La véritable histoire des "Briseurs de barrages" - 17 Mai 1943
Guy Penrose Gibson

Illustrations par
Benjamin Freudenthal -
reproduction interdite sans l'accord de l'auteur

English version



Ce récit relate l'attaque unique et mémorable menée par le squadron 617 sur les barrages de la Möhne et de L'Eder en mai 1943. Le raid était dirigé par le Wing Commander Gibson, un vétéran du Bomber Command, qui avait commandé le squadron 106, également équipé de Lancaster, avant de former le Squadron 617 ne comprenant que des as du bombardement. Avant le raid sur les barrages, Guy Gibson avait bouclé 3 tours d'opérations, soit 173 missions de bombardement. Âgé de 25 ans, il était décoré de la DFC et de la DSO. Il disparut en septembre 1944 alors qu'il pilotait un Mosquito an tant que "master bomber", lors de l'attaque sur Rheydt.
Extrait du livre "Les briseurs de barrages" par Paul Brickhill. Éditions Flammarion, collection "L'aventure vécue", Paris 1954.


Guy Penrose Gibson
Guy Penrose Gibson

Gibson eut l'impression de voir la maquette : c'était la même cuvette remplie d'eau, les mêmes champs aux alentours et, barrant l'extrémité du lac, le même rempart massif couronné de ses deux tours. Dans l'éclairage diffus, la muraille ressemblait à une monstrueuse forteresse flottante, à un cuirassé amarré entre deux corps morts.
-"Seigneur !" murmura quelqu'un. "Vous croyez que l'on peut démolir ça ?"
Soudain le barrage s'anima. Des jets de traceuses jaillirent des tours, balayant le ciel dans toutes les directions.
"Plutôt agressifs les Fritz !" remarqua Trevor-Roper.
Les trois pilotes dégagèrent adroitement et se mirent à contourner le lac, prenant bien soin de rester hors de portée de la DCA. Gibson essaya de compter les canons. Il y en avait au moins un de chaque côté du lac, près du barrage, et moins quatre dans chaque tour. Il appela les appareils de la vague suivante, et ils répondirent l'un après l'autre, à l'exception d'Astell.

Mais Astell était mort depuis une heure. A la fin, Gibson, comprenant qu'il ne valait mieux pas insister, annonça à son équipage :
"- Eh bien je pense qu'il faut y aller."
Puis, passant à la transmission radio, il appela les autres appareils :
- Attention, tout le monde. Je vais attaquer. Tenez-vous prêt à foncer à votre tour. Hallo, "Mother". Vous prendrez le commandement s'il m'arrive quelque chose.
- OK, chef. Bonne chance ! Fit la voix calme de Hopgood. Gibson prit du champs, s'éloignant jusqu'aux collines à l'extrémité du lac. Puis, virant progressivement, il fonça de toute la puissance de ses 4 moteurs. Lentement, l'appareil s'aligna, jusqu'au moment où, droit devant, à environ 5 kilomètres, surgit le barrage surmonté de ses deux tours. Débouchant de l'eau, à 400 km/h, Gibson hurla les dernières instructions :
"- Vérifiez l'altitude ! Contrôler la vitesse ! Attention les mitrailleurs ! allumez les lumières !"
Le navigateur alluma les deux projecteurs fixés sous le ventre de l'appareil et, guettant le moment où les faisceaux allaient se toucher à la surface, se mit à débiter son refrain :
"Plus bas... Plus bas... Un peu plus haut... C'est bien, c'est très bien...
Comme le Lancaster s'établissait à exactement 20 mètres au dessus du lac, les canonniers allemands aperçurent les lumières. Aussitôt les jets de traceuses convergèrent sur la cible jusqu'alors invisible. Les balles semblèrent d'abord arriver lentement, pour se précipiter ensuite à mesure que l'appareil approchait du barrage.
Gibson, parfaitement calme, dirigea le Lancaster droit entre les deux tours. Spafford, l'oeil vissé au trou du viseur en contre-plaqué, attendait, la main sur le bouton de déclenchement. Tout à coup un vacarme terrible éclata dans le nez de l'appareil : le mitrailleur avait ouvert le feu sur les deux tours.
Gibson eut l'impression que le barrage, mur cyclopéen éclaboussé de feux follets, allait s'écraser sur lui. L'odeur de la poudre et du métal surchauffé le prit à la gorge, et il songea : "Dans une minute, nous seront tous morts." Puis, Spafford poussa un cri : "Bombe lachée !", l'appareil s'engouffra antre les deux tours, et Hutchinson lança une fusée rouge pour annoncer aux autres qu'ils étaient sains et sauf.

L'attaque de Gibson
"Gibson, parfaitement calme, dirigea le Lancaster droit entre les deux tours..." - Illustration : Benjamin Freudenthal - poster 70 x 50 cm disponible - Pour commander, cliquez ici

L'instant d'après, Trevor Roper, dans sa tourelle arrière, envoya ses quadruples rafales aux artilleurs allemands. Ils se ressaisirent pendant que le Lancaster plongeait en titubant dans la vallée, rasant le sol pour échapper à la DCA. Une fois hors de portée, Gibson monta au dessus des collines, vira sec et regarda vers le barrage.
Tout d'abord, il ne vit rien. Puis soudain, le plan d'eau découpé par les silhouettes des tours se souleva. Un immense cône blanc creva la surface et monta vers le ciel. Le lac bouillonnait, et comme la colonne atteignait son point culminant et planait tel un fantôme à plus de 300 mètres, le grondement de l'explosion frappa l'avion. Saisis d'épouvante, les hommes virent une vaste cascade se déverser par-dessus le barrage. L'espace d'un seconde, ils crurent que la muraille avait éclaté. Peu à peu le lac s'apaisa, et

ils constatèrent que le barrage était toujours à sa place. Était-il seulement ébranlé ? Quelques minutes plus tard, pendant que le Lancaster tournait en rond au-dessus des collines, Gibson jugea l'eau suffisamment calme pour une seconde tentative.
"- Hallo "Mother", appela t-il. Allez-y maintenant. Bonne chance.
- OK, Chef. On y va, fit la voix toujours nonchalante de Hopgood.
Émergeant d'un trouée entre les collines, il se dirigea droit sur le barrage. Les autres équipages l'observait anxieusement. Les projecteurs sous le ventre de son appareil s'allumèrent, les deux ronds lumineux glissèrent sur l'eau et se réunirent. Hopgood avait trouvé la bonne altitude, mais, déjà, la DCA ouvrait le feu. Imperturbable, il continua à foncer. A cinq cents mètres de la muraille, l'appareil fut pris dans un tourbillon de traceuses ; une lueur rouge apparut autour du réservoir du moteur intérieur de tribord, puis la queue vomit une longue flamme. La bombe, déclenchée un fraction de seconde trop tard, dépassa le parapet et tomba sur le centrale électrique au pied du barrage
"Mother" franchit la muraille et, aussitôt, se cabra. Hopgood chercha à prendre de la hauteur pour permettre à l'équipage de sauter. Tout à coup, les réservoirs explosèrent, une aile se détacha, et le Lancaster frappé à mort descendit en vrille, éjectant une pluie de débris incandescents. Juste comme il allait s'écraser, la centrale sauta dans une orgie de lumière. Dix secondes plus tard, le drame était consommé.
"-Pauvre Hoppy..." murmura une voix.
Gibson, le visage figé comme un masque, appela Martin :
-"Hallo, Popsie. Vous êtes prêt ?
- archiprêt, chef. J'y vais.
- Quand vous attaquerez, je vais survoler le barrage pour essayer d'attirer le feu de la DCA.
- OK, chef, et merci !"
Quand Martin déboucha déboucha des collines, Gibson se lança au-dessus du lac, suivant une ligne parallèle au barrage mais en restant hors de portée efficace des canons. Dès que les projecteurs de Martin commencèrent à glisser sur l'eau, Gibson vira sur l'aile, et ses mitrailleuses ouvrirent le feu. Les 6 jets de traceuses qui convergeaient vers les tours détouraient l'attention des allemands qui n'aperçurent l'appareil de Martin qu'au dernier moment, alors qu'il n'était plus qu'à 800 mètres du barrage. Néanmoins, 3 canons réussirent à tendre un rideau de feu entre les deux tours, - rideau meurtrier que Martin devait inévitablement franchir.
A l'instant précis où Bob Hay annonça "Bombe lachée !", l'appareil eut un violent soubresaut. Deux obus avaient pénétré dans l'aile de bâbord, et l'un d'eux avaient explosé dans le réservoir intérieur. Puis, l'appareil franchit le barrage et plongea dans la vallée.

L'équipage, anxieux, guettait l'aile endommagée. Tout à coup, voyant que le réservoir n'ait toujours pas prit feu, le navigateur se mit à hurler : "Ça c'est un coup de veine ! Ce sacré réservoir était vide !" Martin, souriant, se frotta le menton avant de crier dans le micro :
- "Bombe lachée, chef !.
- Parfait, "Popsie". Hallo, "Apple". Etes-vous prêt ?
- Oui, chef.
- Alors, allez-y. Avertissez quand vous êtes en position, et je vais amuser ces messieurs de la DCA. Hallo, Popsie. Êtes-vous touché ?
- Ouais, deux trous dans l'aile bâbord, mais tout le monde indemne. On arrivera à rentrer, je pense.

The victorious attack of Malby
L'attaque victorieuse de Maltby

Le lac se mit de nouveau à bouillonner, la même colonne blanche jaillit à des centaines de mètres, la même cascade déferla par-dessus la muraille. Mais quand la furie de l'eau se fut apaisée, le barrage était toujours là. Il était même encore debout après l'explosion de la troisième bombe, placée par "Apple" avec une précision admirable.
De nouveau Gibson attendit que le colonne blanche fut tombée, puis il ordonna à Maltby de tenter sa chance. Cette fois-ci, Gibson et Martin, l'un venant de gauche, l'autre de droite, se lancèrent en même temps au dessus du lac, faisant feu de toutes leur mitrailleuses, allumant même leur lumière de position pour disperser le tir de la DCA. Une fois de plus, l'énorme éruption bouleversa la surface noire de la Moehne, une fois de plus le geyser jaillit tout près de la muraille. A présent, la vapeur d'eau recouvrait toute la vallée, et il était difficile de se rendre compte du résultat de l'explosion. Gibson, légèrement nerveux, venait d'ordonner à Shannon de lâcher sa bombe quand une voix délirante hurla dans les écouteurs :
"- Ça y est, le barrage est par terre ! regardez !
C'était Martin, qui cerclant autour de la vallée, avait assisté à l'effondrement du rempart. L'immense masse de béton avait brusquement éclaté, et tout un pan s'était écroulé sous la poussée de l'eau. Une brèche large de 100 mètres et haute de 30 béait au centre de l'ouvrage, et le flot furieux, - 134 millions de tonnes - s'engouffrait entre ses flancs déchiquetés. Gigson dut se ressaisir pour dire à Shannon de "laisser tomber".
L'un après l'autre, les appareils survolèrent le barrage vaincu. Sous la lumière indifférente de la lune, un mur liquide haut de 7 mètres dévala la pente de la vallée ; Un allemand, peut être être l'unique survivant des tours, ouvrit tout à coup le feu sur les bombardiers ; quelques rafales bien ajustées le réduisirent vite au silence. Peu à peu, l'émotion générale se transforma en une joie sauvage ; seul Hutchinson ne participait pas à la conversation animée, passablement décousue et extrêmement bruyante. Assis devant son manipulateur, il envoyait en morse très lentement, très distinctement un mot lourd de signification : "Nigger", Le nom du Terre-neuve de Gibson, et aussi le nom de code qui devait annoncer le succès total de l'opération.
Déjà, l'eau et les traînées de vapeur effaçaient complètement la vallée. Gibson ordonna à Martin et à Maltby de rentrer, puis il emmena les autres équipages vers l'est, et au dessus de l'Eder Ils allaient tenter d'achever l'œuvre commencée.


LA BOMBE "REBONDISSANTE" UPKEEP et son inventeur, Barnes Wallis

Barnes Wallis

L'extraordinaire arme qui permit aux lancaster du squadron 617 de briser les barrages de la Ruhr avait été conçu par un ingénieur civil, Barnes wallis. Malgré le manque d'enthousiasme de l'état-Major pendant les premières études, Wallis poursuivit ses expériences et démontra la fiabilité de son projet. Il fallut procéder à des essais qui prirent des formes aussi diverses que le cataplutage dans l'eau de blocs de marbre enfermés dans des boîtes métalliques, le lancement de projectiles enflammés sur un lac ou l'explosion de petites charges, le long de la porte d'un réservoir d'eau. Pendant l'hiver 1942-43, un bombardier Wellington équipé d'un système de largage spécial fit une série

d'essais avec des cylindres d'entraînement à Chesil Beach, près de Weymouth. Une charge véritable fut ensuite expérimentée, et la RAF réceptionna les fameuses bombes en avril 1943. Malencontreusement, les bombes d'exercice se brisaient à l'impact ou été déviée de leur trajectoire. Wallis renforça alors l'enveloppe extérieure, et les bombes furent opérationnelles.

Dans sa forme finale, Upkeep (nom de code de la bombe) était un cylindre de 4190 kg, d'une longueur de 1,52 mètres et d'un diamètre de 1,27 mètres. La charge explosive constituée de 2290 kg de torpex, était mit à feu par trois pistolets hydrostatiques conçus pour se déclencher à 9 mètres sous l'eau. Un mécanisme d'autodestruction entrait en action 90 secondes après le largage. Les allemands, qui analysèrent une de ces armes retrouvées sur un Lancaster abattu, la qualifièrent de "charges tournoyante de profondeur". Bien que ce terme soit assez juste, l'invention de Wallis est néanmoins entré dans l'histoire sous le nom de bombe rebondissante.

Upkeep bomb

 

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