Pourquoi tant de « tueurs en série » aux Etats-Unis ? L’EXÉCUTION aux Etats-Unis du « tueur en série » (serial kil ler) John Gacy, en mai dernier, a provoqué dans les médias une allégresse justicière. Le châtiment d’une déviance maléfique a permis à la société américaine de réaffirmer, contre tous les guerriers fous et autres individus sauvages, les valeurs de la loi. Mais ce n’est pas si simple, car la plupart de ces grands criminels deviennent, par le biais de la fiction de masse - films d’épouvante, romans policiers, séries télévisées - des héros fascinants pour le monde entier. Quelles conséquences pour les autres sociétés ? Une culture qui adopte de tels monstres pour normes peut-elle ne pas engendrer des loups-garous ? par Denis Duclos, août 1994 Aperçu -- Pour s’engager dans la bataille des idées. Pourquoi tant de « tueurs en série » dans la culture anglo-américaine ? Ou plutôt : pourquoi cette tendance à mettre en scène une violence exorbitante, par le biais de personnages réputés pratiquer le meurtre à la dizaine, voire à la centaine, et cela dans la réalité comme dans la fiction ? Question corollaire : avec l’américanisation des cultures populaires dans nombre de pays, n’est-ce pas aussi la criminalité à l’américaine, et donc celle des serial killers, qui pourrait déferler en Europe, ou qui a peut-être même déjà commencé à le faire ? D’étonnement en inquiétude, il y a là une occasion de réfléchir à ce qui lie ensemble violence, culture et société. Pour autant que la violence n’est jamais laissée sans signification par les sociétés humaines, la façon dont elle est mise en acte, aussi bien que réprimée, dessine la frontière symbolique du territoire civilisé. En ce sens, la grande criminalité est toujours typique de chaque société, aussi bien par le nombre que par le style de criminels dont on souhaite faire le commentaire horrifié, ou parfois l’éloge caché sous la répulsion. Ainsi, en France, l’attention portée au crime est assez différente du regard américain. Une première différence, significative : alors qu’aux Etats-Unis la scénographie du crime terrorisant est produite par des cohortes de narrateurs, de dessinateurs, de commentateurs, de cinéastes, en France, la mise en cause de la société via le crime a été assignée à l’intellectuel, cet hybride de philosophe critique, d’artiste et d’écrivain subversif. Ce fut Voltaire dénonçant l’injustice dans l’affaire Calas, les surréalistes critiquant la criminalisation de l’avortement à travers Violette Nozière, Genet ou Lacan réfléchissant à propos des soeurs Papin sur les paradoxes d’un crime « social », se révélant être un effet de mirage paranoïaque. Ce fut aussi Roland Barthes opposant la pensée d’Etat aux archaïsmes du clan Dominici, Michel Foucault travaillant après coup sur la société de surveillance et de punition à travers l’aveu du matricide Pierre Rivière, Gilles (...) Taille de l’article complet : 4 273 mots. -- « Etre cinéaste dans une Corée divisée », page 25 Article suivant « Les médias américains délaissent le monde », page 28 Quatre livres de la collection « Prendre parti »