La mondialisation contre l'Amérique

Jean-François BAYART, directeur de recherche au Ceri-Sciences Po (CNRS), directeur de la revue Critique internationale
Alternatives Economiques n° 196 - octobre 2001

S'il nous en avait fallu une preuve supplémentaire, nous la tiendrions, sanglante et funeste. La mondialisation n'est pas synonyme d'américanisation. De par leur puissance, les Etats-Unis en sont un élément moteur. Mais ils n'en sont pas les maîtres, comme le prétendent les souverainistes. Leur influence est contrebalancée par celle de l'Europe et du Japon. Et aujourd'hui, leur pouvoir est tragiquement mis en échec par la colère du limes.

D'une certaine manière, les Etats-Unis étaient même, jusqu'à présent, en partie déconnectés de la mondialisation, définie comme un processus accéléré d'interdépendance. Leur économie et leur territoire semblaient être des sanctuaires. Leur vision du monde tenait du provincialisme impérial. Leur diplomatie faisait fi du multilatéralisme et tendait à éluder ses responsabilités, notamment au Proche-Orient.

La destruction simultanée du World Trade Center et du Pentagone a interrompu cette anomalie. Elle a dissipé l'illusion de l'avènement d'un règne sans histoires et sans Histoire: celui du marché. En ce sens, le 11 septembre 2001 est un tournant symbolique aussi important que la chute du Mur de Berlin, dont il n'est d'ailleurs que la réplique différée. Triste ironie que de voir le fils-président mettre en terre la chimère du "nouvel ordre mondial" de son président de père.

La mondialisation néolibérale repose sur une contradiction. D'un côté, mondialisation des capitaux, des biens et des images. De l'autre, cloisonnement policier du marché du travail et enkystement politique de poches de désespoir. Commence, non la première guerre du XXIe siècle, mais l'accomplissement de la mondialisation par celle de la fureur de ses perdants. Peu importe que celle-ci soit sainte ou non. L'essentiel est qu'elle ait les moyens de ses fins. Elle les a manifestement trouvés.

On peut juger indécente la joie des Palestiniens fêtant la mort de milliers de New-Yorkais. Mais depuis soixante ans, quelle autre joie leur a laissée la diplomatie américaine? Si l'on admet que la mondialisation est un imaginaire par lequel se console l'Occident - comme les Romains avec l'idée d'autarcie, nonobstant la réalité de leur économie -, les auteurs de l'attaque du 11 septembre ont fait preuve d'un art consommé. Leur dramaturgie sinistre a été relayée en boucle ad nauseam aux quatre coins de la planète. Le rêve est devenu cauchemar, la consolation affliction.

Reste à savoir comment l'Occident répondra à ce défi. En s'attelant enfin au traitement politique et social de l'asymétrie croissante du processus de mondialisation, ou en s'engageant dans une fuite en avant sécuritaire? "Qui a peur de Ben Laden?", demandait Fariba Adelkhah dans un article provocant, en montrant pourquoi le milliardaire était un héros positif pour des millions d'émigrés dans le Golfe (1). Telle est la vérité gênante à laquelle il faut répondre efficacement, et dans le respect des valeurs démocratiques. Lutter contre le terrorisme "par tous les moyens", nous promettent nos leaders éclairés que nous avons élus et qui nous ont menés là où nous sommes. Cela s'appelle la doctrine Aussaresses. Merci, on a déjà donné.

(1)

Critique internationale, 12 juillet 2001.

Jean-François BAYART, directeur de recherche au Ceri-Sciences Po (CNRS), directeur de la revue Critique internationale
Alternatives Economiques n° 196 - octobre 2001
 Notes
(1)

Critique internationale, 12 juillet 2001.

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