Idées Analyses de la rédaction Par Paul Molga Correspondant à Marseille. Marseille : les racines lointaines d'un chaos Par Paul Molga | 12/09 | 06:00 -- Télécharger le PDF Au-delà des mesures d'urgence et des renforts policiers, Marseille aura du mal à sortir de la spirale de la violence sans une mobilisation politique dépassionnée. Boll pour « Les Echos » -- Après les nouveaux règlements de comptes de la semaine dernière, l'Etat a convié les élus marseillais de tous bords à sceller samedi « un pacte national pour la sécurité et la cohésion sociale ». Des renforts de police nationaux et municipaux ont été annoncés. Des commissions de travail sur la sécurité, l'éducation, l'emploi et l'amélioration des conditions de vie dans les quartiers ont été mises en place. D'ici à l'hiver, il doit en sortir un constat consensuel et un calendrier de mesures concrètes. Des doutes entourent en effet la réalité du désordre marseillais. Depuis la fin de 2011, la préfecture de police ne communique plus de bilan. Cette année-là, il y avait eu dans le département 600 vols à main armée, 9.600 vols avec violence, 650 vols sous la menace d'une arme blanche, 11.000 agressions crapuleuses, soit une moyenne de 30 par jour perpétrés à 95 % dans la ville de Marseille… Depuis, la ville a investi 9 millions d'euros dans un centre de supervision urbain qui doit prévenir les crimes et mieux affecter les forces de l'ordre grâce à 350 caméras déployées dans l'hyper-centre. Quelques mois après son inauguration, le dispositif a permis 93 interpellations en flagrant délit et dirigé 700 interventions de police et de pompier. Ses images ont également été apportées à l'appui de 252 affaires judiciaires. « C'est un outil indispensable pour attacher des preuves scientifiques aux témoignages », jubilait alors le procureur. D'ici la fin de l'année, 100 caméras supplémentaires seront déployées à Marseille, puis encore 500 autres d'ici à 2015 pour mailler les 111 noyaux villageois de la ville. « C'est un travail à marche forcée sur un territoire communal immense qui tient entre Roissy et Orly du nord au sud », explique le maire pour justifier une dépense supplémentaire de 15 millions d'euros pour cette extension. A l'avenir, il espère aussi récupérer la gestion d'autres caméras déjà installées dans le métro, les couloirs de bus, les parkings, stades, centres commerciaux… L'organisation de la police municipale a également subi un sérieux lifting pour renforcer la présence policière dans les rues sans faire exploser le budget de fonctionnement municipal. La ville a déjà embauché 100 policiers municipaux supplémentaires, portant ses effectifs à 340 agents qui sont désormais équipés de gilets pare-balles et de pistolet à impulsion électrique. « Un policier pour 2.000 habitants, c'est encore insuffisant », proteste Force ouvrière, qui réclame le double d'effectifs. Jean-Claude Gaudin leur a promis une centaine d'agents supplémentaires. L'Etat a aussi mis du sien en affectant 230 policiers et gendarmes de plus pour épauler les 3.000 hommes déjà en place, en attendant de nouvelles affectations. Selon Jean-Marc Ayrault, venu redire sa détermination à « sauver Marseille » après un nouveau meurtre dans le quartier de l'Estaque cet été, ces renforts n'ont certes pas fait baisser la fréquence des règlements de comptes (déjà 15 en 2013 contre 24 l'an passé), mais ils auraient déjà eu des effets sur la délinquance ordinaire avec un recul de 18 % des vols avec violence. La surenchère policière ne ramènera cependant pas durablement le calme dans une agglomération aux allures tiers-mondistes, où une moitié de la ville exonérée d'impôts (50,5 % contre 45,3 % au niveau national) et un tiers de la population vivant avec moins de 954 euros de revenu mensuel par foyer côtoient quelques-unes des plus grands contributeurs à l'ISF. Les racines du mal marseillais tiennent autant aux conflits territoriaux de petits dealers qu'au façonnage urbano-politique de son habitat, hérité des années Defferre. Parce qu'il se méfiait de sa « ceinture rouge », l'ancien maire socialiste avait multiplié les constructions HLM partout où les voix pouvaient lui échapper : dans les quartiers nord, mais aussi dans ceux plus populaires du sud et jusqu'au Prado, au coeur des « Champs-Elysées marseillais ». En favorisant la mixité, cette « banlieue dans la ville » a sans doute contribué à préserver Marseille des explosions sociales que connaissent Paris ou Lyon. Mais elle a aussi planifié la pauvreté marseillaise. Devenue ville-dortoir lardée d'autoroutes urbaines pour consacrer la voiture reine, repliée sur elle-même après que l'ancien ministre de l'Intérieur eut refusé la création d'une communauté urbaine et chassé l'industrie, empêtrée dans un système politique clientéliste, abandonnée par l'Education nationale (presque 25 % des Marseillais n'ont aucun diplôme), condamnée enfin par les médias qui préfèrent comptabiliser le nombre de morts que de start-up, Marseille aura du mal à se relever sans une mobilisation politique dépassionnée. A quelques mois des municipales, alors qu'une possible victoire de la gauche dans la ville de l'OM pourrait gommer un échec national, les Phocéens ont du mal à croire à la sincérité d'un consensus. Ce sera compliqué, comme on dit communément dans le Sud. Paul Molga Correspondant à Marseille. Les points à retenir Le renforcement de la présence policière n'a pas fait baisser la fréquence des règlements de comptes à Marseille : 15 assassinats y ont déjà été perpétrés cette année, contre 24 en 2012. Mais il semble produire des effets sur la délinquance ordinaire, avec un recul de 18 % des vols avec violence. Le désordre marseillais tient autant aux conflits territoriaux de petits dealers qu'au façonnage urbano-politique de son habitat, hérité des années Defferre. Écrit par Paul MOLGA Correspondant à Marseille paulmolga@gmail.com Tous ses articles