 23 A'A La cigale et la fourmi 18/02/00 13 24 A'B La cigale et la fourmi 10/03/00 17 25 A''A Que signifie le mot exister ? 1999 11 26 A'''A Qu'est-ce que la liberté ? 2000 ? Au terme de chaque discussion, les discutants étaient amenés à remplir une fiche-bilan dont le plan est indiqué dans le chapitre réservé à l'étude de « la ceinture de philosophe. » Les résultats donnés par les enfants ont été retranscrits et se trouvent, à la suite des scripts de séances, dans le tome 2 de cette recherche. b) LA GRILLE D'ANALYSE DES SCRIPTS Cette grille se veut l'outil à partir duquel seront extraits des scripts les éléments qui valideront ou non les hypothèses de départ. Il s'agit également d'un filtre de l'ensemble des données recueillies, la grosseur des mailles dépendant des hypothèses posées. Pareillement étendue à tous les scripts utilisés pour la recherche, cette grille se propose de relever diverses informations, notamment : ? Des informations concernant l'ensemble des discutants de la même classe. ? D'autres ne filtrant que celles relatives à trois élèves : Michael (garçon CM1), Chris (fille CE2) et Hussein (garçon CM2). Le choix de ces élèves a été déterminé par la diversité des sexes, des âges, des niveaux scolaires, de ceinture en philosophie et de types d'interventions. Ainsi Michael est un bon élève, rapidement devenu vert en philosophe de par la qualité des arguments énoncés malgré une certaine réserve lors des discussions. Chris, excellente élève, est restée jaune en philosophe malgré un fort intérêt pour l'activité. Hussein, élève moyen et souvent perturbateur de la classe, est très rapidement devenu vert en philosophe en raison du fort intérêt qu'il y portait et des efforts fournis pour maîtriser les exigences. ? Un décompte systématique du nombre de prises de paroles qui permet un balayage plus grand du groupe et le calcul des écarts- types. Cet écart-type, basé sur le nombre d'interventions, permet d'évaluer le fonctionnement de la communauté de recherche dans sa dimension collective : permettre à tous les membres de la communauté de participer de manière équitable aux discussions. Plus cet écart-type est élevé, plus éparse est la répartition des prises de parole (certains discutants ont pris la parole bien plus que d'autres). ? Le relevé du nombre de conceptualisations, d'argumentations et de problématisations émises pendant les discussions, les répétitions n'étant pas comptabilisées. ? Un décompte similaire mais relatif à l'ensemble des scripts depuis l'initial, ce qui permet de noter les évolutions. ? Des remarques s'intéressant à la discussion puis aux évolutions repérées. Ces remarques apportent entre autres des éléments concernant la nature des échanges entre les discutants. GRILLE D'ANALYSE DES SCRIPTS Code de la discussion : Thème de la discussion : Nbre de discutants : POUR CETTE DISCUSSION : POUR L'ENSEMBLE DES DISCUSSIONS : Nombre total de prises de paroles : 100 % Nombre de prises de paroles : 100 % Nombre moyen de prises de paroles : Nombre moyen de prises de paroles : Ecart type des prises de parole : Ecart type moyen des prises de paroles : Nombre de conceptualisations : Nombre de conceptualisations : Nombre de problématisations : Nombre de problématisations : Nombre d'arguments : Nombre d'arguments : Nombre d'exemples : Nombre d'exemples : Commentaire de cette discussion : Commentaire comparatif : Décompte des prises de paroles Prises de paroles Prises de paroles Enseignant Elève 1 Elève 2 … ELEVE 1 : FONCTION : Pour cette discussion : Pour l'ensemble des discussions : Nombre total de prises de paroles : 100 % Nombre de prises de paroles : 100 % Nombre de conceptualisations : Nombre de conceptualisations : Nombre de problématisations : Nombre de problématisations : Nombre d'arguments : Nombre d'arguments : Nombre d'exemples : Nombre d'exemples : Nombre de fois gêneur : Nombre de fois gêneur : Nature des autres interventions : Commentaire sur cette discussion : Commentaire comparatif : c) LE QUESTIONNAIRE Une fois toutes les discussions de l'année effectuées, les élèves ont répondu à un questionnaire de manière isolée. Les questions tendaient à mesurer l'état des représentations concernant : ? la philosophie, ? les discussions philosophiques telles qu'elles ont été pratiquées en classe, ? le degré d'imprégnation des exigences intellectuelles, ? l'impact de la ceinture de philosophe, ? les relations entre ces discussions et le conseil de coopérative de classe, ? les relations avec les familles concernant la philosophie QUESTIONNAIRE SUR LES DISCUSSIONS PHILOSOPHIQUES ? Quel est ton prénom ? ___________________ ? Quel âge as-tu ? ______ ? Quelle est ta ceinture de philosophe ? _____________________________ ? Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ? _________________________ ? Est-ce que les discussions philosophiques t'intéressent ? OUI NON Pourquoi ? ____________________________________________________ ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour être un bon philosophe ? _________________ ? Est-ce que c'est facile pour toi de parler en philosophie ? OUI NON Pourquoi ? ____________________________________________________ ? Quelles sont les différences entre le conseil et la discussion philosophique ? _ ? A quoi ça te sert de faire de la philosophie ? ________________________ ? Qu'est-ce qui se passe dans ta tête quand on fait de la philosophie ? _______ ? Qu'est-ce que tu as dit à ta famille et tes amis de la philosophie ? _________ ? Ecris ce que tu veux dire sur les discussions philosophiques : _____________ d) LES ENTRETIENS Pendant cette année scolaire, une réalisatrice de films documentaires (Laurence KIRSCH) s'est intéressée à la classe pour en retransmettre les discussions philosophiques. En complément de divers enregistrements vidéos de séances de classe, elle s'est entretenue en tête à tête avec quelques élèves. Le sujet de l'échange concernait l'intérêt porté à la philosophie et son impact dans le quotidien, notamment dans la famille. Laurence KIRSCH a ainsi rencontré sélectivement plusieurs élèves de la classe, entre autres Chris et Hussein. Michael n'a pas pu être interrogé. D – Recueil et analyse des données 1 – ANALYSE DES SCRIPTS Voici la grille des ceintures de philosophe en fin d'année : ? Adil : Orange ? Jennifer : Jaune ? Salima : Verte ? Anaïs : Verte ? Jérémy : Orange ? Siham : Jaune ? Arslan : Orange ? Khadija : Orange ? Stéphane : Orange ? Boualam : Orange ? Michael : Vert ? Sylvain : Vert ? Chris : Jaune ? Mohamed A : Jaune ? Yasmina : Jaune ? Dounia : Orange ? Mohamed H : Blanc ? Yassine : Vert ? Emmanuel : Jaune ? Nareth : Orange ? Zinabid : Jaune ? Hussein :Vert ? Ouafae : Orange a) POUR L'ENSEMBLE DU GROUPE-CLASSE ? Nombre de prises de paroles Le nombre de prises de paroles des séances a d'abord été élevé pour ensuite bien baisser et enfin trouver une moyenne stable (à part pour les discussions autour du sens de l'argent). Nous pouvons avancer l'idée que le début des discussions était le théâtre des découvertes de tels débats et de la philosophie. La baisse qui suivit semble due aux diverses tentatives de respecter les exigences intellectuelles. A partir de la discussion P, les discutants semblent avoir trouvé leur équilibre entre la volonté de prendre la parole et celle d'en faire des réflexions philosophiques. ? Nombre moyen de prises de paroles L'évolution du nombre moyen de prises de paroles correspond à celle précédemment étudiée. D'abord un fort intérêt marqué par un nombre moyen élevé, ensuite une nette baisse correspondant à la prise en compte du respect des exigences et enfin un équilibre entre ces deux pôles. ? Ecart type des prises de paroles Les écarts-types ont été calculés afin d'évaluer une partie du fonctionnement de la communauté de recherche. Il s'agissait d'estimer la répartition des prises de paroles. Plus l'écart type est élevé, moins cette répartition est bonne : certains discutants prennent beaucoup la parole et d'autres ne la prennent que très peu voire pas du tout. Nous pouvons souligner deux caractéristiques. La première tend à avancer que la communauté de recherche n'était pas initialement constituée et que c'est avec le temps qu'elle a pu se construire. En seconde remarque, nous pouvons dire que cette phase d'installation a été très brève puis qu'on peut considérer la répartition des interventions comme équitable à partir seulement de la quatrième discussion. Les écarts types ont encore même continué à baisser, sauf pour une discussion enflammée autour du sens de l'argent. ? Conceptualisations – Argumentations – Problématisations - Exemples Plusieurs remarques peuvent être dégagées de ces courbes : o L'argumentation est dominante alors que les exemples donnés par les discutants sont peu nombreux, ceci dès les premières discussions. Il est même possible de noter une baisse des exemples donnés, sauf pour des thèmes les encourageant (« Qu'est-ce qui est beau ? » et « Qu'est-ce qu'il y a après la mort ? »). o Argumentations et exemples sont complémentaires et apparaissent dans les interventions comme étant de même registre. A chaque baisse de l'argumentation correspond une hausse des exemples et inversement. o Les problématisations semblent avoir suivi une progression aléatoire : aucune logique n'apparaît. A noter toutefois leur nombre rapidement significatif (à partir de la 7ème discussion) : les discutants ont su y faire appel pour nourrir et enrichir les débats. o Même difficulté d'analyse pour les conceptualisations, qui parfois ont été élevées et d'autres fois complètement absentes, ceci quelle que soit la position des discussions dans l'année. Notons qu'un groupe de discutants semble conceptualiser régulièrement alors que l'autre beaucoup moins, parfois jamais (discussions I, M, O, Q et S). ? Degré de coopération dans le groupe de discutants Assez rapidement, les discutants ont opéré de nombreuses interactions, d'abord pour marquer les désaccords, ensuite demander des précisions et enfin pour apporter des compléments à ce qui était avancé. Les discussions philosophiques ne semblent pas avoir considérablement modifié la coopération dans le groupe. ? Interventions de l'adulte Une nette évolution est repérable dans les interventions de l'adulte, qu'il soit l'enseignant ou pas. Après des premières interventions nécessitant la mise en place du dispositif et donc des interventions pour préciser les règles de fonctionnement mais aussi les exigences intellectuelles, les adultes animateurs de séances ont quasiment pu se contenter d'intervenir comme discutants sauf lorsqu'il s'agissait d'aider le président dans la gestion des enfants perturbateurs. ? Intérêt du groupe Tout comme OURY le précise pour le conseil, l'intérêt du groupe pour les discussions philosophiques a été à l'image de la triple évolution : silence, tumulte, langage. Dans un premier temps, sans pour autant que ce soit le silence, les enfants sont intervenus, mais certainement comme ils auraient pu le faire dans n'importe quel autre type de débat, sous forme de prises de positions souvent réfléchies mais isolées. Ensuite, le groupe a dû faire face à une phase de contestation, notamment celle émise par les observateurs qui avaient du mal à rester dans leur position. Le président a d'ailleurs souvent dû arrêter les discussions et leur demander le respect. Enfin, vers la moitié des séances, le groupe est rentré dans une dynamique de langage, de réelle coopération et de recherche de sens dans les interrogations et questions émises. b) POUR LES TROIS ELEVES SUIVIS TRANSVERSALEMENT ? Michael Discussions Interventions Concept. Problémat. Argument. Exemples Gêneur A 8 2 0 3 2 0 B 1 C 7 3 0 2 1 0 E 4 0 0 1 3 0 G 7 0 0 0 3 0 I 4 0 0 3 0 1 J 1 M 4 0 1 2 0 0 O 4 0 0 3 1 0 Q 5 0 1 2 0 0 U 7 0 1 3 1 0 Totaux 50 5 3 19 11 3 Michael est un élève qui a relativement peu participé aux discussions si l'on en reste au nombre de ses interventions. Sur l'ensemble des débats, il n'a pris la parole que 50 fois, ce qui est très inférieur à la moyenne ( = 126). Il est même intéressant de noter la baisse du nombre de participations au cours des séances. Cependant, il serait trompeur de fixer uniquement pour critère la participation orale. C'est entre autres au travers des fiches bilan qu'un fort intérêt et une participation poussée ont pu être remarqués. Plusieurs fois, Michael a su grandement faire avancer le débat par une argumentation avancée, ce qui lui a permis de devenir rapidement vert en philosophe. Cette argumentation a eu souvent la particularité d'aller à contresens de ce que pouvait favoriser le groupe. Il a souvent reconnu après la discussion avoir appris et retenu des arguments qu'il avançait. Concernant la problématisation, Michael n'a su s'y référer qu'à partir de la 13ème discussion. Contrairement à d'autres (Adil par exemple), ces questions posées étaient directement en lien avec les dernières informations, n'intervenaient pas à contre-courant des échanges, ce qui est une preuve supplémentaire attestant l'intérêt porté et la réflexion intérieure. Il a été également de nombreuses fois titulaire de responsabilités, surtout reformulateur et une fois président de séance. ? Chris Discussions Interventions Concept. Problémat. Argument. Exemples Gêneur A 8 0 0 2 0 0 C 18 0 1 7 2 0 E 1 1 F 9 0 1 6 1 0 H 4 0 0 2 1 0 J 3 0 1 1 1 0 N 7 2 1 4 0 0 P 12 0 0 0 0 0 T 8 0 1 1 1 0 V 10 1 1 3 0 0 Totaux 80 3 6 27 6 1 Chris est l'élève la plus jeune de la classe, ce qui s'est retrouvé plusieurs fois lors des discussions dans la nature de ses interventions. Contrairement à la plupart des élèves de la classe, elle est souvent intervenue sans pour autant faire avancer l'échange. Nombreuses de ses interventions furent annexes au débat, entre autres des demandes de parole pour ne rien dire, des précisions sur des détails demandées à l'enseignant et des répétitions directes de propos tenus par un tiers. Une forte dépendance à l'adulte a guidé ses engagements dans les discussions, comme si elle souhaitait « bien faire. » Certains présidents lui ont d'ailleurs fait la remarque de ne pas directement adresser ses questions à l'adulte mais plutôt à l'ensemble du groupe, consigne qu'elle semble avoir eu du mal à entendre jusqu'à la fin de l'année. Cependant, ces séances furent l'objet d'apprentissages la concernant. Elle reconnaît même dans la fiche bilan de la dernière séance avoir appris qu'il faut répondre aux questions tout en écoutant l'avis des autres. Du point de vue des exigences intellectuelles, Chris a souvent usé d'argumentations, de moins en moins d'exemples. Elle a alors compris le sens de la problématisation qu'elle a utilisé plus fréquemment en fin de parcours. Très peu de conceptualisations. ? Hussein Discussions Interventions Concept. Problémat. Argument. Exemples Gêneur B 16 3 1 6 4 0 C 2 2 D 11 3 0 3 1 0 E 15 1 0 6 2 0 G 11 0 0 4 3 0 I 11 0 1 3 0 0 K 8 1 1 2 0 0 M 6 0 2 4 0 0 O 14 0 1 8 0 0 Q 14 0 3 5 1 0 S 16 0 1 6 2 0 U 12 1 1 10 0 0 Totaux 136 9 11 57 13 2 Des trois élèves retenus pour cette recherche, Hussein est celui qui a le plus participé lors des discussions. Dans la classe, c'est un élève moyen, surtout reconnu comme « chef de bande » et, lorsqu'il n'est pas chef d'équipe, perturbateur du groupe. Lors des séances de philosophie, il a manifesté un vif intérêt et de fait, a su évoluer dans la maîtrise des exigences intellectuelles. La forte part de ses interventions identifiée comme « autres » correspond aux nombreuses discussions où il a été soit reformulateur soit président de séance. Notons également, qu'en comparaison avec le déroulement normal de la classe, il n'a été que deux fois gêneur sur toute l'année et que ces situations se sont produites alors qu'il était observateur. Hussein a souvent utilisé l'argumentation dans ses prises de paroles. Ces arguments étaient souvent colorés de son vécu, son rapport à la loi, la religion ou la société. Cependant, peu d'exemples ont été apportés, surtout sur la fin de l'année. Petit à petit, il a également su s'appuyer sur les propos des autres pour terminer par des interventions qui consistaient à compléter d'autres arguments. Une nette évolution concerne la référence aux problématisations, complètement absente au début puis fortement utilisée sur la fin. En revanche, Hussein a peu conceptualisé. c) COMPARAISON AVEC DES DISCUSSIONS DE CLASSES NON COOPERATIVES Une classe non coopérative permet peu aux élèves qui la composent de s'entraider dans leurs apprentissages, dispose au mieux de quelques institutions de parole, en somme se réfère moindrement aux pédagogies coopératives (ce qui ne veut bien sûr pas dire qu'elle fonctionne moins bien …). L'intérêt de telles comparaisons réside dans l'étude des interventions des enfants et des interactions entre eux et avec l'enseignant. Nous avons choisi trois types de scripts, deux issus d'une classe de CM1 d'Alain DELSOL, un provenant d'une classe de CP d'Anne LALANNE et un dernier d'un CM2 de Nantes. Les origines socioculturelles de ces classes ne sont pas comparables à celles de la classe support, inscrite en ZEP et accueillant des enfants d'origines étrangères voire même étrangers. ? Les discussions philosophiques chez Alain DELSOL (scripts A'A et A'B) Le dispositif pédagogique des discussions se différencie de celui de la classe support dans la mesure où la parole n'est possible qu'avec un micro (le bâton de parole). En conséquence, les interventions sont moins nombreuses mais plus réfléchies et donc plus longues. L'argumentation fournie par les enfants semble beaucoup plus développée que celle de la classe support en raison de la présentation de forts raisonnements logiques. Du point de vue de la maîtrise des exigences, les discutants ne conceptualisent pas (en tout cas dans ces échantillons). La recherche systématique des sens que peuvent prendre des termes employés ne semble pas être une priorité. De plus, les problématisations existent, le doute est mis en avant autant que dans la classe support. Cependant, ce questionnement provient en grande majorité de l'enseignant, les enfants se contentant d'y apporter leur argumentation. La place de l'adulte est de fait très importante puisqu'il se permet d'intervenir en tant que discutant mais aussi en tant qu'animateur sensible à l'approfondissement des pensées apportées. Ce nombre conséquent d'interventions colore cette communauté de recherche et fait fortement accroître ses écarts types. A noter toutefois qu'il n'y a pas de prépondérance dans le nombre d'interventions des enfants, ce qui n'est pas le cas dans la classe support lorsque par exemple Stéphane ou Anaïs discutent. De ce fait, les interactions entre enfants, ce que l'on pourrait nommer la coopération entre eux est de moindre importance dans la mesure où, d'une part, chacun d'eux n'a accès à la parole que très rarement (quatre fois maximum par séance) et d'autre part, parce qu'à aucun moment, même s'il se donne le droit de rebondir sur des idées émises, un enfant ne se permet de problématiser les idées émises par un autre. ? Les discussions philosophiques chez Anne LALANNE (script A''A) Dans ce dispositif, tout du moins lors de la séance étudiée, les enfants ne semblent pas devoir attendre un micro pour prendre la parole. Cela conduit à de nombreuses interventions mais moindres dans la longueur (l'âge des enfants ayant certainement une importance non négligeable). En revanche, l'adulte a une place encore plus importante que dans la classe d'Alain DELSOL dans la mesure où il intervient continuellement comme guide aux pensées construites. Dans ce script, de nombreuses problématisations sont effectuées, toutes par l'animatrice, les enfants se contentant d'y répondre. La nature de leurs interventions est de l'ordre de l'argumentation, rarement des exemples. Les conceptualisations sont très rares et n'interviennent qu'en réponse à une problématisation soulevée par l'adulte. La coopération entre enfants est absente, à aucun moment un discutant n'intervient en réponse ou complément de ce que vient de dire un pair. Toutes les interventions sont en lien avec l'adulte, ce qui donne l'impression qu'il s'agit plus d'un entretien de groupe que d'une réelle discussion. Dans ce dispositif, la présidence, la reformulation, les synthèses et l'animation des séances sont toutes assurées par l'enseignante. ? Les discussions philosophiques dans une classe de Nantes (script A'''A) Il est difficile de fournir une longue analyse comparative avec ce script dans la mesure où nous ignorons la forme du dispositif, le nombre de discutants et la période de l'année où cette discussion a été réalisée. Cependant, nous pouvons noter ce qui fait la caractéristique de ces classes non coopératives, c'est à dire la forte présence de l'adulte qui apporte toute les problématisations et prend souvent la parole. Les élèves usent d'une forte argumentation et de très rares exemples. Naturellement, peu d'échanges entre eux sont effectués, le contexte induisant une réponse aux problématisations soulevées par l'adulte. 2 - ANALYSE DES QUESTIONNAIRES SUR LES DISCUSSIONS PHILOSOPHIQUES Ce questionnaire a été distribué à l'ensemble des élèves de la classe en fin d'année, alors que la dernière discussion philosophique venait de se terminer. Le panel des interrogés est constitué des 19 enfants, 12 garçons et 7 filles. 5 sont en CE2, 5 sont en CM1 et 9 sont en CM2. Dans le traitement des réponses, nous avons choisi pour code de faire précéder les réponses des filles par le signe « - » et celles des garçons par le signe « + ». ? Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ? ? CE2 : - pour apprendre des choses en philosophie + Il faut se poser des questions ? CM1 : - C'est beaucoup de choses + S'interroger, définir, répondre et problématiser une question + on apprend des choses + C'est pour réfléchir, apprendre et savoir + Une matière où on se pose des questions ? CM2 : - C'est la discussion en classe – C'est ce qu'on a envie de dire même si on n'est pas d'accord avec quelqu'un – C'est plein de questions qu'on se pose + C'est un endroit où on est calme, où on réfléchit et où on problématise + C'est pour apprendre des choses + La philosophie est une activité de parole pour se poser des questions + C'est une discussion où on a une question qu'on ne peut pas résoudre + Je sais pas l'expliquer + Un conseil où on discute ? Est-ce que les discussions philosophiques t'intéressent ? ? Oui : CE2 : -3 +1 CM1 : +2 CM2 : -3 +6 ? Non : ? Oui et Non : CE2 : +1 CM1 : -1 +2 Pourquoi ? ? CE2 : - J'apprends des mots - On parle, par exemple sur la mort – C'est bien + ça m'apprend à me poser des questions et à y répondre + Des fois ça m'intéresse et des fois non ? CM1 : - Parfois il y a des thèmes intéressants et des fois non + tu apprends des choses + Des fois il y a des sujets qui ne me plaisent pas + Parce que ça m'aide à réfléchir et à apprendre des choses + Parce que quelquefois je rêve ? CM2 : - Parce que ça m'apprend beaucoup de choses – Parce que j'apprends des choses sur la vie – ça nous permet de savoir ce que les personnes de la classe pensent + Parce que ça apprend et c'est bien + Pour s'exprimer, dire ce qu'on veut dire sur le sujet du débat + Parce que tu connais plus de choses et tu apprends à te poser des questions + Parce qu'on se pose des questions + Parce que je peux discuter avec les autres + Parce qu'on apprend beaucoup de choses ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour être un bon philosophe ? ? CE2 : - Il faut rester bien – Bien écouter les autres – Ecouter + Poser des questions, y répondre et enfin parler + Se poser des questions et réfléchir ? CM1 : - Ecouter les autres, réfléchir, être intéressant, donner son avis + savoir s'interroger, définir, répondre et problématiser + Il faut parler et se poser des questions + Etre intéressé, poser des questions, dire pourquoi + parler beaucoup, dire des choses intéressantes ? CM2 : - Dire ce qui a été dit aux dernières discussions philosophiques – Quand on n'est pas d'accord avec quelqu'un, on le dit et on doit dire pourquoi + Problématiser et argumenter + Argumenter, conceptualiser, problématiser + Se poser des questions et donner des définitions + Donner des définitions et se poser des questions + Argumenter, conceptualiser et problématiser + Répondre aux questions et s'en poser ? Est-ce que c'est facile pour toi de parler en philosophie ? ? Oui : CE2 : -2 CM1 : +2 CM2 : +4 ? Non : CE2 : -1 CM2 : - 2 +2 ? Oui et Non : CE2 : -1 +1 CM1 : -1 +2 CM2 : -1 Pourquoi ? ? CE2 : - Parce qu'il ne faut que penser à des choses – Parce que c'est un peu dur + Parce qu'il faut réfléchir et s'en souvenir – Parce que j'arrive pas à répondre ? CM1 : - Je ne sais pas + c'est simple + Des fois, je n'ai rien à dire + Parce qu'il faut réfléchir + Parce qu'il suffit de poser des questions ? CM2 : - Parce que ça dépend des questions qu'on se pose - Parce que dans notre langage de quartier c'est pas facile - Car on ne sait pas toujours les réponses + Parce qu'il faut beaucoup réfléchir + Parce qu'on nous écoute et parfois on nous répond + Je pense que c'est facile, il faut juste se poser des questions et donner des définitions + Parce que ça m'intéresse + Parce que j'ai envie de m'exprimer + Je ne sais pas ? Quelles sont les différences entre le conseil et la discussion philosophique ? ? CE2 : - C'est presque pareil mais au conseil on critique – C'est presque la même chose – Au conseil on règle les problèmes et pas en philosophie + Au conseil on donne des punitions et pas en philosophie + Au conseil on donne des sanctions et en philosophie on réfléchit ? CM1 : - Le conseil c'est pour régler les problèmes et en philosophie on parle de tout + Le conseil sert à prendre des décisions et la philosophie sert à discuter sur une question + En discussion philosophique, il n'y a pas de sanctions + Au conseil on critique et on réfléchit pas trop, en philosophie, on pose des questions + Le conseil sert à régler des problèmes et la discussion philosophique sert à se poser des questions ? CM2 : - Le conseil c'est pour régler les problèmes mais pas la discussion philosophique – Au conseil on critique et on propose et à la discussion philosophique, on donne des définitions aux mots qu'on utilise – Je ne vois aucun rapport + Au conseil on y règle tous les problèmes et dans une discussion philosophique, on y apprend des choses + Le conseil, c'est régler des problèmes ou proposer et la philosophie c'est apprendre des choses + Le conseil, c'est pour régler les problèmes et féliciter + En philosophie on se pose des questions et au conseil on critique et on propose + Au conseil on règle des problèmes et en discussion philosophique on parle de choses + Au conseil, c'est des critiques et à la discussion philosophique on parle ? A quoi ça te sert de faire de la philosophie ? ? CE2 : - A apprendre beaucoup de choses – A savoir qu'est-ce qu'il y a dans la rue – A se poser des questions + A poser des questions + A réfléchir ? CM1 : - A apprendre à réfléchir et dire ce que j'ai envie de dire + Apprendre des réponses aux questions + Apprendre des choses + A apprendre à poser des questions et dire pourquoi + A savoir poser ou se poser des questions ? CM2 : - A apprendre les questions qu'on se pose – A apprendre et en plus en 6ème on en aura besoin – A me poser des questions + A mieux connaître le monde et à devenir intelligent + Apprendre des choses que je ne connais pas + A savoir plus de choses dans le travail + A apprendre des réponses aux questions + A connaître l'avis des autres + A apprendre des choses intéressantes ? Qu'est-ce qui se passe dans ta tête quand on fait de la philosophie ? ? CE2 : - Il se passe beaucoup de choses – ça me fait penser à quelque chose – Je ne sais pas + Elle se met en route et elle réfléchit + La tête se met en route ? CM1 : - Je pense à la philosophie + De la réflexion + Je réfléchis + Je pense à mes interventions ? CM2 : - Je réfléchis aux questions que je me pose – Je suis intéressée et je peux dire ce que j'ai envie de dire sur la nature et plein de choses – Je pense + D'avoir envie de dire des choses + ça se met en marche et j'ouvre grand mes oreilles + Le cerveau réfléchit + Je réfléchis + Je réfléchis à ce que je vais dire + Je réfléchis à des choses intéressantes ? Qu'est-ce que tu as dit à ta famille et tes amis de la philosophie ? ? CE2 : - J'ai rien dit du tout – Que la philosophie c'est bien + J'ai pas envie de le dire + Je n'ai pas envie d'en parler ? CM1 : - Je n'ai rien dit parce que je n'ai pas voulu + Que c'est bien (à part les fiches bilan) + Je ne leur ai rien dit + J'ai pas envie de le dire + Je ne dis rien car je ne tiens pas à en parler ? CM2 : - Que c'est bien, qu'on répond à des questions qu'on se pose – J'ai dit que j'apprends des choses sur la philosophie – Qu'on en faisait + Rien parce qu'ils ne savent pas comment ça marche + Je leur dis beaucoup de choses de la philosophie + Chaque jour j'oublie de leur dire + Rien parce que je ne leur dis pas + Rien parce que je n'ai pas que ça à faire + Rien ? Ecris ce que tu veux dire sur les discussions philosophiques : ? CE2 : - Ça marche bien – Je me pose beaucoup de questions + c'est bien parce qu'on pose des questions et on y répond ? CM1 : - La discussion philosophique c'est bien et j'aimerais bien qu'on continue + C'est bien, on apprend des choses + ? CM2 : - Que c'est bien et qu'il y aura encore de la philosophie + J'ai appris ce qu'est la philosophie + C'est bien, on peut s'exprimer + C'est bien car on peut apprendre beaucoup de choses Plusieurs informations utiles à notre recherche peuvent être dégagées du traitement de ces questionnaires. Notons en amorce qu'aucune distinction marquante ne peut être faite entre les réponses des garçons et celles des filles. ? La philosophie est considérée comme étant la matière où il faut poser et se poser des questions, où les avis différents sont acceptés et même favorisés. Les élèves reconnaissent ces discussions comme étant des moments de calme où il est possible d'apprendre tout en discutant. ? Les discussions philosophiques telles qu'elles ont été pratiquées en classe : un fort intérêt ressort des questionnaires. Il se nourrit des apprentissages effectués (connaissances et évolution dans la pensée), de centrations sur des thèmes fédérateurs (la mort, la vie, la nature, …) et du fait que tout ceci est possible dans la rencontre d'autres avis, l'échange étant source de reconnaissances. Les plus grands soulignent l'intérêt de la problématisation. Certains regrettent que certains thèmes ne les motivent pas autant que d'autres. Pourtant, beaucoup reconnaissent la difficulté à s'investir dans de telles discussions, ce sont paradoxalement les plus grands qui mesurent réellement la maîtrise des exigences. Les plus jeunes soulignent la difficulté à conserver une idée en attendant d'avoir la parole. Enfin, une élève indique la barrière du langage : « Dans notre langage de quartier, c'est pas facile. » ? Le degré d'imprégnation des exigences intellectuelles : de manière générale, les enfants soulignent l'intérêt de la problématisation qu'ils stigmatisent comme étant la particularité de la philosophie. Seuls les plus grands, ceux qui ont atteint le niveau au moins orange en philosophe, abordent la place de la conceptualisation et de l'argumentation. Ces exigences sont devenues une sorte de « règle de jeu pour philosopher. » ? L'impact de la ceinture de philosophe : aucune réponse à ce questionnaire ne mentionne directement cette ceinture. La principale raison doit être le fait que l'outil ceinture étant profondément ancré dans le fonctionnement de classe, il deviendrait étrange de ne pas aussi s'y référer en philosophie. De manière diffuse, la ceinture ressort comme étant ce pour quoi elle existe : une source supplémentaire de motivation et un guide de progression. ? Les relations avec les familles concernant la philosophie : Beaucoup d'enfants ont souhaité soit ne pas nous communiquer ce qu'ils faisaient de la philosophie dans leurs familles soit directement indiquer qu'ils choisissaient de garder pour eux ce qu'ils retiraient des séances de discussion. Ceci concerne surtout les plus jeunes de la classe. Les autres précisent le simple fait qu'ils en parlent chez eux ou qu'ils n'en disent presque rien parce qu'ils craignent l'incompréhension de leurs proches. 3 – ANALYSE DES ENTRETIENS Voici le script des entretiens avec Chris et Hussein, la réalisatrice n'est pas intervenue. Entretien avec Hussein Le but du conseil philosophique, ce n'est pas de répondre à la question, mais de se poser des questions sur la question qu'il nous demande le maître. Moi j'ai bien aimé cette année quand on a fait : "À quoi sert l'école ou "À quoi sert l'argent ?". Pendant le conseil coopératif, ça sert à régler les problèmes de la classe. On peut au conseil, féliciter quelqu'un, proposer des choses comme une sortie au cinéma par exemple, on peut encore critiquer une personne. On peut être le président du conseil aussi. C'est encore au conseil que l'on demande de changer de ceinture de comportement. Tout ça, ça m'apprend à respecter les règles de la classe. Par rapport à ce que je fais à l'école, ma mère n'a pas le temps de m'écouter. Elle doit soit faire à manger ou aller travailler, des fois aussi elle va dormir ou aller avec des dames acheter des choses au magasin. Moi non plus je n'ai pas le temps de leur dire écoutez- moi, je dois aller jouer avec les copains. Le matin ma mère travaille à 7 h, moi je me lève avec mon frère, on fait réchauffer le lait au micro-onde, on mange on ferme à clé et on va à l'école. Le midi, on mange et on regarde le film : Docteur" Queen", on n'en rate jamais un épisode, depuis que je suis tout petit, je suis cette série. Le film se termine à 1h30 et on retourne à l'école. Des fois le soir ma mère ne mange pas avec nous elle est fatiguée, mais souvent on mange en regardant la télévision et on va se coucher. Avec ma mère on n'a presque jamais le temps de parler, c'est normal, elle est fatiguée. Des fois ma mère me frappe quand je fais des choses graves, je suis habitué. Je préfère qu'on me frappe c'est habituel au Maroc. Les parents ont le droit de frapper leurs enfants et les policiers ont le droit de frapper les voleurs. Si un monsieur a volé sur le marché, le gendarme le frappe lui met des coups de poings, des droites et tout ça jusqu'à ce qu'il devienne bleu et après il l'amène en prison et lui font des trucs que je n'ai pas le droit de dire. C'est comme ça là-bas, ils ont le droit de frapper. J'aime bien les discussions de philosophie parce que si je parle et que personne ne m'écoute, c'est comme si je parlais tout seul, c'est comme si j'étais bête, ou idiot. Quand on m'écoute, au moins je ne parle pas au vent. On m'écoute et au moins on comprend ce que je veux dire. Si je vois qu'on ne m'écoute pas des fois ça me donne envie de frapper. Dans la cour, il y a des médiateurs. Si quelqu'un t'embête ou te frappe, tu vas trouver le médiateur et il t'emmène dans une salle t'expliquer. Des fois quand j'ai les nerfs, je pense que j'en parlerai au conseil et de suite ça me calme. Sur mon permis à point, j'avais 0 point alors tout à l'heure je suis passé en conseil de discipline parce que j'avais bousculé un gamin dans la cour assez violemment. Les maîtres m'ont demandé ce que je voulais faire comme proposition pour retrouver des points. Alors je vais écrire une lettre d'excuse au garçon et la lire dans sa classe. Entretien avec Chris À la discussion philosophique, j'y réfléchis chez moi et je marque les phrases que je pourrais dire sur un papier. J'en parle aussi avec ma voisine, ma copine Rachida. Elle aime ça la philosophie, elle me demande souvent si on a voté ma question. Alors je vais chez elle et on discute à peu prés 1/2 h. De temps en temps ma mère me demande ce que l'on a dit en classe pendant les discussions philosophiques, je lui raconte ce qu'il s'est passé et elle me dit si elle est d'accord ou pas. Plusieurs informations utiles à notre recherche peuvent être dégagées de ces entretiens. Concernant Hussein, on s'aperçoit qu'il a bien assimilé la notion de philosophie, surtout dans sa dimension problématisante. Il ne fait pas l'amalgame avec le conseil de classe, distinction que certains ont du mal à sentir. Pour lui, la philosophie n'a pas beaucoup d'importance en dehors de l'école à cause de son contexte familial qui, selon ses dires, l'empêche de communiquer quoi que ce soit concernant sa vie scolaire. Elle semble toutefois lui apporter un regard critique sur ce qu'il vit, notamment dans sa relation à la loi, l'autorité et la sanction. Hussein note également ce malaise dû au décalage entre ce qui se passe en classe et ce qu'il vit à l'extérieur de l'école. En particulier, il dit apprécier les discussions philosophiques parce qu'elles lui permettent l'expression et ainsi la reconnaissance de son individualité. C'est un lieu complémentaire aux autres lui permettant de discuter avant d'être violent. Concernant Chris, cet entretien nous apprend que la discussion philosophique vit au-delà des murs de la classe et qu'elle entre dans son contexte de vie quotidienne. Sa famille et ses amies, en particulier une, sont une source de préparation puis de reprise des discussions. Chris n'en dit pas davantage sur l'impact de la philosophie dans son quotidien. 4 - ETUDE COMPARATIVE ENTRE LE CONSEIL DE COOPERATIVE ET LA DISCUSSION PHILOSOPHIQUE A la question « Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ? », Yasmina, 8 ans, et Nareth, 11 ans, tous deux élèves d' une classe coopérative de cycle III ont répondu : « C'est presque comme un conseil mais au conseil on critique » et « C'est un conseil où on discute. » Le rapprochement naturel que font ces enfants entre les institutions « Conseil de coopérative » et « Discussion philosophique » nous conduit à cette réflexion présentant une brève comparaison entre ces deux dispositifs pédagogiques. Si nous devions nous poser cette question de la définition de la discussion philosophique, nous pourrions être bien ennuyés pour aboutir à un consensus contentant les divergences axiologiques et pédagogiques. En revanche, lorsque nous recherchons une définition du conseil de coopérative, certainement en raison de sa plus grande histoire, le doute est moindre. Nombreux ont été les pédagogues qui en ont testé les vertus, à commencer par J. KORSZAK, certainement le précurseur (Il utilisait pourtant le terme de « tribunal ») Depuis, C. Freinet et ses successeurs en ont approfondi l'étude et il est fréquent de voir des classes s'y référer. Nous choisissons d'en donner deux différentes, une pratique et une fonctionnelle. « Le conseil de coopérative, c'est simple : à un moment donné, la classe cesse ; on parle ensemble de ce qui se passe pour le changer, puis on décide… » « Le conseil, réunion d'information de tous par tous, œil du groupe : appareil de radioscopie décelant les formations microsociologiques, compteur grégaire renseignant sur l'énergie inconsciente… Instrument d'analyse, d'interprétation, de critique, d'élaboration collective et de décision, mémoire du groupe aussi : nous avions parlé de cerveau du groupe. […] En tant que réunion d'épuration qui draine toutes sortes d'énergies, les récupère ou les élimine, le conseil était le rein du groupe mais Cour de justice ou lieu de recours, lieu où se fait la loi dans le groupe, où l'on parle au nom de la Loi, différemment et efficacement, le conseil nous apparaissait comme un moment de langage, créateur de nouveaux dynamismes : cœur du groupe. » Lorsqu'un visiteur non averti entre dans une classe, il lui est très difficile de pouvoir dire si ce qu'il voit est plutôt une discussion philosophique ou un conseil. Dans les deux cas, les enfants sont positionnés en cercle et s'expriment en prenant la parole. Un président de séance gère la forme des échanges (prise de parole, respect des règles, ordre du jour, durée, …) L'enseignant est présent mais sa place n'est pas prépondérante : il écoute et intervient ponctuellement. En fait, cet observateur assiste dans les deux cas à un débat fonctionnant sur le modèle démocratique dont les lois sont similaires à ce que R. LAFFITTE peut en donner : « J'écoute qui parle, je demande la parole et je ne me moque pas. » Certaines expériences ont montré que pour qu'un maximum d'élèves puisse profiter des séances de discussions philosophiques, il valait mieux que le nombre de discutants n'excède pas une quinzaine, l'autre moitié de la classe se trouvant dans un endroit différent ou occupant les fonctions d'observateurs . Cette disposition n'aurait pas de sens pour un conseil puisque l'une de ses fonctions est la régulation de la vie du groupe. Il deviendrait absurde d'interdire la parole à des observateurs susceptibles ensuite d'appliquer des règles qui sont en train d'être élaborées puis décidées par une moitié du groupe à laquelle ils n'appartiennent pas. Parce que dans une classe coopérative les enfants sont souvent amenés à prendre la parole voire même la présidence de ces moments de parole, il existe ce qu'on appelle des « Maîtres-mots ». Un maître-mot a pour fonction de permettre aux personnes à qui il destine de produire plus rapidement, d'entrer directement dans la problématique à aborder et ainsi de passer sur toutes les questions d'organisation que nécessite le débat. Ce sont de courtes phrases qui permettent à chacun de savoir où le groupe en est et ce qu'on attend de lui. Les maîtres-mots du conseil sont indispensables, faute de quoi naissent angoisses, tumulte et conflits. Pour la discussion philosophique, nous pensons que l'intérêt est moindre mais existe tout de même. La moindre importance est certainement due à la petitesse de l'ordre du jour : on n'aborde généralement qu'un seul thème. Pourtant, plusieurs moments guident les débats : l'introduction, les échanges , les dernières interventions, les synthèses, les reformulations, le choix du prochain président, etc. C'est bien évidemment pour que ces passages parasitent au minimum la discussion, que les maîtres-mots deviennent une aide utile au président. Toujours dans une classe coopérative, ce qui se passe dans les conseils est à l'image de ce qui se passe dans le groupe. Ainsi, lorsque le groupe vit sereinement la coopération, les conseils traitent plutôt de propositions et de projets. A l'inverse, lorsque le groupe est miné par les conflits, le conseil devient une sorte de tribunal qui ne laisse place qu'aux critiques et sanctions. F. OURY reconnaît cette réalité et l'étend à la mise en place de l'institution dans le groupe classe. « L'évolution du conseil qui reflète celle du groupe, n'est nullement naturelle, fatale et linéaire. Il nous semble possible de dégager un schéma d'évolution : le silence – le tumulte – le langage. » Cette observation semble se vérifier également pour les discussions philosophiques. Il y a un temps où tout est bien, où les échanges sont polis mais d'où rien de vraiment éducatif ne ressort. La discussion philosophique n'est en fait qu'un débat sans vie. Il y a un deuxième temps où le dispositif est mis à l'épreuve, où la contestation est maîtresse du jeu. De ces séances, rien de « philosophique » ne peut être tiré si ce n'est l'assurance que le groupe est en train d'adapter le dispositif à lui-même et chemine vers le troisième temps. C'est celui du langage où les échanges deviennent réellement des moments d'apprentissages, aussi bien quant au respect des règles du débat qu'à celui des codes philosophiques. Il nous semble hasardeux de vouloir délimiter ces périodes dans le temps, l'évolution dépendant d'une quantité de variables. Que ce soit pendant un conseil ou lors d'une discussion philosophique, la place de l'adulte nous paraît similaire. Nous présentons ici deux dispositifs dont l'une des finalités est de permettre à l'enfant d'apprendre par l'action (J. DEWEY). Même pour des raisons de respect de normes philosophiques, il nous paraît inopportun que l'adulte présent pèse trop par ses interventions. Un critère de réussite est que chaque enfant se soit construit et non qu'il ait réussi à formuler « comme un adulte ». Les interventions de l'enseignant ne peuvent donc qu'être mesurées, aussi bien dans le fond que dans la forme. Pourtant, il ne peut pas tout laisser dire, au risque, dans un conseil, d'aboutir à des décisions contraires au fonctionnement coopératif de la classe et, dans une discussion philosophique, à l'élaboration de raisonnements opposés à l'idée d'humanisme. Contre cela, l'enseignant dispose d'un « droit de veto » qui lui permet, en tant que responsable des progrès scolaires et de la sécurité physique et psychologique de tous, de poser un interdit catégorique. C'est le cas dans un conseil lorsque la sanction votée par le groupe à l'encontre d'un enfant perçu comme bouc- émissaire est démesurée voire dangereuse. Ce peut être aussi le cas dans une discussion philosophique lorsqu'une majorité de discutants impose une idée contraire au respect de l'Homme. Ce droit de veto peut s'appliquer par exemple lorsqu'un groupe d'enfants défend l'idée que « les gitans sont pas des humains parce qu'ils n'ont pas le même sang. » Pour être compris et accepté, ce droit de veto doit être connu de tous et avoir été présenté à l'avance. Il ne s'agit en aucun cas d'un moyen d'imposer un système de valeurs, mais simplement de garantir la cohabitation entre permissivité et responsabilité éducatives. Ce que le visiteur non averti ne voit pas, c'est ce qu'il n'entend point. La principale différence entre un conseil et une discussion philosophique n'est pas de l'ordre du fonctionnement. Elle se situe plutôt dans la nature de ce qui est dit. Un conseil se veut un guide de vie, un tuteur aux relations, une colonne vertébrale au vécu. De ce fait, il traite de concret, de sensible, de personnel. Les sujets qui y sont abordés concernent des individus, touche leurs émotions. C'est pourquoi il arrive très fréquemment que des enfants soient amenés à montrer des sourires ou des larmes. Ce qui se dit est d'abord de l'ordre de la narration et ensuite de l'argumentation : chacun explique son vécu (sous forme de plaintes ou de propositions) puis tente de l'appuyer par des arguments dont le but est de rallier un maximum de votants. Un exemple suffit pour justifier une opinion. La recherche de consensus ou de majorité devient la norme dans la mesure où le vote sanctionne les avis. Lors des discussions philosophiques, les échanges se présentent sous d'autres formes. Naturellement, sans que ce soit forcément philosophique, un débat d'enfants les conduits vers l'utilisation d'arguments ou d'exemples. Il ne s'agit plus ici de rallier la majorité mais plutôt de se faire comprendre et de faire accepter par d'autres les idées qu'on avance. Pour que ce débat devienne philosophique, il doit répondre à une série d'exigences intellectuelles (M. TOZZI) : argumenter mais aussi problématiser et conceptualiser. Les enfants sont donc doublement amenés à se montrer vigilants quant à ce qu'ils souhaitent dire : ils doivent en penser la forme mais aussi le sens. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux parlent de la philosophie comme étant le royaume de la question et de la définition, justement parce que c'est cela qui fait la différence avec le débat démocratique du conseil. Il ne suffit plus d'être convaincant, il faut le démontrer, l'exemple n'étant plus une preuve. Au terme de cette réflexion, qu'en retenir ? Dans un premier temps, que discussion philosophique et conseil de coopérative défendent des valeurs partagées : celles qui consistent à faire valoir que des enfants se construisent d'autant mieux dans l'action. Ensuite, il apparaît que, dans leurs formes, ces deux dispositifs pédagogiques présentent de grandes similitudes. Ceci a pour principale conséquence que des élèves qui maîtrisent les déterminants d'un conseil semblent encore plus enclins que d'autres à maîtriser ceux de la discussion philosophique, et inversement. Tout conduit donc une classe coopérative vers la philosophie et un groupe de discussion philosophique vers la coopération. C'est surtout la tâche de l'enseignant à mettre en place les dispositifs qui semble ici allégée. Enfin, nous avons montré à quel niveau se situaient les divergences entre ces deux pratiques. Alors que le conseil a pour visée la régulation et l'apprentissage de la vie coopérative, la discussion philosophique recherche des apprentissages concernant la pensée réflexive. C'est donc dans le discours que résident les principales différences. Nous pensons même que cette divergence devient une richesse par sa complémentarité. Un conseil seul est l'instance de régulation de la classe coopérative. Une discussion philosophique isolée apparaît souvent dans une classe comme l'îlot de liberté, de considération et de possibles (ce qui d'ailleurs est un facteur important de son succès auprès des élèves des classes traditionnelles.) En réunissant ces deux types de réunion, les enfants profitent des intérêts de chacun mais aussi des interrelations et de la systémie qui se créent. Les parallèles deviennent alors possibles entre le vécu de la classe et l'universalité qu'apporte la philosophie, le tout permettant aux enfants d'effectuer des transpositions didactiques inédites entre l'idée de démocratie et celle d'humanité. Le conseil de coopérative est souvent considéré comme étant « la clé de voûte du système puisque cette réunion a pouvoir de créer de nouvelles institutions, d'institutionnaliser le milieu de vie commun. » Avançons l'idée qu'avec l'appui de la Philosophie, de son essence et de son histoire, les discussions philosophiques deviennent « les fondations de cette voûte. » 5 – VERIFICATION DES HYPOTHESES Voici ce que cette étude a permis de valider parmi les hypothèses formulées en amorce : a) HYPOTHESE 1 : La classe coopérative facilite et optimise la mise en place de discussions philosophiques en cycle III d'école primaire. ? Pour l'enseignant Cette étude a montré que l'enseignant d'une classe coopérative voyait sa fonction allégée sur plusieurs points : o Dans un premier temps, concernant l'organisation du débat : prises de paroles, respect et écoute de celui qui parle, partage des responsabilités, tout ceci n'ayant pas à être repris puisque déjà travaillé au travers d'autres institutions de parole (Conseil, Quoi de neuf ?, …) ; o Dans un deuxième temps, concernant les efforts nécessaires à la création de la communauté de recherche. Le travail en équipe dans la classe conduit naturellement les élèves à reproduire les compétences de recherche dans la coopération ; o Dans un dernier temps, concernant la présentation des exigences intellectuelles spécifiques au philosopher. Une fois la phase d'énonciation terminée, dans la coopération, les enfants maîtrisant ces exigences les transmettent à ceux qui ne les utilisent pas encore. L'adulte n'a pas besoin par exemple de problématiser longtemps, les enfants s'en chargent rapidement ; o L'enseignant peut rapidement se considérer comme un discutant à part entière dans les échanges (sauf lorsqu'il s'agit d'épauler le président gérant des perturbateurs) et faire ainsi profiter le groupe de son regard sur les questions soulevées ; o En tant que responsable de chacun des élèves, l'enseignant peut user de ces moments de discussions philosophiques pour fédérer les plus en retrait dans les apprentissages ou le comportement autour d'une activité de réussite. ? Pour l'élève : L'élève également voit « son métier » simplifié lorsqu'il s'agit de s'engager dans des discussions philosophiques : o Certains élèves reconnaissent leurs difficultés pour intervenir mais ce n'est jamais en lien avec celles qui consistent à prendre la parole dans un groupe : habitué à être interpellé pour s'exprimer dans plusieurs autres lieux, chacun est immédiatement concentré sur la maîtrise des exigences intellectuelles ; o Il est possible à certains élèves de participer aux discussions sans pour autant devoir s'engager intensément dans les échanges (Michael) et à d'autres de s'engager dans les échanges sans pour autant maîtriser pleinement les exigences intellectuelles (Chris) ; o Chaque élève a directement accès à l'action, l'adulte intervenant avec mesure et le groupe se voulant très facilitateur. De plus, c'est dans l'action que l'élève pourra construire la maîtrise des exigences du philosopher ; o La maîtrise des exigences intellectuelles paraît plus à la mesure des élèves âgés que des plus jeunes. ? Pour le groupe : Au travers des discussions philosophiques, le groupe continue à être un support aux engagements : o Les dispositifs tels que les bâtons de parole qui régulent les échanges sont inutiles, le groupe étant habitué à fonctionner dans l'écoute et le respect des individualités ; o Les prises de responsabilités sont poursuivies (voir les métiers de la classe) et favorisées. Le groupe donne à tour de rôle à chacun la possibilité d'être responsable ; o La communauté de recherche se construit autour de la maîtrise des exigences intellectuelles plus qu'autour des exigences du débat démocratique. L'identité de cette communauté n'est donc que philosophique. La durée nécessaire à cette création est d'ailleurs relativement courte. b) HYPOTHESE 2 : Les situations d'apprentissage de la pensée réflexive définies au travers de discussions philosophiques complètent l'impact éducatif des fonctionnements coopératifs. o Le principal apprentissage que les enfants reconnaissent et attribuent à la discussion philosophique est celui de la problématisation et de la mise en doute des certitudes. Dans l'action, ils disent en grandir dans leur rapport à l'école mais aussi et surtout dans et pour leur quotidien ; o Chaque élève retrouve au travers des discussions philosophiques les valeurs coopératives et démocratiques de la classe. Ils y approfondissent en particulier l'intérêt de la construction collective (à travers la communauté de recherche) et les relations personnelles aux situations de violence ; o L'enfant grandit dans des domaines nouveaux que la classe coopérative ne favorisait pas principalement : - connaissance plus large de l'Homme, de la Société et la sa vie en son sein (apprentissages propres à la philosophie) ; - accroissement de la connaissance de soi, à travers la mise en doute de ses certitudes familiales entre autres; - développement d'un nouveau rapport aux familles : soit dans le regard, soit dans l'échange. Nous venons de présenter les aboutissements de cette recherche qui tendent tous à valider les hypothèses initiales servant de repère. Aucune autre conclusion ne semble conduire à invalider ces hypothèses. E- Conclusion 1 – ABOUTISSEMENTS DE LA RECHERCHE Les sources de cette étude provenaient de la volonté d'approfondir puis de diffuser une organisation pédagogique qui puisse tenir compte de l'hétérogénéité d'une classe tout en respectant la Personne que représente chaque enfant. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les travaux de FREINET et OURY concernant les techniques FREINET et les pédagogies institutionnelles. Elles représentaient une solide plate-forme sur laquelle il est possible de poursuivre l'édification de l'école de demain. Conscients de l'ampleur de l'entreprise ainsi envisagée, nous avions choisi de restreindre notre champ de réflexion et de le limiter à une étude bien précise. Celle-ci se proposait d'observer la mise en relation entre ces pédagogies coopératives et les nouvelles références du philosopher avec des enfants. Nous avons même choisi de nommer ces pratiques « éducation par la philosophie ». En effet, il s'avère qu'aujourd'hui l'enseignement unique de la philosophie en classe terminale est remis en question et certains l'envisagent même dès les plus jeunes âges, sous forme de discussions au cours desquelles les exigences du philosopher sont utilisées. Beaucoup de recherches ont approfondi les travaux de FREINET et d'OURY. Nombreuses sont celles qui aujourd'hui promeuvent la pratique de la philosophie ailleurs qu'en classe terminale. En revanche, très peu de travaux se sont intéressés au rapprochement entre ces deux formes éducatives, c'est ce que proposait humblement cette recherche. Les hypothèses étaient doubles. La première affirmait que la classe coopérative facilite et optimise la mise en place de discussions philosophiques en école élémentaire. La seconde défend l'idée que le philosopher complète l'impact éducatif de ces fonctionnements. Pour tester la validité de ces hypothèses, nous avons mis en place un dispositif d'expérimentation. Son principe était de comparer les résultats de divers « jaugeurs » utilisés dans une classe de cycle III reconnue comme étant de fonctionnement coopératif. C'est ainsi que nous avons utilisé les scripts de l'ensemble d'une année scolaire, ceux de classes considérées comme « non coopératives », des questionnaires remplis par les enfants et les interrogeant sur la place de la philosophie dans leur vie d'écolier et le suivi de trois élèves au travers des scripts et d'entretiens. La première hypothèse, dans le cadre du dispositif de recherche, apparaît comme validée. Une classe coopérative correspond bien à un support facilitant et optimisant les discussions philosophiques, ceci pour plusieurs raisons. La principale concerne l'enseignant. La pratique de la coopération entre élèves lui permet d'abord de dépasser l'organisation du débat démocratique, les élèves y étant familiarisés. Ensuite, l'élaboration de l'idée de communauté de recherche s'appuie sur ce que vivent les élèves dans le travail en équipes et donc moins sur ce que devrait apporter un enseignant sans cet apport. Enfin, lorsque les exigences intellectuelles sont maîtrisées par quelques-uns, le principe de coopération opère et s'applique également dans ce domaine au cours et en dehors des discussions. De manière générale, l'enseignant a la possibilité de se comporter comme n'importe quel autre discutant et ainsi devient le médium de son expérience philosophique. La tâche devient également à la fois plus facile mais aussi approfondie pour les élèves et le groupe classe. Que ce soient des enfants réservés ou d'autres en train de parfaire leur pensée réflexive, aucun ne déplore la difficulté à s'engager dans les discussions, même lorsqu'ils reconnaissent les efforts à fournir pour argumenter ou conceptualiser. Sans avoir recours à des outils permettant le dialogue en groupe et entre autres à travers la prise de responsabilités, chaque enfant accède directement à l'action et même s'il n'atteint pas immédiatement la maîtrise du philosopher, il se construit une histoire de vie dont les apprentissages seront effectifs. Lors des séances de discussions, les engagements sont sources d'enrichissements durables dans la mesure où l'adulte n'est présent que pour les susciter et non les soumettre. Ainsi se construit la communauté de recherche, non pas seulement autour d'un débat démocratique où chacun respecte et écoute les divers avis mais aussi et surtout dans la dimension philosophique de ces moments, c'est à dire dans la recherche perpétuelle d'une universalité soumise au doute des existences. Les classes sont également le lieu d'accueil d'élèves en délicatesse avec l'école qui se voient ici proposer une nouvelle occasion d'espérer forcer les engagements en vue de réussites pouvant devenir moteur de suivantes. Cette remarque conduit à la seconde hypothèse qui, comme la première, s'avère vérifiée, même s'il apparaît qu'ici comme ailleurs ce sont les enfants les plus âgés qui profitent philosophiquement de ces discussions. L'approfondissement de l'impact éducatif des pratiques coopératives concerne d'abord l'apprentissage de la problématisation qui conduit les enfants à douter de leur environnement et ainsi à élargir leur champ d'intérêt. Les affirmations deviennent souvent des interrogations sauf lorsqu'elles sont reconnues suffisamment universelles. Dans le transfert des compétences, chacun approfondit celles relatives à la citoyenneté démocratique. La communauté de recherche devient une preuve supplémentaire que le travail d'un collectif est toujours plus riche que celui fourni par une seule individualité. Les situations d'éventuelle violence trouvent également pour vecteur d'épuration l'échange dans le débat puisqu'en philosophie la majorité et l'influence certifient moins les propos que la logique d'un raisonnement. De plus, cette recherche montre que chacun accorde à l'autre le droit à la différence simplement parce que ce n'est pas l'opposition qui fonde le conflit. C'est ainsi que les élèves peuvent effectuer des apprentissages non encore permis par la coopération, à savoir une connaissance plus large (au sens philosophique) de la condition humaine, de soi et de leur environnement familial. 2 – ANALYSE CRITIQUE DE LA RECHERCHE Après la présentation des aboutissements de cette recherche, il convient d'en estomper les effets par un regard critique sur le dispositif qui conduit à de telles conclusions. Il nous semble qu'au moins trois biais peuvent être avancés, travers qui amoindrissent l'objectivité des résultats. Un premier concerne les moyens employés pour recueillir de l'information, en particulier les entretiens des enfants. Ils nous paraissent insuffisamment pensés dans la mesure où d'une part, seuls deux sur les trois élèves choisis ont pu y participer et d'autre part, parce qu'ils ne correspondent pas complètement dans leur visée aux recherches de cette étude. Ce n'est que fortuitement qu'ils nous procurent des informations utiles mais d'autres auraient pu en ressortir si les consignes avaient été plus en lien avec la problématique. Il semble surtout manquer toute la relation que ces enfants entretiennent avec la communauté de recherche. « Il y a toujours interaction entre l'observateur et l'observé. Pour la Science et l'épistémologie classique, la démarche scientifique doit se délivrer des affects et l'observateur s'abstraire totalement du champ de l'expérience. Or cette position radicale, selon DEVEREUX, est illusoire. La démarche qui se prétend neutre affectivement est une réaction contre l'angoisse. […] au lieu de se laisser conduire par ses réactions incontrôlées, il faut tenter de les connaître, de les reconnaître, de les maîtriser, ne pas tomber dans le piège de l'illusoire insensibilité du chercheur. » Un deuxième biais de cette recherche est relatif à cette vigilance. Nous ne contestons pas la déconsidération de l'impact du chercheur ni son contraire, simplement le fait que cette rigueur n'a pas été envisagée. Par exemple, le terrain d'expérience de cette recherche est également et en même temps le terrain d'enseignement de son auteur. Quelle influence sur les résultats ce rapprochement a-t-il provoqué ? Nous ne nous sommes pas posé la question, raison supplémentaire de contester l'objectivité des conclusions émises. Enfin, une troisième raison de douter de cette recherche correspond au manque de considération du terrain d'expérience, puisque l'étude s'est déroulée dans une école classée en ZEP et accueillant des enfants souvent étiquetés « public sensible ». De plus, le fait que ce groupe corresponde à une classe de cycle n'a pas été développé. La multiplicité des niveaux d'accueil des élèves pour des raisons pédagogiques modifie le dispositif d'enseignement et le tissu relationnel entre les divers acteurs. Souvent au centre des préoccupations, ces deux caractéristiques n'ont pas été avancées, ce qui d'un côté prouve qu'elles ne sont pas si parasitantes qu'elles paraissent mais, d'un autre, modifient tout de même les données de la recherche. Ces trois biais présentés soulignent la relative objectivité des résultats émis. De plus, d'autres non pensés doivent aussi conduire à cet état. 3 – PERSPECTIVES ET POURSUITES Toutefois, il ne nous paraît pas devoir reprendre dans son entier cette étude qui marque bien l'interrelation existant entre les pratiques coopératives et les discussions philosophiques. Nous pourrions même prétendre que tout enseignant pratiquant la coopération dans sa classe a intérêt à parfaire son dispositif par de telles séances d'apprentissage de la pensée réflexive. Ce serait par ailleurs une très bonne suite donnée à ce travail. En ce qui nous concerne, nous envisageons trois pistes d'approfondissement possibles pour cette recherche, ce qui ne signifie pas qu'elles puissent toutes être poursuivies. La première reprend l'objet d'un des travers présentés ci-dessus et consisterait à analyser l'équivalence de l'impact entre un dispositif pédagogique alliant coopération et philosophie et l'accueil d'enfants provenant de cités. Quelles influences mutuelles ces déterminants impliquent-ils ? Quelle place une école coopérative peut-elle occuper dans la recherche d'une équité sociale ? Une deuxième recherche tendrait à défendre les fonctionnements coopératifs enrichis de l'expérience philosophique comme étant un cinquième courant pédagogique à part entière derrière ceux que l'on nomme le courant traditionnel des Jésuites, le comportementalisme de PAVLOV, SKINNER et THORNDIKE, le courant libertaire de NEILL et ROGERS et le cognitivisme – constructivisme de PIAGET et les didacticiens. En quoi le « coopérativisme » est-il un courant pédagogique au même titre que les quatre autres ? Quelles sont les caractéristiques qui le différencient ? Cette étude aurait pour principale visée l'éclaircissement du dispositif afin d'en garantir une diffusion plus efficiente. Enfin, ce qui pourrait constituer une troisième piste de recherche serait d'envisager ce même fonctionnement comme étant vecteur d'apprentissage de la non violence. Nous pourrions nous demander en quoi une approche systémique des institutions de la classe favorise l'échange, le principe fondamental de la société civile étant d'arriver à « discuter avant de taper. » Il s'agirait de considérer la classe coopérative comme un dispositif de prévention ou d'épuration des conflits et d'en étudier la pertinence voire même l'efficacité. Les perspectives d'exploitation de cette recherche sont donc multiples, le travail à fournir apparaît encore bien plus important que celui réalisé. N'oublions pas que sa finalité est de poursuivre l'édification d'une école capable d'accueillir les enfants dans leur hétérogénéité et la reconnaissance de leur Personne. F - Bibliographie ? ANZIEU D. et MARTIN J. Y., « La dynamique des groupes restreints », PUF, Paris, 1968. ? ARDOINO J. et LOURAU R., « Les pédagogies institutionnelles », PUF, Paris, 1994. ? 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La difficulté que nous rencontrons ici consiste à avancer malgré quelques " vents contraires ", c'est à dire des forces inverses à la direction que nous souhaitons prendre. Parmi elles, celle qui nous concerne de près est défendue par tous ceux qui pensent pour des raisons diverses que nous n'avons pas en tant qu'enseignants à mettre la parole des élèves au centre des apprentissages et que, puisque ce ne sont que des enfants et nous des adultes, ils n'ont pas à penser par eux-mêmes dans la mesure où nous sommes là pour le faire à leur place. Outrepassons la caricature mais interrogeons-nous tout de même sur l'existence de ce frein, principal obstacle à la mise en place de fonctionnements coopératifs. Espérons que la présentation d'outils adaptés à la classe puisse conduire certains à modifier en toute sérénité leurs pratiques. Nous l'aurons donc bien compris, une classe coopérative est un lieu où les enfants sont amenés à échanger par la parole. Il propose donc tout naturellement un espace d'accueil privilégié aux discussions philosophiques et ceci pour trois raisons essentielles. Tout d'abord et de manière évidente, des " coopérateurs " apprennent en permanence à échanger, à partager, à vivre avec d'autres sans pour autant se pervertir. Au travers des institutions comme le " Quoi de neuf ? ", le " Conseil de coopérative ", les choix de textes libres, les " Bilans météos " ou tout simplement le travail en équipe, ces enfants sont devenus capables de parler en leur nom, d'écouter l'avis de tiers et surtout d'opérer des synthèses personnelles leur permettant de profiter au mieux de la richesse des diversités. Ensuite, et du fait que chacun doive régulièrement assumer des responsabilités (les métiers entre autres), ces coopérateurs ont appris à assumer de réels engagements, certes à la mesure de la classe, mais d'une véritable teneur, simplement parce que le bon fonctionnement collectif en dépend. Enfin, la phase d'adaptation aux outils passée, les prises de parole ne se résument plus à un " faire semblant " destiné à un enseignant dont on attend la considération voire la clémence. Les paroles ont un sens. Elles sont le vecteur par lequel deviennent possibles les relations, les échanges des enseignements et les essais des apprentissages. Pour ces trois raisons, lorsqu'arrivent les premières discussions philosophiques, les élèves sont préparés à la prise de parole dans un groupe (plus besoin d'artifices comme les bâtons de parole par exemple), à assumer d'éventuelles responsabilités (celles de président de séance, de synthétiseur, de journaliste ou de reformulateur) et surtout à vivre des échanges les impliquant réellement. Dans ce rapprochement entre les pédagogies coopératives et la discussion philosophique, tout l'intérêt réside dans la bijection, c'est à dire le mutuel profit de l'un et de l'autre. Certes, ces fonctionnements facilitent l'accueil de débats de pensées mais l'inverse est aussi vrai. Les discussions philosophiques intéressent ces pédagogies dans le sens où elles poursuivent et complètent leur impact éducatif. Prenons l'exemple d'une préoccupation actuelle : l'éducation à la citoyenneté. Nombreux sont les praticiens de techniques coopératives qui expliquent tendre vers la formation de " Citoyens-démocrates. " Pour cela, ils font référence à une institution considérée comme la clé de voûte de la machine : le conseil de coopérative. Les enfants y proposent, élaborent, critiquent et votent les codes de fonctionnement adressés aux membres du groupe-classe. Ils s'exercent ainsi à la législation, l'un des piliers de notre vie de citoyen. Cependant, le conseil ne prépare pas à lui seul les enfants à assumer l'étendue de leurs futures responsabilités. Peut-être même que son unicité masque une réalité bien plus complexe : tout ce qui fait que nous sommes d'abord amenés à penser par nous-mêmes avant de savoir pour qui ou pour quoi nous devons voter. Dans sa dimension débat, la discussion philosophique apporte aux élèves coopérateurs la possibilité d'utiliser des idées qui n'auront pas à être sanctionnées par une éventuelle majorité mais qui pourront être retenues simplement parce qu'elles auront été réfléchies. Reconnaissons que les citoyens que nous sommes pensent et débattent plus qu'ils ne votent et nous trouverons ici une raison supplémentaire pour affirmer que ce type de débat élève davantage la portée éducative de l'acte coopératif. Parce que le débat philosophique se veut plus qu'un simple échange d'idées et qu'il véhicule une caractéristique très précise, ce qui se dit et ce qui se fait en son sein ne se retrouve dans aucune autre institution des classes coopératives. Cette caractéristique vient du fait qu'il s'agit de philosophie. Pour avancer et sans vouloir figer une réflexion qui ne peut qu'être longue mais dont cette recherche n'est pas l'objet, nous entendons par philosophie toute attitude de l'esprit qui tend vers le doute et qui porte sur des généralités plutôt que sur des cas particuliers . Ainsi, et concernant le racisme par exemple, cette question est abordée différemment dans un tel contexte. Tout d'abord au travers du conseil, certains enfants peuvent critiquer ou proposer un article du règlement de classe. C'est le cas entre autres lorsque Yasmina critique Yassine de l'avoir menacée parce qu'elle " défendait des Français ". La discussion porte alors sur des préoccupations de sanctions et de réparations éducatives. Lorsque ce problème est abordé en débat philosophique, la centration s'effectue plus sur un échange de valeurs que sur une recherche de solution : " Un raciste c'est par exemple un blond qui n'aime pas les Africains. " Ces moments permettent d'affiner quelques unes de ses idées voire même de se les construire. C'est le cas Yassine, cité ci-dessus, qui, lorsque la question " Qu'est-ce qu'un raciste ? " est posée intervient dans le débat pour affirmer d'abord qu'un raciste " c'est quelqu'un qui n'aime pas les autres races " (AD21), ensuite que " c'est quelqu'un qui croit qu'il y a des races " (AD40) et enfin que " si on a tous la même race, on n'a pas la même couleur de peau. " (AD60) Ces prises de parole ne prouvent certes pas les changements de pensées mais tout du moins démontrent que des évolutions sont possibles. Une des principales difficultés que nous avons dû surmonter pour mettre en place des discussions philosophiques dans une classe coopérative fut de passer de l'expression d'avis personnels à la mise en doute de ces prises de position, du débat au débat philo. Un instituteur de l'académie de Limoges indique qu'une discussion est considérée " de "nature philosophique" par son sujet, mais aussi par la présence d'éléments logiques, parce qu'elle conduit à un questionnement permettant d'aller plus loin dans l'affinement de l'esprit critique, de l'analyse ou du doute par rapport à de prétendues évidences. Elle se nourrit de la pensée autonome de chacun, authentiquement originale et créatrice et non pas de l'énoncé de phrases bien tournées dans leur apparence mais pensées et écrites par d'autres. Cette créativité doit s'accompagner du courage de s'affirmer, de la volonté de changement, et du souci de l'autre. " Pour atteindre cet objectif, nous avons pensé trois dispositifs. En tant qu'animateurs de ces discussions, nous avons d'abord dirigé la nature de nos interventions vers la recherche de ce que M. TOZZI appelle le Philosopher, à savoir " Conceptualiser, Problématiser, Argumenter . " Les consignes passées aux enfants furent de " donner une définition des mots que l'on utilise et que l'on entend, de se poser des questions ou d'interroger les opinions avancées par d'autres et d'expliquer pourquoi on pense ce que l'on exprime. " Concernant la conceptualisation, les enfants sont passés d'une utilisation directe des mots (quitte à ce que les interprétations soient diverses) à une recherche systématique du sens des termes de l'énoncé avancé (voir les débats sur " Qu'est-ce qu'un ami ? " où les échanges commencent par une définition des mots ami et copain.) Concernant la problématisation, ils sont partis de réponses directes à l'énoncé (pour " Qui est dieu ? ", la première intervention fut " C'est lui qui a créé la Terre et plein de choses " AB3) et ils arrivent à se poser des questions avant même de répondre au thème soulevé (pour le débat " Ma religion est-elle meilleure que la tienne ? ", Stéphane s'est tout de suite demandé " Pourquoi les religions existent-elles ? " AJ8). En ce qui concerne l'argumentation, nous rencontrons de plus en plus de situations où des enfants sont naturellement amenés à compléter certaines de leurs idées en prévention de certaines réactions du style " je ne comprends pas " ou " je ne suis pas d'accord. " La deuxième piste que nous suivons pour guider les enfants vers le questionnement philosophique est la variation des types de thèmes. Un philosophe américain a dressé une typologie des questions philosophiques : les questions métaphysiques (rechercher ce que sont et ce qui fait les choses), épistémologiques (essayer d'expliquer comment on connaît ce qui existe), éthiques (s'interroger sur la façon dont on conduit sa propre vie) et politiques (rechercher les façons dont une société humaine devrait être organisée). Ainsi, les choix des thèmes se font, à tour de rôle, parmi des listes qui dépendent chacune d'une forme de questionnement ce qui amène les apprentis philosophes à se poser des questions d'ordres divers. Enfin, et toujours pour aider les enfants à atteindre une pensée réflexive, nous avons élaboré ce que nous nommons " la ceinture de philosophe ". " A la notion d'école pour tous, nous substituons celle d'école sur mesure pour tous. […] A chaque niveau est attribué une couleur, le système est directement inspiré du judo. " C'est OURY qui apporta en son temps aux pédagogies coopératives cette institution ceinture. Elle a pour but de symboliser les niveaux afin de permettre à chacun d'évoluer vers ce qu'il est en mesure de devenir ou maîtriser et à une classe de disposer d'un outil de coopération à partir duquel les " plus petits " pourront demander conseil aux " plus grands ". Nous avons repris ce qui existe déjà dans notre classe concernant les disciplines et le comportement pour l'adapter à la philosophie. Sans trop entrer dans les détails, expliquons qu'un jaune en philosophe est un élève capable de donner son opinion sur la question alors qu'un bleu est quelqu'un qui maîtrise les trois volets présentés plus haut : conceptualiser, problématiser et argumenter. Dans la pratique, ces ceintures sont utilisées par les enfants pour " grandir " en philosophie et pour disposer d'exemples vivants de dispositions à atteindre. : " Si je veux devenir vert, il faut comme Salima que j'explique les mots que j'utilise. " Voici donc présenté de manière rapide l'essentiel de cette recherche que nous tentons de mener. Notons tout de même qu'elle s'applique à des enfants inscrits dans des écoles classées en Zone d'Education Prioritaire, élément que nous approfondissons en parallèle de ce qui vient d'être avancé. Il serait inopportun de croire que ces techniques suffisent à faire de la classe un espace idéal pour les apprentissages et l'émergence de pensées philosophiques. Notre seule ambition est de mettre à l'épreuve l'hypothèse que la classe coopérative est un tremplin pour guider les enfants vers le philosopher et que favoriser le doute de la pensée complète de manière certaine les visées éducatives recherchées dans la coopération. 2 – NOS ELEVES SONT-ILS PHILOSOPHES ? Cet article s'adresse à des enseignants en ZEP. Non pas parce qu'il se veut sectaire et qu'il considère les « autres » comme étant moins dignes mais simplement parce que ce qui suit ne reviendra pas sur la particularité de nos pratiques et sur le fait que nous accueillons des enfants dont la culture n'est presque jamais la nôtre ni souvent la leur en raison de sa multiplicité. Pourquoi faire de la philosophie avec nos élèves ? Pourquoi leur proposer un espace qui, malheureusement, ne leur sera que très rarement proposé ? J'entends par philosophie, non pas un regard sur son histoire et les pensées de ses grands hommes, mais plutôt ces situations intellectuelles qui consistent à s'émerveiller du monde, à en chercher le sens et en conséquence la place que chacun d'entre nous y trouve. Il n'est pas question non plus que ce petit moment réservé dans l'emploi du temps devienne une estrade supplémentaire à un maître nostalgique des « leçons de choses ». Faire de la philosophie en école élémentaire, c'est plutôt permettre aux élèves un temps d'échanges, sous forme d'une discussion, autour d'un sujet. Ce sujet implique chacun et l'ensemble s'appuie sur l'aide méthodologique d'un adulte qui se retiendra d'exprimer les idées qu'il pense que les enfants doivent exprimer. Philosopher en classe, c'est créer ce qu'on appelle une « communauté de recherche », c'est à dire un groupe de parole dont la mission est la quête d'une vérité, par définition plurielle. C'est se donner les moyens de faire entrer les enfants dans une réelle et coopération conseillée. Réelle parce qu'en discussion philosophique, le compte- rendu final des échanges est toujours supérieur à celui que le meilleur d'entre eux aurait pu faire isolément. Les échanges déclenchent les apprentissages. Conseillée parce que dans la mesure où on recherche quelque chose d'intouchable et que cette recherche ne peut se faire qu'avec des mots, la majorité n'a pas toujours raison. Ce peut même être une minorité qui défend des idées par la suite reconnues collectivement. Ce n'est pas parce que je suis seul que j'ai tort, pas parce qu'on est beaucoup qu'on a raison. En tant qu'individu, si mon corps me demande de m'affirmer, lors des discussions philosophiques, ce ne sera pas par la violence que cela sera possible et si même c'était le cas, à terme, j'en comprendrais les limites de par l'abandon des idées que j'impose. En pratique, faire de la philosophie en école primaire, c'est organiser un débat et en permettre les conditions. D'abord choisir un thème qui, parce qu'on connaît nos élèves, leur donnera envie de s'engager : un sujet motivant le débat (Qu'est-ce qu'un raciste ? – La police a-t-elle toujours raison ? – Mon copain est- il mon ami ? – Qu'y a-t-il après la mort ? …). Ensuite, c'est penser la forme du débat : disposer les chaises en cercle, regrouper la moitié de la classe (les autres faisant une autre activité ou étant observateurs de ce qui se passe), déterminer qui sera président (il donne la parole, note les gêneurs, est garant du temps), qui sera secrétaire (pour le compte-rendu) et qui sera reformulateur (pour répéter ou souligner avec ses mots une idée riche). Enfin, adulte-animateur du débat, c'est permettre aux enfants de philosopher et éviter les fausses discussions d'opinions. Pour cela, une consigne triple que les enfants apprendront à respecter au fur et à mesure qu'ils seront en situation de les utiliser : conceptualiser (? définir les mots qu'on emploie), problématiser (? rechercher le doute et questionner) et argumenter (expliquer en quoi ce qui est dit est juste ou faux). Cette description ne se veut certainement pas la présentation d'une méthode figée : il s'agit plutôt d'une proposition de départ, à chacun d'entre vous de l'adapter pour se construire quelque chose qui lui convienne personnellement. Je ne pense pas qu'il faille être reconnu philosophe pour permettre aux élèves d'entrer en recherche philosophique. C'est à mon goût une question de valeurs, tout du moins celles qui considèrent l'enfant comme un être de l'action et l'adulte comme l'instrument du possible. Voilà en résumé comment la philosophie peut être proposée dans nos classes. Après l'effet de surprise et de découverte, certains enfants en contesteront l'existence et ce sera à coup sûr le signe que ce moment a vraiment sa place dans la classe. Souvent, ce n'est que la fréquence répétée des discussions qui permettra aux élèves de progresser, à nous enseignants d'en saisir l'impact éducatif et à tous les acteurs de l'école de reconnaître qu'il est possible de permettre aux enfants de ces âges de penser par eux-mêmes. 3 – UN ENFANT COOPERATEUR PEUT-IL PHILOSOPHER ? C'est parce que nous sommes des enseignants qui pensons que les élèves seront meilleurs en devenant des coopérateurs que nous pouvons plus facilement leur permettre aussi de penser par eux-mêmes. C'est en tout cas l'idée que je souhaite vous présenter à travers ces quelques lignes. Je suis un jeune enseignant de l'école Antoine Balard à Montpellier, responsable d'une classe coopérative de cycle III. Mon manque d'expérience ne me permet que de parler pour des élèves de ces classes. Chaque semaine et pendant environ ¾ d'heure, ils participent à ce qu'on appelle des « discussions philosophiques ». Le groupe classe est séparé en deux : les discutants et les observateurs des discutants (qui permuteront la semaine d'après). Parmi les discutants, le groupe choisit un président qui gère le temps, donne la parole et note les gêneurs, deux reformulateurs qui sont censés à tout moment répéter avec leurs mots ce qui vient d'être dit, deux journalistes qui devront rédiger un article pour le journal de classe, un synthétiseur qui doit à la fin de la discussion énoncer un court résumé des interventions et un animateur (généralement un adulte) qui a pour mission de donner vie « philosophiquement » au débat. Les thèmes des discussions sont votés en conseil à partir d'une liste proposée ou d'idées d'enfants. Pour ne pas que les échanges deviennent une réplique de ce que nous pouvons parfois entendre à la télévision ou près d'un comptoir de bistrot et pour que chacun entre dans un réel philosopher, les enfants sont amenés à respecter un certain nombre d'exigences intellectuelles. Nous en présentons trois. La première consiste à conceptualiser, c'est à dire rechercher un sens commun aux mots que l'on emploie, ou plus simplement définir les termes que l'on utilise. La deuxième demande de problématiser, de mettre en doute ce qui est avancé, de soulever la question de l'universalité de ce qui est dit. La troisième, et pour beaucoup d'enfants la plus difficile, les contraint à argumenter les idées qu'ils développent, à bien expliquer les raisons pour lesquelles ils sont certains de la véracité des propos énoncés. Ainsi, et par répétition des séances de discussions philosophiques, les enfants deviennent de plus en plus capables de respecter ces exigences et alors d'entrer dans une réelle démarche de construction de leur pensée à partir d'une interrogation du monde. Comme dans beaucoup d'autres lieux en classes coopératives, les élèves sont amenés à s'appuyer sur autre chose que l'adulte pour apprendre. Ici, nous avons créé une « ceinture de philosophe » qui, à l'instar des autres ceintures, propose de symboliser les niveaux de compétences du philosopher. Il s'agit bien entendu d'une échelle fort discutable en théorie mais qui conserve les vertus de reconnaître les divers niveaux (et donc de pouvoir s'y référer pendant les discussions) et de présenter à chacun ce qu'on attend de lui pour obtenir sa ceinture supérieure. C'est surtout à travers elle que les enfants acquièrent la connaissance puis la maîtrise des exigences intellectuelles présentées ci-dessus. Au final et c'est bien ce qui importe, voici mon regard sur ce qu'apportent de telles pratiques à nos élèves. Tout d'abord, et parce qu'ils sont avant tout des coopérateurs, l'angoisse de parler parasite très faiblement l'engagement dans de telles discussions. Ils sont en effet habitués à prendre la parole lors des Quoi de neuf ?, des choix de textes, des conseils ou autres. Ceci est surtout intéressant pour tous les enfants qui ont du mal à trouver leur place dans la coopération, soit parce qu'ils estiment trop complexe le fait de parler de soi devant tout le monde, soit parce que les lieux de parole « traditionnels » sont le lieu d'un déballage de tensions affectives trop fortes. Donner son opinion sur un sujet large est pour ceux-là plus facile que de risquer une possible mise à l'index du groupe. Ensuite, ils découvrent ici un nouvel univers : celui qui consiste à s'interroger, à douter et à rechercher moins des réponses certaines que des questions universelles. C'est le propre du questionnement sur l'humain, sur ce qui fait son essence et ses relations au monde. En somme, c'est le propre de la philosophie. La question ici n'est pas de se demander si philosopher est une fin ou un moyen aux apprentissages, notre but est avant tout de permettre aux enfants de penser par eux-mêmes tout comme on leur permet d'apprendre les maths, le français ou le travail à plusieurs. Enfin, et il s'agit ici d'une conséquence de la précédente raison, les enfants découvrent avec la discussion philosophique un autre rapport à la vérité et un autre regard sur la démocratie. En philosophie, ce ne sont pas les plus nombreux qui ont raison et c'est même parfois une seule personne qui peut énoncer l'idée la plus vraie. Il serait absurde, au terme d'une discussion, de voter pour savoir qui a raison et qui a tort. C'est pourtant ce à quoi les enfants sont habitués lors des conseils. De plus, et parce qu'en philosophie deux personnes en opposition d'opinion peuvent avoir raison toutes les deux, les enfants découvrent qu'il est possible de ne pas être d'accord sans pour autant être amené à devenir violent. La pluralité et l'altérité deviennent ainsi des richesses et des valeurs. J'en termine en présentant toute l'humilité de ma démarche qui ne consiste en aucun cas à apporter à nos pratiques quelque chose d'entièrement neuf et fini. Je suis même certain que beaucoup d'entre vous se reconnaîtront dans ce qui vient d'être dit soit parce qu'ils pratiquent déjà soit parce qu'ils arrivent au même bilan sans y mettre le terme de philosophie. L'essentiel pour nous reste de faire vivre l'idée que l'enfant est une personne qui se construit en construisant et que ces situations où il est amené à s'interroger plutôt qu'à entendre sont des sources d'apprentissages certains. Hypothèses de la recherche o Hypothèse 1 : La classe coopérative facilite et optimise la mise en place de discussions philosophiques en cycle III d'école élémentaire. o Hypothèse 2 : Les situations d'apprentissage de la pensée réflexive complètent l'impact éducatif des fonctionnements coopératifs. D'après le mémoire de maîtrise des Sciences de l'éducation élaboré par l'auteur de cette étude (« Evaluation formative et relation éducative », Université Paul Valéry Montpellier III, juin 1997) et une intervention de Claude VOSSART et André DESSYMOULIE en février 1998 pour l'Union Française des Centres de Vacances. Cette affirmation spécifie le fondement même du personnalisme de Mounier, si l'on considère qu'il ne s'agit pas d'une philosophie de l'action mais d'une philosophie en action. MOUNIER E., « Le Personnalisme », PUF Coll « Que sais-je ? » No 395, Paris, 1949, p 4. Ne pas confondre spiritualité qui implique une connotation de caractère religieux et spiritualisme qui confère l'existence de l'esprit : privilège suprême de l'Homme. Ne pas confondre non plus épanouissement spirituel avec la notion de bonheur. DELEDALLE G., « John DEWEY », PUF, Paris, 1995, p 10. DEWEY J., « Démocratie et Education », Armand Colin, Paris, 1990. BERTRAND Y. et VALOIS P., « John DEWEY » in HOUSSAYE J., « Quinze pédagogues – Leur influence aujourd'hui », Armand Colin, Paris, 1994, p 127. Terme emprunté à MATHIEU A., « Démocratie et pédagogie Freinet », Editions ICEM, Nantes, 1998. PATURET J.B. « De la responsabilité en éducation », Erès, Ramonville Saint-Agne, 1995, p 31. PROFIT Barthélemy, 1935, in MEIRIEU P., "Célestin FREINET", PEMF – L'éducation en questions, 2001, p 25 ICEM – 18, rue Sarrazin – 44 000 Nantes – http:/www.freinet.org FREINET E., « Naissance d'une pédagogie populaire », Maspéro, Paris, 1978, p 7. 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Exemples : responsable de l'appel, portier, effaceur, facteur, messager, etc. LAFFITTE R., « Une journée en classe coopérative », Matrice, 1985, p 126 VAILLANT M. « De la dette au don. La réparation pénale à l'égard des mineurs », ESF Éditeur, 1994 MEIRIEU P. « L'école mode d'emploi », ESF Editeur, Paris, 1985, p 43. L'analyse consiste à faire intervenir des observateurs de la discussion. D'après Delsol A. « Un atelier de philosophie à l'école primaire », Diotime l'Agora N° 8, CRDP Montpellier, décembre 2000. Bourdieu P., Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p88. Gérard AUGUET : mémoire de DEA de Sciences de l'éducation « Approche linguistique de la philosophie pour enfants », Université Paul Valéry Montpellier III, octobre 2000. Op Cité, p 44. Op Cité, p 52. Il y a rupture thématique lorsqu'on change de sujet. Il y a rupture fonctionnelle lorsqu'un participant modifie la fonction de l'échange, par exemple lorsque l'animateur demande, suite à une intervention, de définir un concept utilisé. Il y a rupture régressive lorsque le débat est reconduit vers un état antérieur. Oury F, Oury J., Pochet C. « L'année dernière j'étais mort … signé Miloud », Matrice, 1980, p 135. « Miloud » p 156. Ibid. P 160. Encyclopédie Universalis Nous appellerons « Evolution » ce que peut devenir l'apprenant en fonction de ce que la classe, les adultes de l'école, la société attend de lui, i.e. le niveau de maîtrise supérieur à celui qu'il détient, celui qui selon Vygotski entrerait dans la Zone Proximale de Développement. (Vygotski L., Pensées et Langage, Ed. Sociale, 1985, P. 387) L' « Evolution » d'un orange en comportement est un vert. Cf. DOLTO F. Le sous titre du livre de René LAFFITTE « Une journée en classe coopérative », n'est-il pas « Le désir retrouvé » ? La formulation de ces questions est souvent « malhabile » mais fait suite à un travail avec les élèves pour rechercher les plus univoques. Ce qui compte ici n'est pas la question mais les réponses. Köhlberg L., Moral stage and moralization, dans Lickona Th. (ed.), Moral development and behavior, New York, Holt, Rinechart & Winston, 1976. Piaget J., Le jugement moral chez l'enfant, Paris, Alcan, 1932. Köhlberg L., Niveaux et stades du jugement moral, in Raynal F. et Rieunier A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF Editeur, Paris, 1997, p 346. L'adulte responsable de la DP est titulaire de la ceinture noire de philosophe, ce qui l'oblige à la justifier au travers de ses interventions. Tozzi M. "Philosophie" in "Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation", Nathan Université, Paris, 1994, p 753. Turnbull N. , « Tout savoir sur la philosophie », Le Pré aux Clercs, Hong Kong, 1999, p 22. D'après les travaux de Gérard AUGUET dans son mémoire de DEA de Sciences de l'éducation « Approche linguistique de la philosophie pour enfants », Université Paul Valéry Montpellier III, octobre 2000, p 199. Les scripts AA à AV correspondent à des discussions philosophiques réalisées dans la même classe de cycle III (CE2, CM1, CM2) et transcrits par Sylvain CONNAC Les scripts A' correspondent à des séances de philosophie réalisées dans la classe de CM1 d'Alain DELSOL et transcrits par Johanna LEROY. Ce script correspond à une séance de philosophie dans la classe d'Anne LALANNE http://www.ac-montpellier.fr/ressources/agora/ag03_039.htm Ce script provient d'une classe de CM2 de Nantes. Il a été transcrit par Michèle AUTIPOUT et Gérard AUGUET et se trouve dans le mémoire de DEA de Gérard AUGUET « Approche linguistique de la philosophie pour enfants » Octobre 2000 ? = ?(?d²/N) d : distance à la moyenne ; N : nombre de discutants L'écart type permet de mesurer le degré d'homogénéité des interventions dans le groupe. Plus il est grand, plus le nombre d'interventions est hétérogène (moins la communauté de recherche « fonctionne ») S. CONNAC, DEA en cours : La discussion philosophique comme institution de la pédagogie institutionnelle, Montpellier 3, 2000-2001. KORCZAK J., « La colonie de Mikhalouwka », Education et développement, No 28, mai-juin 1967, pp 48- 51. OURY F. et VASQUEZ A., « De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle », Maspéro, 1971, p 464. Cf. supra p 422. LAFFITTE R., « Mémento de Pédagogie Institutionnelle – Faire de la classe un milieu éducatif », Matrice, 1999, p 114. DELSOL A. " Un atelier de philosophie à l'école primaire ", Diotime L'Agora n° 8, CRDP Montpellier, décembre 2000. Même à l'intérieur des échanges, des « parties » sont identifiables : Cf. AUGUET G. DEA « Approche linguistique de la philosophie pour enfants », Montpellier 3, 1999 – 2000. OURY F. et VASQUEZ. A, « Vers une pédagogie institutionnelle ? », Matrice, 1966, p 92. OURY F., « Vers une pédagogie institutionnelle ? », Matrice, 1966, p82. FUMAT Y., « Présentation du livre de Georges DEVEREUX : De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement – Flammarion – 1980 », S7A Epistémologie et Méthodologie. Techniques Freinet et Pédagogies Institutionnelles dans LAFFITTE René, " Mémento de la pédagogie institutionnelle ", Matrice, 1999. Voir à ce sujet " Démocratie et Pédagogie Freinet ", Pratiques et Recherche, ICEM, 1998. A ce sujet, consulter le site Internet de Gilles GENEVIEVE sur la Philosophie pour enfants : http://perso.worldonline.fr/philoenfants/Accueil.htm AC19 (codification des scripts) http://www.educreuse23.ac-limoges.fr/projets/PPhilo.html Tozzi M., " Penser par soi-même, initiation à la philosophie ", Chronique sociale, Lyon, 1996. Turnbull N., " Tout savoir sur la philosophie ", Le Pré aux Clercs, Hong Kong, 1992. Oury F., Vasquez A., " Vers une pédagogie institutionnelle ? ", Matrice, Vigneux, 1967. Lipman M. « A l'école de la pensée », De Boeck Université, Bruxelles, 1995. La discussion philosophique comme institution des pédagogies coopératives ? 1 1 S. Connac –09/01